On vient d'observer comme jamais l'existence de filaments de matière alimentant la croissance des premières galaxies et des premiers trous noirs supermassifs les hébergeant. La présence et un début de cartographie de ces filaments accréditent des simulations faites en se basant sur l'existence de la matière noire.

 


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    La théorie du Big Bang est plus solide que jamais. Toutefois, cela ne veut pas dire que tous les problèmes sont résolus en cosmologie. Loin de là en fait, et que ce soit en ce qui concerne l'existence de la matière noirematière noire ou l'explication à donner à l'accélération récente de son expansion à l'échelle du cosmoscosmos observable -- et ce, depuis quelques milliards d'années, et qui ne fait pas nécessairement intervenir de l'énergie noire -- , de nombreuses énigmes demeurent.

    Depuis plusieurs mois, la perplexité grandit concernant les valeurs divergentes des estimations de la fameuse constante de Hubble-Lemaître. Le Big BangBig Bang, dans le sens le plus général donné par les cosmologistes, n'en est aucunement remis en cause mais le modèle standard en cosmologie pourrait bien l'être avec l'introduction d'une nouvelle physique, par exemple avec une constante cosmologique variable dans le temps selon plusieurs scénarios possibles.

    Il y a d'autres interrogations, moins spectaculaires mais tout aussi importantes, quand on se tourne vers les problèmes évoqués par la croissance et l'évolution des galaxies, lesquels ne sont pas indépendants des questions similaires que posent des trous noirs supermassifs qui co-évoluent en leur sein. De grandes galaxies s'observent dans l'histoire de l'universunivers observable plus tôt que l'on s'y attendait ainsi que des flambées d'étoilesétoiles anormalement importantes.

    Au début, on faisait croître en grande partie les galaxies à l'aide de fusionsfusions entre des galaxies nainesgalaxies naines et par collisions entre ces galaxies et celles de plus grandes tailles résultant des fusions précédentes. Les phénomènes accompagnant ces fusions -- apports de gazgaz frais, ondes de chocs entre les massesmasses de gaz des galaxies -- étant naturellement producteurs de flambées dans la formation stellaire. De même, les apports soudains de gaz étaient de nature à expliquer l'allumage des quasarsquasars du fait de chutes d'importantes quantités de matière en direction des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs.


    On pense que le réseau d'amas de galaxies dans le cosmos observable contient aussi d’énormes filaments de gaz constitués de matière baryonique qui relient plusieurs galaxies à travers l’univers. On vient clairement d'observer ces filaments (en fausse couleur bleue) qui s'étendent sur plus de trois millions d'années-lumière. C'est la première fois que cette toile cosmique est imagée de manière aussi détaillée à grande échelle, réunissant plusieurs galaxies. Dans la première partie de cette vidéo, en jaune, les trous noirs supermassifs ; en blanc, les galaxies à flambées d'étoiles (starbursting galaxies en anglais dans la vidéo). Des images d'une simulation de la formation de ces filaments avec des galaxies à flambées d'étoiles aux intersections de ces filaments sont présentées dans la seconde moitié de la vidéo. © Durham University

    Des courants froids de baryons canalisés par la matière noire

    Sauf que l'on observe parmi les premières galaxies, des formations fiévreuses de nouvelles étoiles et des allumages de quasars alors que l'on n'est visiblement pas, dans certains cas, en présence de fusions, en cours ou tout juste achevées, de galaxies. Pour cette raison, les cosmologistes ont introduit une hypothèse que vont soutenir au cours des années les simulations numériquessimulations numériques de plus en plus performantes de la formation et de l'évolution des galaxies -- déjà mentionnées dans notre article ci-dessous, la théorie des Stream-Fed Galaxies (SFG).

    Sous ce nom anglais, se cache tout simplement l'idée que des courants de matière normale, essentiellement de gaz d'hydrogènehydrogène et d'héliumhélium, quasi pure et sans éléments lourds laissés par le Big Bang, se faufilant entre et autour des galaxies en étant canalisés par des filaments de matière noire, se coupent au niveau de galaxies ou de groupe de galaxiesgroupe de galaxies. Ce faisant, ces courants de matière baryonique alimentent la croissance des galaxies et de leurs trous noirs supermassifs, formant de nouvelles étoiles.  

    Cette théorie est de mieux en mieux corroborée par les observations, pour reprendre l'expression introduite par le philosophe des sciences Karl Popper, depuis ces dernières années. En témoigne tout dernièrement un article publié dans Science par une équipe internationale de cosmologistes menée par des astrophysiciensastrophysiciens du Riken, en quelque sorte le CNRS japonais, et dont une version est en libre accès sur arXiv.

    Sur les deux images côte à côte, les filaments de gaz intergalactique constitués de matière normale sont identifiés et représentés en bleu. Les fonds des cartes sont une image prise dans le visible avec le télescope Subaru (à gauche) et une image dans le domaine des ondes radios millimétriques prise avec Alma (à droite). On constate qu'il existe donc bien de vastes structures gazeuses et des filaments (à gauche) qui connectent un certain nombre de galaxies à sursaut de formation d'étoiles (à droite en fausse couleur blanche, en jaune ce sont les quasars). © Riken
    Sur les deux images côte à côte, les filaments de gaz intergalactique constitués de matière normale sont identifiés et représentés en bleu. Les fonds des cartes sont une image prise dans le visible avec le télescope Subaru (à gauche) et une image dans le domaine des ondes radios millimétriques prise avec Alma (à droite). On constate qu'il existe donc bien de vastes structures gazeuses et des filaments (à gauche) qui connectent un certain nombre de galaxies à sursaut de formation d'étoiles (à droite en fausse couleur blanche, en jaune ce sont les quasars). © Riken

    Les chercheurs ont combiné des données fournies par l'instrument Multi Unit Spectroscopic Explorer (Muse) équipant le Very Large TelescopeVery Large Telescope (VLT) de l'ESOESO avec des images fournies par la Suprime-Cam du télescopetélescope Subaru basé au Mauna Kea sur l'île d'Hawaï. Il s'agissait de débusquer le rayonnement ultravioletultraviolet caractéristique, selon la théorie, des filaments de matière baryonique alimentant les galaxies il y a déjà 12 milliards d'années. Ces galaxies avec des quasars et des flambées de nouvelles étoiles (starbursting galaxies en anglais ou « galaxie à sursautsursaut de formation d'étoiles » en français) avaient d'abord été identifiées dans une région de la voûte céleste dans la constellationconstellation du Verseau avec l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (Alma) et le W. M. KeckKeck Observatory.

    Des filaments fluorescents sur des millions d'années-lumière

    Nommée SSA22, cette région est célèbre en raison du proto-amas de galaxiesamas de galaxies qui s'y observe et c'est l'intense rayonnement ultraviolet produit par ce proto-amas qui a permis de révéler comme jamais auparavant la présence des filaments de baryonsbaryons froids l'entourant. Ces filaments se sont donc formés par effondrementeffondrement gravitationnel autour des filaments de matière noire qui ont été les premiers à faire de même, rendant possible l'apparition précoce des galaxies et des amas de galaxies qui n'auraient pu apparaître aussi tôt dans l'histoire du cosmos observable sans la matière noire.

    Comme l'explique dans un communiqué Hideki Umehata, membre du Riken, en poste à  l'Université de Tokyo, et principal auteur de l'article de Science, la combinaison des nouvelles données « suggère très fortement que la chute de gaz le long des filaments sous l'effet de la gravitégravité déclenche la formation des galaxies à sursaut d'étoiles et des trous noirs supermassifs, en donnant à l'univers la structure que nous voyons aujourd'hui ». L'astrophysicien précise que « de précédentes observations avaient montré qu'il y avait des émissionsémissions provenant de globulesglobules de gaz s'étendant au-delà des galaxies, mais maintenant, nous avons pu montrer clairement que ces filaments sont extrêmement longs, allant même au-delà des limites du champ d'observation. Cela ajoute de la crédibilité à l'idée que ces filaments alimentent l'intense activité que nous voyons dans les galaxies à l'intérieur des filaments ».

    Son collègue et co-auteur de l'article, Michele Fumagalli de l'Université de Durham (UK) est, quant à lui, très enthousiaste quand il indique que « c'est très excitant de voir clairement pour la première fois des filaments multiples et étendus dans l'univers primitif. Nous avons enfin un moyen de cartographier directement ces structures et de comprendre en détail leur rôle dans la régulation de la formation des galaxies et des trous noirs supermassifs ».

    Tout se passe en effet comme le prédisent les simulations numériques, avec des galaxies à flambées d'étoiles et des quasars précisément à l'intersection des filaments, ces filaments longs de plusieurs millions d'années-lumièreannées-lumière qui sont révélés par la fluorescence des atomesatomes les composant selon des raies Lyman α sous l'effet du rayonnement UV intense produit par les galaxies et les trous noirs supermassifs il y a 12 milliards d'années. Voilà de quoi consolider encore plus le modèle cosmologique standardmodèle cosmologique standard avec de la matière noire froide.


    Courants froids et filaments de matière noire à l'origine des galaxies ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 23/01/2009

    Un groupe international d'astrophysiciens propose dans un article de Nature une nouvelle théorie expliquant la formation précoce des galaxies. Basée sur des simulations numériques puissantes, elle fait jouer un rôle moins important aux fusions entre galaxies et met l'accent sur des courants froids d'hydrogène le long des filaments de matière noire.

    La formation et l'évolution des galaxies et des amas de galaxies est l'un des sujets les plus fascinants de l'astrophysiqueastrophysique, en particulier à cause de ses connexions avec la cosmologie et la physique des hautes énergies. Même pour un physicienphysicien se limitant à la physique classique, c'est un joli champ d'applicationapplication de la mécanique céleste, avec le fameux problème à N corps, ou de l'hydrodynamique. Pour le cosmologiste et le physicien des particules élémentairesparticules élémentaires, le monde des galaxies et des amas de galaxies peut être relié aux effets de la relativité généralerelativité générale et à celui des particules supersymétriques et autres candidats potentiels concernant la nature de la matière noire.

    La théorie standard de la formation des galaxies énonce que le gaz de baryons, c'est-à-dire principalement d'hydrogène et d'hélium, s'est effondré au cours des premières centaines de millions d'années sous l'influence de zones de surdensité de matière noire formant des halos sphériques, où sont nées des étoiles rassemblées en petites galaxies naines. Au cours du temps, ces galaxies sont entrées en collision pour former par fusion des galaxies géantes comme notre Voie lactéeVoie lactée et se sont rassemblées en amas de galaxies eux-mêmes organisés en filaments autour des concentrations de matière noire de même forme.

    Très actives au début de l'histoire de l'Univers, ces collisions se poursuivent encore de nos jours bien qu'elles soient moins fréquentes depuis quelques milliards d'années. On en a de beaux exemples, notamment la fameuse collision des Quatre fantastiques. L'anniversaire des 18 ans de Hubble a même été célébré par un Hubblecast portant sur les collisions et les fusions de galaxies observées par le télescope spatialtélescope spatial.

    Cliquer pour agrandir. Plusieurs collisions de galaxies permettent de reconstituer les différentes étapes d'un processus s'étalant sur des centaines de millions d'années. © <em>NASA, ESA, the Hubble Heritage Team (STScI/AURA)-ESA/Hubble Collaboration, A. Evans (University of Virginia, Charlottesville/NRAO/Stony Brook University), K. Noll (STScI), J. Westphal (Caltech)</em>
    Cliquer pour agrandir. Plusieurs collisions de galaxies permettent de reconstituer les différentes étapes d'un processus s'étalant sur des centaines de millions d'années. © NASA, ESA, the Hubble Heritage Team (STScI/AURA)-ESA/Hubble Collaboration, A. Evans (University of Virginia, Charlottesville/NRAO/Stony Brook University), K. Noll (STScI), J. Westphal (Caltech)

    Trop d'étoiles dans les premières galaxies

    Toujours d'après la théorie standard, les galaxies spiralesgalaxies spirales, riches en gaz et en poussières sont le lieu de formation de jeunes étoiles, en particulier lorsque ces galaxies entrent en collision. Lorsque deux spirales de taille comparable fusionnent, elles donnent lieu à la formation d'une galaxie elliptiquegalaxie elliptique et la formation d'étoiles est si importante qu'elle ne laisse pratiquement plus de gaz ni de poussières. C'est pourquoi les galaxies elliptiques sont vues comme le produit final de l'évolution des galaxies et ceci explique aussi pourquoi elles sont essentiellement constituées de vieilles étoiles rouges. Il ne s'agit en fait que d'un schéma général, la réalité observée et la théorie en rendant compte est en fait plus complexe...

    Les dernières observations concernant les premiers milliards d'années de l'histoire de l'Univers posent cependant des problèmes à la théorie standard. Le taux de formation d'étoiles dans les galaxies massives s'y révèle trop important pour être expliqué par les fusions entre galaxies. On observe quelque chose qui ressemble plutôt à de grands disques de gaz, fragmentés en plusieurs grumeaux géants, au sein desquels les étoiles se forment activement avec un taux record de plusieurs centaines de masses solaires par an.

    C'est pourquoi un groupe d'astrophysiciens mené par Avishai Dekel, de l'institut de physique Racah en Israël, en collaboration avec Romain Teyssier (Institut de Recherches sur les lois Fondamentales de l'Univers), a mené de nouvelles simulations sur un superordinateursuperordinateur, MareNostrum.

    Elles semblent confirmer une théorie connue sous le nom de Stream-Fed Galaxies (SFG). Selon elle, les fusions entre galaxies n'étaient pas le principal facteur de leur croissance dans les premiers milliards d'années de l'Univers observable. La croissance des galaxies et la forte activité de formation d'étoiles à cette époque étaient dominées par des courants froids d'hydrogène et d'hélium suivant les filaments de matière noire où se rassemblent les amas de galaxies. Ces courants se faufilaient à leur tour dans les halos de matière noire pour alimenter les jeunes galaxies.Grâce à ce modèle, les chercheurs semblent obtenir un bon accord entre la théorie et les observations et ils trouvent même que des grandes galaxies elliptiques peuvent se former sans faire intervenir des fusions entre spirales.