Par définition, la matière noire ne peut pas émettre de lumière. Pour un physicien, elle ne peut pas être couplée à un champ électromagnétique, par exemple en étant chargée. Pourtant, des modèles de matière presque noire, avec des particules possédant une infime fraction de la charge électrique de l'électron, ont été proposés.
Au début des années 2000, beaucoup de physiciens et d'astrophysiciens auraient sans doute parié que la détection directe ou indirecte des particules de matière noire allait survenir au tout début des années 2010 au plus tard. Mais, depuis presque une décennie, les déceptions s'accumulent.
En effet, des détecteurs enterrés sous des kilomètres de roches aux satellites en orbite cherchant des traces d'annihilation des particules de matière noire, en passant, bien sûr, par les détecteurs géants du LHC, aucune de ces particules ne s'est montrée. Nous en avons eu un nouvel exemple récemment avec les derniers résultats de Xenon1T. Pourtant, la matière noire est incontournable en cosmologie pour expliquer les caractéristiques du rayonnement fossile et la naissance des grandes structures regroupant les amas de galaxies ; aucune alternative crédible n'est connue.
En fait, tous les résultats infructueux de la chasse aux particules de matière noire ne sont pas totalement négatifs, car, à défaut de nous dire ce que seraient ces particules, ils nous disent ce qu'elles ne sont pas. Les chercheurs considèrent donc des modèles parfois de plus en plus exotiques. Un bon exemple est donné dans un article publié dans Nature et dont le contenu peut être étudié grâce à d'autres articles disponibles en accès libre sur arXiv. Il y est question d'une théorie proposée notamment par Julian Muñoz, de l'université Harvard (États-Unis), en compagnie de son célèbre collègue Avi Loeb, du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics (CfA), bien connu pour l'originalité de ses idées.
La matière noire, sensible à la force électromagnétique ?
Les deux astrophysiciens font partie des rares chercheurs qui explorent depuis quelques années une hypothèse un peu iconoclaste : celle que la matière noire ne serait pas complètement noire car elle serait -- bien que très faiblement -- sensible à la force électromagnétique. Dans le cas présent, les deux hommes supposent l'existence de particules de matière noire dont la charge électrique serait de l'ordre d'un millionième de la charge électrique fondamentale (celle d'un électron ou d'un proton) tout au plus. Auparavant, l'hypothèse que la matière noire puisse être composée, au moins partiellement, de fermions milli-chargés, donc possédant une charge d'environ un millième de la charge électrique, avait déjà été proposée.
Dans le cas présent, Muñoz et Loeb font le lien entre leur théorie et une étonnante observation médiatisée il y a quelques mois lors de l'annonce de la détection des effets de la lumière des premières étoiles par les membres de la collaboration Experiment to Detect the Global EoR (Epoch of Reionization) Signature (Edges). Il s'agissait d'une raie d'absorption de l'atome d'hydrogène dans le domaine radio causée par le rayonnement ultraviolet des premières étoiles lorsqu'elles étaient en train de réioniser le cosmos observable. Cette raie s'observe en fait précisément dans le rayonnement fossile en interaction avec les atomes d'hydrogène plongés dans un bain de rayonnement ultraviolet en provenance de ces jeunes étoiles.
Une présentation de la détection des premières étoiles. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais apparaissent alors. Cliquez ensuite sur la roue dentée à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © National Science Foundation
Des « atomes » formés de particules micro-chargées ?
La raie était deux fois plus profonde que ne le prédisait la théorie, ce qui pouvait signifier que l'hydrogène cosmologique s'était refroidi plus tôt que prévu. Un bon moyen d'expliquer ce phénomène (mais ce n'est pas le seul) était de supposer que, d'une façon qui était encore à déterminer, la matière baryonique normale pouvait interagir avec la matière noire considérée comme un gaz de particules plus froid que le mélange d'hydrogène et d'hélium cosmologique primordial.
La théorie de Muñoz et Loeb s'insérerait naturellement dans cette hypothèse, à ceci près toutefois que les contraintes déjà existantes sur des particules de matière noire chargées imposent que seule une fraction de la matière noire pourrait se trouver sous la forme de ces particules (elles seraient de toute façon trop faiblement chargées pour pouvoir être détectées dans les expériences du LHC).
Rien n'interdit que la matière noire soit un mélange de différentes particules exotiques. Mais, en l'occurrence, les deux astrophysiciens n'écartent pas l'idée que le reste de la matière noire pourrait être formé d'états liés de particules de matière noire chargées ; il serait donc neutre comme l'est l'atome d'hydrogène, lui-même un état lié d'un électron négativement chargé et d'un proton positivement chargé. Il reste sans doute encore beaucoup de travail avant de pouvoir confirmer ces hypothèses...
- Le rayonnement fossile porte l'empreinte de la lumière émise par les premières étoiles. Cette empreinte semble indiquer que la matière connue était un peu plus froide que prévu au cours des premières centaines de millions d'années du cosmos observable.
- Ce phénomène peut s'expliquer de plusieurs façons. L'une d'elles postule que la matière noire puisse interagir avec la matière normale.
- Ce serait le cas en particulier si la matière noire était formée de particules portant un millionième de la charge de l'électron.
- Libres, ces particules ne formeraient qu'une partie de la matière noire mais, sous deux formes chargées, elles pourraient avoir formé des sortes d'atomes neutres qui rendraient compte du reste de la matière noire.