Aux abords de la barrière de corail ceinturant l’île de Mayotte, sur le plancher du lagon, un sombre et large trou béant a été découvert par hasard en juin 2016, par le plongeur Tom Marneffe, à presque -50 m de profondeur. Cette mystérieuse ouverture n’est autre que l’entrée d’une grotte jusque-là inconnue. Remontons dans le passé !


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    Un an plus tard en juin 2017 G. Barathieu  et O. Konieczny sont les premiers hommes à explorer la grotte dans sa totalité (jusqu'à 80 m de profondeur) et à découvrir la « salle des stalagmites ». « Nous avons décidé de ne pas en parler jusqu'à aujourd'hui pour la préserver. Au total, seulement six personnes ont vu le fond de leurs propres yeuxyeux. Il s'agit d'une découverte géologique majeure pour Mayotte et même pour le sud-ouest de l'océan Indien. » D'après le professeur Bernard Armand Thomassin, directeur de recherche honoraire CNRS du Centre d'Océanologie de Marseille et le professeur Michel Pichon, océanographe et biologiste, cette grotte, par ses caractéristiques, est unique au monde.

    Entrée de la grotte. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés 
    Entrée de la grotte. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés 

    Il y a un peu plus de 20.000 ans

    À cette période du maximum de la dernière grande glaciation ayant affecté la Planète, le niveau des océans était de 120 mètres plus bas que le niveau actuel. Le récif corallien préexistant, plus ancien, s'est donc trouvé totalement émergé pendant plusieurs millénaires. Comme toute roche de nature calcaire, ce récif émergé a été livré à l'action combinée des éléments atmosphériques, essentiellement vents et pluies, ayant donné naissance à des formes d'érosions typiques, telles que formations de fissures, gouffres, cavités, galeries, grottes, dont certaines ornées de stalagmites et stalactitesstalactites. À la suite de la fontefonte des glaces qui débuta il y a environ 20.000 ans (début de la dernière déglaciation), le niveau de la mer commença à remonter et, à une période située entre 14.000 et 15.000 ans environ, la grotte se trouva ennoyée. Et ainsi, une fois submergée par la remontée du niveau des océans, celle-ci s'est figée au travers du temps pendant des millénaires.

    Cette grotte est un abri pour de nombreux poissons. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés 
    Cette grotte est un abri pour de nombreux poissons. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés 

    Plus qu'un voyage au cœur des profondeurs inconnues du récif, pénétrer au fond de cette grotte du lagon de Mayotte revient à remonter dans le passé de plusieurs milliers d'années ! En effet, cette nouvelle grotte de Mayotte, qui descend en pente douce depuis -50 m à son entrée jusqu'à -75 m au fond, exploré jusqu'alors, recèle un trésor dans sa partie médiane, des « spéléothèmes » : avec un plafond orné de milliers de petites stalactites sous forme de « nouilles » et un sol sur lequel se dressent de grosses stalagmites à l'architecture en « piles d'assiettes », plus ou moins encore dressées, dont certaines atteignent près de 2 m de haut. 

    On peut voir sur cette photo le nombre impressionnant de bouteilles et de mélange de gaz nécessaire pour cette plongée profonde exceptionnelle. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés.
    On peut voir sur cette photo le nombre impressionnant de bouteilles et de mélange de gaz nécessaire pour cette plongée profonde exceptionnelle. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés.

    Ces calcificationscalcifications n'ont pu se former que lorsque cette cavité était émergée et remplie d'airair et par la précipitation lente des carbonates contenus dans les eaux d'infiltration percolant les fonds du lagon, lequel devait être alors complètement à sec. Ce paysage karstique s'est formé principalement par la dissolution du substratsubstrat rocheux au niveau des fissures d'un interfluve dans les dépôts sédimentaires carbonatés, accumulés par les vents sous forme de grandes dunes éolienneséoliennes solidifiées, à l'arrière d'une barrière récifale ou d'une ancienne passe, d'où le fait que cette grotte à multiples galeries soit en pente.

    L'eau de pluie, qui est légèrement acideacide, capte alors le dioxyde de carbonedioxyde de carbone (CO2) lorsqu'elle traverse les sols, devenant plus acide. Elle ruisselle ensuite, se précipite et coule à travers les fissures du substrat lagonaire, les élargissant lentement en tunnels et en vides. Au fil du temps, si une chambre troglodytique devient assez grande, le plafond peut s'effondrer progressivement, ouvrant d'énormes gouffres ou avensavens.

    Vue rapprochée d'une stalagmite datant d'au moins 17.000 ans. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés
    Vue rapprochée d'une stalagmite datant d'au moins 17.000 ans. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés

    Or, ces stalactites et stalagmites montrent des stries d'accroissement et grâce à des analyses fines des constituants des calcaires qui les forment (différents isotopesisotopes stables et inclusions métalliques), elles peuvent ainsi indirectement renseigner sur le climatclimat qui pouvait régner à l'époque de ces calcifications. Ce sont des enregistreurs de paléoclimat.

    Toutefois, la vitessevitesse de croissance d'une stalagmite varie entre 0,01 et 1,0 mm/an en fonction de la température et de la concentration des ionsions calciumcalcium dans les eaux interstitielles. La toute première datation, réalisée en 2019 sur une « nouille » tombée du plafond, par l'équipe allemande du professeur Hubert Vonhof, Climate Geochemistry Department, Max PlanckMax Planck Institute for Chemistry, grâce à la collaboration avec le professeur Jens Zinke, Univ. Leicester, a permis de la dater de -17.000 ans B.P (Before Présent ou en français AP : avant le présent).

    Au cours de l’histoire récente du Quaternaire

    En fonction des variations du niveau marin du nord de l'océan Indien, lors des grandes périodes glaciairespériodes glaciaires, ces fonds lagonaires ont été asséchés à plusieurs reprises. Ceci s'est produit à partir de 26.000 ans BP, avec la chute rapide, par saccades, du niveau marin et notamment, il y a 18.400 ans BP, alors que ce niveau marin était descendu jusqu'à -145 -150/-155 m pendant une courte période (stade isotopique 2) lors du dernier maximum glaciaire (autour de 20.000 ans BP), ainsi qu'en témoignent les grottes creusées vers -155 m/-150 m dans les falaises verticales des pentes externes des récifs barrières (observées avec le submersible de recherches « Jago », en déc. 1991).

    La température de l'eau de mer qui s'est rafraîchie de nouveau permet toujours l'installation d'une flore et faunefaune marines tropicales sur le talus et le bas de cette falaise. Mais cette dernière est battue par les vaguesvagues de l'océan et seules les espècesespèces adaptées à cet hydrodynamisme fort y prolifèrent. Ce sont surtout des formes encroûtantes et les coraux y sont peu abondants. Un faible recouvrement corallien commence seulement à se développer peu avant la fin de ce bas niveau marin.

    Salle des stalagmites, avec le fil d'Ariane. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés 
    Salle des stalagmites, avec le fil d'Ariane. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés 

    Pendant ce temps, l'érosion aérienne et marine sculpte toutes les falaises externes. Un second niveau karstique (avec des grottes de plus de 3 m de profondeur) se creuse entre -125 et -120 m. De très gros blocs (3 à 5 m de diamètre) s'en détachent et roulent sur le talus détritique, au pied de celle-ci. Au PléistocènePléistocène (il y a 120.000 et 80.000 ans BP), en cours de façonnement par l'érosion, apparaissaient à l'horizon comme des mursmurs, formant une sorte de « muraille de Chine » surplombant l'océan qui battait à leurs pieds. Ces récifs fossiles étaient séparés par les canyons des anciennes passes, à sec, et où les eaux pluviales tombant sur les terresterres émergées (le climat étant alors frais et plus humide, à dominante d'une végétation de fougèresfougères, comme au sommet du mont Choungui aujourd'hui), s'écoulaient en cascade sur les falaises abruptes.

    Au début de la déglaciation des pôles

    Elle fut d'abord modérée, puis très rapide, le niveau marin remonte brusquement de près de 50 m (à une vitesse max. >2 cm/ an), pour submerger entièrement le sommet de la falaise externe, il y a 14.000 ans environ (pulsation A, ou Rolling pulse). Pendant ce temps, la mer a commencé à envahir la cuvette émergée de l'ancien lagon en rentrant par les dépressions des passes ou en percolant à travers la trame récifale ancienne formant le fond de cette cuvette. Les dépressions du lagon se remplissent d'eau, formant des riasrias et/ou des lacs épars. En bordure de chenaux de fonds de baies, des lambeaux de mangrovemangrove s'installent (ainsi que des tourbes fossilisées l'ont montré, à l'ouverture de la baie de Boueni - El Moutaki et al., 1991). La grotte est ainsi ennoyée et elle garde ainsi ses secrets !

    Par ailleurs, il y a 11.000 ans environ, le climat de Mayotte change brusquement. Alors qu'il était frais et sec précédemment, il devient plus chaud et plus humide, pour ressembler à celui d'aujourd'hui, avec une alternance des saisonssaisons (moussonmousson et alizésalizés), ce qui entraîne une modification de la végétation terrestre (fait attesté par les changements des associations polliniques trouvées dans les vases du lagon datées de cette époque).

    Crabe <em>Atoportunus dolichopus</em>. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés 
    Crabe Atoportunus dolichopus. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés 

    Cette découverte remarquable, qui fait de Mayotte un endroit unique et un haut lieu du monde récifal, doit faire l'objet d'études géochimiques et biologiques, et de recherches plus détaillées relevant de plusieurs disciplines. Outre son aspect géologique exceptionnel, cette grotte renferme une diversité biologique pour le moins inattendue. C'est bien à l'abri des regards indiscrets, dans une noirceur presque totale que deux espèces d'invertébrésinvertébrés furent tout récemment identifiées comme étant nouvelles pour l’océan Indien. Il s'agit du corailcorail scléractiniairescléractiniaire Leptoseris troglodyta et du crabe Atoportunus dolichopus, tous les deux précédemment connus seulement du Pacifique occidental.

    Crevette Parhippolyte cf. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés 
    Crevette Parhippolyte cf. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés 

    Deep Blue Exploration envisage une première mission en 2023

    Sur le chemin du retour. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés
    Sur le chemin du retour. © Gabriel Barathieu, tous droits réservés

    Cette prochaine mission scientifique servira à réaliser une modélisationmodélisation en 3 dimensions de la galerie dans son intégralité avec deux objectifs principaux :
    • un but scientifique. Comprendre la formation de cette grotte, étape nécessaire avant les études plus approfondies ;
    • un but éducatif. L'accès à cette grotte étant réservée à une poignée de plongeurs aguerris, l'idée est de pouvoir visiter ce trésor géologique avec un maximum de personnes par la technologie de la réalité virtuelle.

    Plongée extrême : entre les îles de Mayotte et de la Réunion

    Un si gracieux poulpeL’incessant ballet de la raie mantaEn tête à tête avec un calmarLa très élégante crevette arlequinLa minuscule crevette de ZanzibarLe crabe porcelaine, merveille de la natureLa crevette impériale sur son concombre de merLa pieuvre, grande virtuose de la transformationUn crabe au large de l'île de MayotteUn calamar ondulant
    Un si gracieux poulpe

    « Un poulpe photographié dans le lagon de Mayotte lors d'une grande marrée basse. Cette photo a été prise dans seulement 30 cm d'eau. Elle fut primée en 2017 comme photo sous-marine de l'année. » © Gabriel Barathieu, tous droits réservés

    Sélectionnée parmi 4.500 photos issues de 67 pays, cette image a été prise avec un 14 mn, un très grand angle qui accentue, ici, délicatement les proportions. La prise, en lumièrelumière naturelle, à 100 iso, a permis de révéler un doux contrastecontraste et des couleurscouleurs sublimes. L'objectif a ainsi pu capter ainsi tous les détails de la texturetexture délicate, la transparencetransparence de l'eau et la fine granulosité du sable.

    Cette pieuvre commune (Octopus vulgaris), un céphalopodecéphalopode, est le plus évolué des mollusques, qui apparait à l'ère du CambrienCambrien. L'évolution a donné naissance à la seiche et le calmarcalmar, le nautile étant un lointain cousin qui a conservé sa coquille. Jusqu'à présent, la pieuvre était considérée comme solitaire mais récemment, des chercheurs ont découvert au large de l’Australie, deux « cités » de pieuvres suggérant une organisation sociale communautaire.