Cette semaine, dans INFRA, je vous propose de découvrir pourquoi les emballages en plastique sont aussi bruyants. Si vous ignorez ce qu'est la misophonie, que vous êtes curieux·se d'explorer les secrets du cinéma pour dissimuler le son du plastique lors des tournages, ou que n'avez jamais entendu l'histoire du pire paquet de chips jamais inventé, cet épisode est pour vous !


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    Note : cet article est une retranscription du podcast INFRA, animé par Emma HollenEmma Hollen et produit par Futura. Pour une expérience optimale, écoutez l'épisode en cliquant sur le lecteur ci-dessous.

    Découvrez le podcast INFRA à l'origine de cette retranscription. Cliquez sur Play et laissez-vous porter ou cliquez ici pour vous abonner sur vos plateformes préférées. © Futura

    Si vous fréquentez les cinémas, en particulier les multiplexes avec leurs machines à popcorn et leurs stands de confiseries, il y a une bonne chance que vous ayez déjà vécu cette expérience au moins une fois. [Vous êtes dans une salle de cinéma, en train de suivre un film policier.] Enfoncé·e dans votre siège rouge, les yeuxyeux rivés sur l'écran, vous retenez votre souffle alors que le film vous emmène vers le premier grand moment de tension dramatique. Vous êtes peut-être suspendu·e aux lèvres des acteurs et des actrices ou alors observez avec attention les moindres recoins de la scène, à la recherche d'une menace, quand soudain... [le son du film est interrompu par un bruit de sachet plastiqueplastique qu'on ouvre puis de mastication] un spectateur ouvre un paquetpaquet de chips trois rangées derrière vous. Malgré l'image immense qui occupe votre champ de vision et les huit enceintes qui vous bombardent de son, vous êtes complètement sorti·e de l'histoire. Vous vous retournez pour jeter un regard accusateur au coupable qui est en train de [plonger allègrement la main dans le sachet en plastique] pour en retirer quelques chips supplémentaires, en produisant bien sûr un bruit assourdissant [crunch crunch]. Pourquoi ces emballages sont-ils aussi bruyants ? C'est ce que je vous propose de découvrir dans ce nouvel épisode d'INFRA.

    Un sachet de chips plus bruyant qu'une tronçonneuse

    En 2010, pour le jour de la Terre, la marque de snacks apéritifs Frito-Lay lance en grande pompe son nouveau produit : SunChips, des chips désormais packagées dans un sachet entièrement compostable. L'emballage, fruit de trois ans de recherche, est composé à plus de 90 % d'acide polylactique, ou PLA, un polymère d'origine organique généralement obtenu à partir d'amidonamidon de maïsmaïs. C'est un accomplissement remarquable pour Frito-Lay, dont les publicités clament fièrement que le sachet se décomposerait en seulement 14 semaines dans une pile de compostcompost [un sachet se décompose en craquant] ! Un exploit par rapport aux 400 ans nécessaires pour dégrader un emballage similaire composé de plastique à base de pétrole. Sauf que... à peine 18 mois après sa sortie, le produit quitte définitivement les étalages et à peine un an après le début de sa commercialisation, la firme enregistre un déclin de 11 % de ses ventes globales. Pourquoi ? Eh bien, parce qu'un paquet de SunChips, ça sonne comme ça : [un son désagréable, comme si on passait une feuille de métal dans un mixeur.] 90 % de PLA et 95 décibelsdécibels de pur boucan. 95 décibels !

    Grâce à leur composition d'origine principalement végétale, les paquets de SunChips sont compostables et plus durables pour la planète. Mais ils sont aussi excessivement bruyants... © markmosk, YouTube

    Si vous avez écouté le premier épisode d'INFRA, sur les machines à expresso, vous vous souviendrez que les plus bruyantes enregistrent déjà un seuil maximal de 80,7 décibels, correspondant au son d'un [sèche-cheveux en marche]. 95 décibels, c'est autant que le fracas du métro, le rugissement d'une motomoto, ou une conversation criée à pleins poumonspoumons. Un raffut que les fabricants tentent de marketer sous le slogan [avec emphase et un bruitage de scintillement censé rendre le slogan attrayant:] « The new sound of green », le nouveau son du vert, puisque leur produit est plus respectueux de l'environnement. Mais il n'y a rien à y faire : en soirée comme au supermarché, impossible de [saisir un sachet] sans attirer l'attention ni se casser les oreilles. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, les commentaires pleuvent sur les forums, les parodies sur YouTubeYouTube, et sur FacebookFacebook, les consommateurs créent un groupe baptisé « Sorry But I Can't Hear You Over This SunChip Bag. » : désolé·e, mais je n'arrive pas à t'entendre à cause du son de ce paquet de SunChips.

    Une brève histoire du plastique

    Alors, pourquoi cet emballage faisait-il autant de bruit ? Ça on le verra à la fin de l'épisode. Mais cette anecdote amène une question plus large : pourquoi les films, sacs et sachets plastiques produisent-ils un tel vacarme ? Pour le savoir, il faut d'abord comprendre de quoi on parle. Un plastique, c'est un matériau d'origine naturelle ou synthétique [ding !], principalement composé de polymère [un ding ! plus aigu], flexible [un ding ! encore plus aigu] et capable d'être moulé, extrudé ou pressé sous la forme d'objets solides [un ding ! toujours plus aigu]. Aussi étonnant que ça puisse paraître, son histoire commence il y a plusieurs millénaires avec l'utilisation du caoutchouccaoutchouc en Amérique centrale en -1600, pour réaliser des ballonsballons, des élastiques ou des figurines. Au fil du temps, on voit aussi émerger l'usage de la gomme-laque - ou shellac -, de cires, de résines naturelles et même de cornes d'animaux, qui une fois chauffées peuvent être transformées en cuillères, en peignes ou même se substituer au verre pour des fenêtresfenêtres ou des lanternes.

    Une balle en caoutchouc solide typique de celles utilisées dans le « jeu de balle » mésoaméricain, consistant à envoyer la balle à travers un anneau situé en hauteur. Elle est présentée avec une manopla, une sorte gant de baseball en pierre, qui aurait été attaché à la main du joueur et aurait servi à frapper la balle. © Madman2001, Wikimedia
    Une balle en caoutchouc solide typique de celles utilisées dans le « jeu de balle » mésoaméricain, consistant à envoyer la balle à travers un anneau situé en hauteur. Elle est présentée avec une manopla, une sorte gant de baseball en pierre, qui aurait été attaché à la main du joueur et aurait servi à frapper la balle. © Madman2001, Wikimedia

    Mais ce n'est vraiment qu'au XIXème siècle qu'on voit apparaître les formes de plastique les plus répandues aujourd'hui. En 1839, Eduard Simon, un apothicaireapothicaire allemand, invente le polystyrènepolystyrène. Puis en 1844, la vulcanisationvulcanisation du caoutchouc pour les pneuspneus est brevetée en Angleterre et aux États-Unis. Douze ans plus tard, l'inventeur britannique Alexander Parkes présente la Parkesine, un mélange de cellulosecellulose, d'acide nitrique et de solvantssolvants considéré comme le premier plastique synthétique créé par l'Homme, à l'exposition internationale de Londres. Suivent d'autres celluloïds, puis le PVCPVC, la pellicule photo, la Galalithe - dérivée du lait - et le polyéthylènepolyéthylène, tous développés avant le XXème siècle. Les inventions continuent bien évidemment de se succéder passé 1900, avec la Bakélite, le NéoprèneNéoprène, le nylonnylon, le PETPET, le polyester, le KevlarKevlar - dont on vous parle dans Chasseurs de Science - et j'en passe. Aujourd'hui, le terme plastique désigne des matériaux aussi variés que la coque en polycarbonate de votre portable, la chaise en polypropylènepolypropylène de votre bureau, la moussemousse de polyuréthane de vos éponges, ou le PEHD de vos sacs poubelle. Leur point commun ? Tous sont dérivés du pétrole et / ou du charboncharbon. [Une courte musique au trombone suggère un échec.]

    Ben ouais, mais que voulez-vous ? Ces ressources fossilesfossiles sont plus faciles à traiter et jusqu'à peu, elles avaient l'avantage d'être moins chères et disponibles à profusion. Bien sûr, avec une demande toujours plus importante et des réserves de pétrole de plus en plus basses (sans parler du fait que l'industrie du plastique est responsable de plus de 4 % des émissionsémissions de gaz à effets de serregaz à effets de serre, que les plastiques issus de la pétrochimie mettent des siècles à se dégrader, qu'ils polluent les océans, les rivières, finissent dans nos assiettes, dans nos poumons, dans nos sols et même dans nos veines et notre cœur - oui, oui, ça vient d'être démontré cette année), la nécessité de nous affranchir des ressources fossiles pour leur production commence sérieusement à se faire ressentir. Sauf que pour l'instant... on n'a pas encore trouvé la solution miracle. Mais ça, on en reparle tout à l'heure.

    Une projection de la production de plastique, de la génération de déchets plastiques et des plastiques en cours d'usage de 2000 à l'année 2100. Dans les trois catégories, les chiffres grimpent en flèche et commencent tout juste à ralentir autour de 2080, suggérant que le règne du plastique est loin d'être achevé. © Paul Stegmann, Vassilis Daioglou, Marc Londo, Detlef P. van Vuuren, Nature
    Une projection de la production de plastique, de la génération de déchets plastiques et des plastiques en cours d'usage de 2000 à l'année 2100. Dans les trois catégories, les chiffres grimpent en flèche et commencent tout juste à ralentir autour de 2080, suggérant que le règne du plastique est loin d'être achevé. © Paul Stegmann, Vassilis Daioglou, Marc Londo, Detlef P. van Vuuren, Nature

    Le plastique : un matériau (tristement) indétrônable

    Parce qu'avant de devenir un cauchemar écologique, le plastique a d'abord connu un véritable âge d'or, notamment, mais pas uniquement, pour sa capacité à garder nos aliments au frais.
    [Une musique guillerette, digne d'un spot commercial des années 50 illustrant les joies de la consommation.] Au début des années 1900, l'ingénieur suisse Jacques Brandenberger invente la cellophanecellophane, mot-valise de « cellulose » et « diaphane », initialement dans le but d'imperméabiliser des textiles. Mais rapidement, dès 1912, ce nouveau plastique souple et résistant à l'eau traverse l'Atlantique sous l'impulsion du confiseur Whitman, pour emballer ses boîtes de chocolat. La formule de la cellophane est améliorée par DuPont en 1924 pour la rendre imperméable à l'humidité ambiante, et dès lors, les ventes du précieux emballage explosent. En 1930, l'invention du Scotch par Richard Drew, un ingénieur de chez 3M, permet de s'affranchir de la ficelle pour refermer les paquets. Puis en 1946, l'inventeur Earl Silas TupperEarl Silas Tupper donne naissance, vous l'aurez peut-être deviné, au Tupperware. Petit à petit, le plastique s'infiltre dans nos vies, et à partir des années 1950, il devient un incontournable.

    [La musique est interrompue par un bruit de statique. Suivent une série de publicités de différentes époques, vantant chacune les qualités du plastique :]
    [Un homme en voix-off :] Plastics take the stage at an international exhibit in Amsterdam! The ingenious alchemy of coal and oil provides - [un son de statique]
    [Une femme devant la caméra :] Saran Wrap, it's the crystal clear plastic that lets you see everything you wrap - [un son de statique]
    [Un homme en voix-off :] Now, get these lovely washable plastic roses free - [un son de statique]
    [Une femme en voix-off :] This is Tupperware - [un son de statique]
    [Un homme en voix-off :] Introducing new Aerowax, with 50 % more plastic  - [un son de statique]
    [Une femme en voix-off :] It's balloon magic! It's amazing, elastic plastic!  - [un son de statique]
    [Un enfant en voix-off :] Presenting the possibilities of plastics  - [la télévision s'éteint.]

    Le plastique mis à l'honneur lors de cette exposition présentée à Amsterdam en 1950. © David Hoffman, YouTube

    Si vous croyiez que nous avions ralenti notre production de plastique depuis les Trente Glorieuses, durant lesquelles tout, du sol au plafond, était fait en vinyl, en formica ou en lycra, détrompez-vous. Ni l'urgence climatique ni la disponibilité d'alternatives plus durables ne semblent parvenir à détrôner ce roi des matériaux. Entre 1950 et 2015, la production mondiale de plastique a été multipliée par 200, passant de 2 millions de tonnes annuellesannuelles à 400 millions ! Soit 54 kilos de plastique produit par personne et par an, s'additionnant, bien évidemment, à celui qui a déjà été produit les années précédentes. Et d'après une étude de 2022 (lien en description), les chercheurs prédisent qu'on pourrait atteindre le milliard de tonnes annuelles avant 2050, la majeure partie étant destinée à l'emballage des produits. Malgré une presse de plus en plus négative, le plastique est donc partout et sa croissance n'est pas près de s'arrêter. Alors quitte à se le coltiner encore un bon bout de temps, essayons de comprendre pourquoi, en plus d'être moche et de polluer, un emballage plastique peut aussi être excessivement bruyant. Quiconque a essayé de se faire un bol de chips au beau milieu de la nuit peut en témoigner : le sachet en plastique est le pire ennemi de la discrétion. [Des bruits de pas discrets, un placardplacard qu'on ouvre doucement, puis le fracas du sachet plastique.] Parmi les emballages les plus bruyants, on retrouve des matériaux comme le polypropylène, le polyéthylène, le PLA, ou la cellophane. Et comme vous l'avez sûrement déjà remarqué, ce problème de volumevolume sonore, on le rencontre principalement avec des films suffisamment fins pour être froissés ou pliés, et plus spécifiquement, capables de garder les marques de ces pliures. Ce sont elles qui sont responsables de tout ce boucan. Explication !

    Pourquoi les emballages plastiques sont-ils aussi bruyants ?

    Il existe deux types de déformations possibles : élastique ou plastique. Un objet élastique retrouvera sa forme initiale après avoir été tordu ou étiré, alors qu'un objet plastique sera déformé de manière irréversible. Et sans surprise, c'est de là que le plastique, la matièrematière synthétique, tient son nom, puisque, comme on l'a dit, il peut être moulé, extrudé ou pressé pour adopter de nouvelles formes de manière permanente. Après, en réalité, le plastique est à la fois... plastique et élastique. Par exemple, si [vous froissez un emballage de bonbon dans votre poing puis que vous rouvrez la main], vous verrez que des pliures définitives sont bel et bien apparues à sa surface, mais aussi que pendant une seconde ou deux, le papier va se déplier, dans une certaine mesure, lorsque vous le libérez [un discret crépitement]. Il ne garde pas la forme exacte qu'il avait dans votre poing serré. C'est parce que lorsque vous imprimez une force à un objet doté d'une certaine élasticitéélasticité, celui-ci emmagasine ce que l'on appelle de l'énergie potentielleénergie potentielle élastique. Si vous tirez sur un ressort, vous sentirez qu'il vous résiste et tente de revenir à son état initial. Lorsque vous le relâchez, cette énergie potentielle est convertie en énergie effective, le plus souvent une énergie cinétiqueénergie cinétique, donc de mouvementmouvement, qui permet à l'objet de retrouver sa configuration de départ.

    Mais elle peut aussi être libérée sous forme... de son. Lorsque vous [gonflez un ballon] jusqu'à ce qu'il éclate, une partie de l'énergie potentielle se transforme en énergie cinétique, puisque chaque fragment de ballon retrouve à peu près son aspect initial, mais l'autre partie, elle, se transforme en ça : [le clac puissant d'un ballon qui éclate]. On a donc un début d'explication mais ça ne nous dit pas encore pourquoi certains emballages émettent des clics lorsqu'on les manipule, au lieu d'un bruit continu. Tenez, écoutez : [de petits clics en succession très rapide]. Alors, pour faire simple, une feuille de plastique lisse a une seule configuration stable possible : plate. Mais dès qu'on commence à la froisser, les configurations stables possibles montent en flèche. Qu'est-ce que ça veut dire exactement ? Eh bien, pensez à un interrupteur [clic clac]. Lorsque vous le faites basculer pour allumer une lumièrelumière, vous ressentez d'abord une certaine résistancerésistance, le bouton a envie de retomber en position éteinte. Cette résistance s'accroît à mesure que vous appuyez, jusqu'à ce que l'interrupteur atteigne le milieu de son trajet, puis, passé ce point, il accélère vers la position « allumé » [clic]. Ces deux positions, « allumé » et « éteint », eh bien, on peut les voir comme les « configurations stables » de l'interrupteur. Il est à l'équilibre une fois qu'il a atteint l'une ou l'autre, il ne bouge plus, et lorsqu'il est entre les deux, il est en déséquilibre et tente de revenir à la configuration stable la plus simple à atteindre.

    Quand vous froissez un emballage plastique dans votre poing puis rouvrez la main, l'emballage se déplie légèrement, démontrant ses propriétés élastiques. © ASMRistic, YouTube

    Les scientifiques ont découverte que c'est pareil avec notre plastique ! Quand vous déformez un emballage, vous lui transmettez une certaine quantité d'énergie potentielle élastique, comme avec l'interrupteur que vous essayez de faire basculer. Mais comme notre ballon, le plastique ne peut encaisser qu'une certaine quantité d'énergie, au-delà de laquelle il a besoin de changer de configuration pour retrouver une certaine stabilité. Dans le cas du ballon, le latexlatex qui le constitue éclate, et dans le cas du plastique, des rides, des creux et des bosses vont apparaître. Comme ces plis permettent au plastique de libérer une partie de l'énergie élastique potentielle, on voit non seulement l'emballage bouger physiquement, mais on entend également un crépitement à chaque fois qu'il claque dans une nouvelle position, une nouvelle configuration [clic clic clic]. C'est d'autant plus remarquable et difficile à éviter quand le film plastique est complètement froissé. Il dispose alors de centaines voire de milliers de configurations stables possibles différentes, correspondant à autant de points qui peuvent claquer dans un sens ou dans l'autre pour permettre au papier d'atteindre un équilibre. À chaque fois que vous le manipulez, vous donnez à tous ces petits sites l'opportunité de se réarranger en cliquant pour mieux distribuer et dissiper l'énergie élastique potentielle. Les petites pliures, celles des emballages de bonbons notamment, produisent un son aigu et relativement peu fort [un emballage de bonbon qu'on déplie] et les plus larges, comme celles qu'on retrouve sur les paquets de chips, sont plus bruyantes et plus graves [un paquet de chips qu'on manipule]. 

    Vous pourrez essayer de déballer un bonbon aussi lentement que vous voudrez, le plastique devra forcément en passer par cette une série de configurations - et donc, de clics - pour être complètement déplié. La vitessevitesse ne changera rien au volume, donc si vous essayez de défaire un emballage sans vous faire remarquer, la meilleure option, c'est encore d'attendre que quelqu'un éternue et d'en profiter pour l'ouvrir d'un coup sec. [Un éternuement donne l'occasion d'ouvrir rapidement l'emballage.] Voilà, vous savez désormais pourquoi le plastique est bruyant. Mais il reste quand même une question : avec tous les types de plastiques qui existent, est-ce que ce bruit est absolument inévitable ? Après une courte pause, je vous propose de refaire un passage par le cinéma, de parler recyclagerecyclage, et de découvrir enfin pourquoi les paquets de SunChips étaient condamnés à l'échec depuis le début.

    Misophonie et magie du cinéma

    Si vous êtes particulièrement sensibles à certains types de sons, comme celui de quelqu'un qui [mastique sa nourriture], [respire avec le neznez], [se gratte le bras], [entrechoque ses couverts] ou [claque la porteporte du frigo], vous êtes potentiellement atteint ou atteinte de misophonie. Une personne misophone va avoir tendance à réagir à certains bruits de manière disproportionnée, ou en tout cas plus intense que la moyenne. Ces bruits peuvent générer de l'inconfort, de l'anxiété, voire de la détresse, de la peur ou de la colère chez les individus concernés, qui vont alors réagir de manière agressive, quitter la pièce, tenter de bloquer la source du son ou alors l'imiter pour décroître leur stressstress. Si vous vous reconnaissez dans cette description, bienvenue au club ! Sans surprise, le plastique fait absolument partie de la liste des signaux capables de déclencher de la misophonie. Sachet qu'on froisse [un sac plastique fin], bouteille qu'on plie [en la faisant craquer] ou emballage qu'on éventre [schlak !] fournissent autant d'occasions de se rouler en boule en se bouchant les oreilles.

    Voir aussi

    Pourquoi les machines à expresso sont-elles aussi bruyantes ?

    Et même si vous n'êtes pas spécialement dérangé·e par le chantchant du plastique, vous reconnaîtrez quand même que dans certaines situations, comme au cinéma, une personne entendante peut vite devenir irritée par le craquement perpétuel d'un paquet de chips. C'est d'ailleurs pour en finir avec cette nuisancenuisance qu'en 2016, l'applicationapplication TodayTix avait lancé une sélection de produits baptisée Silent Snacks, des confiseries silencieuses destinées aux salles de cinéma. On y trouvait des tranches de poirespoires séchées, des truffes au beurre d'amandeamande, des bouchées au popcorn moulu, ou encore une boisson au pamplemoussepamplemousse et à la menthe supposée limiter les risques de flatulencesflatulences. [Une personne boit bruyamment, puis produit un Haaaaa ! de satisfaction.] Notez que les emballages plastique ne posent pas seulement souci durant la projection d'un film : ils sont aussi un véritable casse-tête pendant son tournage. Parce que filmer un personnage qui mange des chips, range ses courses, ou tend un bouquet de fleurs sans couvrir le son des dialogues ni faire saturer le vumètre du perchman, c'est un défi à part entière. Pour contourner ce problème, les accessoiristes doivent généralement modifier le matériau dont est fait l'objet bruyant sans pour autant en modifier l'aspect, au risque de trahir le subterfuge. Des glaçons seront ainsi remplacés par des fragments de siliconesilicone transparente, un sac en papier par une version textile et un film cellophane par une feuille de vinylevinyle, plus épaisse et discrète. Les sachets de chips seront pour leur part recouverts d'une solution destinée à les assouplir pour réduire les risques de pliures. Et pour les sacs plastiques... Eh bien, je n'ai pas trouvé l'astuce, mais il en existe bien des versions silencieuses pour le cinéma. J'ai l'impression qu'il s'agit de tissu mais ça reste à vérifier. Si vous avez envie de les tester par vous-mêmes, je vous mets un lien vers un site marchand en description.

    Une vidéo captivante (en anglais) présentant la façon dont les accessoiristes de cinéma créent des substituts silencieux aux objets les plus bruyants. Pour les personnes non-voyantes ou malvoyantes : la vidéo peut être écoutée sans perdre beaucoup d'information. © Insider, YouTube

    Alors du coup, on aurait le droit de se demander si ces inventions issues du 7ème art pourraient trouver leur place dans le monde de tous les jours. Mais, vous vous en doutez, on se heurte très vite à des limitations pratiques et de prix. Par exemple, il est beaucoup plus coûteux de tisser un sac en plastique que de le fabriquer à partir d'une fine feuille de polyéthylène fondu. De la même façon, le vinyle est plus épais que la cellophane, et qui dit plus de poids dit plus de matière, donc un coût plus élevé. Quant aux emballages alimentaires, ils doivent répondre à certains critères sanitaires qui limitent très vite la diversité de matériaux et de techniques d'assemblage à disposition. Par exemple, un paquet de chips doit être composé de quatre couches : une couche interne de polypropylène à orientation biaxiale, ou BOPP, qui sert de barrière imperméable aux graisses ; une couche intermédiairecouche intermédiaire de polyéthylène basse densité, ou PEBD, qui résiste elle aussi aux graisses végétales ; une nouvelle couche de BOPP, pour empêcher l'humidité de s'infiltrer ; et enfin, une couche externe de Surlyn, une résine thermoplastiquethermoplastique qui garantit la solidité du sachet. Elle est suffisamment résistante pour empêcher l'emballage de se déchirer mais pas complètement incassable, pour vous permettre [d'éventrer facilement le paquet] si vous avez une grosse faim. À défaut de matériaux de substitution plus silencieux et capables d'assurer ces fonctions, on reste bloqués sur la case boucan.

    Du plastique en pleine (r)évolution

    Ceci étant dit, les jours du plastique issu de la pétrochimie sont comptés. Puisqu'on l'a vu, la production de plastique, c'est plus de 4 % des émissions de gaz à effet de serre et une pollution qui s'insinue dans nos océans, dans nos forêts et jusque dans nos veines. Bien sûr, cette immense machine, valorisée à près de 670 milliards d'euros en 2023, n'est pas près de s'arrêter du jour au lendemain. Mais avec des ressources fossiles de plus en plus limitées et le naufrage climatique auquel on est en train d'assister, la transition vers des matériaux plus durables pour la planète est inévitable, et bien évidemment, souhaitable.

    La première option, si on veut continuer à produire du plastique, consiste à recycler ceux qui existent déjà. Ça peut sembler évident, mais il n'empêche qu'à ce jour, seuls 9 % des déchetsdéchets plastiques sont recyclés au niveau mondial. 9 % sur des centaines de millions de tonnes... bah, ça fait pas lourd. Et si la France s'en tire un peu mieux, avec 27,8 % de ses plastiques recyclés, elle reste une mauvaise élève en Europe. L'Allemagne, par exemple, recycle déjà près de 64 % de ses déchets, et l'Italie 56 %. On a donc encore du pain sur la planche, d'autant que le recyclage est pour l'instant loin d'être une science parfaitement maîtrisée. Beaucoup d'obstacles restent à franchir, comme le fait que de nombreux emballages ne sont pas conçus pour être recyclés. Tubes de dentifrice, couches, coton-tiges, polystyrène, stylos ou encore notre éternel paquet de chips, lorsqu'il incorpore une couche d'aluminiumaluminium, font partie des 20 % de déchets qui finiront brûlés ou seront renvoyés à la déchetterie. Toutefois, je le précise quand même, si vous résidez en France métropolitaine, continuez à les placer dans le bac jaune. Ils auront toujours une meilleure chance d'y être revalorisés qu'ailleurs, et de toute façon, ça vous évitera de vous poser des questions. Même une fois qu'on a craqué la chimiechimie, développé les outils, créé les compétences et mis en place les infrastructures qui permettent de recycler un nouveau matériau, les résultats ne sont pas toujours payants. Pas plus tard qu'en septembre dernier, par exemple, la firme Lego a annoncé qu'elle interrompait sa production de PET recyclé, tout simplement parce que le processus développé ne permettait pas de réduire ses émissions carbonecarbone.

    On en vient alors à la deuxième option : abandonner complètement le pétrole et le charbon pour se tourner vers des matières premières issues de la biomassebiomasse, et notamment, des plantes. [Une ambiance de forêt, des oiseaux chantent, évoquant la nature et la douceur.] Ces plastiques dits « biosourcés » ont l'avantage d'être basés sur des ressources renouvelables, donc, et d'émettre beaucoup moins de gaz à effet de serre. Certains d'entre eux, comme le polyamidepolyamide 410, issu de l'huile de ricinricin, sont même considérés neutres en carbone, puisqu'on estime que les émissions générées durant sa production sont compensées par l'absorptionabsorption du CO2CO2 par les plans de ricin durant leur phase de croissance. Alors bien sûr, la réalité est plus nuancée, et pour estimer l'impact de ces bioplastiques, il ne faut pas se contenter de regarder leur bilan carbonebilan carbone. Par exemple, à ce jour, la plupart des plastiques biosourcés sont fabriqués à partir d'amidon de maïs, de fécule de pomme de terrepomme de terre, du sucresucre de betterave ou de canne, ou d'huiles végétales. Pas idéal, donc, puisque la production de ces matières premières accapare une partie des terrains qui pourraient servir à produire des cultures alimentaires. Alors, pour l'instant, on parle de seulement 0,02 % des terres arablesterres arables utilisées dans ce but, donc une poussière à côté des plus de 70 % utilisés pour nourrir le bétail et la volaille.

    Ces couverts sont composés d'un bioplastique à base d'amidon. Cette vue, utilisant la méthode photoélasticimétrie, leur donne une couleur irisée. Elle permet d'évaluer la solidité d'un objet en analysant ses contraintes. © Scott Bauer, Wikimedia
    Ces couverts sont composés d'un bioplastique à base d'amidon. Cette vue, utilisant la méthode photoélasticimétrie, leur donne une couleur irisée. Elle permet d'évaluer la solidité d'un objet en analysant ses contraintes. © Scott Bauer, Wikimedia

    Mais, par curiosité, j'ai quand même fait un calcul rapide pour voir à combien passerait ce pourcentage si on remplaçait l'ensemble de la production plastique actuelle par du plastique biosourcé, et là... on se retrouve avec plus de 4 % des terres agricoles utilisées à ces fins. Bon, je vous le concède, le calcul est un peu bancal. Je vous le concède. Je mélange les chiffres de la production de plastique vierge en 2015, de la production de bioplastiques en 2021, et de l'usage des terres par les plastiques biosourcés en 2023. C'est un peu le bazar, mais ce qu'il faut retenir, c'est qu'il s'agit d'une estimation basse, voire très basse, étant donné que la production mondiale de plastiques continue de grimper en flèche au fil des ans. 4 ou 5 % des terres agricoles, ça peut ne pas sembler énorme, mais dans un monde où plus de 16 % de l'humanité est déjà en situation d'insécurité alimentaire, ce n'est pas une perspective réjouissante. D'autre part, qui dit biosourcé ne dit pas forcément biodégradablebiodégradable, compostable ni même recyclable en l'état actuel des infrastructures en place. Comme avec les transports ou l'énergie, notre marge de progression est encore importante, et ce n'est pas tant une solution miracle qu'un mix de différentes inventions qui nous permettront de nous sortir de notre dépendance aux plastiques.

    Plus durable = moins bruyant ?

    Mais bon, mettons tout ça de côté pour nous poser la question cruciale : est-ce que les nouveaux plastiques, recyclés ou biosourcés, sont moins bruyants que du plastique vierge ? [Un roulement de tambour.] Eh bien, au risque de vous décevoir, les articles sur le sujet sont très rares, mais j'ai quand même trouvé deux-trois choses. Chez Sony, l'ingénieur Tomoya Kato affirme que le plastique moulé est plus silencieux lorsqu'il est recyclé. La marque de sacs de sport MeroMero semble pour sa part suggérer que le polyester recyclé est moins bruyant que le nylon, mais bon, je ne suis pas sûre que ces matériaux puissent vraiment être comparés. Et enfin, plusieurs acteurs, comme le fabricant allemand Naku, l'université de l'Ohio, ou le producteur de bioplastiques Green Dot, spécifient que les plastiques biosourcés, et notamment les emballages réalisés avec ces matériaux, produisent un son plus bas et plus étouffé que leurs équivalents issus de la pétrochimie. Ouais [dubitatif]... Sauf qu'avec aussi peu de sources, et des procédés de conception qui peuvent grandement varier d'une marque à l'autre, ça reste difficile pour le moment de tirer des conclusions générales.

    Pour en finir avec l'histoire de SunChips, malgré un paquet 100 % compostable et composé à plus de 90 % de PLA, issu de l'amidon de maïs, le boucan produit était tel que la marque a dû interrompre sa production. Petite anecdote : lors d'une conférence donnée en 2011, Rocco Papalia, vice-président senior de la division de recherche avancée chez PepsiCo (difficile à faire tenir sur une carte de visite), raconte que les employés de l'usine où étaient fabriqués les sachets devaient porter des protections auditives pour s'isoler du vacarme qu'ils produisaient ! Et au Canada, les publicités proposaient même aux clients de leur envoyer gratuitement une paire de bouchons d'oreilles si le son de l'emballage leur était trop désagréable. Qui dit « biosourcé » ne dit donc pas forcément « silencieux ».

    Un message (en anglais) de la firme FritoLay, indiquant à ses clients : « Pour obtenir les bouchons d'oreilles SunChips, envoyez-nous une enveloppe taille standard et affranchie, avec vos nom et adresse indiqués clairement à l'avant (n'oubliez pas le timbre), et dites-nous en 50 mots ou moins pourquoi vous êtes content·e de faire du bruit pour aider la planète. » © FritoLay, PepsiCo
    Un message (en anglais) de la firme FritoLay, indiquant à ses clients : « Pour obtenir les bouchons d'oreilles SunChips, envoyez-nous une enveloppe taille standard et affranchie, avec vos nom et adresse indiqués clairement à l'avant (n'oubliez pas le timbre), et dites-nous en 50 mots ou moins pourquoi vous êtes content·e de faire du bruit pour aider la planète. » © FritoLay, PepsiCo

    En l'occurrence, le problème tenait à « la température de transition vitreusetransition vitreuse » des polymères utilisés, c'est-à-dire la température à laquelle ils passent d'un état solideétat solide et cassant, dit « vitreux », à un état souple et caoutchouteux. Les paquets de SunChips, malheureusement, ont une température de transition vitreuse à peu près équivalente à la température ambiante, tant et si bien qu'ils sont pile à la limite entre un état souple et un état solide. Et si vous vous souvenez de ce qu'on s'est dit au début, la raison pour laquelle un plastique fait du bruit tient dans l'opposition de ces deux caractéristiques. Un sachet 100 % solide serait simplement cassant, et un sachet parfaitement souple n'opposerait aucune résistance aux forces qui lui sont soumises et ne créerait pas de pliures. Mais un sachet à la limite entre les deux offre d'abord une certaine résistance aux forces extérieures (solide) jusqu'à ce qu'il n'y tienne plus et soit contraint de libérer une partie de l'énergie potentielle élastique en produisant du bruit et en changeant de configuration (souple). Plus un emballage est rigide, plus ce bruit est fort et marqué, et c'est exactement ce qu'il se passe avec notre paquet de SunChips. Comme il est situé à la frontière de la solidité, on pourrait tout aussi bien dire qu'il a été conçu pour produire un maximum de bruit. À cause de sa rigiditérigidité, le paquet peut encaisser une plus grande énergie potentielle élastique avant de craquer, et le son résultant est d'autant plus... insupportable [un paquet de SunChips craque bruyamment].

    Le plastique est-il condamné à rester bruyant ?

    Alors, à la question « Les plastiques du futur seront-ils moins bruyants ? », la réponse reste ouverte pour le moment. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'est jamais trop tôt pour commencer à soutenir les marques qui s'engagent dans des démarches plus durables. Comme le formule bien Rocco Papalia, un sachet de chips bruyant est un petit prix à payer pour une alternative plus respectueuse de l'environnement. Alors la prochaine fois que vous ferez vos courses, n'hésitez pas à regarder comment sont fabriqués les emballages que vous avez l'habitude de sélectionner, et s'il n'existe pas une option plus verte vers laquelle vous pourriez basculer. Renseignez-vous sur les différents types de plastiques - biosourcés, biodégradables, recyclables ou compostables - pour voir lesquels correspondent le mieux aux possibilités de retraitement dont vous et votre commune disposez. Et, enfin, si vous le pouvez, passez au vrac, c'est encore mieux ! J'espère que cet épisode d'INFRA vous aura plu. Comme vous l'aurez peut-être remarqué, on a espacé de trois semaines les dernières publications, le temps de trouver un rythme de croisière un peu moins tendu. Plus que jamais, INFRA a donc besoin de votre soutien pour continuer de grandir et durer dans le temps. Parlez-en autour de vous, partagez-le sur les réseaux sociauxréseaux sociaux, et si ce n'est pas déjà fait, abonnez-vous et laissez-nous une note et un commentaire. Ça peut sembler peu de choses, mais ça fait une grosse différence pour nous. Si vous connaissez une personne sourde ou malentendante à qui ce podcast pourrait plaire, n'hésitez pas à le lui recommander. Des transcriptionstranscriptions détaillées sont fournies en description pour que tout le monde puisse en profiter. On se retrouve dans deux semaines et d'ici là, écoutez le monde autrement.

    Un dernier fun fact pour vous, qui avez suivi cet épisode jusqu'au bout. En, 2018, une exposition présentée à Londres baptisée The Sound of Plastic Should be Louder a eu pour ambition de mettre l'accent sur le son du plastique plutôt que de l'atténuer. À travers diverses installations, les participants, équipés de casques audio, pouvaient explorer le son des déchets plastiques présentés à eux. L'objectif : sensibiliser au recyclage et à la réutilisation de ces objets, et inviter le public à remettre en question ce règne du plastique que nous considérons encore aujourd'hui comme acquis. [Une bouteille en plastique craque.]