Le célèbre réseau de radiotélescopes Alma vient d'identifier dans l'atmosphère de Titan une molécule que l'on n'observait alors que dans les laboratoires terrestres et les nuages moléculaires interstellaires. Cette molécule est très simple mais pourrait avoir un lien avec des processus prébiotiques similaires à ceux à l'origine de la vie sur Terre et que l'on pourrait étudier in situ sur Titan.


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    L'astrochimie est à l'honneur dans les médias en ce moment. Il y a eu récemment la confirmation de la présence de molécules d’eau dans certaines régions éclairées de la surface de la Lune, laissant tout de même penser, avec d'autres études depuis environ une décennie, qu'il en est probablement de même partout. Un peu avant, il y a eu l'annonce de la détection de la molécule de phosphine dans l'atmosphèreatmosphère de VénusVénus mais de toutes dernières publications, comme celle-ci sur arXiv, laissent maintenant penser qu'il s'agit très probablement d'une erreur, malheureusement.

    Toujours est-il que des planétologues viennent d'annoncer dans un article publié dans Astronomical Journal qu'ils avaient découvert une molécule bien connue dans les nuagesnuages moléculaires du milieu interstellaire mais encore jamais identifiée dans l'atmosphère d'une planète du Système solaire, de Vénus à NeptuneNeptune. Il s'agit en l'occurrence d'une molécule carbonée cyclique très simple que sur Terre les chimistes connaissent et synthétisent en laboratoire depuis longtemps :  le cyclopropénylidène de formule C3H2.

    Sur l'image de gauche, on voit, long de 10 années-lumière, un filament sinueux de poussière cosmique dans la constellation du Taureau faisant partie du nuage moléculaire du Taureau (TMC-1 pour l'anglais <em>Taurus Molecular Cloud 1</em> ). Jusqu'à présent, en astrochimie, le cyclopropénylidène n'avait été détecté que dans de tels nuages moléculaires de gaz et de poussière, comme TMC-1), qui est une pépinière stellaire dans la constellation du Taureau à plus de 450 années-lumière du Soleil. Mais il semble maintenant que cette molécule est aussi présente dans l’atmosphère de Titan. © Conor Nixon, Nasa's Goddard Space Flight Center  
    Sur l'image de gauche, on voit, long de 10 années-lumière, un filament sinueux de poussière cosmique dans la constellation du Taureau faisant partie du nuage moléculaire du Taureau (TMC-1 pour l'anglais Taurus Molecular Cloud 1 ). Jusqu'à présent, en astrochimie, le cyclopropénylidène n'avait été détecté que dans de tels nuages moléculaires de gaz et de poussière, comme TMC-1), qui est une pépinière stellaire dans la constellation du Taureau à plus de 450 années-lumière du Soleil. Mais il semble maintenant que cette molécule est aussi présente dans l’atmosphère de Titan. © Conor Nixon, Nasa's Goddard Space Flight Center  

    C'est encore avec l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (Alma), le célèbre réseau de radiotélescopes de l'observatoire du Llano de Chajnantor (llano en espagnol signifiant « plateau ») situé à une altitude de 5.104 m, dans le désertdésert d'Atacama, au Chili, que l'on doit cette découverte qui concerne cette fois-ci l'atmosphère de TitanTitan, la mythique lune de SaturneSaturne. Rappelons que le site du plateau de Chajnantor est extrêmement sec, donc bien adapté aux observations dans le domaine submillimétrique car, malheureusement, la vapeur d'eau absorbe et atténue le rayonnement radio qui sert de signature à des molécules dans la bande des longueurs d'onde submillimétriques.

    Titan, une Terre primitive au congélateur

    Mais pourquoi la détection d'une molécule aussi simple que C3H2 mérite-t-elle d'être signalée ? Au moins parce qu'elle a des implications possibles pour l'exobiologieexobiologie. Titan est un peu plus grand que MercureMercure et son diamètre est un peu inférieur à celui de la Terre mais, comme elle, ce satellite de Saturne possède une atmosphère majoritairement composée d'azoteazote (98,4 % de diazote N2) et avec une pressionpression au sol d'environ une fois et demie celle de notre Planète bleue. Mais, comme sa température moyenne est de l'ordre de −179 °C au sol, on compare souvent Titan à une Terre primitive que l'on aurait mis au congélateur. On pense donc que son étude pourrait nous apprendre des choses sur la chimiechimie prébiotiqueprébiotique à l'origine de la vie et qu'elle permet peut-être l'existence d'organismes vivants très exotiquesexotiques, comme Futura l'expliquait dans le précédent article ci-dessous.


    Une présentation de la mission Dragonfly. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Goddard

    Or, il se trouve que le cyclopropénylidène est une molécule carbonée cyclique, comme l'est le benzènebenzène que l'on a aussi identifié dans l'atmosphère de Titan. Des molécules cousines de ce genre entrent dans la composition de l'ADN et de l'ARN via des nucléotidesnucléotides. Bien que C3H2 n'intervienne pas dans les réactions biochimiques liées aux cellules vivantes sur Terre, on pourrait avoir des surprises dans l'environnement de Titan avec son atmosphère qui contient aussi du méthane, de l'éthane, du diacétylène et du méthylacétylène et des traces d'autres hydrocarbureshydrocarbures comme l'acétylène, le propanepropane, le cyanoacétylène et le cyanure d'hydrogènecyanure d'hydrogène.

    Voilà qui annonce des perspectives stimulantes car, en 2026, une fuséefusée quittera la Terre avec à son bord un drone baptisé Dragonfly à destination de Titan. Si tout va bien, le drone commencera à voler dans l'atmosphère de Titan en 2034 avec une mission d'exploration prévue pour durer un peu plus de deux ans.

    En effet, à défaut de découvrir des formes de vie dans les lacs de méthane sur Titan, ce qui est sans doute très improbable mais sait-on jamais, DragonflyDragonfly révélera peut-être que bien des molécules prébiotiques, qui pourraient se trouver sur la surface de Titan, sont les mêmes que celles qui ont formé les éléments constitutifs de la vie sur Terre au début de son histoire, il y a 3,8 à 2,5 milliards d'années. À ce moment-là du méthane devait être aussi présent en quantité non négligeable dans l'atmosphère de la Terre, alors sans oxygèneoxygène. C'est ce que confirme Melissa Trainer, une exobiologiste de la NasaNasa impliquée dans la mission  : « Nous pensons Titan comme un laboratoire de la vie où nous pouvons voir une chimie similaire à celle de la Terre ancienne lorsque la vie prenait racine ici. Nous rechercherons des molécules plus grosses que C3H2 et devons savoir ce qui se passe dans l'atmosphère de Titan pour comprendre les réactions chimiquesréactions chimiques qui conduisent des molécules organiques complexes à se former et à pleuvoir à sa surface. »

    Rappelons que Ligeia Mare, une « mer » de Titan essentiellement composée de méthane, large d'environ 500 kilomètres et profonde de 200 mètres par endroits, possède un fond probablement recouvert d'une couche épaisse de plusieurs dizaines de mètres où se seraient accumulés des composés organiques insolubles, tels des nitriles, benzènes et les fameux tholinstholins de Carl SaganCarl Sagan.


    Exobiologie : Titan pourrait-elle abriter des cellules vivantes ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 08/08/2017

    Dans les lacs de méthane de Titan, la plus grosse lune de Saturne, l'acrylonitrile pourrait permettre la formation de membranes, comme celles protégeant les cellules vivantes sur Terre. Le radiotélescope Alma vient de repérer de grandes quantités de cette molécule dans la haute atmosphère, qui pourrait descendre en pluie vers le sol. L'observation est bien sûr insuffisante pour conclure que des cellules vivantes exotiques existent bien sur cette lune très froide mais elle illustre le travail des exobiologistes.

    Il peut sembler que les exobiologistes commettent une grave erreur conceptuelle en ne cherchant que des formes de vie étroitement comparables à celles existant sur Terre. Pourtant, ces scientifiques ne se contentent pas de chercher une clé perdue, en pleine nuit et sous un réverbère sous prétexte qu'il n'y a que là qu'ils peuvent la voir, selon la célèbre boutade. Ils ont bel et bien envisagé des formes de vie très exotiques, comme le démontre la théorie développée par Carl Sagan et Edwin Salpeter en 1976 qui tenait comme possible l'existence de formes vivantes dans l'atmosphère de Jupiter.

    Une nouvelle preuve de cette démarche a été donnée il y a deux ans par une équipe d'exobiologistes états-uniens qui a avancé des spéculations sérieuses sur l'apparition de l'équivalent des doubles membranes lipidiques des cellules vivantes sur Terre mais dans un tout autre environnement celui de la célèbre lune de Saturne, Titan. Comme l'expliquait l'article ci-dessous, des simulations numériquessimulations numériques ont servi à étudier des sortes de bulles à double paroi, baignant dans du méthane liquide à basse température et baptisées « azotosomes », équivalents des liposomesliposomes, ces vésicules entourées d'une membrane lipidique qui se forment dans l'eau ou un autre solvantsolvant, sous certaines conditions. Ce travail avait conclu que ces structures fermées pourraient être le siège d'une chimie complexe, similaire à celle qui a conduit à l'apparition de la vie sur Terre.

    Un image d'artiste montre la formule développée de l'acrylonitrile, présent dans l'atmosphère de Titan. © B. Saxton (NRAO, AUI, NSF), Nasa
    Un image d'artiste montre la formule développée de l'acrylonitrile, présent dans l'atmosphère de Titan. © B. Saxton (NRAO, AUI, NSF), Nasa

    L'acrylonitrile, une clé de la genèse des azotosomes

    Sauf que ces azotosomes supposaient l'existence d'importantes quantités d'une molécule baptisée acrylonitrile, ou cyanure de vinylevinyle, de formule semi-développée CH2=CH-CN. Sa présence dans l'atmosphère de Titan était effectivement suggérée grâce aux données collectées par la sonde Cassini mais elle n'était pas établie.

    Rappelons que Titan, d'une taille comparable à Mars, est parfois présenté comme une Terre au congélateur car son atmosphère contient essentiellement de l'azote et en petites quantités des gazgaz comme le méthane (CH4) et l'éthane (C2H6). C'est presque la composition supposée de l'atmosphère primitive de la Terre, à ceci près qu'elle contenait aussi d'importantes quantités de gaz carboniquegaz carbonique, ce qui n'est plus le cas depuis des milliards d'années, le CO2 étant piégé pour l'essentiel sous forme de carbonates à la surface de notre planète, le reste étant dans le manteaumanteau de la Terre, sa biosphèrebiosphère et son hydrosphèrehydrosphère.


    Une présentation de l'importance de la découverte de l'acrylonitrile pour l'exobiologie sur Titan. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Goddard

    Des pluies d'acrylonitrile dans les lacs de méthane de Titan

    Titan étant en moyenne à une température de -179 °C et soumis à un rayonnement UVUV nettement plus faible que la Terre vu sa distance au SoleilSoleil, la fameuse expérience de Miller n'est pas adaptée pour simuler cet environnement. Toutefois, il semble bien s'y dérouler une chimie de type prébiotique, cousine de celle de l'enfance de la Terre, peut-être dans les grands lacs de méthane liquide.

    Or, une équipe d'astrophysiciensastrophysiciens utilisant les données engrangées depuis la Terre de février à mai 2014 avec le radiotélescope Alma (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) vient de repérer d'importantes quantités d'acrylonitrile dans la stratosphèrestratosphère de Titan, notamment à environ 200 km d'altitude. Leurs résultats viennent d'être publiés dans la revue Science Advances.

    D'après les chercheurs, ces molécules devraient se condenser en gouttes à plus basse altitude et rien ne s'oppose donc à ce que des pluies alimentent continuellement les lacs de méthane de Titan en acrylonitrile, y favorisant la synthèse d'azotosomes. Les exobiologistes estiment même que l'un des lacs les plus célèbres, Ligeia Mare, plus de deux cents fois plus grand que le lac Léman, pourrait receler de l'ordre de dix millions d'azotosomes par millimètre cube, lentement accumulés par des milliards d'années (sur Terre, un millimètre cube d'eau de mer abrite environ un million de bactériesbactéries).

    En théorie donc, des structures capables de former l'équivalent des membranes des cellules vivantes pourraient être abondantes sur Titan. Mais reste à savoir si l'équivalent des molécules d'ADNADN et d'ARNARN ont pu également y prendre naissance. Car sans structures capables de porter de grandes quantités d'information, la vie n'est pas possible. Il faudrait bien évidemment aussi que soit apparu l'équivalent du métabolismemétabolisme. On ne pourra certainement pas répondre à ces questions sans aller sonder les lacs de Titan.


    Ligeia Mare, montré ici dans une image en fausses couleurs obtenue en combinant des observations du radar de Cassini, est le deuxième grand lac sur Titan. Il mesure environ 420 km sur 350 km. Il est rempli d’hydrocarbures légers liquides, tels que l’éthane et le méthane. © Nasa, JPL-Caltech, ASI, Cornel
    Ligeia Mare, montré ici dans une image en fausses couleurs obtenue en combinant des observations du radar de Cassini, est le deuxième grand lac sur Titan. Il mesure environ 420 km sur 350 km. Il est rempli d’hydrocarbures légers liquides, tels que l’éthane et le méthane. © Nasa, JPL-Caltech, ASI, Cornel

    Une forme de vie dans les lacs de Titan ?

    Article de Laurent Sacco publié le 10/03/2015

    Une équipe d'exobiologistes a simulé sur ordinateurordinateur un type de membrane cellulairemembrane cellulaire qui permettrait le développement d'une forme de vie dans les lacs de Titan malgré les températures très basses. L'étude n'est qu'une pure spéculation de biologie théorique mais elle ouvre tout de même de nouvelles perspectives pour chercher de la vie ailleurs que sur Terre.

    Une équipe d'ingénieurs chimistes et d'astronomesastronomes de l'université de Cornell aux États-Unis vient de publier un article dans Science Advances qui aurait certainement retenu l'attention du grand exobiologiste Carl Sagan s'il était encore parmi nous. Il ne s'agit encore que de spéculations relevant de ce que l'on peut appeler la biologie théorique. Les trois chercheurs essaient en effet d'imaginer, simulations de dynamique moléculaire à l'appui, comment une forme de vie pourrait émerger dans les lacs d'hydrocarbures de Titan. Nous savons que ces lacs existent depuis le succès de la mission Cassini-Huygens et cela fait bien longtemps que les cosmochimistes et les exobiologistes s'interrogent sur la chimie de Titan qui pourrait refléter celle de la Terre primitive au moment où la vie y est née.

    Toutefois, en raison de très basses températures régnant sur Titan, il est difficile d'imaginer que des formes de vie semblables à la nôtre puissent y exister. La température moyenne de cette lune de Saturne est en effet estimée à - 179 °C, de sorte que l'eau n'y existe pas à l'état liquideétat liquide ce qui est, en revanche, le cas du méthane. Cela n'a pas empêché des biochimistesbiochimistes comme Isaac AsimovIsaac Asimov, qui n'était pas qu'un des plus célèbres auteurs de science-fiction, de spéculer sur des formes de vie qui ne seraient pas basées sur l'eau liquide. Remarquablement d'ailleurs, l'essai qu'il a écrit en 1962, Not as We Know It, a servi d'inspiration à l'équipe états-unienne.

    Une vésicule formée par un azotosome de 90 Å de diamètre, soit la taille d’un petit virus. © James Stevenson
    Une vésicule formée par un azotosome de 90 Å de diamètre, soit la taille d’un petit virus. © James Stevenson

    Des cellules formées d’azotosomes dans les lacs de Titan ?

    L'ADN et l'ARN sont bien sûr des éléments essentiels des formes de vie sur Terre, mais il en existe un autre : la membrane plasmique. Elle est constituée d'une double couche de lipideslipides qui séparent le cytoplasmecytoplasme du milieu extérieur. Jonathan Lunine, un astronome et exobiologiste bien connu membre de la mission Cassini, s'est donc demandé avec le doctorant James Stevenson et Paulette Clancy, une chimiste, si un analogue de la membrane plasmique pourrait se former dans du méthane liquide et avoir des propriétés similaires. Ils en sont arrivés à modéliser sur ordinateur, à l'aide notamment des lois de la mécanique quantique, le comportement de telles membranes qui seraient constituées de molécules organiques azotées. Rappelons que l'atmosphère de Titan est composée à plus de 95 % d'azote avec quelques pour cent de méthane et des traces de gaz carbonique et autres hydrocarbures.

    Ces membranes cellulaires extraterrestres, les trois chercheurs les ont baptisées des azotosomes par analogieanalogie avec les liposomes que l'on sait fabriquer dans les laboratoires terrestres et qui ressemblent aux membranes plasmiques des cellules. De façon surprenante, les simulations de dynamique moléculaire ont révélé que les azotosomes dans le méthane liquide à très basse température devaient avoir la même stabilité et la même flexibilité que des liposomes sur Terre. Mieux, un composé présent dans l'atmosphère de Titan, l'acrylonitrile, semble permettre l'existence d'azotozomes possédant des propriétés similaires aux membranes plasmiques constituées de phospholipidesphospholipides.

    Bien évidemment, on est encore loin d'avoir modélisé de cette façon de véritables organismes vivants d'un nouveau genre. L'idée est toutefois intéressante car elle élargit notre vision de ce que pourrait être la vie et nous indique de nouvelles directions de recherches pour la trouver. Des sondes robotisées naviguant sur les lacs de Titan pourraient ainsi être programmées pour rechercher d'éventuels azotozomes flottant dans le méthane liquide. On pourrait alors ne pas passer à côté d'une découverte révolutionnaire : une forme de vie encore plus étonnante que les extrêmophiles connus sur Terre.