L'Humanité ne pourra pas relever complètement les défis du XXIe siècle sans l'énergie de fusion, d'autant plus qu'elle pourrait être suffisamment abondante pour s'avérer être la clé permettant de soutirer massivement du CO2 de l'atmosphère. Sur le chemin menant, on l'espère, vers la fusion contrôlée, Iter semble incontournable mais où en est-on alors que la pandémie de la Covid-19 n'est pas terminée ? Une réunion internationale sur l'énergie de fusion qui se tient cette semaine est l'occasion d'aborder le sujet.


au sommaire


    L'Agence internationale de l'énergie atomique est la principale instance intergouvernementale au monde pour la coopération scientifique et technique dans le domaine nucléaire. En 2020, elle avait annoncé qu'elle prévoyait la tenue à Nice d'une nouvelle Conférence sur l’énergie de fusion (FEC 2020). Elle devait donc se tenir en France, accueillie par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l'Organisation IterIter.


    Une présentation des buts de la Conférence sur l’énergie de fusion (FEC 2020). © CEA

    Sur le site français de la FEC, on peut d'ailleurs voir une présentation rapide de la nature et des enjeux de cette conférence avec un texte du Français Bernard Bigot, directeur général de l'organisation Iter (rappelons que la Chine, l'Union européenne, l'Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les États-Unis se sont mis d'accord pour développer le Tokamak qui devrait permettre de valider le concept de production d'énergie à partir de réactions de fusion).

    « La population mondiale devant atteindre 9 milliards d'habitants d'ici 2040, la demande mondiale d'électricité augmentera de 45 %. Comment répondre à cette demande, sans contribuer à la crise climatique, est une question cruciale. Des milliers d'entre nous travaillent dans le monde entier pour faire de la fusion une réalité. Profitons de l'occasion de la 28e Conférence de l'AIEA sur l'énergie de fusion (FEC 2020) pour rendre compte des progrès, discuter des défis et, surtout, poursuivre la tradition de collaboration dans la communauté de la fusion. Ensemble, nous ferons de la fusion une voie viable pour aller de l'avant ».


    Une présentation du projet Iter pour la fusion nucléaire contrôlée. Au tout début de cette vidéo on peut voir Bernard Bigot. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © iterorganization

    Hélas, comme on le sait, la pandémiepandémie de la Covid-19Covid-19 en a décidé tout autrement et si la FEC 2020 se tient bien en ce moment, c'est virtuellement du 10 au 15 mai 2021. Une conférence de presse virtuelle s'est ainsi déroulée via Zoom, notamment avec le directeur général de l'AIEA, Rafael Mariano Grossi, le directeur général d'Iter, Bernard Bigot, et la directrice des relations internationales du CEA et gouverneur du Conseil des gouverneurs de l'AIEA, Anne Lazar-Sury. Futura était présent lors de cette conférence, l'occasion d'avoir quelques nouvelles d'Iter en ces temps troublés par le coronaviruscoronavirus SARS-CoV-2SARS-CoV-2 et plus généralement d'avoir des réponses des intervenants à quelques questions générales autour des perspectives actuelles sur les progrès dans le domaine de la fusion contrôlée.

    L'assemblage d'Iter se poursuit malgré l'impact de la pandémie

    L'une des questions posées a bien évidemment porté sur l'impact de la pandémie sur les progrès de l'assemblage du réacteur et peut-être même sur les dates des principales étapes prévues. On sait par exemple que le premier plasma dans le tokamak est prévu pour 2025. Mais il ne s'agira pas de la date des premières expériences de fusion proprement dite avec du tritium et du deutérium qui sont prévues pour 2035. On prévoit en effet un démarrage prudent des expériences pour en apprendre un maximum sur le comportement de la machine et du plasma dans les conditions qu'elle permettra d'atteindre. On sait que d'après les expériences faites en particulier avec le tokamak européen Joint European Torus (JET), on a toutes les raisons de penser qu'une fusion suffisamment stable et un rendement en énergie nécessaire pour répondre aux besoins de l'humanité ne seront atteignables qu'avec un tokamak de la taille de celui d'Iter et pour le moment, c'est du jamais-vu.

    Bernard Bigot a expliqué qu'il y avait bien eu un impact sur Iter mais qu'il n'était pas encore possible de le définir précisément puisque la pandémie n'est pas terminée. Il a expliqué que plusieurs workshops ne se sont bien évidemment pas tenus dans les conditions prévues mais qu'autant que possible - avec comme priorité de protéger la santé de toutes les personnes travaillant sur le site Iter en respectant les gestes barrières recommandés par l'OMSOMS, tels que le lavage fréquent des mains et le respect d'une distance minimale entre travailleurs - une partie des activités sur le chantier s'est poursuivie.

    Si le télétravail a permis d'en maintenir d'autres, il faut tenir compte aussi du fait que les transports et la réalisation des pièces du réacteur venant de toutes les parties du monde ont aussi été impactés. Heureusement, plusieurs succès concernant les technologies de pointe impliquées dans Iter ont été obtenus malgré tout et on peut penser qu'au moins d'ici 2035, en travaillant plus et avec plus de moyens, un éventuel retard pourra être comblé.

    Suffirait-il de vraiment beaucoup plus de moyens pour aller beaucoup plus vite sur le chemin menant à la production industrielle d'énergie électrique avec la fusion contrôlée ? Après tout, on a bien vu récemment que la mise au point de vaccinsvaccins contre la Covid-19 s'est effectuée très rapidement, si l'on pense à d'autres vaccins, et que même si la technologie des vaccins ARNARN était en fait en gestationgestation depuis un bon moment déjà et que l'on a pu bénéficier d'un grand nombre de volontaires rapidement pour atteindre une phase III à la vitesse de l'éclairéclair, le fait que bien des États aient ouvert à fond les robinets de financement a certainement joué un rôle important.


    Trente mètres de diamètre, presque autant de hauteur, le tokamak Iter est une énorme machine qui compte un nombre impressionnant de systèmes et d'éléments. La taille et le poids de certains de ces éléments, les infimes tolérances d'assemblage, le nombre d'industriels concernés, le calendrier très serré... tout contribue à faire d'Iter un immense défi, tant sur le plan de l'ingénierie que sur celui de la logistique. (Cette vidéo est une mise à jour de « Assemblage du tokamak ITER : le plus grand Meccano du monde », produite en 2015). © iterorganization

    La fusion ne pourra arriver qu'à son rythme

    Cette question du financement on la pose depuis longtemps à Bernard Bigot et devant l'urgence de la décarbonation de l'économie mondiale, on peut, à juste droit, s'alarmer du fait qu'on ne prévoit pas la constructionconstruction industrielle de réacteurs thermonucléaires avant les années 2050, voire plus tard encore, après des expériences avec le successeur d'Iter : Demo (DEMOnstration Power Plant).

    Le directeur d'Iter nous a répondu que si certes des moyens plus importants seraient utiles, il serait faux de croire que deux fois plus d'argentargent permettrait de diviser par deux le temps pour atteindre les étapes prévues en ce qui concerne Iter.

    En effet, les conditions à obtenir dans le tokamak d'Iter sont exceptionnelles. Il va falloir maintenir dans un volumevolume d'environ 1.400 mètres cubes un volume de plasma de 840 mètres cubes (c'est dix fois plus grand que celui du plus grand des tokamaks aujourd'hui en activité) à une température de 150 millions de degrés au moins et avec des pressionspressions de l'ordre du millionième d'atmosphèreatmosphère. Surtout, pour maîtriser le confinement magnétique du plasma et éviter des instabilités analogues à des éruptions solaireséruptions solaires, il faut pouvoir produire des lignes de champ magnétiquechamp magnétique dont les positions dans l'espace sont soigneusement déterminées, au millimètre près.

    Il n'y a qu'une seule solution pour cela, produire des pièces du réacteur avec un très haut niveau de qualité et en faire un assemblage extrêmement précis. Si l'on va trop vite, explique Bernard Bigot, et que le travail est « bâclé », on court le risque que le tokamak n'atteigne pas les performances nécessaires. En voulant gagner du temps, on pourrait donc en réalité en perdre considérablement.

    Iter et l'IA

    On pourrait rétorquer qu'il existe d'autres voies de recherche avec des machines différentes (par exemple les stellarators), plus petites, potentiellement moins chères et qui sont explorées par des pays, voire des entreprises privées. Et si on pouvait atteindre la production d'électricité à l'horizon 2035 en empruntant un autre chemin ?

    Bernard Bigot n'hésite pas à dire que c'est une très bonne chose que l'on continue à explorer ces possibilités et qu'il serait le premier à se réjouir de leur succès, car ce qui compte c'est de dompter le plus rapidement possible la fusion. Mais il faudrait pour cela réaliser des percées révolutionnaires parce qu'en l'état, on ne voit pas comment faire sans violer les lois de la physiquephysique. Il faudrait donc pour le moins qu'une « astuce », vraiment restée cachée et reposant sur les lois connues, soit découverte. Le directeur d'Iter ne cache pas son pessimisme à ce sujet.

    Pourtant, on sait que l'intelligence artificielleintelligence artificielle (IA) monte en puissance et on pourrait se demander si elle ne pourrait pas justement résoudre certains problèmes d'une façon complètement imprévue pour un cerveaucerveau d'Homo sapiensHomo sapiens.

    Une chose est certaine, comme l'a expliqué Bernard Bigot à Futura en précisant qu'il pensait que l'IA aurait un rôle important à jouer une fois que le réacteur sera en fonction après 2025, c'est qu'une énorme quantité de données associées à un grand nombre de paramètres pour la machine et l'état du plasma vont être produites par Iter. C'est donc typiquement un problème du domaine du big databig data où l'IA pourrait permettre de faire des découvertes concernant les manières de s'y prendre pour assurer le succès d'Iter. L'organisation internationale Iter pour l'énergie de fusion a donc, en prévision, commencé à se rapprocher des acteurs actuels de l'IA appliquée au big data.

    Il n'y a vraiment rien d'étonnant en fait. Iter disposera d'environ 50 dispositifs de diagnosticdiagnostic et on sait que la physique des plasmas est un domaine compliqué utilisant des systèmes d'équationséquations non linéaires décrivant des phénomènes complexes, relevant de la théorie du chaos et de celle de la turbulenceturbulence. On s’attend à ce que plusieurs millions de Gigabytes (2,2 pétaoctets précisément) soient produits chaque jour de fonctionnement d'Iter. S'il existe des régularités cachées dans ces données qu'il faudrait découvrir et exploiter, clairement il faudra employer des stratégies comme le Deep learningDeep learning pour y parvenir. On peut penser que l'IA nous permettra de découvrir et de mettre en pratique de nouvelles solutions pour contrôler le fameux problème des disruptionsdisruptions avec le plasma du tokamak.

    On peut se convaincre de l'avenir de l'IA dans le domaine de la fusion contrôlée en citant l'exemple daté de quelques années de la start-upstart-up Tri Alpha Energy (TAE), financée notamment par Paul Allen, co-fondateur de MicrosoftMicrosoft. Elle bénéficiait déjà de l'appui technique de GoogleGoogle et du Machine learningMachine learning  pour optimiser des configurations de plasma.

    En 2018, Paul Allen (à gauche) visitait Iter en compagnie de Bernard Bigot (au centre). © 2021, <em>Iter Organization</em>
    En 2018, Paul Allen (à gauche) visitait Iter en compagnie de Bernard Bigot (au centre). © 2021, Iter Organization

     


    Iter :  la phase d'assemblage du Soleil artificiel a débuté

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 28/07/2020

    Ce 28 juillet 2020, l'assemblage du réacteur thermonucléaire Iter a débuté en France. Il permettra de donner une preuve de principe qu'un SoleilSoleil artificiel contrôlable, et produisant de l'énergie propre en abondance, est possible sur Terre. À terme, la fusion contrôlée devrait résoudre les problèmes d'énergie de l'Humanité tout en préservant le climatclimat.

    Il n'est pas possible d'assurer dignement le futur de l'humanité au XXIe siècle sans des sources d'énergie suffisantes et sans réduire l'injection de CO2 dans l'atmosphère pour limiter, autant que faire se peut, le réchauffement climatiqueréchauffement climatique et rester en dessous des fameux 2 °C supplémentaires. Il semble exister une solution pour cela mais malheureusement, elle ne pourra être mise en pratique que lors de la seconde moitié du XXIe siècle... à condition qu'on s'en occupe maintenant !


    L'objectif du projet Iter qui rassemble 35 pays : maîtriser et reproduire la fusion de l’hydrogène, comme au cœur du Soleil, afin de produire une énergie propre et abondante © euronews

    Il s'agit de l'énergie de fusion. Mais même si l'Union européenne et les États-Unis sont toujours les leaders incontestés dans la course à cette technologie, ils ne pourront réussir seuls à temps et c'est pourquoi, avec l'Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Russie, la Chine, ils ont lancé il y a plus de dix ans le programme Iter (acronyme de International Thermonuclear Experimental Reactor, en anglais, ce qui signifie réacteur thermonucléaire expérimental international).

    Rappelons qu'il ne s'agit pas de réaliser un prototype de réacteur industriel pour la production d'électricité mais de donner une preuve de principe qu'un tel réacteur est possible. Dans le meilleur des cas, nous ne disposerons pas de l'énergie de fusion avant la seconde moitié du XXIe siècle. Ce qui veut dire que la fusion ne nous sauvera pas des graves problèmes énergétiques et environnementaux qui vont advenir avant, et qui nécessiteront d'autres réponses pour limiter le plus possible leur impact.

    Les premiers plasmas en 2025

    Mais, tout progresse comme prévu avec la construction d'Iter et, ce 28 juillet 2020, une cérémonie a eu lieu sur le site du réacteur à Saint-Paul-lès-Durance (Bouches-du-Rhône), à une quarantaine de kilomètres d'Aix-en-Provence. Tous les principaux éléments d'Iter fabriqués par la noosphère à la surface du globe ont en effet rejoint ce lieu où l'assemblage du réacteur vient donc d'être lancé en visioconférence par le Président français Emmanuel Macron dans un message enregistré et en compagnie de représentants de plusieurs des 35 États membres du projet Iter.

    On devrait donc bien assister à la production du premier plasma dans le tokamak à l'horizon 2025. Mais attention, il faudra attendre que 10 années d'études et de mises au point préliminaires soient faites avec des plasmas d'hydrogènehydrogène, d'héliumhélium, et de deutérium avant que les ingénieurs ne commencent l'étude du comportement de la machine avec de vraies réactions de fusion, en l'occurrence entre des noyaux de deutérium et de tritium.


    Un survol du chantier d'Iter en drone au mois de juin 2019. Les commentaires dressent un état des travaux effectués. Le début de l'assemblage des pièces du réacteur vient de débuter ce 28 juillet 2020. © Iter organization

    Si tout va bien, la fusion nous aidera après 2050 mais, en attendant, il nous faut déjà agir contre le réchauffement climatique et les énergies renouvelablesénergies renouvelables seules ne nous sauveront pas non plus.

    Elles sont bien trop coûteuses pour cela contrairement à ce qui est souvent dit dans les médias.

    La vérité, comme l'explique par exemple depuis des années Jean-Marc Jancovici ou les membres de Sauvons le climat (SLC), c'est que nous ne pourrons pas nous passer de l'énergie nucléaire basée sur la fissionfission. La Chine, qui ne peut pas se permettre le luxe de se laisser aveugler par de l'idéologie, le sait très bien. Elle en fournit la preuve, car, tout en développant massivement le solaire et l'éolien, elle a entrepris de développer tout aussi rigoureusement son parc nucléaire, 11 réacteurs étaient en construction, en 2018, pour atteindre son but d'avoir 10 % de son électricité d'origine nucléaire en 2030. Récemment, elle a fait savoir qu'elle construira six à huit réacteurs nucléaires par an entre 2020 et 2025 et portera sa capacité totale à 70 gigawatts (GW), une hausse de 43,5 %.