Une matière noire exotique proposée il y a quelques décennies est discutée de plus en plus sérieusement, depuis quelque temps, pour rendre compte de certaines énigmes du modèle cosmologique standard. Elle se comporterait de façon déroutante comme un liquide superfluide encore quantique à l'échelle des galaxies. Cette matière noire « floue », comme on l'appelle, conduit à des prédictions testables.


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    Au cours de la seconde moitié des années 1960, le prix Nobel de physique James Peebles et d'autres cosmologistes comme Fred Hoyle vont montrer comment il est possible de produire des isotopes de l'hélium et de l'hydrogène à partir d'un plasma de protons, de neutrons, d'électronsélectrons, de neutrinosneutrinos et bien sûr de photonsphotons au moment du Big BangBig Bang. Cette théorie de la nucléosynthèsenucléosynthèse primordiale va d'ailleurs rapidement devenir une des preuves de la théorie du Big Bang, juste après la découverte du rayonnement fossilerayonnement fossile en 1965.

    Elle permet de comprendre les rapports d'abondance entre les isotopes de l'hydrogène et de l'hélium que l'on observe dans l'UniversUnivers. Elle impliquait aussi via les mesures de ces abondances et la théorie électrofaiblethéorie électrofaible, décrivant les effets des forces nucléaires faiblesforces nucléaires faibles sur les réactions thermonucléaires en jeu, qu'il n'existait que trois types de neutrinos légers dans le cosmoscosmos observable. Cette prédiction, qui se traduit dans le cadre de la théorie électrofaible par un temps de vie bien précis pour l'un des bosonsbosons prédit par cette théorie (le boson Z0) en plus du désormais célèbre boson de Brout-Englert-Higgs, a été testée avec succès avec le LEPLEP, le collisionneur qui a précédé le LHCLHC dans son tunnel de 27 kilomètres de circonférence.

    Or, la théorie de la nucléosynthèse est formelle, elle prédit une densité de matièrematière baryonique dans le cosmos observable qui est bien plus faible que la densité de matière requise pour expliquer le comportement des galaxiesgalaxies et des amas de galaxiesamas de galaxies. Si l'on ne modifie par les lois de la gravitationgravitation à leurs échelles, alors il doit exister d'autres particules que celles que nous connaissons en laboratoire sur Terre et ces particules ne doivent pas, ou très peu, pouvoir émettre de la lumièrelumière. Il y aurait donc une matière noirematière noire attendant dans l'ombre d'être découverte par l'humanité.

    Cette conclusion est renforcée par l'étude précise du rayonnement fossile et des simulations numériquessimulations numériques faisant naître les galaxies, les amas de galaxies puis les grandes structures filamenteuses qui les regroupent et que l'on observe. Il n'y a pas, à ce jour, de mécanisme connu autre que la matière noire, plus massive et plus dense, donc avec un champ de gravitation plus important pour accélérer son effondrementeffondrement gravitationnel et ensuite celui de la matière normale, pour faire naître les galaxies et les structures que nous observerons aussi tôt dans l'histoire du cosmos observable.

    Mais tout n'est pas rose pour autant. Le modèle cosmologique standardmodèle cosmologique standard qui fait intervenir ce que l'on appelle de la matière noire froide et une constante cosmologiqueconstante cosmologique, et dont les premières ébauches remontent au début des années 1980, là aussi dans les travaux du prix Nobel de physiquephysique James Peebles, ne rend pas bien compte de ce qui est observé à l'échelle des galaxies.


    James Peebles est l'un des lauréats du prix Nobel de physique 2019 pour ses travaux en cosmologie, notamment avec la matière noire. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Princeton University

    Des axions ultralégers pour résoudre l'énigme des galaxies naines

    On devrait voir beaucoup de petites galaxies nainesgalaxies naines gorgées de matière noire autour des grandes galaxies comme la Voie lactéeVoie lactée et Andromède. On devrait voir aussi au cœur des galaxies les effets gravitationnels de pics dans la densité de la matière noire. Ce n'est pas le cas alors que l'on peut mieux rendre compte de ces observations et d'autres, mais uniquement toujours à l'échelle des galaxies et pas de leur naissance ni de leurs regroupements, en modifiant les lois de la mécanique céleste dans le cadre de la théorie Mond.

    Les tenants de la théorie de la matière noire préfèrent ne pas explorer la voie ouverte par Mond, d'autant plus qu'il n'existe encore aucune version compatible avec la théorie de la relativité d'EinsteinEinstein. Il existe en effet un moyen d'inhiber naturellement la formation des petites concentrations de matière noire.

    Alors que les particules postulées par le modèle de la matière noire froide (cold dark matter ou CDM en anglais) sont supposées plutôt massives et surtout se déplaçant à faibles vitessesvitesses (comme dans un gazgaz à basses températures), ils postulent soit une composante supplémentaire de matière noire chaude, ce qui conduit à parler de modèles de matière noire tiède, soit une population très nombreuse de particules de très faibles massesmasses, mais toujours se déplaçant à faibles vitesses, ce qui en fait bien des particules de matière froide.

    L’axion est un exemple des particules postulées dans cette dernière hypothèse. C'est un boson scalaire et au cours des années, plusieurs versions des théories dites axioniques ont été proposées et explorées. Devant les multiples échecs pour mettre en évidence, directement en accélérateur et avec des détecteurs enterrés ou indirectement dans l'espace, les particules de matière noire froide, les physiciensphysiciens des astroparticulesastroparticules se penchent de plus en plus sur des versions exotiquesexotiques de la matière noire et en particulier des variantes des axionsaxions, dont les masses seraient extraordinairement faibles. À cet égard, on parle de plus en plus depuis quelque temps de matière noire « floue » (fuzzy dark matter ou FDM en anglais).

    Les particules de type axionique qui composeraient la FDM auraient une masse d'au plus 10.000 milliards de milliards de milliards de fois plus faible qu'un proton (10-22 eV). Pour cette raison, la longueur d'ondelongueur d'onde de l'onde de matière associée à ces particules serait comparable à la taille des galaxies. Mieux, ces particules de matière froide pourraient se condenser comme de l'hélium superfluidesuperfluide en donnant des condensats de Bose-Einstein et en exhibant des effets d'interférenceinterférence quantique à l'échelle des galaxies.

    Des images extraites de simulations de la formation de galaxies dans des scénarios de matière noire froide classique, chaude et « floue » (de gauche à droite). La structure des filaments où se condense la matière des galaxies n'est pas la même et on voit clairement à droite les effets d'interférence quantique qui, <em>via</em> les inégalités de Heisenberg, gomment la formation des petites galaxies contenant de la matière noire ainsi que le pic central de cette matière dans une galaxie. © P. Mocz <i>et al</i>., Phys. Rev. Lett. (2019)
    Des images extraites de simulations de la formation de galaxies dans des scénarios de matière noire froide classique, chaude et « floue » (de gauche à droite). La structure des filaments où se condense la matière des galaxies n'est pas la même et on voit clairement à droite les effets d'interférence quantique qui, via les inégalités de Heisenberg, gomment la formation des petites galaxies contenant de la matière noire ainsi que le pic central de cette matière dans une galaxie. © P. Mocz et al., Phys. Rev. Lett. (2019)

    Des filaments de matière noire floue observable avec le James-Webb

    Or, de tels comportements permettent de reproduire la phénoménologie des équationséquations de Mond tout en conservant les lois de la gravitation standard, comme Benoit Famaey nous l’avait expliqué dans un précédent article (rappelons au passage que la théorie de la nucléosynthèse prouve qu'il ne peut pas y avoir assez d'hélium dans le cosmos pour rendre compte de la matière noire, et de toute façon son comportement superfluide apparaît à une température plus basse que celle du rayonnement fossile qui la chaufferait de toute manière).

    Une équipe internationale de chercheurs est récemment allée un peu plus loin dans les tentatives de modélisationmodélisation de la formation des galaxies et des grandes structures qui les rassemblent à l'aide de simulations numériques, dans l'espoir de départager les modèles de matière noire actuellement en compétition.

    Le modèle FDM exhibe alors du fait des effets d'interférence quantique et de l'apparition possible de condensat de Bose-Einsteincondensat de Bose-Einstein des structures filamenteuses précoces pour les rassemblements des premières galaxies qui ne sont pas les mêmes initialement que dans le modèle CDM classique, comme l'expliquent les cosmologistes dans un article en accès libre sur arXiv.

    Les chercheurs espèrent donc qu'avec les observations des premières galaxies qui seront rendues possibles avec la mise en orbiteorbite du télescope spatial James-Webbtélescope spatial James-Webb il sera possible de comparer ces prédictions aux observations. On pourrait alors en savoir beaucoup plus sur la nature de la matière noire. Il n'est pas anodin de rappeler que plusieurs modèles de matière noire « floue » reposent sur l'existence de particules naturellement prédites par la théorie des supercordes.