Pour survivre aux conditions extrêmes de l'Antarctique, les manchots empereurs se regroupent. Dans l'amas formé, chacun ne songe qu’à lui : il s'active pour se retrouver au centre. En modélisant la dynamique du regroupement des manchots, des mathématiciens ont eu la surprise de découvrir que grâce à l’égoïsme de chaque individu, tous les éléments du groupe bénéficient de la même quantité de chaleur.

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    Les manchots empereurs n'ont eu d'autre choix que de développer une technique de réchauffement efficace pour survivre à l'extrême rigueur de l'hiver antarctique. Les températures hivernales oscillent entre -80 et -90 °C et les tempêtes sont fréquentes. Malgré cela, dans cette période, les manchots empereurs sont capables de jeûner durant 115 jours et la lutte contre les tempêtes génère des températures ambiantes de 20 à 37,5 °C. Pour garder leur énergieénergie, les oiseaux se regroupent, formant une sorte d'amas concentrique mouvant, souvent appelé figure de la tortue.

    Une des principales caractéristiques de ce regroupement est que chaque manchot a l'opportunité d'accéder au maximum de chaleurchaleur. L'amas est sans cesse en mouvementmouvement. Cette organisation est le résultat d'une logistique complexe, hautement efficace. Pour le chercheur Yvon Le Maho« les encerclements ne sont pas immobiles, le mouvement est très lent, mais continu. Incités par le vent, les oiseaux à l'arrière-flanc (les plus exposés) avancent lentement le long du cercle afin d'être protégés du vent. Ainsi, les oiseaux qui sont dans un premier temps au centre migrent vers l'aile arrière et se déplacent, à leur tour, sur les lignes de côté ».

    En se basant sur l'hypothèse d'Yvon Le Maho, une équipe de mathématiciensmathématiciens du département de mathématiques appliquées de l'université de Californie à Merced (UCM) a modélisé la dynamique du cercle mouvant. Les résultats des simulations suggèrent que la quête personnelle du maximum de chaleur induit une répartition presque uniforme de la chaleur entre tous les individus. À travers le mouvement de chaque manchot, le mouvement global de l'amas des animaux connaît un effet global d'accumulation de chaleur. Publiée dans le magazine Plos One, l'étude montre en outre que les facteurs clés de la dynamique de groupe sont le nombre de manchots dans le groupe, la force du vent et le taux d'incertitude des mouvements des manchots.

    En Antarctique, les manchots empereurs s'amassent pour vaincre le froid. Une dynamique de mouvement complexe se met en place. C'est la figure de la tortue : chaque manchot essaie de gagner le maximum d'énergie, et au final, tous les manchots reçoivent la même quantité de chaleur. © Françoise Amélineau, ENS Lyon

    En Antarctique, les manchots empereurs s'amassent pour vaincre le froid. Une dynamique de mouvement complexe se met en place. C'est la figure de la tortue : chaque manchot essaie de gagner le maximum d'énergie, et au final, tous les manchots reçoivent la même quantité de chaleur. © Françoise Amélineau, ENS Lyon

    Dans le modèle mathématique, l'hypothèse clé est que chaque individu cherche à réduire sa propre perte de chaleur. Les paramètres climatiques considérés sont la température et la force du vent autour du groupe. Les regroupements se produisent en effet plus fréquemment lorsque la température ambiante est faible et que la force du vent augmente.

    Chacun pour soi, mais tous les manchots en profitent !

    Le modèle suit les étapes suivantes : il génère d'abord un regroupement pêle-mêle. Il calcule ensuite l'écoulement du vent et la température autour du regroupement. Le taux de perte de chaleur de chaque animal peut alors être déterminé. Le manchot qui a la plus grosse diminution de chaleur (en périphérie, exposé au vent) est défini comme le moteur de la dynamique de mouvement. Pour réduire sa perte de chaleur, il se déplace en bordure du cercle jusqu'à trouver une zone où la perte est minimale. Cette action est ensuite répétée autant de fois que nécessaire.

    Les résultats des simulations ont surpris les modélisateurs : tous les manchots empereurs bénéficient du même apport de chaleur. « Même si les manchots sont seulement égoïstes, en essayant uniquement de trouver le meilleur endroit pour eux-mêmes sans penser à leur communauté, il y a égalité dans la quantité de temps durant laquelle chaque manchot est exposé au vent », explique François Blanchette, auteur de la publication.

    Il existe toutefois des incertitudes, notamment sur les mouvements des manchots et sur la distribution de la force du vent sur les manchots les plus exposés. Les mathématiciens espèrent aller plus loin avec les biologistes spécialisés dans l'étude comportementale des manchots. Ils attendent de leur part un retour sur la robustesse de leur modèle. Pour l'affiner, les mathématiciens souhaiteraient mieux paramétrer les conditions climatiques du processus. Il est néanmoins difficile de réunir des données in situ : les regroupements des manchots se produisent le plus souvent durant les tempêtes hivernales et les conditions extrêmes. Pas sûr donc que les biologistes soient rapidement en mesure de fournir les modélisateurs.