Les trous noirs supermassifs ne peuvent se former par effondrement direct d'étoiles, mais peut-être par fusion de trous noirs de masses intermédiaires dont l'existence était suggérée par l'étude des relations entre masses des bulbes galactiques et masses des trous noirs s'y trouvant. On pense avoir découvert 10 de ces trous noirs intermédiaires.

au sommaire


    Cela fait presque 50 ans que les astrophysiciensastrophysiciens et les cosmologistes ont proposé l'existence de trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs au cœur des grandes galaxies. Mais ils ne savent toujours pas vraiment comment ces objets pouvant contenir de quelques millions à quelques milliards de masses solaires ont bien pu se former dans le cosmoscosmos observable. Les trous noirs contenant plusieurs masses solaires ne sont eux pas problématiques puisque l'on sait qu'ils se forment suite à l'effondrementeffondrement d'une étoile des dizaines de fois plus massive que le Soleil, en donnant une supernova de type SNSN Ia. Ils peuvent aussi se former selon un scénario un peu plus exotiqueexotique, suite à une kilonova causée par la fusionfusion de deux étoiles à neutronsétoiles à neutrons. C'est très probablement ce qui a accompagné la source d'ondes gravitationnellesondes gravitationnelles GW170817. Dans les deux cas, on parle de trous noirs stellairestrous noirs stellaires.

    Une troisième catégorie de trous noirs a été introduite. Ils ont été baptisés trous noirs de masses intermédiaires car leurs masses seraient comprises entre une centaine de masses solaires et moins d'un million de masses solaires. Leur existence peut, par exemple, être suggérée par une curieuse relation qui a été découverte entre la masse des trous noirs supermassifs (mais pas trop) trouvés dans les galaxies spiralesgalaxies spirales et la masse dans le bulbe de ces galaxies. Il est d'un facteur 1.000 environ, très souvent. Cette relation laisse penser que trous noirs et galaxies naissent de pair, ce qui suggère que des galaxies de faibles masses doivent posséder des trous noirs de masses intermédiaires.

    Une illustration montrant la relation entre la masse des trous noirs supermassifs et la masse des bulbes (<em>bulge,</em> en anglais) galactiques. © K. Cordes, S. Brown

    Une illustration montrant la relation entre la masse des trous noirs supermassifs et la masse des bulbes (bulge, en anglais) galactiques. © K. Cordes, S. Brown

    On peut penser également que du fait des fusions de galaxies observées - surtout quand le cosmos était plus jeune - ces trous noirs intermédiaires ont fusionné à leur tour pour donner des trous noirs supermassifs. On peut penser aussi que des courants de matièrematière froide tombant sur les galaxies ont fait croître ces trous noirs. Il se pose alors au moins deux questions. Les trous noirs de masses intermédiaires existent-ils vraiment et quelle est leur part dans les processus de croissance des trous noirs supermassifs ?

    Dix trous noirs intermédiaires dans des galaxies naines

    Une équipe internationale, principalement formée de chercheurs russes, menée par Igor Chilingarian du Smithsonian Astrophysical Observatory (États-Unis) et de l'Institut astronomique Sternberg (Russie), vient de déposer un article sur arXiv qui apporte des éléments nouveaux pour répondre à la première question.

    En croisant les données spectrales de plusieurs instruments dans le domaine du visible et dans celui des rayons Xrayons X, ils ont trouvé 305 petites galaxies avec néanmoins un petit noyau actif (active galactic nuclei, en anglais ou AGNAGN) qui exhibent la signature que l'on peut attendre de la présence de trous noirs intermédiaires. Dix de ces galaxies posséderaient même une signature suffisamment sérieuse et solidesolide pour que l'on admette qu'il existe bel et bien des trous noirs de ce type à l'origine de ces AGN.

    Si le rayonnement X des trous noirs supermassifs est facile à observer et mesurer, ce n'est pas le cas avec les trous noirs intermédiaires, mais les astrophysiciens ont trouvé un moyen de contourner l'obstacle dans un premier temps. Ils ont compulsé les données spectrales dans le visible concernant 930.000 petites galaxies fournies par les archives du fameux Sloan DigitalDigital Sky Survey (SDSS). Le rayonnement X des trous noirs avait tout de même suffisamment ionisé les nuagesnuages d'hydrogènehydrogène en orbiteorbite autour de ces trous noirs pour qu'une raie spectraleraie spectrale bien déterminée soit mesurable. Cette raie étant décalée par effet Dopplereffet Doppler en proportion de la masse du trou noir intermédiaire, il était donc envisageable d'en déduire sa présence possible dans les 305 candidats finalement découverts.

    Les observations fournies par les archives de satellite comme ChandraChandra dans le domaine des rayons X ont finalement permis de retenir dix AGN qui doivent effectivement être alimentés en énergieénergie par des trous noirs de masses intermédiaires accrétant de la matière.

    Reste que l'on ne sait pas encore très bien comment se seraient formées ces graines de trous noirs supermassifs, d'autant plus que l'on connaît l'existence de grands AGN, des quasars avec un vrai trou noir supermassif, déjà actif un milliard d'années après le Big BangBig Bang. Une croissance aussi rapide est pour le moment mystérieuse.


    Trous noirs intermédiaires : un nouveau modèle de formation

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 24/07/2012

    Comment croissent les trous noirs supermassifs ? En partie, peut-être, en provoquant la formation de trous noirs dits de masses intermédiaires dans leurs disques d'accrétiondisques d'accrétion. Obtenus principalement par collisions entre des trous noirs stellaires et d'autres astresastres, ces corps intermédiaires seraient finalement avalés par les trous noirs géants au centre des galaxies.

    Subrahmanyan ChandrasekharSubrahmanyan Chandrasekhar et Robert Oppenheimer ont été les premiers à comprendre qu'il existait une masse limite pour une étoile ayant épuisé son carburant thermonucléaire, au-delà de laquelle elle devait s'effondrer pour former ce que l'on appelle désormais un trou noir. Ces objets nous sont familiers aujourd'hui mais on a peine à croire qu'entre les travaux de ces chercheurs, dans les années 1930, et ceux de Wheeler, Penrose et Hawking, à la fin des années 1960, ils ont été considérés comme des spéculations stériles, voire pseudoscientifiques.

    Tout a bien sûr changé à partir des années 1970, lorsque les progrès des techniques d'observations ont révélé l'existence des trous noirs stellaires (formés par des étoiles) et des trous noirs supermassifs (de plusieurs centaines de millions de masses solaires) dans les galaxies. Il en existe d'ailleurs un au cœur de notre Voie lactée, se préparant à dévorer un nuage de gazgaz.

    Toutefois, on ne comprend pas très bien comment un tel trou noir, avec ses millions de masses solaires, a pu se former, pas plus que ses cousins plus massifs qui peuvent atteindre les 10 milliards de masses solaires comme celui au centre de la galaxie NGC 4889. La formation des trous noirs stellaires - dont l'un des plus massifs est M33 X-7, avec environ 15 masses solaires - est en revanche assez bien comprise. Ils résultent, comme Oppenheimer le savait, de l'effondrement de certaines étoiles ayant explosé en donnant une supernova.

    On voit ici une simulation de la formation d'une planète géante dans un disque protoplanétaire autour d'une étoile centrale. Le vide laissé dans le disque est dû à l'influence de planètes en formation. Une telle structure est attendue pour des trous noirs de masses intermédiaires naissant dans le disque de gaz entourant un trou noir supermassif. © P. Armitage, <em>University of Colorado</em>

    On voit ici une simulation de la formation d'une planète géante dans un disque protoplanétaire autour d'une étoile centrale. Le vide laissé dans le disque est dû à l'influence de planètes en formation. Une telle structure est attendue pour des trous noirs de masses intermédiaires naissant dans le disque de gaz entourant un trou noir supermassif. © P. Armitage, University of Colorado

    Une des théories avancées pour expliquer la formation des trous noirs supermassifs suppose que des trous noirs intermédiaires de masses comprises entre quelques centaines et quelques milliers de masses solaires se forment d'une façon ou d'une autre et servent de germesgermes de croissance ou de nourriture pour des trous noirs géants.

    Plusieurs scénarios pour la croissance des trous noirs supermassifs

    Certains auraient pu naître au début de l'histoire de l’univers en liaison avec la formation des premières galaxies nainesgalaxies naines. Lors des collisions avec fusions entre ces galaxies, les trous noirs intermédiaires centraux coalesceraient pour en donner des plus massifs. On sait d'ailleurs qu'il existe un lien entre la masse des galaxies hébergeant des trous noirs géants et la masse de ces objets, ce qui suggère qu'ils croissent de pair, en accord avec le scénario des fusions galactiques.

    Certains trous noirs intermédiaires pourraient naître dans des amas globulairesamas globulaires qui eux aussi seraient avalés par un trou noir central lors de fusions galactiques.

    Un groupe d'astrophysiciens américains vient de publier sur arxiv un autre scénario pour expliquer l'apparition de ces corps de masses intermédiaires. Ils se sont inspirés pour cela d'un modèle de croissance de planètes géantesplanètes géantes, comme des superterressuperterres, dans le disque d'accrétion des systèmes planétaires en formation.

    Des simulations montrent que dans de tels disques riches en gaz, les petites planètespetites planètes sur des orbites proches ont des chances accrues d'entrer en collision pour former des planètes de plus grandes tailles par accrétion. Transposé dans le cas du disque de gaz entourant un trou noir galactique géant, le modèle prédit que les trous noirs stellaires, les astres compacts et les étoiles s'approchant du trou noir supermassif et entrant dans le disque de gaz auront, là aussi, des chances plus élevées d'entrer en collision. Les trous noirs stellaires se mettront à avaler les autres astres et augmentant eux-mêmes de taille, ils verront leur probabilité d'en capturer d'autres croître à nouveau. Ce processus peut s'emballer par effet de boule de neige et c'est ainsi que des trous noirs de masses intermédiaires pourraient rapidement apparaître dans le disque entourant le trou noir central.

    Ces corps intermédiaires finiraient bien sûr un jour par être avalés par le trou noir supermassif. Si ce scénario se révèle exact, il contribuerait donc à éclaircir le mystère de la formation et de la croissance de ces quelque peu énigmatiques trous noirs géants tapis au centre des galaxies et qui s'allumaient fréquemment, il y a des milliards d'années, pour donner des quasars.