Ce gros reptile pataud aux airs de Godzilla miniature est un excellent nageur qui défie les meilleurs apnéistes, et c'est le seul lézard marin actuel connu des scientifiques. Il éternue le trop-plein de sel qu'il accumule sous la forme d'une fine poudre de cristaux ! Quant à sa parade amoureuse... Retranscription d'un épisode du podcast family-friendly Bêtes de Science, il s'adresse aux petits comme aux grands. Que vous souhaitiez lire l’histoire ou l’écouter, découvrez l’épisode ci-dessous.


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    Découvrez le podcast à l'origine de cette retranscription dans Bêtes de Science.

    Le héros de notre épisode du jour est un reptile hors du commun ! Laisse-moi te présenter l'iguane marin, qui porteporte le nom latin d'Amblyrhynchus cristatus. On ne le trouve qu'à un seul endroit de la planète : l’archipel des Galápagos, situé dans l'océan Pacifique, au large de l'Équateur. On dit donc de l'iguane marin qu'il est endémiqueendémique de ces îles. Impossible de le trouver ailleurs. Et on va le voir, il est parfaitement adapté aux conditions de vie particulières de ces territoires. Il est unique en son genre et ne ressemble à personne d'autre ! Charles Darwin, lors de son voyage à bord du Beagle, n'en fait pas un portrait très flatteur. Dans son journal, il écrit à son propos : « Les pierres de lave noire de la plage sont fréquentées par de grands (de 2 à 3 pieds de long) et dégoûtants lézards maladroits. Ils sont aussi noirs que les roches poreuses sur lesquelles ils rampent et cherchent leur proie dans la mer. Quelqu'un les appelle les "lutins des ténèbres". Ils sont assurément bien devenus tels que la terre qu'ils habitent. » DarwinDarwin y va un peu fort ! Même s'il a un physiquephysique un peu particulier, l'iguane marin est loin d'être dégoûtant. Ce reptile ressemble à une sorte de gros lézard très musclé, et doté d'une crête qui part de sa tête et court le long de son dosdos. On le distingue de son cousin terrestre par un museau bien plus court et arrondi. Et même s'il peut paraître pataud et lent sur la terre ferme, c'est une tout autre histoire quand il est dans l'eau ! C'est un excellent nageur, équipé d'une queue longue et puissante qui lui permet de nager en ondulant, un peu comme un crocodile. Tout son corps est hérissé d'une série d'écailles en pointe qui lui donnent une allure préhistorique. Au niveau des couleurscouleurs, la majorité d'entre eux adoptent en effet la même teinte que les roches volcaniquesroches volcaniques noires sur lesquelles ils vivent. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils gardent ce look morose toute l'année. À la saisonsaison des amours, la peau des mâles se pare de couleurs. De noirs, ils deviennent rouge et vert !

    On distingue 11 sous-espècessous-espèces d'iguanes marins, qui se ressemblent énormément, mais qui vivent sur des îles différentes. Leurs couleurs varient lors de la parade. Par exemple, les iguanes qui habitent sur les îles de Floreana et Española sont ceux qui ont les couleurs les plus vives. On appelle parfois ces derniers, les iguanes de Noël, tant leur rouge est vibrant. Ceux de Santa Cruz, eux, sont noir et rouge, mais n'ont pas de vert. Les femelles, elles, restent discrètes et conservent leur teinte gris et noir tout au long de l'année. Au niveau gabarit, c'est la même chose : leur taille varie d'une sous-espèce à une autre. La longueur moyenne d'un iguane adulte est de 70 centimètres, mais les plus grands d'entre eux peuvent atteindre 1,50 mètre de long ! C'est quasiment ma taille ! Niveau poids, on joue aussi au grand écart : sur l'île de Genovesa, les plus lourds pèsent 900 grammes, moins d'un kilo, alors que les animaux les plus pesants, que l'on trouve sur Isabela, atteignent les 12 kilos !

    Même s'il peut avoir une allure inquiétante, l'iguane marin est un paisible herbivoreherbivore qui ne se nourrit que d'alguesalgues accrochées aux rochers immergés, qu'il va brouter sous l'eau, après avoir pris une grande inspiration ! Ils ne consomment que les algues qui se trouvent à des endroits bien particuliers dans les zones inter- et subtidales. La zone interdidale correspond à des endroits couverts à maréemarée haute et découverts à marée basse, alors que la zone subtidale est toujours recouverte d'eau. C'est la zone la plus riche en matièrematière d'alimentation pour la vie marine. Et même s'il faut jongler avec les marées, les iguanes s'y offrent un vrai festin. Le fait qu'il soit ultra spécialisé dans le type d'algues qu'il mange peut parfois lui jouer des tours. Notamment lors d'événements ponctuels, qui ne se produisent qu'à certaines périodes et que l'on appelle El NiñoEl Niño. Lors de ces événements, l'eau se réchauffe, et les algues poussent beaucoup moins. Les iguanes qui dépendent entièrement d'elles meurent alors de faim. Il est déjà arrivé que lors d'événements El Niño particulièrement violents, près de 80 % des iguanes disparaissent. Heureusement la population se reconstitue en quelques années, mais avec le dérèglement climatique, cela risque de changer. L'introduction des chienschiens sur les îles Galápagos mais aussi les marées noiresmarées noires, ces pollutions de l'eau par des hydrocarbureshydrocarbures comme le pétrolepétrole, ont participé à leur déclin. En 2001, une marée noire a causé la mort de 62 % des iguanes d'une des îles de l'archipelarchipel. Plus de la moitié de la population ! L'iguane marin est donc aujourd'hui classé comme vulnérable globalement, et « en danger » sur certaines îles. Il faut donc rester vigilant pour que ces petits dragons continuent à hanter les roches des Galápagos. Mais au fait, qu'est-ce qui fait de l'iguane marin un animal vraiment hors du commun ?

    L'iguane marin est le seul lézard capable de s'aventurer dans les eaux salées ! Pour aller brouter les algues dont il se nourrit, il peut se rendre sur les rochers qui sont à découvert lors de la marée basse, ou plonger plus ou moins loin des côtes pour s'offrir un casse-croûtecroûte directement sous l'eau. On sait qu'ils peuvent plonger jusqu'à 30 mètres de profondeur ! Habituellement ils ne plongent que quelques minutes d'affilée pour se nourrir mais ils sont capables de retenir leur respiration pendant plus de 30 minutes ! Les meilleurs apnéistes humains peuvent rester 24 minutes sous l'eau, grand maximum, mais uniquement s'ils respirent de l'oxygène pur pour gonfler à bloc leurs globules rougesglobules rouges avant de s'immerger. Sans cela, la duréedurée d'apnée pour un être humain se situe plutôt entre 9 et 11 minutes, mais il leur faut, quoi qu'il en soit, des années d'entraînement pour réussir cette prouesse.

    Les jeunes iguanes ne plongent qu'à partir de 2 ans, apparemment, le temps d'avoir pris un peu du poil de la bête. Après leur repas, les iguanes retournent sur les rochers se chauffer au soleilsoleil, les uns contre les autres. Ils vivent toujours à plusieurs, dans des colonies de quelques dizaines à plusieurs centaines d'individus. On a même observé des groupes qui comportaient plus de 1 000 iguanes, c'est fou non ? La couleur sombre de leur peau que Darwin trouvait lugubre, leur permet d'avoir plus chaud plus vite, puisqu'elle absorbe davantage les rayons du soleil. Et pour évacuer le sel qui se retrouve en trop grande quantité dans leur corps quand ils l'avalent en broutant les algues, ils ont une technique bien particulière. Ils éternuent ! Comme presque tous les reptiles et oiseaux marins, nos iguanes possèdent une glandeglande spécialisée dans le traitement du sel. En éternuant, les animaux expulsent une fine poudre de cristaux, et peuvent ainsi économiser l'eau de leur corps. Pratique ! Mais l'un des moments de leur vie les plus animés, c'est bien sûr, la période des amours. Et si on leur rendait une petite visite pour observer leur cour de plus près ? 

    Le comportement des iguanes marins

    Aaah ! Rien de tel que l'airair marin ! Bon, je te l'accorde, les plages de l'île Española, où nous avons atterri, sont loin de ressembler aux étendues paradisiaques de sablesable doré que l'on voit dans les brochures de voyage. C'est une succession de roches poreuses et noires qui accueillent les embruns. Mais, ce n'est pas un hasard si les îles Galápagos ont un aspect si particulier : c'est parce qu'elles sont nées de l’activité des volcans. Et ça, ce n'est pas donné à tout le monde. Et puis, pas besoin de sable fin pour créer un paradis. Regarde tous les animaux que l'on peut voir ici ! Ce petit oiseauoiseau brun qui passe à toute vitessevitesse devant nous, pour rejoindre un bosquet, tu l'as vu ? On dirait un moineau, mais c'est un géospize ! Un de ces fameux pinsonspinsons de Darwin, qui l'ont aidé à mieux comprendre comment les espèces évoluent et se diversifient d'une île à l'autre. Et tu entends ces grognements au loin ? C'est la colonie de lions de merlions de mer qui fait la sieste sur la plage. Allons les voir, il y a de bonnes chances que l'on y trouve nos amis iguanes également. En plus, en ce moment, ils débordent d'activité. Regarde comme ils sont beaux ! On voit bien la différence entre les gros mâles, au corps rouge, constellé de taches noires et vertes et les femelles, plus petites, et toutes ternes. Chez les mâles, les pattes et le dos exhibent une belle couleur vert cuivré qui tire sur le turquoise ! La peau des femelles, elle, arbore la même couleur que la roche. Si tu observes les mâles d'un peu plus près, tu vas pouvoir assister à plein de comportements particuliers. Car, en ce moment, de décembre à janvier, c'est la période de reproduction ! Les femelles ne sont prêtes à s'accoupler que pendant quelques jours et elles ne s'accouplent qu'une seule fois. Alors, pour les séduire, chaque gros mâle défend un territoire, chasse les intrus et prépare le terrain. Ainsi, il se constitue un harem de partenaires potentielles, mais en réalité, ce sont surtout les femelles qui choisissent de s'accoupler ou non avec un mâle, selon le territoire qu'il a à offrir. S'il est bien placé, avec un bon accès à la mer et non loin de la zone où elles aiment se reposer, il est plus probable qu'elles lui accordent leur attention. Plus le mâle propose un grand territoire, plus il a donc de chance de les séduire. Si c'est un gros costaud, qui sort le grand jeu niveau parade, il augmente aussi ses chances.

    Pour bien faire comprendre à son voisin qu'il n'est pas le bienvenu, le mâle propriétaire du territoire hoche la tête, de manière assez comique. Il hérisse les écailles épineuses sur son dos et ouvre largement sa bouche. Si ça ne suffit pas, il le chasse, et peut même aller jusqu'au contact. Les deux iguanes se poussent alors l'un l'autre, tête contre tête ! Mais regarde ce mâle, là-bas, à droite ! Lui, il a plutôt l'air de vouloir faire les yeuxyeux doux à cette belle femelle, à côté de lui. Il secoue la tête également, mais ajoute à ça, une petite danse de rapprochement, au cours de laquelle il se déplace en crabe vers sa dulcinée.

    Les femelles passent la majorité de l'année à plusieurs, sur des zones de repos, et même si elles se mettent moins en scène que les mâles, elles sont aussi très intéressantes à regarder. Tiens, approchons-nous de ce groupe. Cinq femelles, de tailles très similaires, et, tout juste revenues de leur repas aquatique, se chauffent au soleil. Regarde donc celle-ci ! D'un coup, elle se rapproche d'une autre, la saisit à la nuque et lui grimpe dessus. On dirait bien qu'elle essaie de s'accoupler. Le gros mâle coloré, situé non loin, a tout vu et rapplique aussitôt ! Il accourt et mord la queue de la femelle escaladeuse. Ni une, ni deux, elle déguerpit aussi vite qu'elle le peut. Même si l'homosexualitéhomosexualité et la bisexualité sont très répandues dans le monde animal, ce que nous venons de voir n'est pas un accouplementaccouplement entre deux femelles. L'animal que nous prenions pour une femelle, grise, et plus petite que les gros mâles colorés, était en réalité... un mâle qui se faisait passer pour une femelle ! Tout frêle et sans couleur distincte, il est passé complètement inaperçu. C'est une stratégie astucieuse qui lui permet de s'économiser l'effort de défendre un territoire et de se glisser discrètement parmi les femelles pour essayer de s'accoupler avec elles. C'est futé, mais ça ne marche pas à tous les coups. Les mâles territoriaux mettent toute leur énergieénergie dans la défense de leur terrain, ils se privent même de manger pendant des jours ! Alors il vaut mieux être rusé et rapide, quand on veut tricher. Comme partout, et tout le temps, certains développent de nouvelles techniques pour tirer leur épingle du jeu. Cette stratégie risquée a moins de chances de fonctionner, mais elle continue à exister car certains petits mâles arrivent tout de même à leur fin. Un bel exemple d'intelligenceintelligence animale, mais aussi de sélection naturellesélection naturelle et sexuelle, si chères à Darwin.

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