Sais-tu quel animal à 14 pattes et qui fuit la lumière, garde ses bébés au chaud dans une poche ? Aujourd’hui, on va parler du cloporte dans Bêtes de Science.


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    Autour de nous, dans nos jardins et nos maisons, habitent tout un tas de petits colocataires, auxquels on ne fait pas attention, ou que l'on chasse à coups de balai. Araignées, insectes, poissons d'argentargent... Pourtant, ils mènent souvent une vie fascinante, et nous rendent de nombreux services ! Aujourd'hui, je te propose d'en apprendre un peu plus sur un petit animal que tu as sans doute déjà croisé en vrai... le cloporte ! 

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    Un coloca-terre discret

    Tiens, traversons la rue - en regardant d'abord des deux côtés -, et allons nous balader dans le petit square, qui se trouve là-bas. Je suis sûre qu'on pourra en voir. C'est l'automne et le sol est couvert de feuilles rousses qui craquent sous les pieds. Il a plu hier, et quelques flaques se forment sur le bord du sentier, même si l'airair est encore doux pour la saison. Non loin des bancs et du gravier s'élèvent quelques grands arbresarbres, au milieu d'une pelouse. Des morceaux d'écorce, un tapis de feuilles mortes et des pierres de toutes les tailles jonchent le sol. Regardons qui peut bien se cacher là-dessous. Allons-y doucement, pour ne pas faire peur à celles et ceux qui vivent ici. On aperçoit sous le premier tas de feuilles un lombric surpris d'être découvert. Regarde-le se recroqueviller !

    Si tu as déjà écouté l'épisode de Bêtes de Science où je te parle de ce petit animal vorace, tu sauras que celui-ci est un mâle. Laissons-le reprendre tranquillement ses activités et poursuivons. Sous l'écorce suivante, un petit mille-pattes se dépêche de se sauver sous une feuille. En vérité, il n'a pas vraiment mille pattes, quelques centaines tout au plus. Il vaut mieux l'appeler iule, c'est moins trompeur ! Et entre les racines d'un grand arbre, cachées sous les feuilles, on découvre enfin trois petites bêtes, aux antennes courtes, aux nombreuses pattes et au corps recouvert de solidessolides plaques dures : les voilà, nos cloportes !

    Regarde, ils ne sont pas de la même forme, ni de la même couleurcouleur. Le plus petit des trois, est d'un gris très clair, presque blanc ! C'est parce qu'il vient de muer, c'est-à-dire de changer de peau. Il reprendra des couleurs en vieillissant. Les deux autres sont gris foncé, avec quelques motifs, comme des taches plus claires sur leur dosdos. Ils sont mignons, non ? On ne va pas les stresser davantage, mais sache que certains cloportes, quand ils se sentent en danger, se roulent en boule, pour protéger leur ventre. C'est un comportement que l'on retrouve chez des animaux très différents comme le hérisson, le tatoutatou, certains mille-pattesmille-pattes ou les serpents. On parle de volvation. Ça vient du latin volvere, qui veut dire rouler. C'est ce qui lui a donné son surnom anglais d'armadillo bugbug, l'insecte-tatou. Marrant, non ? Ceux-là essaient surtout de se cacher, et de retrouver l'obscurité... laissons-les tranquille. 

     Un cloporte commun, <em>Armadillium vulgare</em>, qui se roule en boule quand il se sent en danger pour protéger son ventre. © benjamint444, Wikimedia Commons
     Un cloporte commun, Armadillium vulgare, qui se roule en boule quand il se sent en danger pour protéger son ventre. © benjamint444, Wikimedia Commons

    Le seul crustacé à vivre hors de l'eau est l'allié des jardiniers

    On pense bien souvent que les cloportes sont des insectes, à cause de leur taille, de leur aspect et de leur mode de vie. Et pourtant... ce sont des crustacéscrustacés, comme le crabe, l'écrevisseécrevisse ou la crevette ! Si tu y regardes de plus près, leur corps est articulé comme celui de leurs cousins aquatiques, et contrairement aux insectes, ils ont plus de 6 pattes ! Les cloportes sont même, plus précisément, des isopodes terrestres. « Iso », veut dire égal, et « podes », pattes, car ils ont 14 pattes qui sont toutes de la même taille. Ce sont les seuls crustacés à vivre en dehors de l'eau ! 

    À l'heure actuelle, 4 000 espècesespèces ont été décrites, et on a dénombré plus de 200 espèces de cloportes, rien qu'en France Métropolitaine. ça en fait du monde ! 

    Sous nos latitudeslatitudes, l'un des plus répandus est le cloporte commun, de son nom latin Armadillidium vulgare. On retrouve une référence à l'armadillo, le tatou en anglais, à cause de son habitude à se mettre en boule.

    Le cloporte commun est originaire du pourtour méditerranéen mais a conquis le monde ! On le trouve aussi bien aux États-Unis qu'en Afrique du Sud, ou à Madagascar et en Inde. Son habitat de prédilection associe une température plutôt tempérée, et une certaine humidité. Même s'il a quitté l'océan il y a des milliers d'années et qu'il peut respirer en dehors de l'eau, notre cloporte reste très sensible à la chaleurchaleur, et il fuit les sources de lumièrelumière directe. Si la majorité des autres cloportes ne sort qu'à la nuit tombée, on peut observer notre cloporte commun même en plein jour, à condition qu'il soit un peu caché.

    Le cloporte est un détritivore qui raffole des feuilles et du bois pourri. Sa présence révèle la bonne qualité du milieu

    Les coins qui gardent le frais et l'humidité sont parfaits pour lui, comme les morceaux d'écorce et les roches que l'on a soulevé tout à l'heure dans le parc. Ils lui permettent de se cacher de ses nombreux prédateurs -- araignées, musaraignes, lézards et autres crapauds -- qui en feraient bien leur repas ! 

    Sa maison, c'est donc le sol, en surface, et un peu plus en profondeur, car il peut s'enfouir. Mais le sol, c'est aussi son garde-manger ! Le cloporte raffole des feuilles et du boisbois pourri. On dit qu'il est détritivoredétritivore. Chaque année, en l'absence de ver de terre et en collaboration avec les diplopodes, d'autres types de « mille pattes », il dégrade 30 à 50 % de la litièrelitière, la couche du sol que l'on trouve à la surface. Sa présence révèle la bonne qualité du milieu. Tout comme le lombric, dont je t'ai déjà parlé dans un ancien épisode de Bêtes de science, c'est donc un super allié ! Alors, on dit merci qui ?

    Le cloporte a plus d'un tour dans la poche

    Au repos, son corps de forme ovale mesure entre 1 et 2 centimètres de long. Et comme on l'a vu, sa couleur change selon son âge et son sexe. Quand ils sont adultes, vers l'âge de 6 mois, les mâles se parent d'une couleur uniforme gris foncé, alors que les femelles sont plus claires et arborent de jolies marbrures sur leur corps. Ils peuvent vivre plusieurs années, et grandissent en continu, toute leur vie.

    Comme les insectes, les cloportes muent. Ils changent de peau ! Ce qui est rigolo, c'est que cela se passe en deux étapes. Ils se débarrassent d'abord de leur muemue, au niveau de l'arrière de leur corps, comme un pantalon, puis se défont de la partie au niveau de la tête, comme d'un vieux T-shirt. Et hop ! Tout neuf ! 

    Le cloporte a un corps ovale de 1 à 2 centimètres de long. De son nom latin, <em>Armadillidium vulgare</em> n'est pas un insecte, c'est un crustacé terrestre. © Franco Folini, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa
    Le cloporte a un corps ovale de 1 à 2 centimètres de long. De son nom latin, Armadillidium vulgare n'est pas un insecte, c'est un crustacé terrestre. © Franco Folini, Wikimedia Commons, CC by-sa

    Mais, accroche-toi bien, les mamans cloportes ont une particularité qui les rend encore plus attendrissantes. Elles gardent leurs œufs, puis leurs nouveau-nés, dans une poche ventrale, pour les protéger. On appelle cette poche le marsupium, en référence aux marsupiaux, les fameux mammifèresmammifères comme le kangouroukangourou ou le koalakoala qui gardent eux aussi leurs bébés à l'abri !

    Au bout d'un mois, gardés bien au chaud dans cette poche remplie de liquideliquide, les œufs éclosent, et on appelle les bébés cloportes des pulli ! Ultra choupi ! Ils ressemblent à de mini-adultes, tout blancs, sauf au niveau des yeuxyeux et ils n'ont que 12 pattes, au lieu de 14. Les bébés cloportes doivent attendre leur première mue, 24 heures après la mise basmise bas de leur mère, pour que leur dernière paire de pattes apparaisse. Et ce n'est qu'à la mue suivante qu'elles seront fonctionnelles ! Même s'ils sont fragiles après la mue, car leur carapace est toute ramollie, ce procédé leur permet de reconstituer des pattes abîmées ou manquantes. Super pratique !

    On ne pourra distinguer mâles et femelles qu'au bout de 4 mues ! Ils changeront de peau toute leur vie, à raison d'une fois par mois environ.

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    On aurait pu s'attendre à ce que la maman cloporte ponde ses œufs et laisse ses petits se débrouiller, comme le font de nombreux insectes, mais pas du tout ! Tout comme la femelle homard, elle aussi un crustacé, qui garde ses œufs sous sa queue, dame cloporte veille au grain ! Et n'imagine pas qu'elle accouche de milliers de petits. Elle a en général 15 à 20 pulli par portée.

    Le cloporte vit dans des endroits frais et humides comme les morceaux d’écorce, copeaux de bois ou les roches. Très sensible à la chaleur qu'il fuit, il se regroupe avec ses congénères pour ne pas se dessécher. © Henrik Larsson, Adobe Stock
    Le cloporte vit dans des endroits frais et humides comme les morceaux d’écorce, copeaux de bois ou les roches. Très sensible à la chaleur qu'il fuit, il se regroupe avec ses congénères pour ne pas se dessécher. © Henrik Larsson, Adobe Stock

    Même à l'âge adulte, notre petit crustacé la joue collectif. Pour éviter de se dessécher, les cloportes se regroupent dans des abris communs et limitent ainsi la perte d'humidité. En s'empilant les uns sur les autres, leurs corps sont moins exposés. Trop mignons ! Encore plus fort, il existe au moins une espèce de cloporte, Hemilepistus reaumori, originaire de Turquie et qui vit dans le désertdésert, chez qui les partenaires forment des couples fidèles et où les papas cloportes s'occupent de leur petits. Qui l'aurait dit ? 

    Une bactérie qui fait changer de sexe... et de comportement !

    Décidément, les cloportes sont pleins de surprises ! En France, à Poitiers, une équipe de recherche les élève et s'est même spécialisée dans leur étude. Le laboratoire d'ÉcologieÉcologie et Biologie des Interactions (EBI) s'intéresse à une drôle de particularité.

    Les cloportes sont nombreux à se faire parasiter par une bactériebactérie, que l'on a baptisée Wolbachia pipientis, découverte au début du XXe siècle, chez un moustiquemoustique. Cette bactérie vit obligatoirement à l'intérieur des cellules de son hôte. Et ce qui est fascinant, c'est que chez nos cloportes communs, cette bactérie les fait... changer de sexe ! Ainsi, ce parasiteparasite transforme les petits mâles en femelles ! Pour la bactérie, cette transformation permet de se répandre davantage, puisque les femelles infectées transmettent la bactérie à leurs bébés. On ne connaît pas encore tout le détail du mécanisme qui féminise les cloportes. Ce que l'on sait, c'est qu'une hormonehormone, une substance qui circule dans le corps et qui transforme les petits cloportes en mâle, est rendue inactive par la bactérie. Ainsi, il y a plus de femelles ! 

    Mais Wolbachia ne modifie pas uniquement le sexe des cloportes ! Les scientifiques ont observé que la bactérie affecte aussi leur comportement. Les individus infectés sont moins bons pour apprendre et se souvenir du chemin à emprunter dans un labyrinthe. Leur résistancerésistance aux maladies semble aussi modifiée par la présence de la bactérie. Rendus plus sensibles à certains microbesmicrobes, Wolbachia peut aussi les rendre plus résistants à d'autres maladies.

    Et puis, le fait qu'il y ait moins de femelles dans une population bouleverse aussi comment les partenaires cloportes se choisissent ! Comment font les mâles qui sont en minorité ? Pourquoi cette interaction existe-t-elle toujours aujourd'hui ? Et quelles conséquences a-t-elle sur nos petits crustacés ? On l'ignore. Mais il y a encore de quoi s'interroger et chercher, pendant des années !