Un peu pataud dans sa démarche et incapable de voler malgré ses ailes, c'est dans les eaux que ce grand oiseau révèle tout son talent. Nageur hors pair, il habite bien sûr en Antarctique, mais aussi en Afrique du Sud ! Le manchot du Cap y met au point d’impressionnantes techniques de chasse en groupe. Retranscription d'un épisode du podcast family-friendly Bêtes de Science, il s'adresse aux petits comme aux grands. Que vous souhaitiez lire l’histoire ou l’écouter, découvrez l’épisode ci-dessous.


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    Découvrez le podcast à l'origine de cette retranscription dans Bêtes de Science.

    Il tient tête au blizzard et affronte sans broncher les océans déchaînés. Le manchot est un drôle d'animal. Avec son long bec, ses plumes très courtes aux airsairs d'écailles, son corps dodu posé sur deux courtes pattes, il semble à mi-chemin entre l'oiseau et le poisson. C'est pourtant bien un oiseau... qui ne vole pas. Mais qu'à cela ne tienne, privé de pirouettes aériennes, le manchot virevolte dans les mers. Et il y est comme un poisson dans l'eau : ses petites ailes inaptes au vol sont absolument parfaites pour nager ; à vrai dire, elles ressemblent même à des nageoires ! Cet animal grégairegrégaire et social aime la compagnie de ses congénères et vit dans de grandes colonies, appelées manchotières. Et levons tout de suite le doute : non, le manchot n'est pas un pingouin ! Le pingouin vole, vit dans l'hémisphère nord et appartient à la famille des alcidés alors que le manchot est un sphénisciforme, que l'on retrouve dans les régions marines de l'hémisphère sudhémisphère sud, en AntarctiqueAntarctique, en Nouvelle-Zélande, en Afrique ou encore au Pérou. Eh oui ! Contrairement à l'image que l'on s'en fait d'habitude, le manchot n'habite pas exclusivement sur la banquise : certains aiment se dorer la pilule sur des plages de sablesable fin baignées de soleilsoleil, tandis que d'autres prennent l'air sur les rochers sombres des îles Galápagos. Mais ne t'y trompe pas pour autant, notre petite bête n'a pas peur du Grand Sud : dans le désertdésert glacé de l'Antarctique, on peut voir sa petite silhouette - qui mesure entre 40 centimètres et un peu plus d'un mètre - se dandiner avec adresse. Les conditions de vie en Antarctique sont difficiles, l'environnement hostile. Mais on y retrouve pourtant plusieurs espècesespèces de manchots, parmi lesquelles le plus grand de tous : le célèbre manchot empereurmanchot empereur.

    Car sous ses airs d'adorable petite peluche, le manchot est un as de la survie. En cas de tempêtetempête, par exemple, pas de quoi paniquer : toute la colonie fait bloc ! Serrés les uns contre les autres, les manchots se tiennent chaud tous ensemble : ils se relaient même aux postes les plus pénibles pour que les oiseaux au bord du groupe, exposés au ventvent, puissent retrouver un peu de chaleurchaleur. Outre la solidarité de ses comparses, le manchot peut aussi compter sur son épais plumage, qui le protège des froids les plus extrêmes et lui permet de barboter dans les eaux les plus glaciales. Et c'est bien pratique pour se remplir la pansepanse ! Car notre petite bête fait son marché dans les mers : il se nourrit de poissons, de calamarscalamars, de mollusquesmollusques ou encore de krillkrill, une sorte de petite crevette. Pour cela, il possède un talent extraordinaire : le manchot est en effet capable de conserver des poissons entiers dans son estomacestomac sans les digérer, pendant plusieurs jours ! C'est ainsi que les petits du manchot, les poussins, qui naissent au cœur des rudesses de l'hiverhiver, sont nourris par leurs parents. À tour de rôle, ils partent pêcher avant de régurgiter des poissons entiers pour nourrir leur progéniture. Mais bien souvent, le poisson vient à manquer. Car le réchauffement climatiqueréchauffement climatique dû aux activités humaines impacte de plein fouet l'habitat du manchot. Les glaciersglaciers reculent, les eaux de la planète sont moins peuplées en poisson et en krill : les populations de manchots diminuent et sont menacées de disparition.

    Longtemps, le manchot a été peu étudié en comparaison avec les autres oiseaux. Pourtant, derrière sa sympathique petite silhouette à la démarche rigolote, se cache un animal brillant dont les capacités ne cessent de surprendre les scientifiques. Pour le découvrir, nous embarquons pour un incroyable voyage : à l'extrémité sud de l'Afrique, tout au bout de cet immense continent, le Cap et la réserve de Stony Point nous attendent.

    Le comportement du manchot du Cap

    Nous voici loin des étendues immaculées et des températures négatives de l'Antarctique. Ici, au Cap, en Afrique du Sud, au cœur de la réserve de Stony Point, le ciel et les eaux de la baie de Betty resplendissent du même azur. Il fait bon et sur les plages rocailleuses, on peut admirer l'entrelacs de fleurs, d'alguesalgues et d'herbes folles que le vent balaie sans relâche. Et puis soudain, le voici. Il arrive en se dandinant du haut de ses 60 centimètres. Son torse blanc est parsemé de taches noires qui dessinent un motif unique. Elles sont apparues lorsqu'il avait entre 3 et 5 mois et demeureront les mêmes jusqu'à la fin de sa vie. Au-dessus de ses yeuxyeux tu peux apercevoir deux taches, roses cette fois-ci : ce sont des glandesglandes qui deviennent de plus en plus roses à mesure qu'il se réchauffe. Il a un petit bec noir, et un air satisfait absolument adorable lorsqu'il ferme les yeux. Le manchot du Cap est vraiment le plus mignon de tous. Spheniscus demersusSpheniscus demersus, c'est son nom latin, est endémiqueendémique des côtes africaines : on ne le trouve nulle part ailleurs sur le globe. Et les études sur ses aptitudes sont nombreuses : il est capable de reconnaître ses congénères à leur cri, de filtrer les sons dans un environnement extrêmement bruyant pour sélectionner ceux qui l'intéressent (capacité dont nous, humains, savons également faire preuve) ou encore de suivre le regard d'un camarade - et c'est bien précieux pour détecter un prédateur.

    Mais l'équipe d'Alistair McInnes nous attend aujourd'hui pour percer un autre mystère. Ce chercheur connaît bien le manchot du Cap, il travaille à l'université de Cape Town et est spécialiste de l'étude des oiseaux menacés. Aujourd'hui, à l'aide d'un bon vieux scotch imperméable, il accroche sur le dosdos des manchots de petites caméras qui nous permettront de plonger dans leur monde. Une fois les caméras bien accrochées, nous allons pouvoir les suivre en pleine chasse à la sardine. C'est le grand plongeon. À la caméra, on aperçoit tantôt l'obscurité des profondeurs sous-marines, tantôt la lumièrelumière qui perce à la surface. Et c'est normal : le manchot porteur de la caméra virevolte. Il amorce une plongée descendante, l'image devient de plus en plus obscure, l'eau est trouble, presque verte, et puis d'un coup il remonte. Au-dessus de lui, on voit ce qui mobilise toute son énergieénergie : un banc de sardines. Il fonce sur le banc, quand, non loin, on aperçoit l'espace d'un instant les autres manchots qui font de même. Ils cherchent à coincer le banc de sardines entre eux et la surface des eaux. C'est ce que les chercheurs qualifient de phase ascendante. Lors de cette phase, le banc de sardines se désunit et une sardine se retrouve esseulée, à l'écart des autres : ni une ni deux, notre manchot n'en fait qu'une bouchée. Et la course se poursuit. Puis, soudain, ça y est, on voit les sardines se débattre, dans la lumière vive de la surface. Très vite, on entend le cri d'autres oiseaux, ceux qui peuvent voler : ils sont attirés par le festin. Pour les manchots, il n'y a plus qu'à se régaler.

    Lors de cette étude, les chercheurs ont analysé plus de 800 minutes de vidéo de chasse sous-marine. Soit des centaines de scènes comme celles-ci. Et ils ont ainsi filmé les manchots du Cap chassant en groupe. Cette technique nécessite de se coordonner avec ses camarades, de réagir rapidement en cas de changement de situation, d'anticiper le mouvementmouvement des poissons. Bref, la chasse en groupe est une prouesse en matièrematière d'intelligenceintelligence. Tu le sais d'autant mieux si tu as écouté notre épisode sur la sardine, qui est plutôt maline, elle aussi. Mais ça n'est pas tout : les chercheurs se sont aperçus que les manchots mettaient en place différents types de stratégies pour attraper des poissons seuls, isolés, ayant échappé à la protection de leur banc, ou pour parvenir à les pêcher même lorsqu'ils sont groupés. Autre point, et peut-être le plus important : lorsque le manchot chasse avec ses congénères, sa pêchepêche est plus fructueuse. Cette coopération est donc efficace. Incroyable n'est-ce pas ? Cela dit, les chercheurs se sont par ailleurs aperçus que les manchots chassaient moins en groupe qu'avant, lorsque les populations de manchots étaient à un niveau normal. La baisse du nombre d'individus a donc un impact sur leur organisation sociale. Les sardines et les anchois, si précieux pour le manchot, sont directement menacés par la surpêchesurpêche et par le changement climatique. Et leur diminution frappe de plein fouet les populations de manchots : depuis le début du XXe siècle, elles ont ainsi diminué de 90 %. Ainsi, l'équipe d'Alistair McInnes conclut cette étude passionnante en nous invitant à protéger le manchot du Cap. Et pour ce faire, insistent-ils, il faut préserver la faunefaune et la flore, protéger la biodiversitébiodiversité, sauvegarder son lieu de vie.