L'hydrogène isolant devient un solide métallique conducteur à très hautes pressions. Cette transition de phase étonnante a été observée par une équipe de chercheurs français du CEA et du Synchrotron Soleil. L'hydrogène métallique pourrait déboucher sur des matériaux supraconducteurs à températures et pressions ambiantes, ce qui serait une révolution technologique. L'un des chercheurs à l'origine de cette découverte, Florent Occelli, a donné à Futura quelques explications sur ce fascinant sujet de recherche.


au sommaire


    Né en 1902, le prix Nobel de physique d'origine hongroise Eugene Wigner était d'abord devenu un ingénieur chimiste avant de prendre part au développement de la toute jeune mécanique quantique découverte au milieu des années 1920 et à laquelle les deux plus importants noms rattachés sont ceux de Heisenberg et Schrödinger (il faudrait en citer d'autres, de Broglie, Born, Dirac, Pauli, etc.). Il fut un des premiers à la développer sous l'angle de la théorie mathématique des groupes de symétrie, une théorie importante également pour décrire les cristaux et donc une large classe de matériaux solides. On peut penser qu'il n'est guère étonnant, au moment où cette même mécanique quantique permettait de progresser dans la compréhension de la liaison chimique, qu'il ait été conduit en 1935 à sa fameuse prédiction de l'existence à hautes pressions d'une phase métallique de l'hydrogène, avec son collègue le physicienphysicien états-unien Hillard Bell Huntington.

    Par contre, il faudra attendre la fin des années 1960 pour que le célèbre physicien du solide, le britannique Neil William Ashcroft, arrive à la conclusion que non seulement l'hydrogène métallique était peut-être un supraconducteursupraconducteur mais qu'il pouvait le rester dans des conditions de températures et de pressions ambiantes car étant métastablemétastable. Rappelons que le diamantdiamant est un exemple bien connu du phénomène de métastabilité car il s'obtient à partir du graphitegraphite porté initialement à de hautes pressions et des températures élevées, telles que celles régnant à plus de 150 kilomètres à l'intérieur de la Terre. Il reste cependant à l'état de diamant à la surface de la Terre même des milliards d'années après sa formation, à moins d'être à nouveau chauffé à hautes températures.


    En 1935, le physicien Eugene Wigner prédisait qu’en portant l’hydrogène à très hautes pressions, il serait possible de le transformer en métal. Plus de 80 ans ont passé et le défi de l’hydrogène métallique a été relevé. Paul Loubeyre (CEA), Florent Occelli (CEA) et Paul Dumas (Synchrotron Soleil) espéraient y parvenir... comme plusieurs autres équipes à travers le monde. Un reportage d’Olivier Boulanger datant de 2017. © universcience.tv

    Une quête de supraconducteurs métastables à température ambiante

    De l'hydrogène métallique supraconducteur à température ambiante révolutionnerait notre technologie de bien des façons et on ne peut donc, comme Futura l'a fait dans le précédent article ci-dessous, que porter une très grande attention à l'annonce faite de la réussite de l'équipe française composée de Paul Loubeyre et Florent Occelli, deux chercheurs du CEA (Commissariat à l'ÉnergieÉnergie Atomique et aux Énergies Alternatives) et de Paul Dumas, chercheur émérite de l'Institut de ChimieChimie du CNRS, détaché au Synchrotron SoleilSoleil. Leurs résultats, publiés dans le journal scientifique Nature, concernent en effet l'obtention d'une phase métallique de l'hydrogène pour la première fois et d'une façon qui apparaît incontestable aux trois chercheurs.

    Mais quid de sa métastabilité ? De sa supraconductivitésupraconductivité et de sa possible production à l'échelle industrielle ? Futura a demandé à Florent Occelli de nous éclairer sur ces sujets et le chercheur a bien voulu répondre à certaines de nos questions.

    L'équipe de chercheurs sur la ligne de lumière SMIS, auprès du dispositif expérimental qui a permis la mise en évidence de l'état métallique de l'hydrogène. De gauche à droite : Florent Occelli, Paul Loubeyre et Paul Dumas. © Synchrotron Soleil
    L'équipe de chercheurs sur la ligne de lumière SMIS, auprès du dispositif expérimental qui a permis la mise en évidence de l'état métallique de l'hydrogène. De gauche à droite : Florent Occelli, Paul Loubeyre et Paul Dumas. © Synchrotron Soleil

    Futura-Sciences : En 2017, une vidéo dans un reportage d'OlivierOlivier Boulanger vous montrait déjà avec vos collègues au Synchrotron Soleil en quête de l'hydrogène métallique. Le résultat annoncé en 2020 a-t-il été obtenu avec le même dispositif montré dans cette vidéo ?

    Florent Occelli : Quasiment, notre travail a surtout consisté à améliorer l'enclume de diamant au cœur du dispositif que vous voyez dans cette vidéo. Nous avons toujours utilisé également le rayonnement infrarougeinfrarouge d'une des lignes de lumière du Synchrotron nommée SMIS. Notre publication était de plus en cours de vérification depuis environ une année avant d'être acceptée pour parution.

    L'hydrogène métallique obtenu était-il métastable comme le laissent espérer certains calculs théoriques ?

    Florent Occelli : Pas celui que nous avons obtenu qui est, en fait, de l'hydrogène moléculaire et pas encore vraiment l'hydrogène métallique de Wigner et Huntington. Nous avons bien obtenu un solide cristallin métallique mais les sites de ce cristal sont occupés par des moléculesmolécules H2 alors que dans le cas envisagé depuis 1935, ces molécules sont dissociées par la pression pour donner des atomesatomes d'hydrogène uniques pour ces sites. Lorsque nous avons diminué la pression dans notre presse à enclume, nous avons constaté que l'on retrouvait en sens inverse les propriétés optiques de l'échantillon considéré. L'hydrogène redevenait donc un isolant.

    La question de savoir si l'hydrogène métallique initialement prédit par Wigner et Huntington sera effectivement métastable est encore ouverte.


    Pourquoi certains solides sont-ils conducteurs alors que d'autres sont des isolants ou des semi-conducteurs ? La mécanique quantique détient la réponse avec la notion de bandes d'énergie comme l'explique cette vidéo. © Synchrotron SOLEIL

    Pourriez-vous préciser justement ce qui vous a permis de conclure que vous aviez bien produit une transition de phasetransition de phase menant de l'hydrogène moléculaire isolant solide à l'hydrogène moléculaire métallique, donc conducteur ?

    Florent Occelli : Dans un solide cristallisé, il apparaît des niveaux d'énergie comme dans un atome mais ces niveaux sont si serrés qu'ils forment en fait des bandes d'énergie pour les électronsélectrons comme l'explique la vidéo ci-dessus. Il existe ainsi une bande de conductionbande de conduction, dans laquelle les électrons peuvent circuler librement, et une bande de valencebande de valence où ils restent liés aux atomes du cristal. Lorsque ces deux bandes sont séparées par un écart d'énergie important on est en présence d'un isolant. Lorsqu'elles se recouvrent, comme le montre toujours la même vidéo, on obtient un conducteur.

    En comprimant suffisamment un échantillon d'hydrogène, on fait se rapprocher ces deux bandes en diminuant l'écart d'énergie que l'on appelle un « gapgap » en anglais. Cela modifie la transmission d'un faisceau de lumièrelumière infrarouge le traversant. Lorsque l'on est en phase métallique, ce rayonnement ne passe plus et il est même réfléchi.

    Qu'en est-il de la supraconductibilité supposée de l'hydrogène métallique dans votre expérience ?

    Florent Occelli : Nous ne sommes pas encore en mesure de la déterminer, et rappelez-vous qu'il ne s'agissait que d'hydrogène métallique moléculaire et que nous avons constaté qu'il n'était pas métastable.

    Il existe pourtant des composés à base d'hydrogène qui sont supraconducteurs à hautes pressions ?

    Florent Occelli : Oui, comme le sulfure d'hydrogènesulfure d'hydrogène (H2S) et notamment l'hydrure de lanthanelanthane (LaH10) mais ces composés ne sont pas métastables et ne restent donc pas supraconducteurs à pression ambiante. On a des raisons de penser qu'il faudrait au moins un composé binairebinaire avec l'hydrogène, c'est-à-dire des hydrures métalliques avec au moins deux types d'éléments métalliques associés aux atomes d'hydrogène. C'est une voie de recherche actuellement explorée, d'autant plus que les hydrures déjà obtenus sont supraconducteurs à des pressions plus basses que celles de l'hydrogène métallique et qui sont aujourd'hui plutôt faciles à réaliser.

    Imaginons que l'on découvre effectivement de l'hydrogène ou un hydrure supraconducteur métastable dans des conditions de température et de pression ambiante, pourrait-on en faire la production industriellement ?

    Florent Occelli : Personnellement, je ne vois pas comment ce serait possible mais il faut rester prudent. La production de diamants synthétiques n'a été rendue possible qu'au milieu des années 1950 grâce aux travaux du chimiste et physicien états-unien Howard Tracy Hall, là aussi à de très hautes pressions. Aujourd'hui les Chinois, par exemple, produisent industriellement des quantités importantes de diamants synthétiques.


    Hydrogène métallique : sa découverte pourrait raccourcir le voyage vers Mars

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 03/02/2020

    L'hydrogène isolant devient un solide métallique conducteur à très hautes pressions. Cette transition de phase étonnante viendrait d'être observée dans des conditions de pressions difficiles à obtenir par une équipe de chercheurs français du CEA et du Synchrotron Soleil. L'hydrogène métallique serait le plus efficace carburant pour fuséefusée connu et il pourrait déboucher sur des matériaux supraconducteurs à températures et pressions ambiantes.

    Comme Futura l'expliquait dans le précédent article ci-dessous, cela fait quelques centaines d'années que l'étude de l'élément hydrogène (constitué d'un protonproton et d'un électron en orbiteorbite) a scientifiquement débuté et elle a joué un rôle clé dans le développement de la théorie quantique pendant le premier quart du XXe siècle. Outre son rôle pour le développement de la physique fondamentale -- indirectement par exemple lorsque l'on fait collisionner des protons au LHCLHC pour découvrir de nouvelles particules et que l'on s'en sert au CernCern sous forme d'antiprotons pour sonder les mystères de l’antimatière et découvrir, peut-être, des effets d'antigravité -- l'hydrogène, sous forme métallique, pourrait bouleverser notre technologie. Cela concernerait la propulsion spatiale, la conduction de l'électricité sans pertes via des matériaux supraconducteurs à température ambiante et également aussi la possibilité de faire un tour du monde en Maglev en moins de 6 heures utilisant des aimantsaimants supraconducteurs de ce type.Les physiciens sont en effet arrivés à cette conclusion en partant en quête des implications d'une découverte théorique faite en 1935 par le prix Nobel de physique et chimiste hongrois Eugène Wigner. En se basant sur la fameuse équation de Schrödingeréquation de Schrödinger, le chercheur était arrivé à une étonnante prédiction en compagnie de son collègue le physicien états-uniens Hillard Bell Huntington. Selon les calculs des deux hommes, à très basse température et à haute pression, un gaz d'hydrogène moléculaire isolant doit se transformer en un cristal métallique conducteur dont les sites sont occupés par des atomes provenant de la dissociation des molécules de dihydrogène (H2).

    L'hydrogène métallique, une clé de la colonisation du Système solaire ?

    La technologie des très hautes pressions de l'époque, un domaine en cours de développement notamment grâce au physicien états-uniens Percy Bridgman, n'était pas en mesure de vérifier cette prédiction. Mais les décennies passant, les physiciens allaient être fascinés car les travaux de Wigner et Huntington contenaient donc en germegerme deux possibilités extraordinaires.

    Si l'on savait comment s'y prendre, de l'hydrogène rendu métallique dans des conditions extrêmes pourrait peut-être le rester une fois ramené à températures et pressions ambiantes. C'est un exemple d'un phénomène connu en physico-chimie sous le terme de métastabilité. En comprimant du graphite par exemple, celui-ci devient du diamant et le reste très longtemps à la surface de la Terre. On le sait notamment parce que les diamants se forment à grandes profondeurs à l'intérieur de notre planète et qu'ils restent stables sur des milliards d'années et plus, une fois ramenés en surface par des éruptions volcaniqueséruptions volcaniques comme celles à l'origine des cheminés diamantifères d’Afrique du Sud.

    Or, là où les choses deviennent particulièrement intéressantes, c'est lorsque l'on apprend que selon certaines théories, l'hydrogène métallique dans les conditions ambiantes pourrait être un supraconducteur. L'obtention d'un tel matériaumatériau serait peut-être plus facile cependant en le synthétisant sous forme d'alliagealliage avec d'autres métauxmétaux, en particulier des super-hydrures, comme FeH5 ou l’hydrure de lanthane LaH10.

    Enfin, comme Futura l'expliquait aussi précédemment dans le tout premier article consacré ci-dessous à la quête de l'hydrogène métallique, du fait de sa densité (sous forme solide dense, l'énergie stockée prend moins de place que sous forme liquide), il serait un carburant plus efficace que tous les autres d'un facteur 10 environ. Un voyage vers Mars en serait donc raccourci de plusieurs mois, ce qui aiderait à rendre les prédictions d'Elon Musk plus crédibles, et il suffirait de fusées à un seul étage pour mettre des satellites en orbite. La colonisation de la LuneLune elle-même serait facilitée.

    L'hydrogène métallique, une fenêtre sur l'intérieur des géantes gazeuses

    Depuis des décennies, les physiciens discutent donc entre eux des moyens nécessaires pour faire passer l'hydrogène de l'état gazeuxétat gazeux à un état métallique et plusieurs équipes ont pensé y être arrivées. Jusqu'à présent, tous les résultats obtenus ont été critiqués notamment parce qu'ils n'ont jamais pu être reproduits. Mais il semble maintenant qu'une équipe française, composée de Paul Loubeyre et Florent Occelli, deux chercheurs du CEA (Commissariat à l'Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives) et de Paul Dumas, chercheur émérite de l'Institut de Chimie du CNRS, détaché au Synchrotron Soleil, y soit parvenue. Leurs résultats sont publiés dans le journal scientifique Nature.

    Les trois hommes étaient sur la piste de l'hydrogène métallique depuis quelques années déjà comme le prouve la vidéo ci-dessus. Il fallait pour cela atteindre des pressions supérieures à 4 millions d'atmosphèresatmosphères (rappelons la pression au niveau de la mer est de 1 atmosphère, et qu'au centre de la Terre, elle est estimée à 3,5 millions d'atmosphères environ), ce qui a nécessité de faire des progrès dans la technologie des fameuses presse à enclumes de diamant.

    Un échantillon d'hydrogène dont la taille était inférieure à un cube de 5 micromètresmicromètres de côté était donc compressé entre deux pointes de diamant. Pour étudier le comportement de cet échantillon, un faisceau de lumière infrarouge disponible sur l'une des lignes de lumière du Synchrotron Soleil et produites par le rayonnement d'électrons accélérés par cette machine était utilisé. Cette lumière infrarouge traversait les deux diamants de la presse à enclumes et ses caractéristiques étaient affectées par le passage à travers l'hydrogène au cours de la montée en pression faisant passer l'hydrogène de l'état gazeux à l'état solideétat solide isolant, puis semi-conducteursemi-conducteur, tel le siliciumsilicium, pour finir par devenir métallique à 4,2 millions d'atmosphères. À ce moment là, comme l'explique le communiqué du Synchrotron Soleil, l'observation d'une absorptionabsorption totale de la lumière infrarouge démontrait « la disparition de la barrière énergétique qui jusque-là empêchait les électrons liés aux molécules de se mouvoir librement comme dans un métal ».

    En bonus, cette découverte ouvre une fenêtrefenêtre sur le comportement de l'hydrogène à hautes pression dans les entrailles des géantes gazeusesgéantes gazeuses que sont JupiterJupiter et SaturneSaturne ainsi que dans leurs cousines dans le monde des exoplanètesexoplanètes.


     

    L'étude de l’hydrogène métallique nous permettrait de mieux comprendre Jupiter (la géante gazeuse en contiendrait en son cœur). Cela pourrait aussi nous mener vers la maîtrise d'un supraconducteur à température ambiante, ce qui bouleverserait probablement notre technologie. © Mark Meamber
    L'étude de l’hydrogène métallique nous permettrait de mieux comprendre Jupiter (la géante gazeuse en contiendrait en son cœur). Cela pourrait aussi nous mener vers la maîtrise d'un supraconducteur à température ambiante, ce qui bouleverserait probablement notre technologie. © Mark Meamber

    De l'hydrogène métallique au cœur de Jupiter

    Article de Laurent Sacco publié le 18/09/2018

    L'hydrogène isolant devient un fluide métallique conducteur à très hautes pressions. Cette transition de phase étonnante vient d'être à nouveau étudiée dans des conditions difficiles à obtenir, confirmant des modèles qui peuvent nous permettre de mieux comprendre ce qui se passe à l'intérieur de Jupiter.

    Ce n'est vraiment qu'en 1766 que le physicien et chimiste britannique Henry Cavendish montre qu'il existe un gaz bien particulier, qu'Antoine LavoisierAntoine Lavoisier baptisera plus tard hydrogène (du grec « formeur d'eau ») lorsqu'il découvrit, en 1783, que celui-ci réagit avec l'oxygèneoxygène pour former de l'eau. Depuis, l'étude de l'hydrogène s'est poursuivie et elle a notamment permis le développement de la mécanique quantique via le modèle de l'atome de Bohratome de Bohr qui permettra à de Broglie d'introduire le concept d'onde de matière, et à Schrödinger de développer sa fameuse équation.

    En 1935, le physicien et chimiste hongrois Eugène Wigner va finalement aboutir à une conclusion surprenante en se basant sur la mécanique ondulatoiremécanique ondulatoire de Schrödinger. À des pressions suffisamment élevées, le gaz d'hydrogène, normalement isolant, se comporte brutalement comme un cristal métallique conducteur. L'obtention de cette transition de phase et sa caractérisation précise ont conduit à de nombreux travaux qui se poursuivent depuis quelques décennies.Le comportement de l'hydrogène à hautes pressions ainsi que ses isotopesisotopes, comme le deutérium, intéresse physiciens, ingénieurs et astrophysiciensastrophysiciens. En effet, il est susceptible d'impacter notre technologie et notre connaissance de l'UniversUnivers via la voie de la fusion inertielle et l'étude du cœur des planètes géantesplanètes géantes comme Jupiter et Saturne.

    Une équipe internationale de chercheurs du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (dont Stéphanie Brygoo et Paul Loubeyre, chercheurs au CEA), de l'université d'Edimbourg, de l'université de Rochester, à la Carnegie institution de Washington, de l'université de Californie à Berkeley et à l'Université George Washington, vient de publier un article dans Science qui illustre bien l'importance des travaux sur le comportement de l'hydrogène à hautes pressions.

    Du deutérium à une pression de 6 millions d'atmosphères au NIF

    Les physiciens ont pu produire, observer et caractériser avec plus de précision la transition de phase menant à l'hydrogène métallique en utilisant la National ignition facility (NIF), un laserlaser de recherche extrêmement intense construit au Lawrence Livermore national laboratory, à Livermore (Californie), connu pour son rôle dans les essais d'armes nucléaires des États-Unis et dans les expériences sur la fusion.

    L'objectif de la série de cinq expériences menées était de vérifier certaines prédictions numériquesnumériques concernant cette transition de phase dans du deutérium liquide (un isotope de l'hydrogène) à une pression de 600 GPa - soit 6 millions d'atmosphères, presque deux fois la pression au centre de la Terre - tout en conservant la température entre 1.000 et 2.000 kelvinskelvins. Il s'agissait d'un challenge car la compression obtenue avec une séquence de propagation d'ondes de choc en utilisant 168 faisceaux laser du NIF se devait de ne pas trop échauffer l'échantillon.

    Les chercheurs ont finalement observé la transition comme prévu et vérifié qu'elle se produisait comme une transition du premier ordre selon la terminologie issue de la thermodynamiquethermodynamique, introduite au début du XXe siècle par le physicien Paul Ehrenfest. L'apparition de la phase métallique se constate avec l'instrument Visar (Velocity interferometer system for any reflector), car, de transparenttransparent initialement, le deutérium est devenu d'abord opaque puis avec un éclat métallique au fur et à mesure que la pression montait et que son indice de réfractionindice de réfraction changeait.

    Cette nouvelle caractérisation de l'apparition de l'hydrogène métallique à hautes pressions devrait nous aider à comprendre notamment l'origine du champ magnétiquechamp magnétique des planètes géantes. La sonde Junosonde Juno a montré récemment que celui de Jupiter différait de celui de la Terre. Il devrait y avoir une dynamo interne comme sur la Terre mais son fonctionnement est très différent.


    L'hydrogène métallique de Jupiter pourrait bouleverser notre technologie

    Article de Laurent Sacco publié le 07/07/2016

    D'isolant, l'hydrogène semble devenir conducteur sous forme de métal lorsqu'il se trouve dans des conditions de pression et de température comme celles régnant à l'intérieur de Jupiter. L'étude de l'hydrogène métallique pourrait non seulement nous permettre de mieux comprendre cette planète mais aussi conduire à des révolutions technologiques.

    La course aux basses températures et l'étude de leur effet sur l'état de la matièreétat de la matière remonte, grossièrement, au début du XIXe siècle. Michael FaradayMichael Faraday, en particulier, a réussi à liquéfier plusieurs gaz, dont le chlorechlore en 1823. Toutefois, il faudra attendre les travaux du Français Louis Paul Cailletet pour faire de même avec l'oxygène et l'azoteazote, à partir de 1877, puis du Britannique James Dewar pour la liquéfactionliquéfaction de l'hydrogène.

    La cryogéniecryogénie atteint alors un tournant au début du XXe siècle quand Heike Kamerlingh Onnes liquéfie l'héliumhélium - ce qui va conduire à la découverte de la superfluiditésuperfluidité - et, surtout, révèle l'existence d'une transition de phase spectaculaire conduisant à la supraconductivité.

    Nous savons aujourd'hui que superfluidité et supraconductivité sont des phénomènes foncièrement quantiques. En 1935, l'un des maîtres de la physique quantiquephysique quantique à cette époque, le physicien hongrois Eugène Wigner, s'est servi de cette physique pour faire une étonnante prédiction en compagnie de son collègue Hillard Bell Huntington. La voici : à très basse température et à haute pression, un gaz d'hydrogène moléculaire isolant doit se transformer en un cristal métallique conducteur dont les sites sont occupés par des atomes provenant de la dissociation des molécules de dihydrogène (H2). Ces dernières décennies, la quête et l'exploration de la physique de l'hydrogène métallique est presque devenue le graal de la physique des hautes pressions.

    Le physicien théoricien Eugène Wigner est célèbre pour son analyse du rôle des symétries et de la théorie des groupes en mécanique quantique. Comme Erwin Schrödinger, il s'intéressait au mysticisme du Vedanta indien. © BME OMIKK, 2005
    Le physicien théoricien Eugène Wigner est célèbre pour son analyse du rôle des symétries et de la théorie des groupes en mécanique quantique. Comme Erwin Schrödinger, il s'intéressait au mysticisme du Vedanta indien. © BME OMIKK, 2005

    L'hydrogène, un métal supraconducteur à température ambiante ?

    Cette fascination pour la prédiction d'Eugène Wigner est aisément compréhensible car il ne s'agirait pas d'une simple curiosité de laboratoire. En effet, les calculs de certains théoriciens laissent entendre que cet hydrogène solide serait métastable. Cela signifie qu'à température et pression ambiantes (ou, pour le moins, nettement moins extrêmes que celles qu'il a fallu atteindre pour l'obtenir), l'hydrogène solide garderait ses nouvelles propriétés pendant un temps assez long. Or, l'une d'entre elles serait la supraconductivité, ce qui permettrait d'atteindre un autre graal de la physique du solide capable de bouleverser notre technologie : un supraconducteur à température ambiante.

    Un autre aspect intéressant de l'hydrogène métallique métastable concerne le stockage de l’hydrogène à haute densité. Bien des dispositifs électriques pourraient ainsi fonctionner avec des réserves d'énergie sous cette forme. La conquête de l'espace pourrait également en être révolutionnée car de l'hydrogène métallique, du fait de sa densité (sous forme solide dense, l'énergie stockée prend moins de place que sous forme liquide), serait un carburant plus efficace que tous les autres d'un facteur 10 environ. Un voyage vers Mars en serait donc raccourci de plusieurs mois.

    Depuis quelques décennies, les chercheurs sont parvenus à obtenir de l'hydrogène sous pression qui se comporte comme un métal conducteur, mais plutôt à l'état liquideétat liquide que solide. En tout état de cause, on en est encore au balbutiement de l'étude de l'hydrogène métallique. Un groupe de chercheurs de l'université d'Harvard, mené par Isaac Silvera, vient de publier dans Physical Review B les résultats de travaux intéressants à ce sujet. Ils sont accessibles en ligne dans un article déposé sur arXiv.

    L'intérieur de Jupiter pourrait contenir de l'hydrogène métallique (en gris sur cette illustration). © R. J. Hall, Nasa
    L'intérieur de Jupiter pourrait contenir de l'hydrogène métallique (en gris sur cette illustration). © R. J. Hall, Nasa

    Le cœur de Jupiter dans une cellule à enclumes de diamant

    À Harvard, dans la lignée du pionnier des hautes pressions Percy Bridgman, les physiciens ont utilisé une cellule à enclumes de diamant pour leur expérience. Cela leur a permis de recréer des températures et des pressions comparables à celles régnant dans les profondeurs de Jupiter. Pour ce faire, ils ont comprimé un échantillon d'hydrogène aux sommets larges de 100 microns de deux diamants.

    Le chauffage a été obtenu à travers les diamants à l'aide de faisceaux laser. Grâce à cette technique, ils ont pu observer en détail, comme jamais auparavant, le passage d'une phase isolante de l'hydrogène à une phase conductrice. Lorsque cela se produit, l'hydrogène cesse d'être transparent et se comporte comme un métal réfléchissant la lumière.

    Bien dans l'airair de la mise en orbite de la sonde Juno autour de Jupiter, cette expérience peut nous donner des indications précieuses sur les propriétés de la géante gazeuse. Elle peut nous en dire plus sur la structure interne de cette planète, son histoire et la façon dont elle engendre son champ magnétique à l'origine des spectaculaires aurores boréales de Jupiter.