Pour l’astrobiologiste Michael Russell, la vie est apparue sur les fonds marins, autour des sources hydrothermales. Vieille de 25 ans, sa théorie vient d’être précisée dans une nouvelle publication. Elle décrit notamment comment la serpentinisation a fait apparaître des cellules minérales au milieu d’un flux de protons. D’ailleurs, il est identique à celui que les bactéries ou les mitochondries doivent maintenir pour produire de l’ATP.

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    Voilà 25 ans, Michael Russell a proposé une nouvelle hypothèse pour répondre à une question majeure : quelle est l'origine de la vie ? Pour cet astrobiologiste du JPL (Jet Propulsion LaboratoryJet Propulsion Laboratory), la réponse ne se trouve pas en pleine eau ou dans l'espace, comme certains l'affirment, mais sur les fonds marins. Pour être plus précis, la vie serait apparue au niveau des dorsales, car c'est là que se forment les croûtes océaniques, et donc que se trouvent des sources hydrothermales.

    Cette hypothèse vient d'être précisée par ce scientifique et deux collaborateurs dans les Philosophical Transactions of the Royal Society B, au point qu'il paraît de plus en plus envisageable de passer au stade de l'expérimentation. Bien sûr, les chercheurs se sont déjà appuyés sur des modèles expérimentaux pour préciser les principes essentiels à leur théorie, qui explique par ailleurs certaines bizarreries. L'exemple de la machinerie cellulaire qui produit l'ATPATP, notre « carburant », est en ce sens représentatif.

    Si l'on simplifie la situation, pour synthétiser cette moléculemolécule d'ATP, les bactériesbactéries ou les mitochondries des eucaryoteseucaryotes doivent en permanence avoir recours à des « pompes » pour faire sortir des protonsprotons (des ionsions H+) au travers de leurs membranes, pour qu'ils puissent ensuite... entrer de nouveau. Or, l'intérêt est qu'au passage, ils actionnent des turbines (ATP synthétase) qui autorisent la production d'ATP. C'est un peu comme s'il fallait sans cesse remplir un barrage hydroélectrique pour le faire fonctionner. Vu de cette manière, le procédé paraît peu efficace. Alors, pourquoi les cellules qui composent chaque être vivant y ont-elles recours ? 

    Représentation schématique du cycle de l'eau donnant naissance aux sources hydrothermales au niveau des dorsales océaniques. Les dorsales parcourent 64.000 km à la surface du globe. Les sources d'eaux chaudes abritent une vie extraordinaire composée d'organismes adaptés à l'absence de lumière et d'oxygène. © Clément Perrotte, CNRS

    Représentation schématique du cycle de l'eau donnant naissance aux sources hydrothermales au niveau des dorsales océaniques. Les dorsales parcourent 64.000 km à la surface du globe. Les sources d'eaux chaudes abritent une vie extraordinaire composée d'organismes adaptés à l'absence de lumière et d'oxygène. © Clément Perrotte, CNRS

    Quand un effluent basique rencontre un océan acide…

    La réponse fournie par Michael Russell est assez simple : parce que c'est comme cela qu'elles ont produit de l'énergieénergie à leur début, mais sans avoir besoin de la phase de pompage. Justement, la théorie des sources hydrothermales permet de l'expliquer. Pour se remettre dans le contexte, il faut plonger quatre milliards d'années en arrière, à l'Hadéen. À cette époque, notre planète était principalement recouverte d'océans présentant un pH de 5,5 (acideacide), tandis que l'atmosphère était chargée en CO2. De plus, comme maintenant, les plaques tectoniques ne cessaient de se former d'un côté, au niveau des dorsales, pour disparaître côté continent par subduction.

    Or, en refroidissant, les nouvelles croûtes océaniques se fissurent, ce qui permet à de l'eau de les pénétrer puis de progressivement se réchauffer en descendant. Des réactions chimiques ont alors lieu entre les roches rencontrées et ce liquideliquide, qui va finir par remonter chargé en méthane (CH4), en hydrogènehydrogène (H2) et en molybdènemolybdène. Ce processus est appelé serpentinisation. L'effluent fortement basique (pH de 13) et chaud (100 °C) finit par ressortir dans un océan bien plus froid et plus acide. De nouvelles réactions chimiquesréactions chimiques se réalisent alors, et se concluent par la précipitation de particules, celles-là même qui forment les fameuses cheminéescheminées des sources.

    La serpentinisation à l’origine de la vie ?

    L'astuce, c'est qu'elles s'assemblent de manière à former de petites cellules faites de membranes minérales semi-perméables. Elles sont alors coincées entre les effluents basiques (pauvres en H+) et acides (riches en H+), donc au milieu d'un gradient de pH ou, en d'autres mots, d'un flux de protons. Or, la force et la direction de ce flux seraient comparables à ce qui se rencontre aujourd'hui au sein des cellules biologiques. Par ailleurs, les mêmes réactions pourraient également avoir favorisé la formation de « molécules turbines ».

    Ainsi, les contenants (membranes minérales) se seraient naturellement formés avant le contenu (ce que contient une cellule, par exemple l'ADNADN) à la suite du processus géochimique de serpentinisation. La vie pourrait ensuite s'être développée dans ces alcôves en exploitant les ressources disponibles, jusqu'à trouver un moyen de s'en séparer, par exemple en utilisant une membrane biologique équipée de molécules à même de recréer le gradientgradient de protons en tous lieux.

    Tout ceci reste théorique, l'expérimentation est donc vivement attendue. Mais l'étude de sources hydrothermales basiques découvertes en 2000 dans l'Atlantique nord, à Lost CityLost City, a déjà fourni plusieurs éléments étayant l'hypothèse de Michael Russell.