Champs de dunes, canyons, montagnes... : sur Titan, Cassini et Huygens ont découvert de nombreuses analogies terrestres. Cette lune est avec la Terre le seul corps du Système solaire abritant des rivières, des nuages, de la pluie et des lacs. Ce n'est pas de l'eau qui coule, mais du méthane. Pour François Raulin, exobiologiste et spécialiste de Titan, d'étranges formes de vie pourraient exister.

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    Sans surprise, la sonde Cassini et l'atterrisseur Huygens ont « largement augmenté l'intérêt pour TitanTitan » nous explique Francois Raulin, chercheur au CNRS et spécialiste d'exobiologie et de Titan. Seule lune du Système solaire à posséder une atmosphèreatmosphère dense, « Titan est un monde étonnamment semblable à la Terre par beaucoup d'aspects, avec de nombreuses analogiesanalogies, y compris dans les processus chimiques, malgré des températures très différentes ».

    Son atmosphère, qui ne contient pas d'oxygène, est surtout composée d'azote (de 95 à 98,4 %) et de méthane (de 1,6 à 5 %). « Elle possède un cycle météorologique de méthane », lequel joue un peu le rôle de l'eau sur Terre. « Il se condense, forme des nuagesnuages, des pluies et même de la grêle. » Les précipitationsprécipitations créent des fleuves et des lacs de toutes tailles. Ces écoulements liquides, un mélange de méthane et d'éthane, érodent également les roches de surface qui ne sont pas faites de silicesilice mais de glace d'eau, laquelle, de ce fait, semble jouer le rôle de la silice sur Terre. Des ventsvents soufflent également à la surface de Titan et « érodent sa surface ».

    Cassini a détecté un « très grand nombre de lacs, de tailles très diverses et localisés de façon surprenante quasiment exclusivement dans l'hémisphère nordhémisphère nord ». Un seul a été repéré dans l'hémisphère sudhémisphère sud. Ces lacs sont composés « d'un mélange d'hydrocarbureshydrocarbures liquides, essentiellement du méthane et de l'éthane ».

    Des champs de dunes ont également été observés dans les régions équatoriales et sont « formés par des processus analogues à ceux rencontrés sur Terre ». On suppose que ces dunes sont composées « d'un mélange de glace d'eau et de matièrematière organique ». Leurs caractéristiques structurelles et de mobilité « ressemblent beaucoup à ce que l'on peut voir sur Terre ». Cassini a aussi révélé l'existence de montagnes, « le signe d'une activité tectonique, comme sur Terre ». Des observations confortées par « nos modèles qui montrent que l'intérieur de Titan n'est pas statique ». Il bouge et forme des montagnes hautes d'un millier de mètres, « ce qui, rapporté à la taille de Titan, est très grand ».

    Différents champs de dunes découverts sur Titan. © Nasa, JPL-Caltech, ASI, ESA, USGS

    Différents champs de dunes découverts sur Titan. © Nasa, JPL-Caltech, ASI, ESA, USGS

    Si elle existe, à quoi ressemblerait une forme de vie sur Titan ?

    On suppose aussi que « le noyau de Titan est probablement chaud avec une structure interne très particulière ». On a aussi peut-être observé des volcansvolcans en activité, « mais c'est un sujet de débat ». En raison des températures très basses, « de l'ordre de -180 °C », ces volcans n'émettent évidemment pas de roche en fusionfusion lors de leurs éruptions, « mais de l'eau liquide ».

    D'ailleurs, il y a bien un océan liquide « à 50 ou 60 km sous la surface de glace de Titan et il est probablement global ». Il serait profond de plusieurs dizaines de kilomètres, voire quelques centaines de kilomètres, mais cela reste à vérifier. D'après les mesures de Cassini, « il serait composé d'un mélange d'eau, d'ammoniaqueammoniaque et d'autres constituants ». Les scientifiques supposent que des éléments radioactifs ou les effets de maréesmarées avec SaturneSaturne, distante en moyenne de 1.221.865 km, maintiendraient cet océan dans son état liquideétat liquide. Mais, à la différence de l'océan d’Encelade, celui de Titan « n'est pas en contact avec la roche, il repose sur de la glace ». Cette absence d'interface le rend moins intéressant aux yeuxyeux d'un exobiologiste. La possibilité qu'il existe des sources hydrothermalessources hydrothermales, propices à la vie comme sur Terre, est « assez limitée, voire nulle ». « Il n'y a probablement pas de possibilité qu'une vie puisse émerger dans cet océan interne. »

    Mais cela n'a peut-être pas toujours été le cas... Au début de son histoire, en effet, il y a quelque 4,5 milliards d'années, « cet océan reposait sur de la roche et était même à l'airair libre. Il y est resté suffisamment longtemps (environ 10 millions d'années) pour que l'on puisse envisager qu'une vie y soit apparue. Il est même possible que cette vie ait perduré et s'y trouve toujours. » Cependant, si c'est le cas, « il s'agit au mieux de micro-organismes ».

    À la surface, les chances qu'une vie puisse exister, « sous une forme jamais vue sur Terre, avec le méthane comme solvantsolvant », sont également très faibles, « voire nulles ». Ce n'est pas tant ce méthane qui pose problème mais plutôt les températures très basses. « Elles imposent des réactions biochimiques très lentes. » On ne voit pas comment une forme de vie, même exotiqueexotique, « pourrait émerger de processus aussi lents ».

    Ces deux vues de Titan illustrent comment la mission Cassini a révélé la surface de ce monde fascinant. Avec son radar et son spectromètre infrarouge, la sonde a été capable de voir à travers l'atmosphère dense de Titan, ce dont n'avaient pas été capables les sondes Voyager. © Nasa, JPL, Caltech, <em>Space Science Institute</em>

    Ces deux vues de Titan illustrent comment la mission Cassini a révélé la surface de ce monde fascinant. Avec son radar et son spectromètre infrarouge, la sonde a été capable de voir à travers l'atmosphère dense de Titan, ce dont n'avaient pas été capables les sondes Voyager. © Nasa, JPL, Caltech, Space Science Institute

    Une chimie organique complexe de la haute atmosphère jusqu’à la surface

    Dans l'atmosphère de Titan, « la chimiechimie est extrêmement riche ». Bien plus qu'on ne le pensait avant Cassini. Dans la haute atmosphère, « une chimie organique très complexe se déroule, avec des moléculesmolécules très grosses qui, en tombant au sol, sont susceptibles de sédimenter et donner naissance à d'autres molécules complexes ». Au contact d'eau à l'état liquide, « apportée par des météoritesmétéorites ou de la fontefonte de glace et qui peut rester à l'état liquide des centaines d'années », d'autres molécules plus complexes peuvent émerger mais sans donner naissance à une forme de vie.

    Si de nombreuses informations sont encore à extraire des données de la mission Cassini, « nous savons déjà qu'il sera très difficile de répondre à un certain nombre de questions posées par les observations de la sonde et de Huygens ». Parmi les points en suspens, on citera en exemple :

    • Composition moléculaire des particules dans l'atmosphère. Avec Huygens, des aérosolsaérosols ont été analysés, et les instruments à bord de cet atterrisseur de l'ESAESA ont pu déterminer leur composition élémentaire mais n'ont pu caractériser les molécules qui les composent ;
    • Une partie de l'atmosphère de Titan, vers 750 kilomètres d'altitude, est très mal connue. Cette région est intéressante car c'est là que les ionsions lourds peuvent se former et donner naissance à des molécules plus complexes ;
    • La composition de la surface de Titan et de ses dunes est très mal connue. Pour l'instant, nous n'avons aucune donnée claire sur leur nature ;
    • Enfin, le cryovolcanismecryovolcanisme. On aimerait savoir s'il est actif avec à la clé des possibilités très intéressantes sur l'évolution de la surface de titan.

    La vie a pu émerger sur Titan !

    Article de Rémy DecourtRémy Decourt publié le 05/05/2010

    L'astrobiologiste William Bains s'est penché sur l'apparition d'une éventuelle vie pluricellulaire qui aurait pu se développer dans l'environnement de Titan. Il conclut qu'une vie complètement différente de celle de la Terre aurait pu émerger. Un éclairage original sur l'apparition de la vie...

    À cause du trop grand éloignement de Titan par rapport au SoleilSoleil, des organismes ne posséderaient pas de ressources suffisantes pour se mouvoir, explique William Bains. La vie se limiterait à des formes de vie à croissance lente analogues, ou similaires, aux lichens terrestres. Comme l'explique à Futura-Science, Roger Raynal, professeur de biologie, de géologiegéologie et de physiquephysique et spécialiste de Titan, « il est tout à fait possible qu'il existe des formes de vies sur Titan peu nombreuses, mais bien plus différentes entre elles que ne le sont les formes de vies terrestres qui, partageant une origine commune, portent toutes en leur sein biochimique la marque de leur indéniable parenté ».

    Bien plus que des autotrophesautotrophes analogues à nos végétaux, il faudrait plutôt rechercher des êtres vivants hétérotropheshétérotrophes se nourrissant des molécules organiques se formant dans l'atmosphère du satellite (quitte à entrer périodiquement en vie ralentie ou à développer des formes de transport analogues à des graines pour suivre les changements saisonniers...) ». En effet, il y a bien plus d'énergieénergie disponible par le craquage des hydrocarbures formés dans la haute atmosphère et sédimentant à la surface que dans une « éventuelle photosynthèsephotosynthèse utilisant un soleil pâlot dont la lueur, les jours de grand beau temps, égale à peine la pleine Lunepleine Lune terrestre ».

    Méthane versus eau

    Pour comprendre cette différence il faut savoir que la vie à besoin d'un solvant. Sur Terre ce rôle est tenu par l'eau mais sur Titan, elle est gelée... L'eau pourrait être remplacée par le méthane, présent à l'état liquide et en très grande quantité. C'est d'ailleurs le seul liquide disponible en abondance à sa surface. Reste que son utilisation implique des divergences profondes entre la biochimiebiochimie terrestre et celle de Titan. Pour Roger Raynal, « la variété des atomesatomes composant les molécules organiques doit être beaucoup plus grande que celle observée sur Terre » où, pour l'essentiel, toutes les molécules de la vie sont composées de quatre éléments, CHON (carbonecarbone, hydrogènehydrogène, oxygène et azote). Et de préciser que la réactivité chimique doit « être nettement supérieure sinon, à -180 °C, toute vie serait figée dans le froid. Bien des molécules jugées instables sur Terre seraient, à cette température, d'une stabilité parfaite pour un être vivant ».

    Image du site Futura Sciences
    Vue d'artiste de lacs de méthane et d'éthane sur la surface de Titan. © Karl Kofoed

    Le méthane étant un solvant bien moins efficace que l'eau, les molécules de la biochimie titanienne devront être bien plus petites que celles observées sur Terre. « Ainsi, les molécules contenant plus de 6 atomes lourds (autre que de l'hydrogène) ne sont pas solubles dans le méthane, alors que la plupart des molécules intermédiaires du métabolismemétabolisme terrestre comptent 10 atomes lourds ». De fait, la diversité du paysage évolutif chimique et biochimique est bien moindre sur Titan. Alors que la vie terrestre a procédé par sélection dans une banque de plus de dix millions de molécules, seuls quelques milliers de composés sont envisageables sur Titan.

    Des travaux qui ne font pas l’unanimité

    Certains aspects du raisonnement de William Bains (astrobiologiste à l'université Cambridge) sont contestables. Au niveau évolutif, l'astrobiologiste fait l'hypothèse que la vie sur Titan serait apparue dans l'environnement énergétique et chimique actuel. Or, explique Roger Raynal, « le peu que nous savons de l'histoire de Titan nous indique qu'elle a été mouvementée, par exemple avec la perte éventuelle de son l'atmosphère, voire des modifications de l'orbiteorbite ». Il suppose également que ce développement s'est réalisé en surface mais « rien n'est moins sûr ». Ce que nous savons de Titan permet de dire qu'il paraît bien plus probable que les conditions favorables au développement d'une vie éventuelle « ne se sont pas trouvées réunies (si tant est qu'elles le furent jamais) à la surface glacée du satellite mais dans ses profondeurs », à des températures et pressionpression permettant l'existence d'une variété plus importante de composés chimiques, d'eau liquide (éventuellement) et de sources d'énergie (chaleurchaleur interne causée par les effets de marée de Saturne) permettant d'alimenter des synthèses prébiotiquesprébiotiques à grande échelle.

    Pour Roger Raynal, « des adaptations ont peut-être permis à ces formes de vies de se développer vers (ou à) la surface, mais il est plus probable que ces éventuels habitants seraient restés confinés dans leur biotopebiotope originel, se répandant sous la surface au gré des vicissitudes de l'histoire géologique du satellite ».

    Au niveau biochimique, le chercheur oublie que le métabolisme seul ne fait pas la vie. Sur Terre, « elle se caractérise par l'édification de polymèrespolymères, de molécules géantes qui composent la structure même de la cellule et des êtres vivants : les protéinesprotéines, les glucidesglucides, les acides grasacides gras sont ainsi des marqueurs du vivant et leur assemblage serait problématique à - 180°C ». Les molécules pourtant insolubles dans le sang (protéines, lipideslipides) s'y trouvent tout de même transportées grâce un ensemble de molécules permettant, sinon de les solubiliser, du moins de les distribuer sans encombre.