L'origine des lunes de Mars est une énigme pour les planétologues. Quelques scénarios ont été proposés cependant, le tout dernier faisant intervenir une collision il y a plus d'un milliard d'années.


au sommaire


    Perseverance est désormais à la surface de Mars. Il y a presque 8 ans, son quasi jumeaujumeau, le rover Curiosity, avait en quelque sorte filmé une occultation de la petite lune martienne Déimos (à 20.000 km de la surface de Mars) par sa grande sœur PhobosPhobos, plus massive et plus proche (6.000 km d'altitude). PerseverancePerseverance en fera peut-être de même avec une qualité d'images supérieure.

    Comme Futura l'expliquait à de nombreuses reprises dans les précédents articles ci-dessous, ces petits corps célestes rendent perplexes les planétologues cherchant à déterminer leur origine car les caractéristiques de leurs orbites cadrent mal avec l'hypothèse qu'il s'agirait d'objets capturés par le champ de gravitation de Mars. Pour vraiment être en mesure de déterminer l'origine de Phobos et DeimosDeimos, il faudra les étudier de beaucoup plus près, par exemple avec la mission envisagée par la Jaxa dans un futur proche : MMX (Martian Moons Exploration).

    En attendant, les astrophysiciensastrophysiciens passionnés par la cosmogonie tentent toujours avec les moyens dont ils disposent de faire le jour sur la genèse de Phobos et Deimos. Dans les précédents articles ci-dessous, Futura mentionnait une théorie faisant de ces deux satellites naturels de Mars les restes d'une collision passée entre la Planète rouge et un autre corps céleste probablement de la taille de CérèsCérès ou encore VestaVesta, les astéroïdesastéroïdes légendaires de la ceinture principale entre Mars et JupiterJupiter, visités il y a quelques années par la sonde Dawn.

    Comme dans le cas de la formation de la Lune, Phobos et Deimos se seraient accrétés à partir d'un anneau de matièrematière produit par la collision. Des simulations numériquessimulations numériques soutiennent ce scénario. De nouveaux calculs, conduits par des chercheurs de l'Institut de géophysique de l'ETH Zurich et de l'Institut de physiquephysique de l'Université de Zurich, ajoutent aujourd'hui des éléments au débat comme le montre un article publié dans Nature Astronomy.


    Une présentation de Phobos et Deimos. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Dreksler Astral

    La mécanique céleste et les forces de marée dissipatives

    Amirhossein Bagheri, doctorant à l'Institut de géophysique de l'ETH, et son collègue Amir Khan, chercheur senior également en poste à l'Institut de physique de l'Université de Zurich, avancent maintenant qu'il y a 1 à 2,7 milliards d'années, Phobos et Deimos auraient été produits par une collision entre deux corps célestes déjà en orbite autour de Mars.

    Pour arriver à cette conclusion avec trois autres de leurs collègues, les planétologues se sont appuyés sur les nouvelles données concernant l'intérieur de Mars fournies par le sismomètresismomètre de la mission InSight de la NasaNasa. Elles ont permis de préciser le modèle de la structure interne de la Planète rouge.

    On peut alors combiner ce nouveau modèle avec ceux de l'intérieur de Phobos et Deimos, déduit des images et des mesures effectuées par d'autres sondes martiennes qui suggèrent que les deux lunes sont constituées d'un matériaumatériau très poreux. En effet, estimée à moins de 2 grammes par centimètre cube, leur densité est bien inférieure à la densité moyenne de la Terre qui est de 5,5 grammes par centimètre cube.

    Il se trouve que les champs de gravitégravité de corps célestes, lorsque l'on est assez proche d'eux, ne sont pas aussi simples que celui calculé en supposant toute leur massemasse rassemblée en un point. Géophysiciens et planétologues le savent bien et déjà dans le cas de la Terre et de la Lune, il a fallu faire de savants calculs en utilisant les équationséquations de Laplace et PoissonPoisson pour le champ de gravitation, la théorie du potentiel avec les polynômespolynômes de Legendre et autres techniques mathématiques avancées (fonction harmonique, théorie des perturbations etc...) pour tenir compte du fait que ces champs de gravité sont sensibles aux variations de la densité à l'intérieur de ces corps célestes, lesquels ne sont pas non plus des corps parfaitement sphériques.

    Sans cela, on ne peut pas calculer avec précision par exemple les mouvementsmouvements de satellite autour de la Terre. En outre, les forces de maréeforces de marée, qui s'exercent par exemple entre la Terre et la Lune ou Jupiter et IoIo, vont déformer ces corps, modifiant du même coup les champs de gravité qu'ils génèrent, et produire des dissipations d'énergieénergie -- elles sont à l'origine du volcanisme de Io -- conduisant à la fin, là aussi, à des erreurs dans les prédictions des trajectoires futures de ces objets célestes.


    Phobos et Deimos vues par Hubble. © Nasa’s Goddard Space Flight Center/Katrina Jackson

    Phobos, une mort programmée

    Les modèles de l'intérieur de Mars, Phobos et Deimos permettent donc d'affiner les boucles de rétroactionboucles de rétroaction qui font que des modifications de la forme de ces corps vont modifier leurs champs de gravité qui, à leur tour, vont modifier leurs trajectoires et leurs changements de formes qui, à leur tour... etc.

    Comme les équations de la mécanique céleste sont invariantes par changement de sens de l'écoulement du temps, on peut tout aussi bien rétro-prédire le passé que prédire l'avenir jusqu'à un certain point si l'on dispose de mesures assez précises des positions, vitessesvitesses et états internes des corps célestes.

    En jouant à ce jeu, il est possible de rembobiner en direction du passé le film des mouvements de Phobos et Deimos et d'en avoir aujourd'hui des images moins floues. En tenant compte des incertitudes, les simulations numériques conduisent tout de même à constater que les trajectoires de ces deux lunes se sont probablement croisées il y a donc de 1 à 2,7 milliards d'années, suggérant l'existence d'un seul corps initial qui se serait fragmenté sous l'effet d'une collision.

    Les calculs laissent également penser que l'ancêtre communancêtre commun de Phobos et Deimos était plus éloigné de Mars que Phobos ne l'est aujourd'hui. Alors que Deimos serait resté à proximité de l'endroit où il a été créé, les forces de marée de Mars auraient conduit Phobos à s'approcher de Mars. Tout indique aujourd'hui que ce processus se poursuit et que, dans moins de 40 millions d'années, Phobos passera sous la fameuse limite de Roche et sera donc détruit.


     

    Vue d'artiste de l'impact géant qui aurait donné naissance à Phobos et Deimos et au Bassin boréal. L'impacteur devait faire environ le tiers de la taille de Mars dans le cadre de la simulation faite il y a quelques années, et qui est donc aujourd'hui questionnée par une autre ne nécessitant pas un impacteur d'aussi grande taille. À cette époque, la Planète rouge était jeune et possédait peut-être une atmosphère plus épaisse et de l'eau liquide en surface. © Université Paris Diderot, Labex UnivEarthS
    Vue d'artiste de l'impact géant qui aurait donné naissance à Phobos et Deimos et au Bassin boréal. L'impacteur devait faire environ le tiers de la taille de Mars dans le cadre de la simulation faite il y a quelques années, et qui est donc aujourd'hui questionnée par une autre ne nécessitant pas un impacteur d'aussi grande taille. À cette époque, la Planète rouge était jeune et possédait peut-être une atmosphère plus épaisse et de l'eau liquide en surface. © Université Paris Diderot, Labex UnivEarthS

    Phobos et Deimos, les lunes de Mars, seraient bien nées d'un impact

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 01/10/2018

    Une nouvelle étude de la signature spectrale de la surface des lunes martiennes, en complément de celle de la météoritemétéorite du lac Tagish, censée représenter un échantillon d'un astéroïde carboné de type D, renforce un scénario proposé pour expliquer l'origine de Phobos et Deimos. La Planète rouge serait ainsi entrée en collision avec un corps céleste de la taille de Vesta ou Cérès. 

    Phobos et Deimos, les deux lunes de Mars découvertes au XIXe siècle, rendent perplexes les astrophysiciens et les mécaniciens célestes quand ils s'interrogent sur l'origine de ces objets et ce depuis quelques décennies. À tel point qu'ils sont en désaccord quant à l'hypothèse cosmogonique la plus appropriée pour expliquer cette origine. Une équipe internationale de chercheurs états-uniens, canadiens et turcs vient d'apporter un nouvel élément au débat dans un article publié dans le Journal of Geophysical Research: Planets.

    Rappelons quelques éléments du problème. Lorsque l'on étudie l'aspect de ces lunes, rouges et sombres, et que l'on pousse l'investigation un cran plus loin en effectuant une analyse spectrale dans le visible et le proche infrarougeinfrarouge de la surface de 

    Phobos et Deimos, on aboutit à la conclusion que l'on est très probablement en présence de corps dont la composition serait très similaire à celle de certains astéroïdes carbonés très primitifs, quasiment inchangés depuis la formation du Système solaireSystème solaire et que l'on appelle des astéroïdes de type D. En corollaire, il semble naturel et inévitable d'en conclure qu'il s'agit de petits corps célestes capturés par Mars à un moment de son histoire.

    Malheureusement, si l'on tente de tester cette hypothèse en produisant des scénarios de capture étayés par des simulations numériques, on trouve que les caractéristiques orbitalesorbitales des lunes martiennes ne sont pas vraiment compatibles avec cette explication. Par contre, comme l'ont montré les simulations de l'astronomeastronome états-unienne Robin Canup avec ses collègues, et avant elle celles d'une équipe de recherche belgo-franco-japonaise (voir les deux articles précédents de Futura, ci-dessous), l'hypothèse d'un impact entre Mars et un plus petit corps céleste rend bien compte des formes et des inclinaisons des orbites de Phobos et Deimos qui se seraient formées par accrétionaccrétion en grande partie des matériaux éjectés par cet impact. On aurait donc, à nettement plus petite échelle, un scénario similaire à celui de la naissance de la Lune autour de la Terre.


    Une présentation de la météorite du lac Tagish. © Royal Ontario Museum

    Une signature spectrale des basaltes martiens ?

    Sauf que la composition de la surface de Mars, d'où seraient venus les matériaux composant largement Phobos et Deimos, est principalement de nature basaltiquebasaltique, ce qui ne semble à première vue pas compatible avec les données spectrales de la surface des lunes martiennes.

    Pour tenter de départager les deux hypothèses, capture ou impact, les chercheurs ont utilisé des échantillons de la fameuse météorite du lac Tagish, une chondritechondrite carbonée rare dont on pense qu'elle est un bon représentant des matériaux constituant les astéroïdes de type D. Ces échantillons ont été placés dans les conditions de pressionpression et de température subies par Phobos et Deimos dans le vide spatial avec des alternances d'exposition à la lumièrelumière du SoleilSoleil. Une analyse spectrale de la lumière émise, cette fois-ci dans l'infrarouge moyen, a été réalisée.

    Parallèlement, les astrophysiciens ont consulté les données spectrales acquises dans cette bande par la mission Mars Global Surveyor (une mission spatiale de la Nasa qui a étudié de 1997 à 2006 l'atmosphèreatmosphère et la surface de Mars en circulant sur une orbite héliosynchronehéliosynchrone autour de celle-ci) avec son spectromètrespectromètre d'émissionémission thermique. Il a alors été possible d'aboutir à une double conclusion. Le spectrespectre des émissions de la surface de Phobos et Deimos dans l'infrarouge moyen ne ressemble pas du tout à celui de la météorite du lac Tagish. Par contre, ce dernier est parfaitement compatible avec du basaltebasalte en fine poudre associé à des phyllosilicatesphyllosilicates (ce genre de minérauxminéraux se trouve par exemple dans les argilesargiles) et un peu de matière carbonée. On peut s'attendre à ce genre de composition précisément si l'on admet la théorie de l'impact puisque la surface de Mars est formée pour l'essentiel de basaltes qui peuvent s'altérer en donnant des argiles. Ces matériaux se seraient mélangés à ceux d'un impacteurimpacteur riche en carbonecarbone une fois dans l'espace et le processus d'accrétion devant finalement former Phobos et Deimos se serait enclenché.

    La théorie de l'impact vient donc de marquer un point de plus. Mais la prudence reste de mise. La météorite du lac Tagish est assez exceptionnelle. Elle n'est peut-être pas vraiment représentative des astéroïdes de type D et enfin l'érosion spatiale provoquée par les particules de vent solairevent solaire peut faire évoluer l'état de la surface d'un astéroïde, rendant plus difficile l'interprétation de sa composition, ce qui est aussi valable pour Phobos et Deimos.


    Phobos et Deimos seraient des morceaux de Mars

    Article de Laurent Sacco publié le le 24/04/2018

    De nouvelles simulations conduites par l'astrophysicienne Robin Canup, qui a aidé à accréditer le modèle de l'impact géant pour expliquer l'origine de la Lune, renforcent un scénario proposé pour expliquer l'origine des lunes de Mars. La Planète rouge serait ainsi entrée en collision avec un corps céleste de la taille de Vesta ou Cérès.

    Les deux lunes de Mars n'ont été découvertes que dans la seconde moitié du XIXe siècle, plus précisément en 1877 et à quelques jours d'intervalle pendant le mois d'août, par l'astronome états-unien Asaph Hall. Leurs noms furent initialement suggérés à Hall par Henry Madan, professeur au collège d'Eton, d'après le livre XV de l'Iliade. Hall les appela donc Phobos et Deimos, c'est-à-dire les jumeaux que le dieu Arès (Mars dans la mythologie romaine) eût de la déesse Aphrodite, et qui sont donc des divinités mineures de la mythologie grecque, signifiant respectivement en grec la Peur et la Terreur. C'est anecdotique mais Kepler avait affirmé plus de deux siècles auparavant que la Planète rouge avait deux lunes. Pythagoricien et platonicien, il avait proposé une loi mathématique pour prédire l'occurrence des lunes planétaires en faisant remarquer que la Terre avait une lune et Jupiter quatre.

    Les astronomes et spécialistes de la mécanique céleste sont, au moins depuis Laplace, à la recherche de modèles cosmogoniques expliquant l'origine des astresastres et ils se posent bien sûr des questions sur l'origine de Phobos et Deimos. C'est un problème que l'on peut commencer à aborder avec les lois de NewtonNewton mais qui nécessite aussi les méthodes et les théories de l'astrophysiqueastrophysique et de la cosmochimie pour être résolu.

    Phobos et Deimos, une composition et une origine problématique

    Ainsi, il apparaît que Phobos et Deimos ont plus de ressemblance avec les astéroïdes qu'avec la lune de la Terre de par leurs petites tailles, entre 10 et 30 kilomètres environ, leurs formes irrégulières et l'aspect de leurs surfaces. Possédant un spectre bien particulier, on peut même les rapprocher des astéroïdes de type C ou D qui sont vraisemblablement les parents de certaines chondrites carbonées. (Il existe un débat à ce sujet, voir l'article ci-dessous).

    Toutefois, les caractéristiques orbitales de Phobos et Deimos ne cadrent pas avec l'hypothèse qui en ferait des astéroïdes capturés par Mars. Elles cadrent bien avec celle qui en ferait des objets qui se seraient accrétés à partir d'un anneau de matière produit par une collision entre Mars et un corps céleste. Un scénario analogue à celui proposé pour expliquer l'origine de la Lune par une collision entre la Terre et une petite planètepetite planète de la taille de Mars, baptisée ThéiaThéia, a donc aussi été avancé (voir l'article ci-dessous également).

    Ce scénario a lui aussi fait l'objet de simulations numériques, notamment il y a quelques années par des chercheurs français. Il a été revisité par des membres du Southwest Research Institute aux États-Unis qui viennent de publier un article dans Science Advances. L'équipe, qui a réalisé des simulations numériques plus puissantes, était menée par Robin Canup, l'astrophysicienne qui s'est fait un nom au début des années 2000 à l'aide de simulations numériques qui ont renforcé l'hypothèse de la collision géante expliquant la formation de la Lune. Elle s'est depuis spécialisée dans des simulations analogues en cosmogonie, par exemple pour rendre compte de CharonCharon, la lune de PlutonPluton.

    Un extrait des nouvelles simulations de la formation de Phobos et Deimos. Les couleurs indiquent des températures élevées en kelvins à cause de l'impact. © Southwest Research Institute
    Un extrait des nouvelles simulations de la formation de Phobos et Deimos. Les couleurs indiquent des températures élevées en kelvins à cause de l'impact. © Southwest Research Institute

    MMX, une mission martienne pour tester l'hypothèse de l'impact

    Selon Robin Canup, les nouvelles simulations rendent particulièrement bien compte des caractéristiques de Phobos et Deimos (la très faible inclinaison et excentricitéexcentricité orbitale des orbites des deux satellites), si l'on imagine un impact avec un corps céleste de moins grande taille qu'initialement considérée. Il suffirait d'une collision entre Mars et un objet dont la taille serait comprise entre celle de Vesta et Cérès, c'est-à-dire entre 500 et 1.000 kilomètres de diamètre environ. Mais cela implique que les deux lunes soient formées pour l'essentiel de matériaux issus de Mars, ce qui ne collerait pas vraiment avec la signature spectrale de Phobos et Deimos. On peut cependant expliquer ce paradoxe en faisant intervenir l'érosion spatiale avec le vent solaire ou tout simplement en admettant que les chercheurs français ont raison. Ils ont remis en cause les signatures spectrales des deux lunes qui seraient en fait compatibles avec celles de Mars.

    Une autre conséquence de l'hypothèse de la collision est que Phobos et Deimos devraient être très pauvres en eau puisqu'ils proviendraient de matériaux chauffés à hautes températures par cette collision. Pour véritablement trancher entre les hypothèses, il faudrait bien mieux connaître la composition des deux lunes.

    Et c'est précisément ce que se propose de faire la mission MMX (Martian Moons Exploration), notamment en ramenant sur Terre un échantillon d'au moins dix grammes du sol de Phobos, prélevé à une profondeur d'au moins deux centimètres sous la surface.

    Phobos, un sombre satellite qui passe devant Mars. Il ressemble, mais c'est contestable et contesté, aux météorites à chondrites carbonées qui proviennent des régions les plus éloignées de la ceinture d’astéroïdes. Ce qui laisse à penser qu’il ne se serait alors pas formé en même temps que Mars, ni à partir des mêmes matériaux. © G. Neukum (FU Berlin) et al., Mars Express, DLR, ESA 
    Phobos, un sombre satellite qui passe devant Mars. Il ressemble, mais c'est contestable et contesté, aux météorites à chondrites carbonées qui proviennent des régions les plus éloignées de la ceinture d’astéroïdes. Ce qui laisse à penser qu’il ne se serait alors pas formé en même temps que Mars, ni à partir des mêmes matériaux. © G. Neukum (FU Berlin) et al., Mars Express, DLR, ESA 

    Les lunes de Mars, Phobos et Deimos, seraient nées d'un impact géant

    Article du Cnrs publié le le 04/07/2016

    Phobos et Deimos, les deux lunes de Mars, ne peuvent être des astéroïdes capturés, conclut une équipe d'astronomes, qui ajoute leur origine ne peut provenir que d'un impact géant. C'est bien cela ! confirme une seconde équipe, dont les simulations numériques démontrent que ces satellites ont pu se former à partir des débris d'une collision titanesque entre Mars et un embryonembryon de planète trois fois plus petit.

    L'origine des deux lunes de Mars, Phobos et Deimos, restait un mystère. Par leur petite taille et leur forme irrégulière, elles ressemblent beaucoup à des astéroïdes, mais les astronomes ne comprennent pas comment la Planète rouge aurait pu les capturer pour en faire des satellites en orbite presque circulaire, dans son plan équatorial.

    Selon une théorie concurrente, Mars aurait subi à la fin de sa formation un impact géant avec un embryon de planète... Mais pourquoi les débris d'un tel impact auraient-ils formé deux petits satellites plutôt qu'une énorme lune, comme celle de la Terre ?

    Une troisième possibilité serait que les satellites Phobos et Deimos se soient formés en même temps que Mars, ce qui impliquerait qu'ils aient la même composition que leur planète. Cependant, leur faible densité semble contredire cette hypothèse. Aujourd'hui, deux études indépendantes viennent conforter la théorie de l'impact géant.

    Une grosse lune et une dizaine de petites issues d'une collision

    Dans l'une d'elles, une équipe de recherche belgo-franco-japonaise propose, pour la première fois, un scénario complet et cohérent de formation de Phobos et Deimos, qui seraient nés des suites d'une collision entre Mars et un corps primordial trois fois plus petit, 100 à 800 millions d'années après le début de la formation de la planète.

    Selon les chercheurs, les débris de cette collision auraient créé un disque très étendu autour de Mars, formé d'une partie interne dense, composée de matière en fusionfusion, et d'une partie externe très fine, majoritairement gazeuse. Dans la partie interne de ce disque se serait d'abord développée une lune 1.000 fois plus massive que Phobos, aujourd'hui disparue. Les perturbations gravitationnelles créées dans le disque externe par cet astre massif auraient catalysé l'assemblage de débris pour former d'autres petites lunes (une dizaine) plus lointaines.

    Au bout de quelques milliers d'années, la planète Mars se serait alors retrouvée entourée d'un cortège d'une dizaine de petits satellites et d'une énorme lune. Plusieurs millions d'années plus tard, une fois le disque de débris dissipé, les effets de marée avec Mars auraient fait retomber sur la planète la plupart de ces satellites, dont la très grosse lune. Seules ont subsisté les deux petites lunes les plus lointaines, Phobos et Deimos (voir schéma ci-dessous).

    Chronologie des évènements qui auraient donné naissance à Phobos et Deimos. 1. (en haut à gauche) : Mars est percutée par une protoplanète trois fois plus petite. Un disque de débris se forme en quelques heures. 2. Les briques élémentaires de Phobos et Deimos (grains de taille inférieure au micromètre) se condensent directement à partir du gaz dans la partie externe du disque. 3. Le disque de débris produit rapidement une lune proche de Mars, qui s'éloigne et propage ses deux zones d'influence comme des vagues. 4. Ce processus provoque en quelques millénaires l'accrétion des débris plus éloignés en deux petites lunes, Phobos et Deimos. 5. Sous l'effet des marées soulevées par Mars, la grosse lune retombe sur la planète en quelques millions d'années. 6. Les satellites Phobos et Deimos, moins massifs, rejoignent leur position actuelle dans les milliards d'années qui suivent. © Antony Trinh, Observatoire Royal de Belgique
    Chronologie des évènements qui auraient donné naissance à Phobos et Deimos. 1. (en haut à gauche) : Mars est percutée par une protoplanète trois fois plus petite. Un disque de débris se forme en quelques heures. 2. Les briques élémentaires de Phobos et Deimos (grains de taille inférieure au micromètre) se condensent directement à partir du gaz dans la partie externe du disque. 3. Le disque de débris produit rapidement une lune proche de Mars, qui s'éloigne et propage ses deux zones d'influence comme des vagues. 4. Ce processus provoque en quelques millénaires l'accrétion des débris plus éloignés en deux petites lunes, Phobos et Deimos. 5. Sous l'effet des marées soulevées par Mars, la grosse lune retombe sur la planète en quelques millions d'années. 6. Les satellites Phobos et Deimos, moins massifs, rejoignent leur position actuelle dans les milliards d'années qui suivent. © Antony Trinh, Observatoire Royal de Belgique

    La composition de Phobos et Deimos corrobore le scénario

    À cause de la diversité des phénomènes physiques mis en jeu, aucune simulation numérique n'est capable de modéliser l'ensemble du processus. L'équipe de Pascal Rosenblatt et Sébastien Charnoz a dû alors combiner trois simulations de pointe successives pour rendre compte de la physique de l'impact géant, de la dynamique des débris issus de l'impact et de leur assemblage pour former des satellites, et enfin de l'évolution à long terme de ces satellites.

    Dans l'autre étude (à paraître dans The Astrophysical Journal), des chercheurs du Laboratoire d'astrophysique de Marseille (CNRS, université d'Aix-Marseille) excluent la possibilité d'une capture, sur la base d'arguments statistiques et en se fondant sur la diversité de composition des astéroïdes. De plus, ils montrent que la signature lumineuse émise par Phobos et Deimos est incompatible avec celle du matériau primordial qui aurait pu former Mars (des météorites de la classe des chondrites ordinaires, des chondrites à enstatite ou des angrites). Ils s'attachent donc au scénario de l'impact. Ils déduisent de cette signature lumineuse que les satellites sont composés de poussières fines (de taille inférieure au micromètremicromètre).

    Or, d'après ces chercheurs, la très petite taille des grains à la surface de Phobos et Deimos ne peut pas être expliquée uniquement comme la conséquence d'une érosion due au bombardement par les poussières interplanétaires. Cela signifie que les satellites sont composés dès l'origine de grains très fins, qui ne peuvent se former que par condensationcondensation du gazgaz dans la zone externe du disque de débris (et non à partir du magmamagma présent dans la zone interne). C'est un point sur lequel s'accordent les deux études. Par ailleurs, une formation des lunes de Mars à partir de ces grains très fins pourrait être responsable d'une forte porositéporosité interne, ce qui expliquerait leur densité étonnamment faible.


    Un scénario de la formation des lunes de Mars. © Université Paris Diderot / Labex UnivEarthS

    Une explication de la dichotomie martienne

    La théorie de l'impact géant, corroborée par ces deux études indépendantes, pourrait expliquer pourquoi l'hémisphère nordhémisphère nord de Mars a une altitude plus basse que le sud : le bassin boréal est sans doute la trace d'un impact géant, comme celui qui a donné naissance in fine à Phobos et Deimos. Elle permet aussi de comprendre pourquoi Mars a deux satellites et non un seul comme notre Lune, également née d'un impact géant. Ce travail suggère que les systèmes de satellites formés dépendent de la vitesse de rotationvitesse de rotation de la planète, puisqu'à l'époque la Terre tournait très vite sur elle-même (en moins de quatre heures) alors que Mars tournait six fois plus lentement.

    De nouvelles observations permettront bientôt d'en savoir plus sur l'âge et la composition des lunes de Mars. En effet, l'Agence spatiale japonaiseAgence spatiale japonaise (Jaxa) a décidé de lancer en 2022 une mission, baptisée MMX pour Mars Moons Exploration, qui rapportera sur Terre en 2027, des échantillons de Phobos. Leur analyse pourra confirmer ou infirmer ce scénario. L'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (Esa), en association avec l'Agence spatiale russe (Roscosmos), prévoit une mission similaire en 2024.

    Ces travaux, fruit d'une collaboration entre des chercheurs de l'université Paris-Diderot et de l'Observatoire royal de Belgique, en collaboration avec le CNRS, l'université de RennesRennes 12 et l'institut japonais Elsi ont bénéficié du soutien de l'IPGP, du Labex UnivEarthS, d'ELSI, de l'université de Kobe et de l'Idex A*MIDEX. Les résultats viennent de paraître dans la revue Nature Geoscience.