En 2009, des océanographes de Californie montraient la première vidéo d'un poisson abyssal des plus étranges, dont le crâne est transparent. Ses yeux peuvent regarder vers le haut, à travers le crâne, donc, mais aussi vers l'avant pour gober ses proies, ce que l'on ignorait. Ce fut la fin d'un mystère et une preuve de plus que la vie terrestre explore des solutions insoupçonnables. Alors que les exobiologistes étudient les possibilités de vie sur d'autres planètes, l'observation du monde surprenant des abysses reste instructive.

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    Article paru le 27 janvier 2009

    Décidément, la vie dans les abysses réserve régulièrement son lot de surprises. A regarder la vidéo et les images ramenées par Bruce Robison et Kim Reisenbichler, du MBari (Monterey Bay Aquarium Research Institute), on n'en croit pas ses yeuxyeux... ni ces yeux, ceux de ce poisson invraisemblable, dont le crânecrâne est transparenttransparent, et qui sont... sont à l'intérieur de la tête. Connu depuis 1939, Macropinna microstoma est un barreleye fish, de son nom anglais (il ne semble pas en avoir en français), ce que l'on pourrait traduire par poisson aux yeux en fût de canon. Il en existe une famille entière, celle des Opisthoproctidés. Ces poissons des grands fonds ont les yeux tournés vers le haut, le crâne ménageant un espace vide au-dessus d'eux.


    Jusque-là, faute d'avoir observé un animal vivant ou au moins intact, on pensait que les Opisthoproctidés ne pouvaient que regarder vers le haut à travers le crâne, qui semblait creux. Ici un dessin de 1906 représentant Opisthoproctus soleatus, récupéré par l'expédition océanographique allemande du Valdivia entre 1898 et 1899. © Licence Commons

    Le poisson qui semblait toujours regarder vers le haut

    Mais jusqu'à présent, les exemplaires récupérés étaient en très mauvais état, comme le sont souvent les animaux abyssaux remontés en surface, et personne n'en avait jamais vu dans leur milieu naturel. Les zoologisteszoologistes se perdaient en conjecturesconjectures pour comprendre la vision de ces étranges poissons, dont les yeux paraissaient immobiles, ne fournissant qu'un champ de vision très étroit. Avec ce regard éternellement dirigé vers le haut, là d'où vient le peu de lumièrelumière qui a traversé un millier de mètres de profondeur, le poisson ne voit rien devant lui.

    Mais alors pourquoi M. microstoma a-t-il, comme l'indique son nom (microstoma), une si petite bouche ? Avec elle, le poisson ne peut attraper que des proies de taille modeste et il faut bien qu'il les repère pour les gober. Il est vrai que sa face avant montre deux protubérances, qui ressemblent beaucoup à des yeux mais qui sont en fait des organes olfactifs. Cette disposition suffit-elle au poisson pour déterminer à l'odeur la position exacte de sa proie ?

    Vu de près, bien vivant, <em>Macropinna microstoma</em> exhibe son crâne transparent qui laisse voir ses deux yeux – les demi-sphères vertes. Les protubérances au-dessus de la bouche sont des organes olfactifs. Il est vu en position inclinée, exceptionnelle car ce poisson se tient en général à l'horizontale. Ses yeux ont tourné et il continue à regarder vers le haut. © MBari

    Vu de près, bien vivant, Macropinna microstoma exhibe son crâne transparent qui laisse voir ses deux yeux – les demi-sphères vertes. Les protubérances au-dessus de la bouche sont des organes olfactifs. Il est vu en position inclinée, exceptionnelle car ce poisson se tient en général à l'horizontale. Ses yeux ont tourné et il continue à regarder vers le haut. © MBari

    Des yeux internes mais mobiles

    Le mystère a perduré jusqu'à ce qu'un Rov (Remoted Operated Vehicle), un robotrobot sous-marin télécommandé, observe durant un long moment plusieurs M. microstoma au large de la Californie par près de mille mètres de fond...

    Les scientifiques ont d'abord été frappés par l'immobilité du poisson. En fait, ses grandes nageoires (qui lui valent son nom de genre Macropinna) bougent en permanence mais pour stabiliser l'animal en position horizontale « et pour manœuvrer précisément, comme le fait le Rov ». Les poissons ont pu être filmés de très près, dans la lumière des projecteursprojecteurs. Les images ont clairement montré que les yeux sont inclus dans une structure transparente, qui n'avait jamais pu être observée sur les individus ramenés en surface.


    Un Macropinna microstoma sous l'œil des caméras, en quête de nourriture. © MBari

    Ce poisson abyssal serait un voleur de nourriture

    Le Rov a permis de faire encore mieux. Un poisson a été capturé et remonté vivant à bord du navire. Installé dans un aquarium, il a vécu plusieurs heures et a pu être observé à loisir. Les scientifiques ont alors remarqué le mouvementmouvement des yeux. Loin d'être immobiles, ils peuvent se tourner vers l'avant et donc repérer ce qui se trouve devant la bouche. Le mystère est levé...

    Dans l'aquarium, ce poisson a dévoilé sa technique. Une fois la proie repérée devant lui par ses bulbes olfactifs, il tourne ses yeux vers l'avant tandis que son corps, d'horizontal se place en position verticale. Les zoologistes pensent que ce poisson se nourrit surtout en volant la nourriture des siphonophores, ces curieux organismes en forme de filament, en fait des colonies de cnidaires (des cousins des méduses, donc), et qui, bien que très fins, peuvent atteindre dix mètres de longueur.

    La question restant ouverte est celle de savoir si les autres Opisthoproctidés ont des yeux et un crâne semblables. Cette découverte démontre aussi, s'il en était besoin, combien sont partielles nos connaissances de la vie abyssale. Des pans entiers du monde vivant attendent encore la visite des scientifiques...