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    La forêt tropicaleforêt tropicale est variée, et un de ses nombreux visages est celui de la vie nocturnenocturne, qui se doit d'être connu, pour tout observateur de ces lieux. Bruits, ombres, faunefaune diverse... que réserve la forêt tropicale de nuit ?

    <em>Megasoma elephas</em>, scarabée-éléphant. © Derek Ramsey (Ram-Man), <em>Wikimedia commons, </em>CC by-sa 1.2
    Megasoma elephas, scarabée-éléphant. © Derek Ramsey (Ram-Man), Wikimedia commons, CC by-sa 1.2
    Envol de chauves-souris, Mexique. © Sylvain Lefebvre et Marie-Anne Bertin, DR
    Envol de chauves-souris, Mexique. © Sylvain Lefebvre et Marie-Anne Bertin, DR

    Les bruits nocturnes de la forêt tropicale

    En l'espace de quelques minutes le soleil a totalement disparu. La Lune est peut-être pleine, ou totalement creuse. Ici, sous la voûte de la canopéecanopée, nous ne la voyons pas : c'est le noir absolu toutes les nuits. Notre ouïe semble décuplée : bien entendu, dans l'obscurité, nous prêtons plus attention au fond sonore qu'à l'habitude mais il y a clairement plus de décibelsdécibels faunistiques de nuit qu'en journée.

    Tour à tour, les animaux sifflent, coassent, hululent, bourdonnent. Sont-ce des insectes, des grenouilles, des oiseaux ? Bien difficile à dire pour la plupart tant qu'ils ne sont pas repérés. Frénétiquement attirés par les deux faisceaux de lumière de nos lampes frontales, une foule de petits insectesinsectes se bousculent autour de nous. Les moustiques nous piquent, les papillons jouent les kamikazes entre nos yeuxyeux et les moucherons finissent leur course au fond de notre gosier. Régulièrement, ils nous obligent à cracher. Les nuées ailées font le bonheur des chauves-souris qui trouvent dans le sillage de nos éclairages un garde-manger bien garni. Guidés dans leur chasse entomologique par un système d'écholocationécholocation ultraprécis, les chiroptèreschiroptères frôlent à grande vitesse nos visages et nous font sursauter à chaque passage.

    Scarabée éléphant (<em>Megasoma elephas</em>), que l'on peut observer la nuit en forêt tropicale. © Sylvain Lefebvre et Marie-Anne Bertin, DR
    Scarabée éléphant (Megasoma elephas), que l'on peut observer la nuit en forêt tropicale. © Sylvain Lefebvre et Marie-Anne Bertin, DR

    La jungle de nuit : une attention particulière aux espèces dangereuses

    Notre champ de vision se limite à la fine traînée blanche de nos lampes. Régulièrement, nous nous engluons dans une toile d’araignée récemment étendue au travers du sentier. Pourtant, nous marchons lentement, très lentement. À chaque pas, nos yeux sont rivés au sol. Il est crucial de savoir où se posent nos pieds. À cette heure, la vipère fer-de-lance est en chasse. C'est peut-être le seul animal que nous craignons vraiment pendant ces balades. Ce serpent redouté pour son agressivité se camoufle très bien au sol et sa morsuremorsure peut être fatale. Souvent, nous croisons sa route. Nous ne sommes pas capables d'identifier tous les ophidiensophidiens de la forêt mais une tête triangulaire et des pupilles verticales ne sont jamais bon signe : mieux vaut tracer son chemin dans ce cas et laisser la vipère vaquer à ses occupations.

    Ce n'est qu'une fois les pieds en sécurité que notre regard file vers les feuilles et le long des écorces, car au-delà de ces quelques désagréments et consignes de sécurité, explorer la forêt tropicale de nuit est passionnant pour le curieux de nature : un universunivers de prospection d'une richesse étonnante.

    La forêt tropicale de nuit, nature passionnante

    À hauteur d'Homme, sur une branche ou sous une palme, anolis, papillons-chouettes et libelluleslibellules se sont endormis. Un peu plus haut, c'est un colibricolibri qui trouve le sommeilsommeil. Surprendre la faune plongée dans ses rêves est une drôle de sensation et nous avons le sentiment de leur voler un moment d'intimité. À leur place, nous nous sentirions certainement espionnés, alors nous restons silencieux et brefs.

    Gecko à bandes du Yucatán (<em>Coleonyx elegans</em>). © Sylvain Lefebvre et Marie-Anne Bertin, DR
    Gecko à bandes du Yucatán (Coleonyx elegans). © Sylvain Lefebvre et Marie-Anne Bertin, DR

    Papillons de toutes les formes, de toutes les couleurscouleurs virevoltent par centaines chaque soir. Nous jubilons à chaque observation d'un grand saturnidé comme les Rothschildia. Dans la végétation, les criquets abondent. Nombreux sont ceux à posséder une corne jaune sur la tête qui leur donne des allures de rhinocérosrhinocéros. Une multitude de petites araignéesaraignées tissent leur toile pour la nuit. D'autres plus étranges, qualifiées de lance-toile, sont simplement suspendues par un fil et étendent entre leurs pattes un filet de soie qu'elles jetteront sur leur proie. Les phasmes sont plus faciles à débusquer de nuit que de jour. Leur camouflage est moins efficace lorsqu'on se concentre sur de petites surfaces et le contrastecontraste de couleur entre leur cuticulecuticule et la végétation est plus marqué. Plus ponctuellement, de jolis coléoptèrescoléoptères ou autres curiosités à six pattes font leur apparition : un scarabée éléphant, un fulgore, une mante. Les couleuvres arboricolesarboricoles, totalement inoffensives, nous font aussi l'honneur de s'exhiber.

    Contempler ces gracieuses silhouettes passer d'une branche à l'autre est un délice. L'une des plus communes, fine comme un crayon et longue d'un mètre, est l'Imantodes cenchoa. Son neznez retroussé et ses gros yeux globuleux sont caractéristiques. Mangeuse de grenouilles, c'est aussi une grande friande d'anolis, qu'elle attrape durant leur sommeil : l'Imantodes est capable d'étendre plus de la moitié de son corps dans le vide et par conséquent, peut surprendre sa proie sans entrer en contact avec la branche sur laquelle elle repose, au risque de la réveiller et la faire fuir.

    <em>Serpent à tête retroussée (Imantodes cenchoa</em>). © Sylvain Lefebvre & Marie-Anne Bertin, DR
    Serpent à tête retroussée (Imantodes cenchoa). © Sylvain Lefebvre & Marie-Anne Bertin, DR

    L'activité nocturne de la faune tropicale

    Pour se répartir habitats et ressources alimentaires, la faune se partage l'espace mais aussi le temps. Nous surprenons plus d'animaux nocturnes actifs que d'endormis : la forêt ne sommeille jamais. Comme de jour, la faune est discrète mais omniprésente.

    Au sol, l'activité des fourmis coupeuses de feuilles atteint des sommets : des milliers d'individus rejoignent la fourmilière, en file indienne, chargés d'un morceau de feuille qui sera broyé et mis en culture pour élever un champignonchampignon à la base de leur alimentation. Iules, scolopendres, blattes crapahutent sur la litièrelitière et le long des troncs morts. Facilement repérables par le reflet bleu que renvoient leurs yeux éclairés par notre lampe frontale, les araignées-loups, ou lycoses, sont en quête de nourriture. Elles sont dix fois plus grosses que nos espècesespèces françaises mais gardent un comportement similaire. Nous les observons digérer leur proie maintenue entre les chélicèreschélicères ou nous nous régalons de suivre les femelles entièrement recouvertes de leur progéniture : des dizaines de jeunes araignées fermement accrochées sur leur dosdos. La redoutable chasseuse araignée-loup est aussi une incroyable mère-poule. Jean-Henri FabreJean-Henri Fabre, dans ses Souvenirs entomologiques, s'était déjà amusé à décrire cette « draperiedraperie animale » avec les lycoses de Narbonne. Pour lui, « nulle part ne se trouverait spectacle familial plus édifiant que celui de la Lycose vêtue de ses petits. ».

    • Mygales, scorpions et grenouilles

    Fréquemment, les amblypyges enrichissent nos sorties. Leurs aspects terrifiants et archaïques nous fascinent. ArachnidesArachnides plus populaires mais aussi peu appréciés, les mygales sont plus difficiles à apercevoir. De manière générale, elles sont assez craintives et disparaissent dans leur galerie souterraine à la moindre alerte. Les scorpions sont encore plus rares. La jungle de nuit, c'est aussi le royaume des amphibiensamphibiens. Traquer des anoures en regardant en l'airair serait un non-sens dans nos forêts. Mais ici, les grenouilles arboricoles peuvent vivre jusqu'à la cime des arbresarbres, à plus de 40 mètres de hauteur. Depuis le sous-boisbois, seule une partie nous est accessible et déjà la diversité explose. Les rainettes du genre Hyla, Phyllomedusa, Agalychnis ou Hypsiboas sont celles que nous préférons observer. Plutôt de grandes tailles, souvent colorées et munies de longs doigts aux extrémités en « ventouse », ces hylidés arborent des positions d'une photogénie remarquable lorsqu'elles agrippent branches et lianes. Plus petites et souvent délicatement en place sur les feuilles, les grenouilles de verre de la famille des Centrolénidés méritent l'attention. En les manipulant délicatement, il est possible d'observer leur système circulatoire et digestif, visible par transparencetransparence en face ventrale. Au sol, crapauds buffles et crapauds bœufs (en réalité une grenouille) montrent que la grâce et les silhouettes sveltes ne sont pas partagées par tous les amphibiens.

    <em>Hysiboas picturatus.</em> © Sylvain Lefebvre et Marie-Anne Bertin, DR
    Hysiboas picturatus. © Sylvain Lefebvre et Marie-Anne Bertin, DR

    Si porter la lampe frontale à hauteur des yeux a l'inconvénient d'attirer les insectes vers nos visages, cette technique a l'immense avantage de faciliter la recherche des mammifèresmammifères nocturnes. Éclairée, la rétinerétine de leurs yeux renvoie un reflet rouge visible à plusieurs mètres. Souvent, retirée dans le sous-bois ou haut perché dans les arbres, une paire de billes luminescentes se détache du rideaurideau noir. Dans ce cas, trop éloignée pour la puissance de nos lumières, nous ne pouvons identifier nettement la boule de poils qui se cache derrière ce regard espion.

    La part de mystère atteint son comble mais la frustration est très grande : peut-être venons-nous de passer à côté d'un paca, d'une moufette, d'un margay. Trop craintifs pour se laisser approcher. Les pécaris sont trahis par la forte odeur de musc qu'ils dégagent et nous nous méfions de leur comportement. Le tatou, qui fouinefouine la litière à la recherche de denrées invertébrées, est en général repéré à cause de sa relative discrétion : feuilles qui bougent et branches qui craquent le dénoncent. Parfois, sa route se rapproche de la nôtre, jusqu'à traverser le sentier devant nous : si la lumière des frontales ne les perturbe pas, l'observation des tatous impose un silence religieux. À la moindre alerte, il détale comme un boulet de canon. Couper la lumière et rester dans le noir quelques minutes, à plusieurs reprises, est peut-être la méthode la plus simple pour surprendre ces âmes discrètes. Les opossums sont parmi ceux que nous observons le plus régulièrement, toutes proportions gardées. Ils sont la preuve que tous les mammifères nocturnes ne sont pas si effrayés par notre présence. La curiosité de ces vagabonds nous permet parfois d'agréables séances photos.

    Voyons maintenant plus en détail certaines espèces emblématiques ou étonnantes, dans les pages suivantes :

    • le singe-araignée ;
    • le singe hurleur à manteaumanteau ;
    • la néphile dorée ;
    • l'iguane vert ;
    • le paresseux à gorge bruneparesseux à gorge brune ;
    • le kinkajoukinkajou ;
    • la rainette aux yeux rouges ;
    • le tamandua.