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Pour les colorants organiques, il apparaît clairement que la couleur est liée aux doubles liaisons conjuguées que l'on trouve dans la molécule.
Le safran est un colorant organique. © Sommai, Shutterstock
Quand on fait chauffer du sucresucre pour en faire du caramel le changement de couleur est directement lié à la formation de ces systèmes de doubles liaisons conjuguées, formation due à la décomposition du sucre. Si on chauffe trop et trop longtemps, on obtiendra du graphite noir, feuillets plans constitués d'atomes de carbone liés par un système de doubles liaisons conjuguées.
Les carottescarottes, le safransafran, la chlorophyllechlorophylle, les porphyrinesporphyrines sont aussi colorés par ce système de doubles liaisons conjuguées. C'est comme ceci que l'on s'est aperçu de la toute petite différence entre le bleu indigo du bleu de travail et la pourpre royale qui n'est jamais qu'un di-bromo-indigo : quelle dégringolade !
On a essayé de faire des molécules comme on faisait des sons et cela fonctionne ; des cyanines symétriques ont été utilisées dans des conditions bien précises pour cela :
- Avec une double liaison, elle est incolore ;
- Avec deux, elle est jaune ;
- Avec trois, elle devient rouge ;
- Avec quatre, elle est bleue ;
- Avec cinq, elle est verte.
Les couleurs animales : pourpre et kermès
- Pourpre : le coquillage à pourpre le plus connu est le murex Phyllonotus brandaris. La coquille étant cassée au niveau de la glandeglande hypobranchiale du mollusquemollusque, l'exposition de son contenu à la lumièrelumière déclenche le développement du pigmentpigment pourpre composé de dibromo-indigotine.
Le murex est un coquillage à pourpre. © DR
Il existe deux ensembles de textiles d'une grande importance : ceux découverts à Palmyre en Syrie, il y a 60 ans, et la riche collection de tissus coptescoptes conservée au musée Georges Labit à Toulouse. Aux premiers siècles de notre ère émergentémergent deux milieux de teinturiers. L'un, en Égypte, utilise parcimonieusement les teintures animales alors que l'autre, sur les côtes du Levant, utilise la pourpre avec largesse, n'hésitant pas à ajouter à ce luxe les rouges d'insectesinsectes.
Couleur violacée. Utilisée pour teindre le parchemin et les tissus. Connue dès 1.600 av. J.-C. Elle a été utilisée jusqu'au haut Moyen Âge. La recette aurait ensuite été perdue. Pigment très cher. Il faut plus de 10.000 individus pour obtenir environ 1 gramme de pigment...
La couleur pourpre représente dans le monde méditerranéen antique la couleur de la royauté. Le sanctuaire des Juifs construit pendant leurs pérégrinations dans le Sinaî, le tabernacle, ne comprenait que des tissus et des cuirs pourpres ou écarlates (Exode, chap 35 à 39).
- Le kermès : pour des raisons obscures, l'art de teindre les étoffes en pourpre disparaît du monde méditerranéen au Moyen Âge et la teinture au kermès, déjà connue durant l'Antiquité, illumine les soieries médiévales, où elle se rehausse souvent de fils d'or. Colorant rouge provenant de la femelle d'un insecte vivant sur le chêne kermes. Connu depuis la préhistoire.
Il fut remplacé, après la découverte du Nouveau Monde, par la cochenillecochenille du Mexique. Actuellement le kermès est très rare.
Kermès des teinturiers. © CNRS Photothèque / A. Renaux - Tous droits réservés
Le kermès des teinturiers est Kermes vermilio (Planchon, 1864). Ce coccidé, parasiteparasite du chêne-kermès (Quercus coccifera L.)) auquel il a donné son nom, était la source du rouge écarlate, la plus prestigieuse des teintures du Moyen Âge. En raison de sa ressemblance avec le sang frais, cette teinture était aussi à la base d'une panacée médiévale, la Confectio Alkermes, inventée par Mésué (857+) et perfectionnée par l'école de Médecine de Montpellier.
Manteau de la Vierge de Thuir. © CNRS Photothèque / Elena Phipps - Tous droits réservés
Le ManteauManteau de la Vierge de Thuir (Pyrénées-Orientales) est un samit hispano-mauresque du XIe siècle. Son fond rouge est entièrement teint au kermès. Il constituait le vêtement d'apparat d'une statue de la Vierge à l'Enfant, en plombplomb, qui aurait donné aux troupes de Charlemagne la victoire sur les Sarrazins. Peut-être à cause de sa teinture au kermès, on attribuait à ce vêtement des vertus miraculeuses et on en portait des lambeaux aux femmes en couches et aux malades.
Les couleurs animales : cochenille, noir de cerf, noir d'ivoire...
-La cochenille : elle est utilisée depuis l'époque antique pour obtenir des beaux rouge et violets. Cette teinture déjà connue des Hébreux est utilisée pour les tissus de luxe avec la pourpre. La cochenille est la femelle d'un petit insecte : on peut utiliser différentes cochenilles mais la plus courante est la cochenille d'Amérique (CoccusCoccus Cacti). On la trouve dans le commerce sous forme d'insectes séchés ou en poudre (le carmin des peintres et des pâtissiers E120).
- Le noir de cerf : noir obtenu à partir de boisbois de cerf. Les cerfs perdent leurs bois tous les ans, il est donc possible d'en trouver dans les sous-bois et leur calcination donne un beau noir.
- Le noir d'ivoire, aujourd'hui de dents calcinées : calcination de l'ivoire ou des dents. Noir chaud, fixe à la lumière et très stable.
- Le noir d'os : Calcination d'os. Noir roux. Fixe à la lumière et stable. Le noir d'ivoire lui était préféré.
Seiche. © DR
-Le sepia : encre de seiche. Peu stable à la lumière. Elle donne une couleur brune.
Les couleurs végétales : iris, bois du Brésil, curcuma...
Les couleurs végétales sont innombrables. Elles existent depuis toujours et dépendent de la flore locale. Elles ont été, et sont encore, utilisées par les peuples de toute la planète. Nous n'en citerons que quelques exemples ici. Vous en trouverez quelques autres à la page 12 de ce dossier consacrée aux tissus et à la tapisserie de Bayeux.
-Ancolie ou IrisIris : avec les fleurs de couleur bleu-violet on obtient un vert qui fut surtout utilisé en enluminure. Couleurs citées par Pierre de Saint Omer (XIVe siècle).
- Bois du Brésil : bois rouge qui était importé. Pigment rose, rose violacé ou rouge. Couleur citée par Heraclius (XIe-XIIe siècle), Johannes Archerius (XIVe siècle), Jean Lebegue (XVe siècle).
- Carthame : colorant jaune obtenu à partir de la fleur de cette plante, sorte de chardon. Sert aussi à la teinture. Connu depuis l'Égypte ancienne. Couleur citée par Diderot et d'Alembert (XVIIIe siècle).
Carthame. © DR
- CurcumaCurcuma : plante alimentaire. La racine du curcuma produit un colorant jaune que l'on retrouve dans le curry. Importé d'Asie. Utilisée en teinture de petit teint.
Racine de curcuma. © DR
- GaranceGarance des teinturiers : sûrement utilisée dès le Néolithique. La couleur rouge la plus solidesolide obtenue à partir d'un végétal en peinture comme en teinture. La plante pousse dans tout le bassin méditerranéen. Cultivée à l'époque médiévale tant en Europe qu'au Moyen-Orient (voir le paragraphe qui lui est spécifiquement consacré).
Bain de garance. © DR
- Gaude : toute la plante est utilisée pour obtenir un colorant jaune en peinture et en teinture. Aujourd'hui considérée comme rare. Connue depuis le néolithique. Couleur citée par Cennini (XIVe).
- Gomme-gutte : gomme jaune qui s'écoule d'un arbrearbre le Garcinia qui pousse en Asie. Il suffit de la broyer et de la diluer. Citée par Diderot et d'Alembert.
- Indigo : bleu provenant des feuilles d'un buisson, Indigofera, dont il existe plusieurs variétés qui poussent en Inde, en Egypte et au Moyen-orient. Connu depuis le néolithique. Couleur citée par Pline l'AncienPline l'Ancien, Letonnelier (XVIIe siècle).
- Lichens : ils donnent diverses teintes allant du jaune au rouge, brun et rouge violacé. Le plus mentionné au Moyen Âge est l'orseille qui se ramasse dans le bassin méditerranéen. Il donne du rouge. Connu depuis le IIIe millénaire.
Lichens Ochrolechia tartarea ou orseille. © DR
Les couleurs végétales : noir de charbon, noir de vigne...
- Nerprun : les baies de buisson utilisées depuis le IIe siècle. Ce buisson pousse dans le bassin méditerranéen, au Moyen-Orient. Cueillies vertes, les baies donnent un jaune vif et froid. Cueillies mûres, on obtient un vert foncé. Couleur citée par Valentin (XVIe siècle).
- Noir de lie de vin : calcination de la lie de vin séchée ou de marc. Il était fabriqué en Europe occidentale. Couleur citée par Pline l'Ancien.
- Noir de charboncharbon : calcination de bois de chêne. Le plus ancien des noirs. Couleur citée par Pline l'Ancien.
- Noir de liège : calcination de l'écorce du chêne liège afin d'obtenir du charbon.
- Noir de noyaux : calcination de noyaux des fruits tels que la pêchepêche, l'abricotabricot... ou de coques d'amandeamande...
- Noir de vigne : calcination de sarments de vigne. Noir bleuté. Fixe et stable Noir de fumée : obtenu à partir de la suiesuie produite lors de la combustioncombustion de résineux. Son utilisation est la plus courante au monde.
Chêne liège. © DR
- NoixNoix de galle : excroissances qui se forment sur le chêne suite à la piqûre d'un insecte (Cynips) pour pondre ses œufs. Contient beaucoup de tanintanin. Utilisée dans la fabrication des encres, dont notamment l'encre au gallo-tannate de ferfer. Couleur citée par Diderot et d'Alembert...
- Guède ou pastel bleu : connue depuis le néolithique. La cuve de pastel est le thème essentiel d'une tablette néo-babylonienne de recettes de teinture en caractères cunéiformescunéiformes et c'est, encore aujourd'hui, d'une cuve au pastel qu'est sorti le tissu d'un modèle de la dernière collection haute couture d'OlivierOlivier Lapidus. Utilisé en peinture comme en teinture.
- Safran : étamineétamine de crocus. Teinte jaune fragile, couleur du risotto ! Connue depuis la plus haute antiquité.
- Sang-de-dragon : exsudationexsudation d'un palmier, le CalamusCalamus drago (Indonésie). Résine rouge foncé. Couleur altérable. Citée depuis l'antiquité. Aujourd'hui utilisé dans la fabrication de vernisvernis.
Calamus drago. © DR
- Sureau : les baies produisent du bleu ou du violet selon les recettes. Le sureau se ramasse dans toute l'Europe. Utilisé également en teinture.
- TournesolTournesol : pas le tournesol jaune des champs, mais une plante devenue très rare, la Maurelle ou croton des teinturiers ou encore herbe de Clytie. Elle donne du bleu, du violet qui n'est pas stable. Elle était cultivée en France dès 1830 Couleur citée par Théophilus (XIe siècle), Diderot et d'Alembert.