Les preuves s'accumulent en faveur de la théorie qui explique la croissance conjointe très rapide des trous noirs supermassifs et des galaxies qui les hébergent depuis plus de 13 milliards d'années. D'énormes nuages de gaz alimentant la croissance de ces trous noirs ont été détectés. Ces nuages seraient connectés à des filaments de matière froide entre galaxies et amas de galaxies.


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    Depuis plus d'une décennie, les astrophysiciensastrophysiciens et les cosmologistes sont étonnés par les découvertes de grandes galaxies tôt dans l'histoire du cosmoscosmos observable, c'est-à-dire moins d'un milliard d'années après le Big BangBig Bang. Ces grandes galaxies contiennent également des trous noirs supermassifs de grande taille, certains se signalant sous forme de quasars. La théorie initialement proposée pour rendre compte de l'existence de ces objets faisait intervenir une série de collisions suivies de fusions à partir d'une population de galaxies naines, un peu comme les planètes ont fini par naître par accrétion de planétésimaux dans le Système solaireSystème solaire. Mais justement, les galaxies et les trous noirs les plus massifs devaient donc n'apparaître que plusieurs milliards d'années après le Big Bang.

    Au cours de la dernière décennie, le paradigme de la croissance des galaxies et des trous noirs supermassifs qu'elles hébergent a changé, comme nous l'expliquait récemment le cosmologiste Romain Teyssier. Les preuves commencent à s'accumuler qui font jouer un rôle majeur à des filaments de matière noirematière noire entre galaxies et amas de galaxiesamas de galaxies, qui canalisent des courants d'hydrogènehydrogène et d'héliumhélium provenant de la matière baryonique laissée par la fin du Big Bang. Comme le montrent des simulations, ces courants froids en tombant sur les galaxies y provoqueraient de fiévreuses formations d'étoilesétoiles, en plus de faire grandir rapidement les galaxies et les trous noirs supermassifs qu'elles contiennent de concert.


    Grâce au Very Large Telescope de l’ESO, des astronomes ont observé des réservoirs de gaz froid situés en périphérie des galaxies parmi les plus anciennes de l’Univers. Cette vidéo détaille l’importance de cette découverte. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © European Southern Observatory (ESO)

    Une masse multipliée par 20 en seulement 100 millions d’années

    Un groupe d'astrophysiciens allemands, états-uniens, italiens et chiliens mené par Emanuele Paolo Farina de l'Institut Max-PlanckPlanck dédié à l'Astronomie à Heidelberg vient justement de publier un article dans The Astrophysical Journal, disponible en accès libre sur arXiv, qui apporte des éléments en faveur de ce changement de paradigme.

    Les chercheurs ont pour cela étudié une population d'une trentaine de quasarsquasars observés alors que l'UniversUnivers observable n'avait que 870 millions d'années. Les trous noirs supermassifs en rotation derrière ces quasars devaient accréter d'importantes quantités de matière pour rendre compte de leur extraordinaire luminositéluminosité (rappelons que l'énergieénergie libérée par unité de massemasse par accrétion par des trous noirs peut être largement supérieure à celle libérée par unité de masse via les réactions de fusion thermonucléaire dans les étoiles). Les astrophysiciens estiment que ceux qu'ils ont donc pris comme base de leur travail, dans le cadre de la campagne d'observation nommée Reionization Epoch QUasar InvEstigation with Muse (Requiem), voyaient leur masse multipliée par 20 en seulement 100 millions d'années en réponse à l'accrétion de matière. Quant aux galaxies enveloppant ces quasars, le taux de formation stellaire devait dépasser les 100 étoiles par an contre trois étoiles dans la Voie lactéeVoie lactée aujourd'hui.

    Pour rendre compte de ces évènements, l'existence d'immenses réservoirs de gazgaz au plus proche des quasars devait être invoquée. Pour le prouver, les astrophysiciens ont utilisé une astuce. Le rayonnement produit par les quasars est très ionisant, les atomesatomes d'hydrogène dans ces nuagesnuages devaient donc perdre leurs électronsélectrons avant de les recapturer. Ce faisant, la mécanique quantiquemécanique quantique leur impose d'émettre des photonsphotons donnant lieu à ce que l'on appelle une raie d'émissionémission Lyman alpha. C'est précisément ce genre de raie que peut mettre en évidence l'instrument Muse, un spectromètrespectromètre qui équipe le Very Large TelescopeVery Large Telescope (VLT) de l'ESOESO dans le désertdésert chilien de l'Atacama.

    Des nuages de plusieurs milliards de masses solaires

    Les résultats sont rapidement tombés, comme l'explique dans un communiqué de l'ESO Emanuele Paolo Farina. « Quelques heures consacrées à l'observation de chaque cible nous ont suffi pour sonder les environs des trous noirs les plus massifs et les plus voraces de l'Univers jeune... Nous sommes à présent - et pour la toute première fois - en mesure de démontrer que les galaxies primitives disposaient, en leur périphérie, d'un stock de nourriture suffisant pour alimenter, tant la croissance des trous noirs supermassifs qu'une intense formation stellaire. »

    En effet, sur 12 des 31 quasars étudiés, Muse a permis de mettre en évidence des halos de gaz d'hydrogène dense et froid, dans un rayon de 100.000 années-lumièreannées-lumière, autour des trous noirs centraux et contenant l'équivalent de plusieurs milliards de masses solaires, précisément de quoi assurer la croissance ultrarapide des trous noirs supermassifs ainsi que l'intense formation stellaire dans leurs galaxies hôtes.

    Toujours selon d'Emanuele Paolo Farina, tout ceci n'est qu'un début car lorsqu'entrera en service l'Extremely Large Telescope (ELTELT) de l'ESO : « La puissance délivrée par l'ELT nous permettra de sonder plus en profondeur l'Univers jeune à la recherche d'un plus grand nombre de nébuleusesnébuleuses de gaz de ce type. ».

    Sur cette image figure un halo de gaz récemment observé par l’instrument Muse qui équipe le <em>Very Large Telescope de l’ESO</em>. Cette image a été superposée à un cliché plus ancien d’une fusion de galaxies acquis au moyen d’Alma. Le halo étendu de gaz d’hydrogène figure en bleu, les données d’Alma en orange. Le halo est relié à la galaxie, dont le centre est occupé par un quasar. La faible lueur émise par le gaz d’hydrogène qui compose le halo constitue la source de nourriture idéale du trou noir supermassif situé au centre du quasar. Ces objets se situent à un <em>redshift</em> de 6,2, ce qui signifie que nous les observons tels qu’ils étaient voici 12,8 milliards d’années. Les quasars sont brillants, au contraire des réservoirs de gaz périphériques beaucoup plus difficiles à observer. Mais l’instrument Muse fut capable de détecter la faible lueur émise par le gaz d’hydrogène qui compose le halo, permettant aux astronomes de mettre au jour l’existence des stocks de nourriture qui alimentent les trous noirs supermassifs de l’Univers jeune. © ESO, Farina et al. ; Alma (ESO/NAOJ/NRAO), Decarli et al.
    Sur cette image figure un halo de gaz récemment observé par l’instrument Muse qui équipe le Very Large Telescope de l’ESO. Cette image a été superposée à un cliché plus ancien d’une fusion de galaxies acquis au moyen d’Alma. Le halo étendu de gaz d’hydrogène figure en bleu, les données d’Alma en orange. Le halo est relié à la galaxie, dont le centre est occupé par un quasar. La faible lueur émise par le gaz d’hydrogène qui compose le halo constitue la source de nourriture idéale du trou noir supermassif situé au centre du quasar. Ces objets se situent à un redshift de 6,2, ce qui signifie que nous les observons tels qu’ils étaient voici 12,8 milliards d’années. Les quasars sont brillants, au contraire des réservoirs de gaz périphériques beaucoup plus difficiles à observer. Mais l’instrument Muse fut capable de détecter la faible lueur émise par le gaz d’hydrogène qui compose le halo, permettant aux astronomes de mettre au jour l’existence des stocks de nourriture qui alimentent les trous noirs supermassifs de l’Univers jeune. © ESO, Farina et al. ; Alma (ESO/NAOJ/NRAO), Decarli et al.

     


    Trous noirs supermassifs : le secret de leur croissance ultrarapide enfin percé ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 17/10/2019

    Deux disques d'accrétiondisques d'accrétion emboîtés ont été découverts autour du trou noir central de la célèbre galaxie spiralegalaxie spirale M77. Cette structure accélérerait in fine l'accrétion de la matière faisant croître les trous noirs supermassifs, aidant à comprendre pourquoi certains sont devenus très rapidement de grande taille.

    Les observations de l'Event Horizon Telescope concernant M87* et la probable détection des modes quasi-normaux d'un trou noir par LigoLigo ont renforcé notre conviction qu'il existe bel et bien des trous noirs dans le cosmos observable et en particulier au cœur de bon nombre de galaxies comme on s'en doutait il y a presque 50 ans.

    Ces trous noirs supermassifs contiennent de un million à plusieurs dizaines de milliards de masses solaires et ils croissent généralement de paire avec les galaxies qui les hébergent, pense-t-on. Mais leur origine reste floue et surtout, certains d'entre eux sont déjà bien développés un milliard d'années seulement après le Big Bang, ce qui est plutôt énigmatique.

    Carte illustrant l'emplacement de NGC 1068 (également connu sous le nom de Messier 77), une galaxie spirale située à environ 47 millions d'années-lumière de la Terre, dans la direction de la constellation de la Baleine. © IAU, <em>Sky & Telescope magazine</em>; NRAO/AUI/NSF, S. Dagnello
    Carte illustrant l'emplacement de NGC 1068 (également connu sous le nom de Messier 77), une galaxie spirale située à environ 47 millions d'années-lumière de la Terre, dans la direction de la constellation de la Baleine. © IAU, Sky & Telescope magazine; NRAO/AUI/NSF, S. Dagnello

    On a d'abord pensé que ces astresastres croissaient par fusion et, de fait, des télescopestélescopes comme HubbleHubble ont montré des collisions de galaxies. Toutefois, même de cette façon, les modèles peinent à rendre compte de la croissance rapide, voire ultra-rapide des galaxies et des trous noirs géants. Depuis 10 ans, un autre modèle est de plus en plus pris au sérieux et qui fait intervenir comme explication principale des courants de matière baryonique froide canalisés par des filaments de matière noire. Ce sont ces courants froids qui feraient grandir les galaxies et les trous noirs par accrétion.

    Mais, même avec cette hypothèse soutenue par des simulations numériquessimulations numériques et maintenant des observations, il reste difficile de rendre compte de la réalité. Il y avait fort à parier que nous avions manqué quelque chose dans les modèles théoriques décrivant l'accrétion de matière par des trous noirs. Ces modèles ont commencé à être développés au début des années 1970 par plusieurs chercheurs de renom dans des travaux conjoints. Citons à cet égard ceux de Nikolai Shakura et Rashid Sunyaev et ceux d'Igor Novikov et Kip Thorne. Mais il en existe d'autres.

    Deux disques d'accrétion en rotation contraire

    Futura avait consacré plusieurs articles, notamment les précédents ci-dessous, au sujet des découvertes de trous noirs anormalement massifs tôt dans l'histoire du cosmos observable. Or, voilà qu'aujourd'hui, a peut-être été trouvée l'une des pièces manquantes les plus importantes pour résoudre les énigmes qu'ils posent. Comme le montre un article d'une équipe internationale d'astrophysiciens en accès libre sur arXiv, c'est le radiotélescoperadiotélescope Alma qui vient de l'apporter.

    Sur ces deux schémas, on voit la double structure théorique du disque d'accrétion autour d'un trou noir supermassif en fonction de son contenu en masse. Les moins massifs posséderaient un tore épais de gaz et de poussière entourant un disque interne mince. © Nasa/CXC/M.Weiss
    Sur ces deux schémas, on voit la double structure théorique du disque d'accrétion autour d'un trou noir supermassif en fonction de son contenu en masse. Les moins massifs posséderaient un tore épais de gaz et de poussière entourant un disque interne mince. © Nasa/CXC/M.Weiss

    Le regard à haute résolutionrésolution d'Alma a été dirigé vers le cœur de NGCNGC 1068, une des galaxies de Seyfertgalaxies de Seyfert les plus étudiées. Ce cœur est d'ordinaire bien caché par la présence de poussières mais Alma a été explicitement construit parce que ce radiotélescope pouvait s'affranchir de ce genre de limitation.

    Tout porteporte à croire qu'au centre du noyau actif de cette galaxie, se trouve un trou noir supermassif contenant environ 15 millions de masses solaires. Il est entouré d'un disque d'accrétion central mince, lui-même entouré d'un second disque plus épais ayant même la structure d'un tore. De façon surprenante, les dernières mesures avec Alma montrent que ces deux disques tournent dans le sens contraire l'un de l'autre. Le disque interne s'étend sur 2 à 4 années-lumière et suit la rotation de la galaxie, tandis que le tore externe s'étend sur 4 à 22 années-lumière.

    Ce genre de structure n'est pas complètement nouveau car il a été observé avec des distributions d'étoiles dans des galaxies sur des distances de plusieurs milliers d'années-lumière de leur centre. Ce phénomène s'explique par des interactions, voire des collisions entre galaxies. Dans le cas du trou noir de NGC 1068, il provient peut-être d'une petite galaxie naine qui aurait été capturée sur une orbiteorbite avec un moment cinétiquemoment cinétique opposé à celui de NGC 1068. On peut aussi faire intervenir l'accrétion de nuages de gaz.

    Toujours est-il que le point de clé de cette découverte est que les deux disques sont dans une configuration instable qui va conduire la matière du second, le plus externe, à s'effondrer gravitationnellement et rapidement en direction de l'horizon des événementshorizon des événements du trou noir supermassif.

    On peut montrer finalement que ce genre de phénomène accélère l'absorptionabsorption de la matière par un trou noir et ce serait donc son occurrence répétée qui aurait fait grandir les trous noirs supermassifs ultra rapidement dans certains cas en moins d'un milliard d'années après le Big Bang.

    Image Alma montrant deux disques de gaz se déplaçant dans des directions opposées autour du trou noir de la galaxie NGC 1068. Les fausses couleurs de cette image représentent le mouvement du gaz : le bleu est pour la matière qui se déplace vers nous, le rouge celle qui s'éloigne de nous. Les triangles blancs sont ajoutés pour montrer le gaz accéléré qui est expulsé du disque interne autour du trou noir. © Alma (ESO/NAOJ/NRAO), V. Impellizzeri ; NRAO/AUI/NSF, S. Dagnello
    Image Alma montrant deux disques de gaz se déplaçant dans des directions opposées autour du trou noir de la galaxie NGC 1068. Les fausses couleurs de cette image représentent le mouvement du gaz : le bleu est pour la matière qui se déplace vers nous, le rouge celle qui s'éloigne de nous. Les triangles blancs sont ajoutés pour montrer le gaz accéléré qui est expulsé du disque interne autour du trou noir. © Alma (ESO/NAOJ/NRAO), V. Impellizzeri ; NRAO/AUI/NSF, S. Dagnello

    Un quasar à la croissance ultrarapide défie les cosmologistes

    Article de Laurent Sacco publié le le 08/12/2017

    Les quasars les plus lointains servent de test pour les théories sur l'origine des galaxies et des trous noirs supermassifs, ainsi que pour les scénarios de la réionisationréionisation du cosmos. Le plus éloigné que nous connaissons contenait déjà 800 millions de masses solaires il y a plus de 13 milliards d'années. Ce qui pose une colle aux cosmologistes.

    Et une énigme de plus en cosmologiecosmologie... Enfin presque car, à vrai dire, elle n'est pas totalement nouvelle comme le prouve notre précédent article sur le sujet (voir au bas de celui-ci). Un groupe d'astrophysiciens vient d'annoncer par un article publié dans la revue Nature, mais en accès libre sur arXiv, un record battu par un nouveau quasar. Ces objets qui rendaient perplexes les astrophysiciens et les cosmologistes à leur découverte au début des années 1960 sont, selon toute vraisemblance, des trous noirs de Kerr supermassifs, accrétant d'importantes quantités de matière qui s'échauffent au sein de disques pour atteindre des températures de plusieurs centaines de milliers de degrés. L'énergie gravitationnelle de cette matière tombant vers l'horizon de ces trous noirs ainsi que l'énergie cinétiqueénergie cinétique de ces astres en rotation est alors convertie en rayonnement, de sorte qu'ils constituent des noyaux actifs de galaxiesnoyaux actifs de galaxies extraordinairement brillants.

    Celui découvert aujourd'hui est classé dans un catalogue sous le nom de J1342+0928. Il contient environ 800 millions de masses solaires et brille comme 40.000 milliards de SoleilSoleil. Bien plus massif, donc, que le trou noir géant de la Voie lactée, qui ne contient qu'à peu près quatre millions de masses solaires, il est environ 200 fois plus lumineux que toutes les étoiles de notre Galaxie réunies. C'est prodigieux mais pas hors norme dans le monde des quasars.

    Comme l'image suivante, ce photomontage constitue une sorte de carottage dans le temps du cosmos, de l'époque où le rayonnement fossile observé aujourd'hui par Planck a été émis (à droite) jusqu'au télescope qui observe les plus anciens quasars aujourd'hui. Le quasar J1342+0928 est représenté par une étoile jaune et sa masse est indiquée en milliards (<em>billions</em>) de masses solaires, à gauche. Il est observé au moment où les âges sombres (<em>dark ages</em>) cèdent la place à l'aube cosmique (<em>cosmic dawn</em>). © Jinyi Yang, UA ; Reidar Hahn, Fermilab ; M. Newhouse, NOAO, AURA, NSF
    Comme l'image suivante, ce photomontage constitue une sorte de carottage dans le temps du cosmos, de l'époque où le rayonnement fossile observé aujourd'hui par Planck a été émis (à droite) jusqu'au télescope qui observe les plus anciens quasars aujourd'hui. Le quasar J1342+0928 est représenté par une étoile jaune et sa masse est indiquée en milliards (billions) de masses solaires, à gauche. Il est observé au moment où les âges sombres (dark ages) cèdent la place à l'aube cosmique (cosmic dawn). © Jinyi Yang, UA ; Reidar Hahn, Fermilab ; M. Newhouse, NOAO, AURA, NSF

    Un si gros trou noir si près du Big Bang

    Non, ce qui étonne chez J1342+0928 c'est qu'il est le plus lointain quasar découvert à ce jour, ce qui veut dire que nous l'observons dans un passé fort ancien, tellement que le cosmos observable n'était alors âgé que de 5 % de son âge actuel et que le Big Bang n'avait pris fin que 690 millions d'années auparavant. Or, les modèles de formations des trous noirs supermassifs rendent perplexes les astrophysiciens depuis longtemps et encore plus quand ils découvrent qu'un objet 200 fois plus lourd que le trou noir supermassif de la Voie lactée aujourd'hui s'était déjà formé aussi tôt dans l'histoire de l'Univers. Même si l'on se perd encore en conjectures sur l'origine exacte des graines de ces trous noirs, on a de bonnes raisons de penser que ces objets grandissent au cours du temps, pour l'essentiel à l'occasion de fusions de galaxies, et qu'ils croissent donc avec la taille des grandes galaxies.

    Comment donc expliquer une croissance aussi rapide alors que la plupart des galaxies de l'époque étaient naines ? Faut-il faire intervenir de courants de gaz très importants ayant précocement nourri ces trous noirs ou bien faut-il postuler qu'il s'agit de trous noirs primordiaux laissés par le Big Bang et déjà de grandes tailles ?

    La galaxie hôte du quasar J1342+0928 est elle-même très active. Les observations indiquent qu'elle forme entre 90 et 600 masses solaires d'étoiles par an (contre une seule, ou peu s'en faut, dans notre Voie lactée). Le rayonnement de cet astre devait contribuer à réioniser localement dans des bulles l'hydrogène et l'hélium neutres formés après la recombinaison, 380.000 ans après le Big Bang. © Robin Dienel, <em>Carnegie Institution for Science</em>
    La galaxie hôte du quasar J1342+0928 est elle-même très active. Les observations indiquent qu'elle forme entre 90 et 600 masses solaires d'étoiles par an (contre une seule, ou peu s'en faut, dans notre Voie lactée). Le rayonnement de cet astre devait contribuer à réioniser localement dans des bulles l'hydrogène et l'hélium neutres formés après la recombinaison, 380.000 ans après le Big Bang. © Robin Dienel, Carnegie Institution for Science

    Une galaxie jeune mais déjà poussiéreuse

    Il est certain, cependant, que J1342+0928 est observé au moment où le cosmos est occupé à sortir des âges sombresâges sombres. C'est le moment de la réionisation des atomes d'hydrogène et d'hélium neutres nés 380.000 ans après le Big Bang sous l'action, notamment, du rayonnement ultravioletultraviolet des premières étoiles et probablement aussi de la matière accrétée par les premiers quasars.

    J1342+0928 lui-même est tellement lointain que l'expansion de l'univers a eu tout le temps d'étirer les longueurs d'ondelongueurs d'onde de ses émissions de rayonnement (d'un facteur 8,5). Il n'est aujourd'hui détectable que dans le domaine infrarougeinfrarouge, ce qu'ont notamment fait les instruments du Wide-field Infrared Survey Explorer, c'est-à-dire Wise, et les télescopes Magellan et Gemini North. Il semble entouré d'un coconcocon d'hydrogène encore incomplètement ionisé et situé dans une galaxie déjà bien poussiéreuse et riche en éléments lourds. Les observations ont en effet révélé la présence d'environ 100 millions de masse solaires sous forme de poussières, et au moins cinq millions de masses solaires sous forme de carbonecarbone dans le milieu interstellaire de la galaxie, ce qui est également surprenant.

    Sa découverte réalisée au sein d'une portion restreinte de la voûte céleste en cherchant des objets avec un décalage spectral vers le rouge d'environ 7,5 (l'unité employée par les cosmologistes) laisse penser qu'une prochaine génération d'instruments devrait révéler 20 à 100 quasars du même genre, aussi anciens et lointains. Leur étude permettra peut-être d'affiner et de départager les modèles de la réionisation du cosmos et de la croissance des galaxies.


    Trois quasars à la croissance ultrarapide défient les cosmologistes

    Trois quasars observés tels qu'ils étaient il y a environ 13 milliards d'années ne se seraient allumés que 100.000 ans auparavant. Gorgés d'environ un milliard de masses solaires, ils sont pourtant jeunes, ce qui est difficilement compréhensible dans le cadre des modèles proposés pour expliquer l'origine de ces trous noirs supermassifs.

    Il y a plus de cinquante ans, la technique des occultationsoccultations a permis de déterminer la contrepartie optique d'une source radio puissante, 3C 273. Lorsque Maarten Schmidt, un astronomeastronome néerlandais, a ensuite fait son analyse spectrale, il découvrit avec stupéfaction des lignes d'émissions de l'hydrogène fortement décalées vers le rouge. Or, 3C 273 apparaissait dans le visible comme une étoile tandis que ce résultat impliquait qu'il se situait bien au-delà de la Voie lactée, à une distance cosmologique. Pour être visible d'aussi loin, l'objet devait donc être d'une luminosité prodigieuse. D'autres quasi-stellar radio sources, des quasars selon la dénomination proposée en 1964 par l'astrophysicien d'origine chinoise Hong-Yee Chiu, n'allaient pas tarder à être découverts. On en connaît aujourd'hui plus de 200.000.

    Les astrophysiciens ont très tôt cherché à comprendre la nature de ces astres qui, bien qu'ils libèrent d'énormes quantités d'énergie, semblaient être de petite taille. Ils ont d'abord pensé qu'il s'agissait d'étoiles gigantesques dominées par les effets de la relativité généralerelativité générale avant d'envisager assez rapidement qu'il s'agit de trous noirs supermassifs accrétant d'importantes quantités de gaz. Dans le bestiaire des astres relativistes qui commençaient à être exploré sérieusement pendant les années 1960, certains, comme Igor Novikov et Yuval Ne'eman, ont même proposé que les quasars étaient en fait des trous blancs. C'est-à-dire soit des régions de l'univers dont l'expansion au moment du Big Bang avait été retardée (hypothèse des lagging core), soit l'autre extrémité de trous de vers éjectant la matière qu'ils avaient absorbée sous forme de trous noirs dans une autre partie du cosmos, voire dans un autre univers. À cet égard, on pourrait avoir des surprises avec les résultats très attendus des observations du Event Horizon Telescope.


    Les galaxies sont-elles nées d'un trou noir ? Les quasars, ces trous noirs supermassifs au cœur des galaxies, sont-ils à l'origine de la naissance des étoiles avant de les avaler ? Premier épisode d'une collection de documentaires Web sur l'astrophysique au XXIe siècle, réalisés par Pierre-François Didek (Karamoja Productions ; directeur de collection : Vincent Minier du laboratoire AIM Paris-Saclay). © AstrophysiqueTV, Dailymotion

    Quelles origines pour les trous noirs supermassifs ?

    Mais de nos jours, la majorité des chercheurs est convaincue que les quasars sont bel et bien des trous noirs supermassifs de Kerr en rotation surpris en train d'accréter de grandes quantités de matière il y a plusieurs milliards d'années. Mais cette théorie n'est pas sans poser quelques problèmes.

    En effet, ces astres compacts contiennent de quelques millions à quelques milliards de masses solaires. Ils ne peuvent donc pas provenir directement de l'effondrementeffondrement gravitationnel d'une étoile ordinaire. Il existe toutefois différents modèles montrant plus ou moins comment ces trous noirs peuvent croître au cours du temps, notamment à partir d'objets plus petits c'est-à-dire par fusion de trous noirs dont certains sont peut-être issus d'astres encore hypothétiques, des étoiles relativistes supergéantes. Il est possible aussi que ces trous noirs supermassifs grandissent en accrétant des courants d'hydrogène intergalactique sous forme de filaments et, bien sûr, à l'occasion de fusion de galaxies. Un lien entre la taille de ces trous noirs et la galaxie qui l'héberge a été établi.

    Il n'en reste pas moins que cosmologistes et astrophysiciens sont mal à l'aise lorsqu'ils sont confrontés à l'existence de quasars contenant déjà des milliards de masses solaires alors que l'univers observable était âgé de moins d'un milliard d'années. En effet, ce temps semble bien trop court pour permettre la croissance de ces ogres galactiques.

    On vient d'en avoir un nouvel exemple suite à la publication sur arXiv d'un article exposant des travaux d'une équipe internationale de chercheurs, dont certains sont membres du MPIA (Max PlanckMax Planck Institute for Astronomy), qui ont utilisé les télescopes de l'observatoire W. M. KeckKeck à Hawaï. Il était question de mieux comprendre la fameuse époque de la réionisation de l'univers, probablement largement due au rayonnement des premiers quasars.

    Plus la taille d'une bulle de matière ionisée entourant un trou noir est grande, moins le rayonnement issu de la matière accrétée et chauffée par le trou noir est absorbé dans une partie de son spectre. Plus l'allumage d'un quasar est ancien, plus la taille de la bulle est grande. C'est ce qu'illustre le schéma ci-dessus avec la bulle de matière (<em>proximity zone</em>) entourant un quasar. En vert, la bulle est ancienne, en jaune, elle est jeune. Les deux spectres obtenus dans ces deux cas sont représentés en bas et indiquent l'intensité lumineuse (<em>brightness</em>) en fonction de la longueur d'onde (<em>wavelength</em>). © A. C. Eilers & J. Neidel, MPIA
    Plus la taille d'une bulle de matière ionisée entourant un trou noir est grande, moins le rayonnement issu de la matière accrétée et chauffée par le trou noir est absorbé dans une partie de son spectre. Plus l'allumage d'un quasar est ancien, plus la taille de la bulle est grande. C'est ce qu'illustre le schéma ci-dessus avec la bulle de matière (proximity zone) entourant un quasar. En vert, la bulle est ancienne, en jaune, elle est jeune. Les deux spectres obtenus dans ces deux cas sont représentés en bas et indiquent l'intensité lumineuse (brightness) en fonction de la longueur d'onde (wavelength). © A. C. Eilers & J. Neidel, MPIA

    Des quasars qui se sont allumés en moins de 100.000 ans

    Les chercheurs se sont concentrés en particulier sur trois quasars qu'ils ont observés tels qu'ils étaient il y a environ 13 milliards d'années et qui possédaient déjà un milliard de masses solaires. Il est possible d'estimer de quand date leur allumage en observant la taille de la bulle de matière ionisée et chauffée autour de chacun d'eaux. Il est même possible de dire de cette façon s'il s'est allumé plusieurs fois. En effet, plus cette bulle est grande, plus elle est ancienne car le rayonnement émis par le trou noir a eu le temps de voyager. De même, comme il faut un certain temps après l'arrêt d'un quasar pour que la bulle se refroidisse, les chercheurs peuvent poser des contraintes sur le nombre de fois que l'astre a pu s'allumer et s'éteindre dans un passé pas trop éloigné.

    Toutefois dans le cas des trois monstres étudiés, et compte tenu de leur jeunesse, ils ne sont allumés que depuis 100.000 ans tout au plus par rapport à la date où nous les observons. Compte tenu du fait qu'il existe une limite à la quantité de matière que peut absorber un trou noir par accrétion pendant un temps donné (la pressionpression du rayonnement émis, si elle est trop forte, stoppe ce processus d'accrétion ce qui impose donc des limites à la vitessevitesse d'accrétion en rapport avec ce que l'on appelle la luminosité d’Eddington d'un trou noir), on tombe alors sur une énigme.

    En effet, ces trous noirs auraient dû absorber de la matière sans interruption durant au moins 100 millions d'années pour atteindre leur taille actuelle. En outre, il est difficile d'expliquer leur croissance, moins de 700 millions d'années après le Big Bang, par fusion de trous noirs.

    En résumé, presque 60 ans après la découverte des quasars, leur origine, et peut-être même leur nature, restent donc encore mal comprises.

    Le quasar 3C 273 vue par Chandra en rayon X. © Nasa
    Le quasar 3C 273 vue par Chandra en rayon X. © Nasa