Les chercheurs de la Nasa reproduisent en laboratoire des réactions chimiques dans un simulateur de sources hydrothermales qui ont pu se produire sur la Terre primitive et conduire à la naissance de la vie. Voilà qui est de bon augure pour explorer les origines de la vie sur Terre et peut-être, sur d'autres planètes comme Mars ou Europe, la lune glacée de Jupiter.


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    Comme Futura l'avait déjà expliqué dans les précédents articles ci-dessous, la NasaNasa se penche depuis des années sur l'origine de la vie en étudiant le scénario qui l'a fait naître dans des sources hydrothermales sur la Terre primitive. Pour cela, les chimistes reconstituent les conditions régnant dans certaines de ces sources avec un simulateur en laboratoire afin de voir si des moléculesmolécules organiques supposées faire partie de la chimiechimie prébiotiqueprébiotique, conduisant aux cellules vivantes avec métabolismemétabolisme et code génétiquecode génétique, peuvent apparaître. Ce faisant, les chercheurs espèrent aussi découvrir des informations qui pourraient être utiles pour étudier indirectement in situ les corps glacés du Système solaireSystème solaire où la vie pourrait apparaître, en tout premier lieu dans les océans d'Europe, une lunelune de JupiterJupiter, et Encelade une lune de SaturneSaturne.

    Pour comprendre les raisons de ces espoirs, il faut se souvenir qu'à la fin des années 1970, le sous-marin états-unien l'Alvin avait non seulement fait la découverte de sources hydrothermales au fond d'un océan pour la première fois mais il avait également stupéfié les biologistes en découvrant sur la dorsale du Pacifique, au large des Galapagos, de véritables oasis de vie autour de ces sources, souvent à plusieurs milliers de mètres de profondeur. Les écosystèmes découverts ne tiraient pas leur énergieénergie de la photosynthèse mais bien de la chimiosynthèse associée à l'activité volcanique. On a ensuite avancé tout naturellement l'hypothèse qu'une telle activité devait prendre place aussi au fond des océans d'Europe et que peut-être de la vie y existait également.


    La chimiste Lauren White explique son travail de recherche. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa, Jet Propulsion Laboratory

    La vie née dans la serpentinite des fumeurs blancs ?

    Sur Terre, les sources découvertes prennent naissance dans le réseau de fissures et de crevasses qui se développe au cours du refroidissement du magmamagma dans une zone volcanique. L'eau de mer peut s'infiltrer dans ce réseau jusqu'à atteindre plusieurs centaines de mètres de profondeur en réagissant avec les roches qui la portent également à des températures pouvant dépasser 350 °C. Des fluides chauds chargés en minérauxminéraux remontent alors sur le plancherplancher des océans où la pressionpression empêche qu'ils se vaporisent si leurs températures dépassent les 100 °C.

    On observe alors ce que l'on appelle des fumeurs noirsfumeurs noirs avec une eau très chaude et riche en composés tels que les sulfuressulfures, le méthane, le gazgaz carbonique et de nombreux éléments normalement peu représentés dans l'eau de mer (Li, Mn, Fe, Ba, Cu, Zn, Pb, SiO2).

    On observe également ce que l'on appelle des fumeurs blancs avec une eau plus froide, non pas acideacide mais alcalinealcaline, que colore du sulfate de calciumsulfate de calcium. C'est dans les parois rocheuses de ces fumeurs blancs que la vie serait née dans la théorie proposée et développée, depuis presque 30 ans, par le géochimiste britannique Michael Russell orienté depuis vers l'exobiologieexobiologie au Jet Propulsion LaboratoryJet Propulsion Laboratory de la Nasa. Sa théorie est désormais connue en anglais sous le titre de Alkaline Hydrothermal Vent/serpentinization (AHV) hypothesis.

    Faisons-en un exposé rapide. Sous la croûte océaniquecroûte océanique, on trouve des roches appelées péridotitespéridotites, au niveau des dorsales, là où le manteaumanteau est à faible profondeur, ces roches sont infiltrées par l'eau de mer ce qui les conduit à devenir une autre roche appelée serpentiniteserpentinite. Les réactions chimiquesréactions chimiques à l'œuvre - la serpentinisation - produisent alors notamment du dihydrogène (H2), source d'énergie potentielleénergie potentielle pour d'autres réactions chimiques, et du méthane (CH4) que l'on va retrouver dans l'eau des sources hydrothermales qui est fortement basique (pH de 13) et généralement à 100 °C lorsqu'elle finit par ressortir dans un océan bien plus froid et plus acide. La production de méthane est ici abiogénique et s'explique par la réduction du CO2 par l'hydrogènehydrogène selon une réaction catalytique de type Fischer-Tropsh.

    La serpentinite se trouve également dans les parois des fumeurs blancs, dans lesquels les fluides alcalins peuvent interagir avec de l'eau de mer plus acide en formant des pores dans la roche avoisinante. Celle-ci agit alors comme une sorte de percolateur, concentrant des substances chimiques prébiotiques et pouvant accroître la probabilité d'apparition de l'ADNADN ou de l'ARNARN. En outre, les pores forment naturellement des cavités protectrices de ces acides nucléiquesacides nucléiques, comme le feraient des membranes cellulairesmembranes cellulaires. Les premières cellules pourraient donc être des dérivées de ce type d'environnement.

    Michael Russell et Laurie Barge du <em>Jet Propulsion Laboratory</em> de la Nasa, Pasadena (Californie), sont représentés dans leur laboratoire Icy Worlds, où ils imitent les conditions de la Terre il y a des milliards d'années, essayant de répondre à la question de savoir comment la vie est apparue pour la première fois. L'équipe Icy Worlds fait partie de l'<em>Astrobiology Institute</em> de la Nasa, basé au centre de recherche Ames de la Nasa à Moffett Field, en Californie.  © Nasa/JPL-Caltech
    Michael Russell et Laurie Barge du Jet Propulsion Laboratory de la Nasa, Pasadena (Californie), sont représentés dans leur laboratoire Icy Worlds, où ils imitent les conditions de la Terre il y a des milliards d'années, essayant de répondre à la question de savoir comment la vie est apparue pour la première fois. L'équipe Icy Worlds fait partie de l'Astrobiology Institute de la Nasa, basé au centre de recherche Ames de la Nasa à Moffett Field, en Californie.  © Nasa/JPL-Caltech

    Des sources hydrothermales aux geysers d'Europe

    Aujourd'hui, une équipe du JPL Icy Worlds de la Nasa, qui travaille donc avec son simulateur de sources hydrothermales et qui prépare le chemin à des études d'exobiologie concernant des lunes comme Europe et EnceladeEncelade, vient de publier un article dans Astrobiology où elle fait état des derniers travaux réalisés. Inspirés par les études in situ sur Terre des sources hydrothermales, la chimiste Lauren White et ses collègues, notamment Michael Russell, ont utilisé un mélange reproduisant l'eau de mer censée exister dans les fumeurs blancs à une température d'environ 100 °C, enrichie en hydrogène et en gaz carbonique issu de l'atmosphèreatmosphère primitive qui en contenait beaucoup il y a environ 4 milliards d'années, à laquelle ils ont ajouté des minéraux qui pourraient s'être formés dans cet environnement et en portant le tout à une pression équivalente à une épaisseur de 1.000 mètres d'eau.

    Les chercheurs voulaient déterminer l'influence sur l'occurrence de possibles réactions chimiques des sulfures de ferfer pouvant se former dans les évents hydrothermaux. Ces composés peuvent servir de catalyseurcatalyseur pour des réactions énergétiquement défavorisées à partir de H2 et CO2 donnant lieu à la formation de composés organiques. C'est bien ce qui a été observé avec l'apparition de molécules de méthane et surtout d'ionsions formiates, encore appelés méthanoates de formule HCOO-.

    Ce travail de recherche, qui va se poursuivre, pourrait déboucher sur la détermination d'un ensemble, si ce n'est de biosignatures, de signatures chimiques laissant supposer l'occurrence d'une chimie prébiotique pouvant y conduire dans les panaches d’eau qui s’élèvent parfois d’Europe et que pourrait échantillonner la sonde Europa Clipper à l'horizon des années 2030.


    Europe, la lune glacée de Jupiter, contient peut-être des formes de vie analogues à celles découvertes autour des sources hydrothermales sur Terre. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa, Jet Propulsion Laboratory

    La Nasa simule des sources hydrothermales pour reproduire l'origine

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 28/02/2019

    Pour la première fois, des réactions chimiques dans un simulateur de sources hydrothermales sur la Terre primitive ont conduit à la formation d'un acide aminéacide aminé. Voilà qui est de bon augure pour explorer les origines de la vie sur Terre et peut-être, sur d'autres planètes comme Mars ou Europe, la lune glacée de Jupiter.

    L'idée que la vie ait pu apparaître au début de l'ArchéenArchéen, et même pendant l'HadéenHadéen, au niveau de sources hydrothermales, avec leurs cheminéescheminées, équivalentes à celles que nous avons découvertes pendant les années 1970, continue à faire son chemin. Depuis des décennies, les conditions qui pouvaient régner dans ces cheminées sont reproduites en laboratoire avec l'espoir d'y surprendre les secrets de l'apparition des cellules vivantes.

    Il y a trois grandes classes de phénomènes à comprendre pour cela, et on ne sait pas très bien dans quel ordre ils se seraient produits, ni comment ils auraient coopéré. Il faut ainsi faire naître le matériel génétiquematériel génétique, le métabolisme et les enveloppes protectrices où ils pourraient se dérouler relativement à l'abri de l'environnement.

    Les chercheurs de la Nasa, en particulier, ont construit des sortes de simulateurs de sources hydrothermales comme Futura l'expliquait dans le précédent article ci-dessous. Cela n'est pas étonnant car les projets d'exploration planétaire sur Mars ou à destination d'Europe, la lune de Jupiter, ou Encelade, la lune de Saturne, ont pour but de trouver des traces de l'apparition de la vie en relation avec des processus hydrothermaux actuels ou passés. Ainsi, en 2017, une équipe de chercheurs a annoncé que, selon elle, des observations du sol martien réalisées avec la sonde MRO (Mars Reconnaissance OrbiterMars Reconnaissance Orbiter) suggéraient l'existence de dépôts attestant une activité hydrothermale au fond d'une ancienne mer aujourd'hui disparue.


    Dans cette vidéo, des sources hydrothermales, des « fumeurs noirs », trouvées sur la dorsale est-Pacifique. Elles sont entourées de colonies des fameux vers géants appelés Riftia pachyptila. © MBARIvideo

    L'origine de la vie dans les fumeurs blancs ?

    Aujourd'hui, l'exobiologiste de la Nasa, Laurie Barge et sa collègue Erika Flores au Jet Propulsion Laboratory, en Californie, viennent de publier un article intéressant dans Proceedings of the National Academy of Sciences avec d'autres chercheurs, dont Michael J. Russell. Ce dernier est à l'origine, en 1989, d'une version particulière de la théorie faisant apparaître la vie dans des sources hydrothermales. Sa théorie a été confortée, pour la première fois, par la découverte d'un exemple du nouveau type de source hydrothermale dont il envisageait l'existence : Lost City.

    Selon ces chercheurs, la vie aurait pu naître dans les cheminées de ces sources hydrothermales à plus basses températures crachant une eau alcaline (fumeurs blancs), contrairement à celle des « fumeurs noirs », acide et brûlante à plusieurs centaines de degrés. L'article qu'ils ont publié reprend donc cette hypothèse et pousse un cran plus loin les résultats déjà obtenus depuis des décennies.

    Avant l'apparition de la vie, l'atmosphère de la Terre devait être quasiment dépourvue d'oxygène et on ne s'attend donc pas à ce que l'eau des océans en contienne, de sorte que cela doit se refléter dans le réacteur chimique utilisé pour simuler le fond des océans de la Terre primitive.

    En revanche, on peut s'attendre à la présence de molécules, telles que l'acide pyruviqueacide pyruvique, l'ammoniacammoniac (NH3) et l'hydroxyde de fer en solution plus précisément, dans ce dernier cas, sous forme de la fameuse rouillerouille verte, une famille de composés chimiques qui se trouve facilement sous forme minérale. L'acide pyruvique de formule est un métabolitemétabolite clé, situé au carrefour de plusieurs voies métaboliques majeures des cellules vivantes, telles que la glycolyseglycolyse, le cycle de Krebscycle de Krebs et la néoglucogenèse. L'ammoniac peut, quant à lui, fournir les molécules d'azoteazote qui se trouvent dans les acides aminés et les bases azotéesbases azotées de l'ARN et ADN.

    Une synthèse d'alanine

    Ce mélange a été placé dans le réacteur chimique (70 °C, milieu alcalin) et, pour la première fois, les chercheurs ont constaté qu'il se produisait des réactions de chimie prébiotique conduisant à la formation de molécules prometteuses pour expliquer l'origine de la vie : « Nous avons montré que, dans des conditions géologiques similaires à celles de la Terre primitive, et peut-être à celles sur d'autres planètes, nous pouvons former des acides aminés et des acides alpha-hydroxylés à partir d'une simple réaction dans des conditions douces qui auraient existé au fond de la mer », a tout simplement expliqué Laurie Barge.

    La rouille verte avait en effet réagi avec de petites quantités d'oxygène que l'équipe avait injectées dans la solution en produisant l'acide aminé alaninealanine et le lactatelactate d'alpha-hydroxy-acide. Les alpha-hydroxyacides sont des sous-produits des réactions d'acides aminés, mais certains scientifiques pensent qu'ils pourraient également se combiner pour former des molécules organiques plus complexes pouvant mener à la vie.


    Origine de la vie : un simulateur de sources hydrothermales

    Article de Laurent Sacco publié le 21/01/2013

    Où et comment est apparue la vie sur Terre ? Certains exobiologistes explorent l'hypothèse des sources hydrothermales, notamment parce qu'elle permet d'envisager la naissance de la vie sur Europe et Encelade. Pour cela, ils reconstituent ces sources en laboratoire, en espérant voir naître des molécules prébiotiques, comme dans l'expérience de Stanley Miller.

    Parmi ceux qui cherchent à reconstituer les différentes étapes ayant mené du Big Bang au vivant, on trouve une équipe de chercheurs du Nasa Astrobiology Institute (NAI) explorant une possible chimie prébiotique associée aux sources hydrothermales connues sur Terre au fond des océans.

    On spécule depuis longtemps déjà sur une possible apparition de la vie dans un tel environnement sur la Terre primitive de l'Archéen, par exemple en relation avec une roche ignéeroche ignée que l'on appelle la serpentinite. D'autres hypothèses existent bien sûr, notamment celle faisant intervenir le mica et une autre les pierres ponces.

    Un simulateur de cheminées hydrothermales

    En l'occurrence, les chercheurs de la Nasa veulent savoir s'il est déjà possible d'obtenir des molécules organiques simples, comme du méthane, de l'éthane ou même des acides aminés à partir d'eau de mer contenant du dioxyde de carbonedioxyde de carbone dissous, ou de l'hydroxyde de sodiumhydroxyde de sodium, circulant dans des roches volcaniquesroches volcaniques artificielles ressemblant à celle des parois des sources hydrothermales. Il s'agit donc de faire l'analogue de l'expérience de Miller, mais en reproduisant non pas l'atmosphère supposée de la Terre voilà environ 4 milliards d'années, mais les conditions régnant au fond de ses océans à l'époque de l'Hadéen.

    Pour cela, les exobiologistes ont construit un dispositif de la taille d'un réfrigérateur dans lequel ces fluides, à des températures de 90 °C et sous des pressions de 100 atmosphères, percolent dans une roche volcanique contenant du fer, du magnésiummagnésium et du siliciumsilicium. Afin d'éviter toute contaminationcontamination biologique, la roche volcanique en question n'a pas été récoltée sur une dorsale océaniquedorsale océanique, mais a été synthétisée, comme on sait le faire parfois depuis des décennies.

    Lauren White, exobiologiste de la Nasa, montre un échantillon de fluide sortant du réacteur chimique simulant la cheminée d'une source hydrothermale. © Nasa, JPL-Caltech
    Lauren White, exobiologiste de la Nasa, montre un échantillon de fluide sortant du réacteur chimique simulant la cheminée d'une source hydrothermale. © Nasa, JPL-Caltech

    Des océans terrestres aux océans des lunes glacées

    Installé dans le Microdevices Laboratory du fameux Jet Propulsion Laboratory, le réacteur chimique simulant une cheminée hydrothermale est équipé d'une diode laserdiode laser jumelle de celle équipant le roverrover Curiosity sur Mars. De cette manière, il est possible de détecter dans les fluides circulant dans le dispositif d'éventuelles molécules carbonées synthétisées comme du méthane ou de l'éthane. En 2000, une source hydrothermale sur la dorsale médio-atlantique a été découverte, et elle donnait des signes d'une production de telles molécules.

    Plusieurs membres de l'équipe du NAI expérimentant actuellement avec ce dispositif avaient déjà construit un réacteur chimique similaire voilà quelques années. Il ne s'agit pas seulement de tester l'hypothèse de la fabrication des briques de la vie dans les sources hydrothermales de l'Hadéen. Un autre objectif, dans le cadre du projet Icy Worlds, est de préciser comment les premières étapes conduisant à l'apparition de la vie se sont peut-être aussi produites dans les océans d'Europe, la lune glacée de Jupiter rendue célèbre par les sondes Voyager et Arthur Clarke, ou dans ceux que l'on suspecte sous la surface d'Encelade.