Une étude vient de montrer comment des acides aminés, molécules essentielles pour le vivant, ont pu être créés sur des météorites carbonées. Ces acides auraient ensuite été amenés sur Terre, alors que les météorites s'y seraient écrasées.


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    D'où vient la vie sur Terre ? Si l'on n'a pas la véritable solution à cette question, des réponses partielles viennent petit à petit. Notamment, l'apport de certaines météorites riches en carbone et en eau, appelées chondrites carbonées. Une partie d'entre elles contient des acides aminésacides aminés, les éléments constitutifs des protéinesprotéines, donc des molécules primordiales pour la naissance du vivant.

    On peut noter la météorite de Murchison, tombée puis retrouvée en 1969 près du village de Murchison, en Australie. Elle abrite à elle seule, plus de 70 acides aminés ! Mais comment ceux-ci apparaissent-ils sur les météorites ? C'est ce qu'ont étudié des chercheurs dans une publication de la revue ACS Central ScienceSelon eux, « leur apport [celui des météorites] en composés organiques aurait joué un rôle clé dans l'émergenceémergence de la vie sur Terre ».

    Ils y expliquent qu'à partir de certaines molécules simples, il est possible de synthétiser des acides aminés, entre autres macromolécules, par un apport en eau liquideliquide et en chaleurchaleur. Ce processus, qui consiste en une altération aqueuse, reste à ce jour difficile à expliquer au niveau de l'apport de chaleur ! En effet, dans le vide, pas de chaleur. Mais, selon les chercheurs, tout pourrait être une question de rayonnement.

    À ses débuts, la Terre a été bombardée de météorites. © IgorZh, Adobe Stock
    À ses débuts, la Terre a été bombardée de météorites. © IgorZh, Adobe Stock

    Les rayonnements gamma induisent bien une création d'acides aminés…

    Leur hypothèse se base sur la composition des premières chondrites carbonées qui erraient dans le Système solaire à ses débuts. Celles-ci contenaient de l'aluminiumaluminium 26 (ou 26Al), radioactif avec une duréedurée de demi-viedemi-vie d'environ 717 000 ans. Son schéma de décroissance consiste à émettre un positronpositron+), pour se changer en magnésiummagnésium, puis parfois à émettre un photonphoton gamma pour arriver au niveau d'énergieénergie le plus stable. De quoi fournir la chaleur nécessaire pour la synthétisation d'acides aminés !

    Pour confirmer leur idée, l'équipe a préparé des solutions aqueusessolutions aqueuses de molécules simples couramment retrouvées sur des météorites : ammoniacammoniac (NH3), formaldéhydeformaldéhyde (CH2O) et méthanol (CH3OH). Puis ils ont irradié chaque solution avec des rayons gammarayons gamma, à l'exception d'une partie de solutions cas-témoins.

    Pour cela, ils ont utilisé du cobaltcobalt 60 (60Co), avec une demi-vie de 5,27 ans. En effet, un élément avec une demi-vie plus courte permettra de visualiser les effets en laboratoire, qui ne seraient pas visibles avec l'aluminium. Les chercheurs ajoutent que « les énergies de désintégration du 60Co (1,173 MeV et 1,332 MeV) sont différentes de celles de l'26Al, mais la différence des énergies de désintégration ne devrait pas affecter de manière significative le nombre de molécules formées par dépôt d'énergie ».

    Schéma de décroissance de l'aluminium 26. © Pulu, <em>Wikimedia Commons</em>
    Schéma de décroissance de l'aluminium 26. © Pulu, Wikimedia Commons

    …mais ils n'expliquent pas tout !

    Et les résultats sont là ! L'étude décrit que « l'irradiationirradiation aux rayons gamma de solutions aqueuses de formaldéhyde et d'ammoniac donnait une variété d'acides aminés », en quantité bien supérieure par rapport aux échantillons témoins ! De quoi confirmer que « l'altération aqueuse des chondrites carbonées est un processus répandu induit par la chaleur produite par la désintégration radioactive de nucléides comme l'26Al », explique la publication.

    L'expérience a notamment montré une corrélation entre le rendement en acides aminés et le débitdébit de dose, dans le cas de l'alaninealanine et de la β-alanine. Pour d'autres acides aminés, comme la glycineglycine, pas de corrélation. Cependant, l'étude conclut sur l'impossibilité d'attribuer tous les acides aminés trouvés dans des météorites à des irradiations gamma. Surtout, il manque l'explication de l'excès en acides aminés de la forme gauche !

    Les molécules chirales peuvent exister sous une forme droite ou gauche, car elles sont asymétriques. C'est la forme gauche qui prime sur Terre, sans que l'on sache pourquoi ! © LouveNoir24, <em>Wikimedia Commons</em>
    Les molécules chirales peuvent exister sous une forme droite ou gauche, car elles sont asymétriques. C'est la forme gauche qui prime sur Terre, sans que l'on sache pourquoi ! © LouveNoir24, Wikimedia Commons
     

    Les premiers acides aminés de la vie apportés par les météorites ?

    Article de Jean-Luc GoudetJean-Luc Goudet le 18/03/2009

    Dans deux météorites célèbres, celle d'Orgueil et celle de Murchison, une équipe de la NasaNasa a découvert parmi les acides aminés présents un excès de la forme dite gauche. Ce déséquilibre rappelle puissamment une caractéristique énigmatique de ces molécules qui forment les protéines de la vie terrestre, uniquement composées de formes gauches.

    Les biochimistesbiochimistes ont une lancinante énigme à résoudre : l'asymétrie des acides aminés composant les protéines des êtres vivants. Lorsqu'un chimiste synthétise ce genre de molécules, il obtient en même quantité deux formes, qui sont l'image l'une de l'autre dans un miroirmiroir, comme une main droite et une main gauche. Cette propriété, qui découle simplement de la forme de la molécule, s'appelle la chiralitéchiralité. On dit qu'un acide aminé est une molécule chirale et les formes gauche et droite sont des énantiomèresénantiomères. Chimiquement, il n'existe pas de différence de propriétés entre les deux. Il faut en appeler à la physiquephysique pour constater que l'une dévie une lumièrelumière polarisée vers la gauche et l'autre vers la droite. Les énantiomères sont ainsi soit lévogyreslévogyres, soit dextrogyresdextrogyres. Le chimiste obtient en général un mélange des deux en quantités égales et qui est dit racémique.

    La vie terrestre, contrairement au chimiste, a fait un choix et son mélange n'est pas du tout racémique. Tous les acides aminés sont lévogyres. La bactériebactérie ou le séquoia, l'amibeamibe ou le chimpanzéchimpanzé, le champignonchampignon ou la méduseméduse, la mouche ou l'être humain, la limace ou l'algue bleuealgue bleue, ne connaissent que les acides aminés lévogyres. Et aucun chimiste ne peut donner d'explication...

    L'hypothèse consensuelle est le fait historique. La vie terrestre est née comme ça. Elle est apparue en une seule fois ou du moins dans un milieu prébiotiqueprébiotique homogène, et là ne se trouvaient que des acides aminés lévogyres. Mais pourquoi ? Par hasard peut-être ou pour une raison inconnue.

    Un fragment de la météorite de Murchison et, dans le tube, un peu de matériel qui en a été extrait. © <em>Argonne National Laboratory/Licence Commons</em>
    Un fragment de la météorite de Murchison et, dans le tube, un peu de matériel qui en a été extrait. © Argonne National Laboratory/Licence Commons

    La clé de l'énigme est-elle astronomique ?

    Depuis longtemps l'idée a été émise que l'explication pourrait se trouver dans l'espace. Un précurseur d'un acide aminé présent dans les protéines, la glycine, a été découvert par spectroscopie dans un nuage interstellaire. En 1969, une météorite est tombée sur le village américain de Murchison. Il s'agissait d'une chondrite carbonée (de type CM) et son analyse a révélé qu'elle contenait quelque 70 acides aminés dont 8 font partie des 20 qui composent les protéines de tous les êtres vivants terrestres. L'analyse a aussi décelé des purinespurines et des pyrimidines, c'est-à-dire des molécules semblables à celles présentes dans l'ARNARN et l'ADNADN. Ces briques auraient donc pu servir à une chimiechimie prébiotique.

    Ces composants initiaux étaient-ils lévogyres ? Récemment, une équipe de chimistes de l'Argonne National Laboratory menée par Richard Rosenberg a découvert un mécanisme physique capable de produire dans le milieu interstellaire un mélange non racémique, sous l'action de rayons Xrayons X et d'un champ magnétiquechamp magnétique.

    Daniel Glavin et JasonJason Dworkin, du Goddard Space Flight CenterGoddard Space Flight Center (Nasa) ont abordé le problème sous un autre angle et réexaminé plusieurs météorites, dont celle de Murchison et celle d'Orgueil, tombée en 1864 dans ce village français du Tarn-et-Garonne. Cette dernière est également une chondrite carbonée mais de type CI, considéré comme plus primitif (par rapport à la formation des corps du système solairesystème solaire).

    L'analyse (par chromatographiechromatographie) a révélé ce que l'on n'avait pas encore remarqué. L'un des acides aminés, l'isovaline, présente un excès important des formes lévogyres dans deux des météorites, précisément celles de Murchison et d'Orgueil. Ces excès sont respectivement de 18,5% (+/- 2,6) et de 15,2% (+/- 4,0). En revanche, dans deux chondrites de type CR, les plus primitives des météorites étudiées, aucune différence entre les deux énantiomères n'a été observée.

    Pour les auteurs, ces résultats ne peuvent s'expliquer que par une longue exposition à des ultravioletsultraviolets polarisés qui auraient forgé davantage une forme que l'autre. Daniel Glavin et Jason Dworkin estiment que ce déséquilibre a dû se produire durant une longue phase d'altération dans le corps massif dont la destruction a produit ces petits astéroïdesastéroïdes qui ont un jour rencontré la Terre. Selon eux, il est tout à fait possible que notre planète, au début de sa formation et de celle du système solaire, ait reçu de tels acides aminés majoritairement lévogyres. Les mécanismes chimiques à l'origine de la vie (comme la catalysecatalyse) auraient alors pu conduire à ne conserver que cette forme. Nous conserverions ainsi en nous, comme tous les êtres vivants de la Terre, la trace d'un phénomène physique qui a eu lieu quelque part autour du SoleilSoleil il y a plusieurs milliards d'années.