Dans le cadre du débat entre les partisans de la matière noire et ceux qui préfèrent modifier les lois de la dynamique de Newton et Einstein pour expliquer le monde des galaxies et des amas de galaxies, un chercheur coréen avait publié un article qui semblait donner la preuve de la validité de la théorie Mond et réfuter celle de la matière noire. Mais une équipe de chercheurs, en se basant sur les mêmes données d'observations de systèmes binaires d'étoiles par le satellite Gaia de l'ESA, aboutit au contraire et de façon encore plus spectaculaire à une réfutation de Mond. Futura a demandé des explications à l'astrophysicien Benoit Famaey, grand spécialiste de Mond. Voici ces dernières réflexions.

 

 

 

 


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    On se souvient qu'à la fin de l'année dernière une petite, voire une grosse bombe avait explosé en astronomie et cosmologie, potentiellement en physique fondamentale aussi, quand l'astrophysicienastrophysicien coréen Kyu-Hyun Chae avait annoncé qu'il pensait avoir une preuve solide qu'il fallait bien modifier les lois de la gravitation, et pas postuler l'existence de particules exotiquesexotiques encore inconnues dans le cadre du modèle cosmologique standard avec matière noirematière noire, pour expliquer les caractéristiques et les mouvements anormaux des galaxiesgalaxies dans le cosmoscosmos observable.

    Peu de temps après, un autre groupe de chercheurs, comptant parmi ses membres l'astrophysicien Benoit Famaey, bien connu des lecteurs de Futura et expert des théories de modification des lois de la mécanique de Newtonmécanique de Newton, publiait un article affirmant qu'au contraire, la théorie Mond, un paradigme cadre pour plusieurs théories permettant de se passer complètement ou presque de la fameuse matière noire du modèle cosmologique standard, était en grande difficulté.

    En fait, il fallait abandonner certaines de ses formulations possibles, comme nous l'avait expliqué Benoit Famaey dans l'article précédent ci-dessous.

    Kyu-Hyun Chae avait entretemps répliqué par un autre article déposé sur arXiv, coécrit avec Xavier Hernández de l'Universidad Nacional Autónoma de México | UNAM · Institute of Astronomy, qu'il avait proposé il y a plusieurs années avec ses collègues (comme nous l'expliquions aussi) d'utiliser les mouvements lents des étoilesétoiles formant des systèmes binairessystèmes binaires, et que l'on pouvait mesurer avec le satellite d'astrométrie Gaia de l'ESA, pour tester Mond dans la Voie lactéeVoie lactée.


    Quelle est l'histoire de la gravitation ? En quoi consiste la théorie quantique de la gravitation ? Pourquoi rechercher des théories alternatives de la gravitation ? Quels outils peuvent être développés pour évaluer ces nouvelles théories ? Lors d'un exposé à l'ENS, Aurélien Hees revient sur les différents tests de la relativité générale réalisés auparavant et donne un aperçu de ceux qui seront menés dans le futur. Actuellement, il est couramment admis que la théorie de la relativité générale n'est pas la théorie ultime de la gravitation. D'un point de vue théorique, les tentatives de développement d'une théorie quantique de la gravitation ou d'une théorie qui unifierait les interactions fondamentales produisent des déviations par rapport à la théorie d'Einstein. D'autre part, certaines observations galactiques et cosmologiques ne peuvent être expliquées par la relativité générale et le modèle standard des particules. Ces observations requièrent soit l'introduction de nouvelles composantes de matière/énergie (matière noire et énergie sombre), soit une modification de la théorie de la gravitation (voire les deux en même temps). © École normale supérieure - PSL

    Une réfutation confirmée d'AQUAL et QUMOND ?

    Chae et Hernández n'étaient pas du tout d'accord avec les arguments et la conclusion du travail de l'équipe dont est membre Benoit Famaey. Que fallait-il donc désormais en conclure ? Après avoir attendu que le débat progresse, nous avons donc posé la question à Benoit Famaey qui nous a répondu :

    « Nous estimons les critiques injustifiées à part sur le point de la fraction de systèmes triples, que nous avons nous-mêmes estimé être un peu élevée dans le meilleur fit newtonien, et qui mériterait d'être testée observationnellement. »

    Il existe en effet des incertitudes sur la nature de certains des systèmes binaires étudiés qui pourraient avoir une composante étant elle-même une étoile double, et donc formant une étoile triple. Ce genre de système n'est pas si rare et historiquement, du temps de GaliléeGalilée, lorsque Benedetto Castelli, l'un de ses collaborateurs, avait observé à la lunette le système d'étoiles Alcor et Mizar dans la Grande OurseGrande Ourse, il avait découvert que Mizar elle-même était en fait un système double, Mizar A et Mizar B.

    Benoit Famaey a surtout un argument non trivial. Il nous avait expliqué que le travail de son équipe réfutait deux formulations possibles de la théorie Mond, à savoir AQUAL et QUMOND. Or, selon des travaux récents avec Harry Desmond et Aurelien Hees, même si les arguments et résultats de Chae étaient corrects, ils seraient de toute façon inconsistants avec AQUAL/QUMOND, et ne peuvent donc être considérés comme une prédiction de ces instances de la théorie Mond.


    Le satellite Gaia a-t-il réfuté la théorie Mond en tant qu'alternative à la matière noire ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco  publié le 26/12/2023

    Dans le cadre du débat entre les partisans de la matière noire et ceux qui préfèrent modifier les lois de la dynamique de Newton et EinsteinEinstein pour expliquer le monde des galaxies et des amas de galaxiesamas de galaxies, un chercheur coréen avait publié un article qui semblait donner la preuve de la validité de la théorie Mond et réfuter celle de la matière noire. Mais une équipe de chercheurs, en se basant sur les mêmes données d'observations de systèmes binaires d'étoiles par le satellite Gaiasatellite Gaia de l'ESA, aboutit au contraire et de façon encore plus spectaculaire à une réfutation de Mond. Futura a demandé des explications à l'astrophysicien Benoit Famaey, grand spécialiste de Mond.

    Lorsque l'on a connu avec suffisamment de précision les positions, les vitessesvitesses et les massesmasses des principales planètes du Système solaireSystème solaire, il est devenu apparent que la précessionprécession du périhéliepérihélie de MercureMercure n'était pas expliquée uniquement par la prise en compte des forces attractives des autres planètes. Le point le plus proche de l'orbiteorbite de Mercure modifiait donc très légèrement sa position à chaque période orbitalepériode orbitale de Mercure et, comme on l'a démontré plus tard, il trahissait l'existence d'une autre théorie de la gravitation que celle de Newton : la théorie de la relativité généralerelativité générale d'Einstein, laquelle modifiait aussi les lois de la mécanique.

    Tout cela, c'était il y a plus d'un siècle... mais aujourd'hui, avec la mission Gaia de l'ESA, ce sont les positions et les vitesses de plus d'un milliard d'étoiles dans la Voie lactée qui sont connues avec beaucoup plus de précision qu'au siècle dernier. Cela a donné des idées à plusieurs chercheurs suspectant que les mouvements anormaux des étoiles et des masses d'hydrogènehydrogène dans les galaxies spiralesgalaxies spirales ne traduisaient pas la présence de masses de particules encore inconnues et n'émettant pas ou très peu de lumièrelumière - les fameuses particules de matière noire qu'on n'arrive toujours pas à détecter sur Terre - mais bien qu'il existait, encore une fois, une autre théorie de la gravitation.

    Pour être précis, ces chercheurs avaient en tête la théorie avancée déjà au début des années 1980 par le physicien israélien Mordehai Milgrom dans le cadre de sa Modified Newtonian Dynamics, bien connue aujourd'hui par l’acronyme Mond. Dans l'article précédent de Futura que l'on peut trouver ci-dessous, l'un de ces astrophysiciens, un chercheur de Corée du Sud, pensait que les données de Gaia démontraient enfin la pertinence d'une nouvelle modification des lois de la mécanique céleste, modification qui, sans nul doute, nécessitait aussi de découvrir une nouvelle version relativiste de la théorie de la gravitation, au-delà de la théorie de la relativité générale d'Einstein.

    Mais, quelques mois plus tard, c'est un brutal mouvement de balancier en arrière que l'on doit à une équipe d'astrophysiciens qui pense maintenant qu'au contraire, la théorie Mond est en grande difficulté et même réfutée dans sa forme originale par les données de Gaia. Techniquement, le signal observé dans certaines populations d'étoiles est en désaccord avec les prédictions de Mond dans certaines de ses formulations à un niveau de 16 sigmas, comme on le dit dans le jargon des statistiques appliquées aux sciences de la nature. Cela équivaut à dire qu'il y a une chance sur 100 000 milliards de milliards de milliards que l'écart soit dû à une fluctuation au hasard dans le processus de mesure du signal, sous l'effet d'une sorte de bruit.

    Parmi les auteurs de cette affirmation tonitruante, qui semble finalement accréditer le modèle cosmologique standard basé sur l'existence de la matière noire dite froide, il y a l'astrophysicien Benoît Famaey qui travaille sur la dynamique des galaxies à l'observatoire de Strasbourg. C'est un des promoteurs de la théorie Mond avec d'autres collègues comme Stacy McGaugh, avec qui il avait rédigé un article de fond sur le sujet pour Living Reviews in Relativity. Le fait qu'il soit maintenant impliqué, notamment avec un autre expert de Mond Indranil Banik, dans une publication montrant que la théorie Mond pourrait bel et bien avoir été réfutée incite donc à prendre très au sérieux l'article disponible sur arXiv.

    Mais de quoi s'agit-il concrètement ?

    Selon la théorie de Newton, mais aussi celle d'Einstein, à grande distance d'une étoile, la force d'attraction gravitationnelle produit une accélération a sur un autre corps céleste qui varie en 1/r2 avec la distance r. Selon Mond et pour faire simple, en dessous d'une accélération limite a0 que l'on peut considérer comme une constante universelle, l'accélération a varie en 1/r.

    Ce seuil de a0 est environ 2 500 fois plus faible que l'accélération produite par l'attraction du SoleilSoleil sur la sonde Voyager 2 dans le milieu interstellaire.

    Selon le modèle cosmologique basé sur la matière noire, à suffisamment grande distance du bulbe central d'une galaxie spirale, l'accélération gravitationnelle décroît aussi en 1/r en dessous d'une accélération donnée parce que la galaxie est plongée dans un halo de matière noire dont la masse inscrite dans un rayon donné croît avec le rayon. Dans le monde des galaxies, on sait décrire des champs de gravitation plus compliqués que celui engendré à l'extérieur d'une sphère de matière : on résout une équationéquation de champ pour le potentiel gravitationnel, l'équation de PoissonPoisson (analogue à celle pour le champ électriquechamp électrique), qui reste valable en relativité générale pour les champs faibles, et qui permet d'aboutir à une conclusion similaire à celle du schéma simplifié décrit ci-dessus. Toutefois, rien n'indique a priori que l'équivalent de a0 doit être une constante universelle : en principe, elle devrait dépendre des galaxies et de leurs halos de matière noire individuels.

    Pour tenter de départager Mordehai Milgrom et Issac Newton, l’idée proposée au début des années 2010 par X. Hernandez, M. A. Jimenez et C. Allen, était de considérer des systèmes binaires d’étoiles avec des astres si éloignés les uns des autres que les accélérations subies devaient être dans le domaine où a est plus petit que a0. 

    Dans le cadre standard, ces étoiles doubles à grande séparationséparation (wide binaries, en anglais) ne devraient pas être plongées dans une distribution de matière noire suffisamment importante pour affecter sensiblement les mouvements de ces astresastres. Pour une paire d'étoiles de masses solaires, une séparation de plusieurs milliers d'unités astronomiquesunités astronomiques devrait permettre de tomber dans le régime où Mond doit s'appliquer.

    Il y a toutefois une subtilité que l'on appelle en anglais l'External Field Effect (EFE) à laquelle il faut prêter grande attention. Il s'agit de l'effet sur les accélérations internes à un système physique du champ de gravitégravité extérieur à ce système, par exemple le champ de gravité du bulbe et du disque de la Voie lactée sur le Système solaire. Cet effet va diminuer l'effet de Mond dans les systèmes binaires à grande séparation au voisinage du Soleil. Toutefois, dans les théories classiques de modification de la gravitation, on s'attend à ce qu'il reste un petit effet, subtil, d'augmentation de l'attraction gravitationnelle à grandes séparations en Mond.

    Un dernier prolégomène pour ce qui va suivre. Mond est un cadre phénoménologique général qui peut être précisé par plusieurs théories particulières et qui peut s'écrire de la manière suivante pour la force newtonienne FN que subit une particule de masse m :

                                                                                 FN = m μ (a/a0) a

    La fonction μ (x) est dite fonction d'interpolation entre le régime profondément newtonien, où a est très nettement plus grand que a0, et profondément mondien quand c'est l'inverse. On voit avec cette formule que, sans modifier la force, on peut modifier la seconde loi de Newton pour obtenir Mond, mais que l'on peut également maintenir le principe de la dynamique (la seconde loi) inchangé en engendrant plutôt une modification de la force gravitationnelleforce gravitationnelle elle-même. C'est cette deuxième formulation de modification de la gravitation qui est la plus classique et la mieux développée. Les prédictions testées par les articles récents ne concernent que cette formulation de modification classique de la gravitation, et pas les modifications de la seconde loi de Newton.

    Futura a eu la chance, au cours des années, de recueillir à de multiples reprises les commentaires de Benoit Famaey en ce qui concerne le débat entre les partisans de Mond et ceux du modèle cosmologique standard. C'est donc tout naturellement vers lui que nous nous sommes tournés pour y voir plus clair en ce qui concerne les analyses que lui et ses collègues Indranil Banik, Charalambos Pittordis, Will Sutherland, Rodrigo Ibata, Steffen Mieske et Hongsheng Zhao ont menées avec les données de Gaia, et qui aboutissent à une conclusion radicalement opposée que celle de Kyu-Hyun Chae.


    Séminaire du mercredi 25 février 2015 : Matière noire et gravité modifiée par Benoit Famaey, Observatoire de Strasbourg. © Collège de France

    Futura : Plusieurs mois avant la mise en ligne de votre article, Kyu-Hyun Chae avait fait de même sur arXiv et, selon son analyse des données de Gaia, la théorie de la gravitation de Newton échouait à reproduire les mouvements des « wide binaries » (WB) avec un écart de 10 sigmas. Aujourd'hui, vous dites avec vos collègues que c'est la théorie Mond qui est réfutée par les données de Gaia à 16 sigmas. Comment comprendre un tel écart ? Avez-vous considéré les mêmes systèmes binaires vus par Gaia, ou d'autres ?

    Benoit Famaey : Nous avions des critères de sélection un peu différents de ceux de Chae, dans le sens où nous voulions éviter que les erreurs sur les vitesses relatives soient du même ordre de grandeurordre de grandeur que l'effet recherché. Il s'agit d'un effet très subtil, donc des erreurs mal maîtrisées peuvent facilement donner l'impression qu'il y a un signal là où il n'y a rien. Nous avons par la suite appliqué notre même critère de sélection à l'échantillon de 26 615 WB de Chae et avons confirmé qu'avec ces critères, il n'y avait pas de signal chez lui non plus. De notre côté, nous nous étions concentrés sur 8 611 WB, toujours dans l'environnement proche du Soleil, à moins de 250 parsecsparsecs. Il a fallu déterminer les masses de chacune des étoiles formant un système binaire mais nous ne pouvions pas pour cela utiliser les lois de la mécanique céleste de Newton ou de Mond, car il s'agissait précisément de tester ces lois. Nous nous sommes donc appuyés sur la théorie de la structure stellaire (bien testée depuis les travaux des pionniers de la première moitié du XXe siècle comme Chandrasekhar, et qui prédit une relation entre la masse et la luminositéluminosité intrinsèque des étoiles.) qui met en jeu un régime gravitationnel suffisamment fort pour être dans le régime newtonien et pas mondien. Nous avons ensuite suivi une stratégie statistique comparable à celle de Chae mais avec une exploration très large de l'espace des paramètres.

    Futura : Pouvez-vous nous en dire plus ?

    Benoit Famaey : Pour bien comprendre le problème auquel nous avons tous été confrontés, il faut avoir à l'esprit que les données de Gaia nous donnent les vitesses et les positions apparentes des composantes des WB projetées sur la voûte céleste. Nous ne mesurons pas directement les vitesses et les positions relatives en 3 dimensions des étoiles les unes par rapport aux autres dans chaque système binaire.

    Ainsi, il y a des informations qui sont manquantes sur chaque système. Les orbites elliptiques sont projetées sur la voûte céleste par rapport à nous. Or, nous ne connaissons pas l'angle d'inclinaison du plan orbital, pas plus que l'excentricitéexcentricité réelle de chaque orbite.

    On peut toutefois aboutir à des conclusions quant à la pertinence de Mond pour décrire les mouvements dans les systèmes binaires, en décrivant statistiquement des mesures d'une large population de WB.

    Il faut donc pour cela construire un modèle statistique des populations de WB suivant les deux hypothèses à tester. Nous avons ensuite déterminé dans ces modèles plusieurs quantités, plusieurs paramètres de la population de WB, que l'on peut estimer à partir des observations, dont un en particulier qui a été appelé alpha et qui correspond à la modification (ou non) de la loi de la gravitation. Si Mond est la bonne théorie, les mesures de Gaia doivent conduire à une distribution statistique pour alpha centrée sur la valeur 1, et pour la théorie newtonienne ce serait plutôt 0. Plus concrètement, Mond implique que l'on devrait mesurer, à grande séparation, des vitesses relatives des étoiles de 20 % supérieures en moyenne par rapport aux prédictions de la théorie de Newton. Ce n'est pas ce que nous trouvons.

    Futura : Mais pourquoi avez-vous considéré un échantillon plus restreint ? Intuitivement, on pourrait penser que, tout comme pour un sondage, il fallait augmenter la population de l'échantillonnageéchantillonnage pour avoir plus de précision.

    Benoit Famaey : Parce que nous avons imposé des contraintes beaucoup plus drastiques sur le choix des WB à prendre en compte pour réduire les erreurs dans les estimations. Nous avons retenu avec ces contraintes les mesures des WB les moins susceptibles d'avoir des erreurs importantes. En appliquant le même critère à l'échantillon de Chae, il n'y a pas de signal non plus chez lui.

    Futura : Alors ça y est, nous savons que la théorie Mond a été réfutée et qu'il ne reste plus, pour le moment au moins, que la théorie de la matière noire pour expliquer les observations ?

    Benoit Famaey : C'est plus compliqué que ça et il est encore trop tôt pour le dire. On sait que Mond marche très bien et même mieux que la matière noire lorsqu'il s'agit de décrire les galaxies. Le cadre très général qu'a posé Milgrom permet, par exemple, de prédire la forme et la valeur des constantes présentes dans la relation de Tully Fisher baryonique qui relie la masse d'étoiles et de gazgaz d'une galaxie spirale à sa vitesse asymptotique de rotation de la matière en son sein. Ces constantes devraient a priori varier avec la quantité de matière noire et la densité des baryonsbaryons, et donc pour chaque galaxie ; or, on constate que ce n'est pas le cas et que c'est une loi universelle, telle que prédite par Milgrom. Cette universalité s'explique naturellement avec Mond.

    Il y a aussi les caractéristiques des galaxies naines autour de la Voie lactée et de la galaxie d’Andromède qui sont problématiques dans le modèle cosmologique standard avec matière noire, et sans doute moins avec Mond.

    Bref, il y a plusieurs résultats observationnels avec les galaxies, et même avec le problème de la valeur de la constante cosmologique de Hubble-Lemaître, qui nous incitent à continuer à prendre l'hypothèse Mond très au sérieux. Mais il faudrait pour cela trouver une formulation qui interpolerait les lois de la gravité dans les conditions des WB avec celles que l'on utilisait jusqu'à présent à l'échelle des galaxies. Ce n'est pas simple.

    En fait, il est très facile de choisir la fameuse fonction d'interpolation μ (x) de manière à trouver un résultat compatible avec les observations de Gaia et avec Mond, mais on constate alors que l'on perd l'accord entre la théorie et les courbes de vitesse des étoiles et du gaz dans les galaxies, là où Mond fonctionne le mieux. C'est embêtant.

    En l'état, ce sont les théories classiques de modification de la gravitation - appelées AQUAL et QUMOND - qui précisent la fonction μ (x), qui sont réfutées.

    Mais rien ne prouve qu'une autre formulation précise de Mond ne puisse pas finalement expliquer toutes les observations. Par exemple, Milgrom, en anticipant ces problèmes potentiels à l'échelle des WB, a proposé une généralisation de QUMOND qui peut typiquement annuler les effets de Mond en dessous d'une certaine échelle spatiale.

    Ce qui est réfuté, c'est donc une classe limitée de théories de modification de la loi de la gravitation de Newton. Néanmoins, ajouter une échelle de longueur (comme c'est le cas dans la proposition QGUMOND) en plus de l'échelle d'accélération semblerait assez ad hoc et peu élégant.

    Mais il existe aussi une formulation aujourd'hui moins développée de Mond - qui, rappelons-le, traite d'une modification de la dynamique newtonienne (c'est-à-dire aussi potentiellement les lois de la mécanique de Newton) - qui modifie l’inertie de la matière plutôt que la gravitation, et on ne sait pas encore vraiment ce qu'elle donnerait appliquée à ces systèmes de WB.

    Peut-être que l'avenir de Mond se situe là, dans des théories modifiant plus profondément notre compréhension de la dynamique aux très faibles accélérations.

    Si l'espace des possibles s'est restreint avec notre résultat, et c'est toujours comme cela que la Science avance, celui-ci n'implique pas pour autant que la seule alternative soit le modèle standardmodèle standard avec sa matière noire froide, qui a ses propres problèmes et limites. La quête continue et, si nous avons de la chance, nous serons à nouveau surpris le long du chemin.


    Le satellite Gaia a peut-être validé Mond, une théorie alternative de la gravitation qui évite la matière noire

    Article de Laurent Sacco, publié le 15/08/2023

    Dans le cadre du débat entre les partisans de la matière noire et ceux qui préfèrent modifier les lois de la gravitation de Newton et Einstein pour expliquer le monde des galaxies et des amas de galaxies, un chercheur coréen vient de publier un article dont on ne sait pas encore s'il constitue bien le début d'une révolution en physique et en cosmologie théorique. L'article est suffisamment sérieux pour avoir retenu l'attention de Mordehai Milgrom, le fondateur de la théorie Mond qui change les lois de la gravitation et de la mécanique.

    L'université Sejong de Séoul, en Corée du Sud, a publié récemment sur son site un communiqué portant sur des travaux récents parus dans un article de l'Astrophysical Journal par Kyu-Hyun Chae, professeur de physique et d'astronomie dans cette université. Sa lecture fait l'effet d'une bombe, enfin au moins pour ceux qui ne sont pas des chercheurs du domaine. Et on ne sait pas encore très bien ce que va en dire la communauté scientifique, ni si la thèse qui y est exposée va résister à un examen encore plus approfondi que celui ayant déjà autorisé la publication que l'on peut consulter en accès libre sur arXiv.

    Ne tournons pas plus autour du pot. Si le chercheur a raison, nous sommes au bord d'une révolution en physique fondamentale avec rien de moins en premier lieu qu'une preuve qu'il faut modifier la théorie de la gravitation, aussi bien de Newton que d'Einstein, et la mettre sous une forme compatible avec les équations proposées en 1984 par les célèbres Israéliens Mordehai Milgrom et Jacob Bekenstein, inspirées de celles avancées, déjà en 1982, par Milgrom dans le cadre de sa Modified Newtonian DynamicsModified Newtonian Dynamics, bien connue aujourd'hui par l’acronyme Mond.

    En second lieu, la théorie proposée par Milgrom et Bekenstein permet jusqu'à un certain point de se passer de postuler l'existence de particules de matière noire, des particules encore jamais vues, ni dans des accélérateurs ni dans des détecteurs enterrés, et dont la majorité des physiciensphysiciens et astrophysiciens des particules attendaient la découverte avant la fin des années 2010.

    La matière noire, la clé de la formation des galaxies ?

    Rappelons que ces particules sont en l'état actuel des connaissances indispensables pour expliquer certaines caractéristiques du rayonnement fossilerayonnement fossile et également celles des galaxies, si on ne considère pas une autre théorie de la gravitation que celle d’Einstein.

    C'est la matière noire qui, en s'effondrant gravitationnellement rapidement depuis le Big BangBig Bang, a entraîné et continue d'entraîner la matière que nous connaissons à s'effondrer pour donner des galaxies, puis des amas de galaxies qui se rassemblent depuis des milliards d'années pour former la structure filamenteuse à grande échelle que nous observons dans l'UniversUnivers. Sans matière noire, les galaxies n'existeraient pas encore actuellement, en tout cas toujours selon nos connaissances en physique et si l'on ne modifie pas les lois de la gravitation.


    Depuis 13,8 milliards d’années, l’Univers n’a cessé d’évoluer. Contrairement à ce que nous disent nos yeux lorsque l’on contemple le ciel, ce qui le compose est loin d’être statique. Les physiciens disposent des observations à différents âges de l’Univers et réalisent des simulations dans lesquelles ils rejouent sa formation et son évolution. Il semblerait que la matière noire ait joué un grand rôle depuis le début de l’Univers jusqu’à la formation des grandes structures observées aujourd’hui. © CEA Recherche

    Au niveau des galaxies et amas de galaxies, une théorie respectant le cadre formel de Mond prédit que la force de la gravitation décroît à un moment moins vite en s'éloignant d'une source attractive que ne le prédisent les équations de Newton et a fortiori Einstein. On constate ainsi que des nuagesnuages de gaz et des étoiles subissent sous l'effet de la force de la gravitation une accélération plus forte que prévu à grande distance ou plus simplement quand la théorie de Newton prédit une accélération en dessous d'une accélération limite. Au cœur de Mond se trouve donc le postulatpostulat qu'au lieu d'obéir à la deuxième loi de Newton, F=ma, la force due à la gravité se comporte selon l'équation F = m a2 / a0 dans la limite des très faibles accélérations (a ≪ a0 ∼ 1,2 × 10− 10 m/s2).

    Mais tout ou presque se passe également comme si une galaxie contenait en fait plus de matière que l'on peut en déduire de sa luminosité sous forme d'étoile. Il y aurait donc, si on ne veut pas changer les lois de la gravitation, des distributions de masses qui ne rayonnent pas ou très peu. Nous savons que cela ne peut pas être de la matière ordinaire sous forme d'un gaz froid car la quantité de masse est si importante qu'elle aurait modifié à la fin du Big Bang les rapports entre les abondances des isotopesisotopes d'hydrogène et d'héliumhélium, pendant la fameuse nucléosynthèsenucléosynthèse primordiale. Or on n'observe pas les abondances qui sont prédites sous cette hypothèse ce qui exclue que la très grande majorité de la masse manquante déduite des observations sois sous forme de matière normale composant par exemple des naines brunesnaines brunes.

    Aqual, un avatar de Mond basé sur les mythiques équations de Lagrange

    On sait que le Modèle standard en cosmologie postule l'existence de cette matière noire exotique mais en fait, même en supposant qu'elle n'existe pas et qu'il faut faire appel à Mond, la théorie du Big Bang serait toujours largement valide. Reste que d'après Kyu-Hyun Chae, il faudrait donc maintenant adopter, au lieu de la théorie de la gravitation d'Einstein, une théorie esquissée par Milgrom et Bekenstein, sous le nom de AQUAdratic Lagrangian theory (Aqual).

    Aqual est une variante de Mond qui n'a pas trois défauts majeurs. En effet, bien que résolvant certains problèmes, la version initiale de Mond violait trois lois fondamentales de la physique, la conservation de l'énergieénergie, de la quantité de mouvementquantité de mouvement et du moment cinétiquemoment cinétique. Ce n'est automatiquement pas le cas avec une théorie basée sur un LagrangienLagrangien. Les Lagrangiens apparaissent dans des théories inspirées par la mécanique analytique de Lagrange et ils sont à la base de toutes les théories fondamentales des forces et de la matière connues. Ce n'est pas un hasard d'ailleurs si plusieurs des célèbres traités de physique théorique du légendaire physicien russe Lev Landau commencent par postuler des Lagrangiens.

    Cependant, Aqual n'est toujours pas satisfaisante dans sa forme actuelle (bien qu'elle soit compatible avec le fameux principe d'équivalence faible) car il faut la rendre compatible avec la relativité restreinterelativité restreinte et il y a des problèmes à cet égard, une version relativiste appelée Raqual n'est pas vraiment compatible avec les observations concernant les amas de galaxies par exemple.

    Mais, comment Kyu-Hyun Chae en est-il arrivé à suggérer aujourd'hui qu'il faut bien emprunter la voie montrée par Aqual pour modifier les équations de la relativité générale ?

    À gauche, un système stellaire binaire avec un binaire interne imbriqué (© Wikipedia). À droite, en rouge les points montrant des mesures avec une anomalie à faible accélération observée par rapport aux prédictions de la mécanique de Newton en noire et établie dans plus de 20 000 étoiles binaires de grande taille. ©  Kyu-Hyun Chae
    À gauche, un système stellaire binaire avec un binaire interne imbriqué (© Wikipedia). À droite, en rouge les points montrant des mesures avec une anomalie à faible accélération observée par rapport aux prédictions de la mécanique de Newton en noire et établie dans plus de 20 000 étoiles binaires de grande taille. ©  Kyu-Hyun Chae

    Des mouvements anormaux d'étoiles dans des systèmes binaires

    Le chercheur s'est basé sur des données astrométriques concernant les mouvements de plus de 26 000 étoiles doubles observées par le télescope spatialtélescope spatial Gaia de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne dans un rayon d'environ 650 années-lumièreannées-lumière autour du Soleil. Les étoiles dans ces systèmes binaires tournent l'une autour de l'autre à des distances suffisamment grandes pour que l'on entre dans le régime des faibles accélérations de Mond tout en étant suffisamment isolées de plusieurs effets pour qu'on ne puisse attribuer les accélérations mesurées qu'à la gravité des étoiles binaires (ce serait plus difficile de jouer à ce jeu dans le Système solaire ou sur Terre en particulier). On ne peut pas non plus faire intervenir les effets de la matière noire à cette échelle qui ne concerne que deux étoiles et pas le mouvement d'une étoile dans le champ de gravitation d'une galaxie.

    Les données de Gaia semblent bel et bien montrer que les mouvements de ces étoiles ne respectent pas les lois de Newton et toujours selon Kyu-Hyun Chae, les violations observées atteignent les fameux 5 sigma qui autorisent à parler de découverte car il n'y aurait environ qu'une chance sur un million pour que l'on observe seulement un effet du hasard.

    Gardons la tête froide et attendons encore plusieurs vérifications indépendantes avant de clamer la mort de la théorie de la matière noire et celle de la théorie de la relativité générale.

    Le physicien Mordehai Milgrom. © <em>Weizmann Institute of Science</em>
    Le physicien Mordehai Milgrom. © Weizmann Institute of Science

    On sait toutefois déjà ce qu'en pense Milgrom : « La découverte de Chae est le résultat d'une analyse très complexe de données de pointe, qui, pour autant que je puisse en juger, il a effectué très méticuleusement et avec soin. Mais pour une découverte d'une telle portée - et elle est en effet de très grande portée - nous avons besoin d'une confirmation par des analyses indépendantes, de préférence avec de meilleures données futures. Si cette anomalieanomalie est confirmée comme une violation de la dynamique newtonienne, et surtout si elle est effectivement en accord avec les prédictions les plus simples de Mond, elle aura d'énormes implications pour l'astrophysiqueastrophysique, la cosmologie et la physique fondamentale en général. »

    On sait aussi ce qu'en pense Xavier Hernandez, professeur à l'Université nationale autonome du Mexique (en espagnol : Universidad Nacional Autónoma de México, UNAM), qui a été le premier à suggérer de tester les lois de la gravité avec des étoiles binaires largement séparées il y a dix ans : « Il est excitant que l'écart par rapport à la gravité newtonienne que mon groupe revendique depuis un certain temps ait maintenant été confirmé de manière indépendante... la précision sans précédent du satellite Gaia, le grand échantillon méticuleusement sélectionné que Chae utilise et son analyse détaillée, rendent ses résultats suffisamment robustes pour être qualifiés de découverte. »

    Attendons encore un peu pour le penser vraiment, comme le propose Milgrom lui-même d'ailleurs.


    En 2016, Stacy McGaugh donnait cette conférence sur les raisons qui ont poussé des chercheurs comme lui à se tourner vers la théorie Mond proposée au début des années 1980 par physicien israélien Mordehai Milgrom. Stacy McGaugh était un fervent partisan de l'existence de particules de matière noire au début de sa carrière et c'est donc à reculons, en constatant des contradictions entre les prédictions issues de la théorie de la matière noire dans le monde des galaxies et, au contraire, les succès rencontrés naturellement par le cadre général posé par Milgrom modifiant les lois de la mécanique céleste de Newton, que Stacy McGaugh, tel Planck lors de sa découverte de la mécanique quantique, s'est résigné à admettre qu'il fallait changer les lois fondamentales de la gravitation et ne pas introduire de nouvelles particules en astrophysique. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © TED