Douze ans après La marche de l'empereur, Luc Jacquet revient avec un documentaire sur les manchots. Cette fois, les images vont jusque dans l'eau, où les plongeurs, dont Laurent Ballesta, qui nous avait montré le cœlacanthe à 100 m de profondeur, ont filmé un monde extraordinaire, écosystème bariolé, coloré et incroyablement riche. Nous avions présenté cet univers connu depuis peu et digne d'un récif corallien.
Pour cette deuxième marche de l'empereur, qui sort aujourd'hui dans les salles de cinéma, Luc Jacquet nous donne comme fil conducteur la vie d'un jeune manchot qui vient de naître. Nous vivrons ses aventures grâce à l'équipe de Wild-Touch in Antarctica, installée durant 45 jours près de la base Dumont-d'Urville, en Terre Adélie et qui, cette fois, a plongé. En janvier dernier, Arte avait diffusé un documentaire, Antarctica, sur les traces de l’empereur, réalisé par Jérôme Bouvier.
Avec Luc Jacquet (qui nous a conté aussi, avec Francis Hallé, Il était une forêt), c'est une histoire qu'on nous raconte à travers les découvertes de ce petit manchot, comme celle de l'eau et même de son premier plongeon dans la mer. Aux photographies de Vincent Munier, sur la banquise, s'ajoutent maintenant des images extraordinaires filmées par Laurent Ballesta, ce biologiste marin fou de plongée qui a mis au point des techniques de respiration en circuit fermé et qui n'en est pas à son premier exploit. En 2013, il racontait à Futura, dans une vidéo réalisée pour nos lecteurs, sa passion et sa descente à 100 m pour filmer des cœlacanthes dans leur milieu, dans le canal du Mozambique, ce qui n'avait jamais été fait.
Plongez dans la vie foisonnante de l’Antarctique
Outre la - véritable - scène d'un bébé manchot sautant pour la toute première fois dans l'océan, ces images sous-marines nous dévoilent l'un des écosystèmes les plus méconnus : celui des récifs de l'océan Antarctique. Jusqu'à 70 m de profondeur, les plongeurs nous font découvrir un monde de poissons, de coraux, d'algues, d'éponges, de crustacés, de mollusques et d'annélides, dont les couleurs et les richesses évoquent un lagon tropical. C'est ce qu'avait étudié sur la côte est de l'Antarctique une équipe australienne de l'AAD (Australian Antarctic Division), à 30 m de fond dans les eaux obscures coiffées par la partie flottante d'un immense glacier.
Avant de suivre Luc Jacquet et le bébé empereur, redécouvrez les dernières découvertes de ce monde qu'il reste encore à explorer. Il vous suffit, à partir de cette dernière ligne, de descendre. Bonne plongée.
À la découverte d'un monde méconnu
Article de Jean-Luc Goudet publié le 23/12/2016
Rose, jaune, bleu... : le monde coloré vivant dans ces eaux obscures et froides sous le couvercle de la banquise en Antarctique est étonnant par sa biodiversité. Ces écosystèmes complexes restent mal compris. Au plaisir des yeux s'ajoute celui du biologiste marin...
Un peu par hasard, des scientifiques australiens ont filmé, à l'aide d'un engin sous-marin téléguidé, une curieuse faune à 30 m de profondeur sous la banquise en Antarctique, sur le littoral de la côte est, dans la baie O'Brien. Les scientifiques avaient mis à l'eau un ROV (Remotely Operated Vehicle) pour récupérer un appareil de mesure (acidité, oxygène, pression et température). Ces océanographes de la station Casey surveillent les variations d'acidité de l'eau, qui dépendent de la quantité de CO2 atmosphérique, efficacement et obligeamment absorbé par l'océan.
Ce n'est pas une découverte mais un bel exemple de la biodiversité, toujours mal comprise, qui règne dans ces eaux froides dont la température est négative. Avec la couche de glace, de plus, le milieu est obscur. Ici, explique le biologiste Glenn Johnstone dans le communiqué de l’Australian Antarctic Division (AAD), l'épaisseur atteint 1,5 m environ dix mois de l'année. Il s'agit bien de banquise, donc d'eau de mer gelée en surface.
Un monde coloré sous la glace
La faune s'adapte très bien à ces conditions difficiles, le milieu offrant un avantage de taille : ce petit monde est à l'abri des tempêtes et du climat capricieux sous ces latitudes. Les espèces visibles sur la vidéo du site Internet de l'AAD sont étonnamment colorées. On y voit beaucoup d'éponges, dont certaines sont jaunes. La couleur rouge ou rose est celle des algues corallinales, rigidifiées par des formations calcaires. Ce petit peuple compte aussi des araignées de mer (cousines des crabes) et des holothuries, alias concombres de mer, voisines des oursins et dont les espèces, rampantes sur le fond, connaissent un grand succès dans presque toutes les mers du Globe. Des oursins sont présents ainsi que des ophiures, proches cousines des étoiles de mer aux bras très fins et au corps rigide. Des annélides tubulaires se reconnaissent à leur plumeau de branchies.
Ces écosystèmes ressemblent, mais dans une certaine mesure seulement, à ceux qui se sont installés sous les immenses langues glaciaires prolongeant en mer les glaciers continentaux. Nous avons déjà présenté ces mondes sous-glaciaires, plus profonds et encore plus isolés du reste de l'océan. La compréhension des équilibres écologiques de ces milieux étonnamment diversifiés est utile sur le plan scientifique mais aussi pour anticiper leur évolution dans les décennies à venir sous l'action d'un climat changeant.
Sous la glace antarctique, un monde à découvrir
Article de Jean-Luc Goudet publié le 28/01/2015
À 800 m sous le glacier flottant de la mer de Ross, des scientifiques ont filmé un peuple de poissons et de crustacés. Ils vivent au sein d'écosystèmes dont les ressorts restent mystérieux : il y fait moins de 0 °C, la lumière n'y pénètre pas et les échanges avec l'océan sont sans doute limités. La vie y est pourtant bien présente.
Des chercheurs américains de l'université de l'Illinois du nord (NIU, Northern Illinois University) viennent de forer la barrière ou plate-forme de Ross, en Antarctique. Cet énorme glacier venu du continent s'étale sur la mer en flottant sur environ 800 km. Sous cette épaisse couche de plusieurs centaines de mètres d'épaisseur, les eaux de l'océan sont froides (-2 °C), obscures et mal oxygénées. Quelles espèces peuvent y vivre ?
Certainement aucun animal, aurait-on répondu il y a plusieurs décennies, avant de découvrir des écosystèmes profonds bien plus variés que prévu. En 2007, la fragmentation de l'énorme plaque de glace Larsen, à l'est de la péninsule antarctique, avait mis au jour l'écosystème qui vivait là. Les scientifiques y avaient dénombré plus d'un millier d'espèces, dont des poissons, des arthropodes et des mollusques, une vingtaine étant jusque-là inconnues.
Sous la glace, un écosystème aux rouages mal compris
Cette fois, pas de fragmentation : l'équipe menée par Ross Powell (bien prénommé) face à la mer de Ross a foré, par une technique à eau chaude, un puits de 800 m dans la glace et y a introduit un ROV (Remote Operated Vehicle), le Deep Scini pour (Submersible Capable of under Ice Navigation and Imaging. Comme son acronyme l'indique, l'engin est capable de naviguer et filmer sous la glace.
La moisson zoologique est excellente. Les amphipodes, ces crustacés cousins des gammares de nos plages, habitués des grandes profondeurs où ils sont parfois géants, étaient bien au rendez-vous, avec un grand nombre d'espèces. Il y avait également des poissons, ce qui, aujourd'hui, n'étonne plus. Cependant, le fonctionnement de cet écosystème - tout au sud de la Planète, car le site est à peu de distance du pôle - situé dans un environnement aux fortes contraintes reste mal compris. Les scientifiques veulent maintenant connaître le cycle du carbone dans cette zone isolée.
Quelles interactions entre océans et glaciers ?
Cette expédition Wissard (Whillans Ice Stream Subglacial Access Research Drilling) s'intéresse d'abord à la dynamique du glacier et aux paramètres qui en déterminent la vitesse de fonte (laquelle, vu les masses d'eau douce en jeu, peut influer sur le niveau de l’océan mondial). D'ailleurs, Ross Powel est géologue, et non biologiste.
Outre les images, des prélèvements de sédiments ont été effectués, pour mieux comprendre les interactions entre ces langues géantes de glace et le fond. « Personne n'avait jamais fait de mesures directes dans un tel environnement », souligne Slawek Tulaczyk, un des responsables scientifiques dans le communiqué de l’université de l’Illinois.