Certaines particules qui composent peut-être la matière dite noire pourraient ne pas l'être complètement. Il suffirait qu'elles possèdent une très faible charge électrique comme le postulent certaines théories relevant d'une nouvelle physique. Une expérience en cours de développement avec le LHC permet de traquer ces particules dites millichargées capables d'émettre un peu de lumière.


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    Lorsque l'on évoque l'énigme de la matière noirematière noire -- cette matière encore jamais vue dans des expériences sur Terre et que le modèle standard de la cosmologiemodèle standard de la cosmologie postule au-delà du modèle standard de la physique des hautes énergies spectaculairement confirmé au LHC par la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs --, on a souvent deux a priori.

    Ainsi, les particules de matière noire le seraient totalement, c'est-à-dire qu'elles ne possèderaient pas de charge électrique propre ou d'autres caractéristiques lui permettant d'émettre de la lumière, comme une hypothétique charge magnétique. On pense également aussi que la matière noire serait composée d'un seul type de nouvelles particules.

    En réalité, il n'en est rien, les chercheurs du domaine savent bien que la matière noire pourrait être un mélange de plusieurs particules très différentes les unes des autres et pas totalement incapables de rayonner des champs électromagnétiques. Un exemple de matière noire exotiqueexotique qui pourrait ne pas l'être complètement nous est donné par la théorie des anapoles magnétiques pour un fermionfermion,  considérée la première fois par le grand physicienphysicien et cosmologiste Iakov Zeldovich en 1958.

    Un autre exemple, dont Futura s'était déjà fait l'écho, notamment dans le précédent article ci-dessous, est celui de particules possédant des charges considérées comme généralement au moins mille fois plus faibles que celle de l'électronélectron, des fermions millichargés comme on les appelle parfois. Leurs émissionsémissions de lumière seraient très faibles mais pas totalement nulles et, s'ils existent et que l'expérience Xenon 1T est sur le point de découvrir des axionsaxions, on pourrait donc soudainement réaliser au cours de cette décennie que la matière noire est composée de deux types de particules.


    Une série de 52 cours sur la physique de base avec des expériences et une présentation à partir de l'histoire des sciences réalisée par la mythique université du Caltech, là où enseignait Richard Feynman. Dans cet épisode, il est question de la découverte de l'électron et de l'expérience de Millikan pour mesurer sa charge. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ».© Caltech

    De Millikan à MilliQan, l'aventure de la découverte de la charge électrique

    Le LHC va en effet repartir  la chasse d'une nouvelle physique de 2021 à 2023. Or, comme le CernCern vient de le rappeler dans un communiqué, ses chercheurs ont déjà utilisé le LHC pour tester le prototype d'un nouveau détecteur permettant de traquer des particules millichargées. Une collaboration de physiciens s'est en effet dédiée à cette tâche et elle porteporte le nom de l'expérience qu'elle prépare : milliQan. C'est évidemment une référence au pionnier de la détermination de la charge électrique élémentaire, le physicien et prix Nobel Robert Millikan.

    Les membres de la collaboration milliQan viennent donc de faire connaître les derniers résultats de leurs travaux via un article sur arXiv. Ils portent sur les mesures obtenues avec un détecteur de démonstration installé au LHC en 2017 et représentant 1 % du détecteur complet. En 2018, il a collecté suffisamment d'événements sous forme de flashflash lumineux pour pouvoir exclure l'existence de particules millichargées dont les massesmasses iraient de 20 à 4.700 MeV et pour des charges comprises entre 0,006 et 0,3 fois la charge de l'électron. Pour mémoire, la masse d'un protonproton est de 1.000 MeV environ, c'est-à-dire de l'ordre de 1 GeVGeV comme disent les physiciens qui mesurent les masses des particules en fonction de leur énergie associée via la mythique relation d'EinsteinEinstein. Les résultats sont compatibles avec d'autres mesures faites pour tenter de mettre en évidence des fermions millichargés, par exemple en cosmologie.

    Voici ce qu'en dit Chris Hill, l'un des porte-paroles de la collaboration milliQan : « Nous sommes très heureux des résultats obtenus avec le détecteur de démonstration. Il a, de toute évidence, permis d'atteindre l'objectif initial, à savoir nous donner un retour sur sa conception et nous familiariser avec son fonctionnement. Parvenir à démontrer qu'avec un prototype représentant 1 % seulement du détecteur complet, il était possible de placer de nouvelles limites aux propriétés des particules millichargées a été la cerisecerise sur le gâteau. Nous avons maintenant bon espoir que le détecteur complet fonctionnera comme prévu et donnera les résultats attendus, et nous avons hâte de trouver le financement requis pour que cela se concrétise ». À terme, milliQan devrait permettre d'explorer une gamme de charges comprises entre 10−1−10−3 fois celle d'un électron ou d'un proton et pour des masses comprises entre 0,1 - 100 GeV.


    Matière noire : la quête difficile des particules millichargées

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 24/12/2014

    Les quarksquarks possèdent des charges fractionnaires : 1/3 ou 2/3 de celle des électrons. Des modèles issus de théories physiques au-delà du modèle standard contiennent des particules avec des valeurs inférieures à un millième de cette charge. Elles pourraient jouer le rôle de particules de matière noire et se retrouver piégées dans la matière ordinaire. Une expérience simple en laboratoire a tenté de les débusquer.

    La découverte de l'électron et les premières mesures de sa masse et de sa charge datent d'à peine plus d'un siècle. Elles sont le produit d'expériences ingénieuses mises au point et réalisées vers 1897 par Joseph J. Thomson, J. S. E. Townsend et H. A. Wilson, trois physiciens britanniques. La mesure précise de la charge électrique élémentaire de l'électron a été réalisée quelques années plus tard par Robert Millikan au moyen de sa célèbre expérience de la goutte d'huile. La saga de la charge électrique s'est ensuite poursuivie tout au long du XXe siècle.

    On a tenté d'expliquer l'origine de cette charge élémentaire et de la quantificationquantification de sa valeur, laquelle apparaît identique pour tous les électrons et tous les protons ainsi que pour d'autres leptonsleptons et hadronshadrons. Paul DiracPaul Dirac s'est penché sur cette quantification, surtout parce qu'il était peu satisfait de la dissymétrie des équations de Maxwelléquations de Maxwell-Lorentz, traitant sur un pied d'égalité les champs électriquechamps électrique et magnétique sans faire intervenir de charge magnétique élémentaire. Le physicien fut alors conduit à postuler l'existence des monopôles magnétiques. On les cherche encore activement aujourd'hui, bien que des cousins, qui ne sont pas de vraies particules élémentairesparticules élémentaires, ont fini par être découverts dans certains solidessolides.

    Robert Andrews Millikan (1868-1953) était un physicien américain surtout connu pour ses travaux de mesure précise de la valeur de la charge de l’électron et sa vérification de la théorie de l’effet photoélectrique d'Einstein. Il s’intéressa plus tard aux rayons cosmiques. Il est le lauréat du prix Nobel de physique de 1923. © DP
    Robert Andrews Millikan (1868-1953) était un physicien américain surtout connu pour ses travaux de mesure précise de la valeur de la charge de l’électron et sa vérification de la théorie de l’effet photoélectrique d'Einstein. Il s’intéressa plus tard aux rayons cosmiques. Il est le lauréat du prix Nobel de physique de 1923. © DP

    L'existence même de la charge électrique trouve une explication naturelle, tout comme celle de la force électromagnétique, dans le cadre des théories de Kaluza-Klein. En étendant la validité des équations de la relativité généralerelativité générale à des espaces-tempsespaces-temps courbes avec des dimensions spatiales supplémentaires, on constate en effet que la charge électrique et sa loi de conservation sont une manifestation de la conservation de la quantité de mouvementquantité de mouvement et de son existence selon une quatrième dimension de l'espace en forme de cercle. Il se trouve aussi que cette hypothèse d'existence de dimensions spatiales supplémentaires, mais avec des configurations géométriques plus compliquées, est employée dans le cadre de la théorie des supercordesthéorie des supercordes. De cette théorie découlent potentiellement de nouveaux effets physiques que l'on aimerait pouvoir observer expérimentalement.

    Les millifermions, des particules de matière noire

    L'un de ces effets (parfois en relation avec ce qu'on appelle les photonsphotons noirs) conduit à postuler l'existence de nouvelles particules portant des charges électriques dont les valeurs sont inférieures au millième de celle de l'électron : les « millicharges » ou « millifermions ». Ces nouvelles particules pourraient constituer une fraction de la matière noire, dont l'existence a été à nouveau consolidée par les analyses des mesures du rayonnement fossilerayonnement fossile réalisées avec l'instrument Planck. Elles sont en effet traquées en cosmologie et en astrophysiqueastrophysique. Elles le sont aussi sur Terre dans des expériences de collisions de faisceaux de particules où ces particules se manifesteraient comme des sortes d'électrons (c'est-à-dire des fermions) lourds, mais pas trop. Sans ces expériences, elles risqueraient de rester longtemps insaisissables pour les détecteurs en raison de leur très faible charge et d'un taux de production assez faible lors des collisions.

    Une autre stratégie de découverte part de l'hypothèse que ces millicharges pourraient former des états liés avec les particules de matière normale et qu'elles pourraient donc s'accumuler dans des objets ordinaires. Comme ils l'expliquent dans un article sur arxiv récemment, des physiciens de l'université de Stanford ont posé de cette façon des bornes sur la valeur de la charge de ces particules et leur abondance dans la matière normale.

    Des microsphères de silice piégées optiquement

    Pour ce faire ils ont commencé par mettre en lévitation dans un vide poussé des sphères en silicesilice. Ils ont ainsi réalisé un piège optique avec des lasers immobilisant ces sphères en dioxyde de siliciumsilicium de 5 micromètresmicromètres de diamètre. Soumises à des rayons ultravioletsultraviolets, ces microsphères ont dû perdre d'éventuelles charges électriques entières mais pas leurs millicharges. Leur présence pourrait donc être révélée en soumettant ces objets à des champs électriques alternatifs capables de les faire osciller autour de leur position d'équilibre s'ils contenaient un certain nombre de millicharges d'une valeur donnée.

    Les physiciens auraient pu découvrir des millicharges valant entre un dixième et 10 millionièmes de la valeur de la charge électrique de l'électron environ. Si elles sont bel et bien présentes dans l'expérience alors il ne doit pas en exister plus de 2,5 pour 1014 nucléonsnucléons dans le matériaumatériau testé...

    Voilà plus d'un siècle, Joseph John Thomson (1856-1940) découvrait l'électron et mesurait sa masse. Bien avant Robert Brout, François Englert et Peter Higgs, les théoriciens de l'époque comme Lorentz et Poincaré avaient déjà entrepris de calculer la masse de l'électron. On a depuis tenter d'expliquer sa charge. © <em>Cavendish Laboratory</em>, université de CambridgeLaboratory  
    Voilà plus d'un siècle, Joseph John Thomson (1856-1940) découvrait l'électron et mesurait sa masse. Bien avant Robert Brout, François Englert et Peter Higgs, les théoriciens de l'époque comme Lorentz et Poincaré avaient déjà entrepris de calculer la masse de l'électron. On a depuis tenter d'expliquer sa charge. © Cavendish Laboratory, université de CambridgeLaboratory