Si l'on compare l'espace-temps à la surface d'un lac dans lequel tombent des gouttes de pluie plus ou moins grosses, la surface de ce lac devient une superposition agitée, chaotique – les physiciens diront stochastique – d'ondes qui sont les correspondantes des ondes gravitationnelles causées par diverses sources dans l'Univers observable. Certaines de ces ondes, issues peut-être du Big Bang ou de paires de trous noirs supermassifs, semblent bel et bien avoir été détectées par l'iconique radiotélescope de Nançay, mais aussi d'autres sur Terre. Voici quelques explications avec Gilles Theureau, l'un des chasseurs français de ce fond d'ondes cosmiques.


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    Lorsque la radioastronome Jocelyn Bell découvre les pulsars en 1967 alors qu'elle était en thèse avec Antony Hewish (ce qui l'aidera à obtenir le prix Nobel de physique en 1974 avec Martin Ryle, mais sans inclure Jocelyn Bell - ce qui fut à l'origine d'une controverse ayant des échos encore de nos jours), elle était sans aucun doute bien loin d'imaginer qu'elle allait ainsi ouvrir indirectement des décennies plus tard une fenêtrefenêtre sur une nouvelle astronomie, celle des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles.

    Mais elle a pu assister ce 29 juin 2023 avec le prix Nobel de physique Kip Thorne, pionnier de l'étude et de la détection des ondes gravitationnelles, à la retentissante annonce concernant la découverte de certaines de ces ondes grâce aux pulsars, annonce faite par des membres de l'International Pulsar Timing Array (IPTA) regroupant les collaborations de l'European Pulsar Timing Array (EPTA), le North American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves (NANOGrav), le Parkes Pulsar Timing Array (PPTA) en Australie et l'Indian Pulsar Timing Array Project (InPTA).

    Les pulsars, des cadavres stellaires pulsant

    Rappelons que les pulsars sont des cadavres d'étoiles massives ayant explosé en supernovaesupernovae de type SNSN II. Il ne reste alors plus qu'un analogue d'un noyau d'atome pouvant contenir autant de masse que le SoleilSoleil dans une sphère d'un diamètre de quelques dizaines de kilomètres tout au plus. En rotation rapide, ces objets possèdent aussi un champ magnétiquechamp magnétique qui freine leur rotation mais qui les conduit aussi à émettre un faisceau d'ondes radio balayant l'espace tel un phare. Certains de ces faisceaux coupent périodiquement la Terre et se manifestent donc dans les radiotélescopesradiotélescopes comme des bips très réguliers qui font de certains pulsars des horloges cosmiques très stables.

    On sait que grâce à des travaux de chercheurs aux États-Unis comme Kip Thorne, mais aussi en France comme Alain Brillet et Thibault Damour, on détecte et interprète sur Terre depuis 2015 les ondes gravitationnelles des collisions de trous noirs stellairestrous noirs stellaires et d'étoiles à neutronsétoiles à neutrons. Ces ondes qui font vibrer l'espace comme le son, l'airair ou les vaguesvagues à la surface de l'eau sont à des longueurs d'ondelongueurs d'onde courtes dans les détecteurs que sont LigoLigo et VirgoVirgo.

    L'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA) veut observer à l'horizon des années 2030, et avec un détecteur dans l'espace dans le cadre du projet Lisa, des ondes avec de plus grandes longueurs d'onde, bien spécifiques, et qui pourraient avoir été produites par le Big BangBig Bang et/ou les mouvementsmouvements de trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs formant des systèmes binairessystèmes binaires au cœur de galaxiesgalaxies achevant de fusionner. Ces trous noirs géants seraient bavards sur l'évolution des galaxies.


    Quelques explications sur les pulsars. © Above Earth

    Des théoriciens russes et états-uniens aux chasseurs d'ondes gravitationnelles de Nançay

    Mais on savait qu'en se fondant sur des travaux datant de la fin des années 1970 et du début des années 1980, avec des chercheurs comme le Russe Mikhail V. Sazhin du mythique Sternberg Astronomical Institute, (auteur avec Dolgov et Zeldovich, d'un remarquable petit ouvrage d’introduction à la cosmologie moderne) et surtout les États-uniens Ron Hellings et George Downs, qu'une partie du spectrespectre des ondes gravitationnelles à grande longueur d'onde pouvait sans doute être détectée et mesurée à l'aide de pulsars (Ce détecteur à base de "réseau de pulsars" est complémentaire en fréquencefréquence de celui qui sera accessible avec LISA d'ici une décennie, le premier étant sensible du nano-HzHz au micro-Hz, le second d'une fraction de milli-Hz jusqu'au dixième de Hz. Ainsi, LISA verra les évènements de fusionfusion de trous noirs massifs de quelques millions ou dizaines de millions de masses solaires, comme celui présent au centre de la Voie LactéeVoie Lactée (Sagitarius A*), quand EPTA voit le mouvement orbital serré de couples de trous noirs supermassifs (1-10 milliards de masses solaires).

    Il s'agit de ce que l'on appelle le fond d’ondes gravitationnelles stochastiques, une superposition fluctuante et chaotique de toutes les ondes émises par les trous noirs supermassifs en orbiteorbite l'un autour de l'autre à l'échelle cosmologique, mais aussi potentiellement d'objets et de phénomènes encore plus exotiquesexotiques, comme des cordes cosmiques ou les ondes gravitationnelles du Big Bang, comme Futura l’expliquait dans un précédent article.

    L'idée de base pour faire cette détection est d'utiliser parmi les pulsars ceux qui sont le plus stables et qui se comportent donc comme des sortes d'horloges avec des bips séparés par des intervalles de temps régulier. Le passage d'une onde gravitationnelle, dont la longueur d'onde se mesure en années-lumièreannées-lumière entre un pulsar et un observateur sur Terre en faisant osciller les distances entre les deux astresastres, va faire varier les temps d'arrivée des impulsions électromagnétiques des pulsars. On montre ainsi que lorsque l'on regarde des pulsars proches sur la voûte céleste, les retards et avances périodiques mesurés pendant des années entre les arrivées des impulsions radio sont corrélés et permettent de remonter à la forme précise des ondes gravitationnelles à très basses fréquences. Forme qui code la nature des sources de ces ondes.

    La collaboration NANOGrav, qui a été la première à communiquer sur les réseaux sociauxréseaux sociaux pour faire savoir qu'une annonce importante se préparait, n'est cependant pas à la tête de l'International Pulsar Timing Array (IPTA). La France, avec l'iconique radiotélescope de Nançayradiotélescope de Nançay, l'un des plus grands au monde (5e et 2e pour l'Europe), joue elle-même un rôle majeur dans le cadre de l'European Pulsar Timing Array (EPTA) et c'est pourquoi Futura s'est tourné vers Gilles Theureau, astronomeastronome à l'Observatoire de Paris-PSL et l'un des chercheurs impliqués dans l'annonce de la découverte du fond d'ondes gravitationnelles et que l'on peut voir avec ses collègues de Nançay au début de la vidéo ci-dessous. Il a bien voulu répondre à nos questions.


    Dans le cadre d’un réseau mondial dédié à l’observation des pulsars, un consortium européen publie le 29 juin 2023 dans la revue Astronomy and Astrophysics une série de résultats issus de données collectées depuis un quart de siècle, par six des radiotélescopes les plus sensibles au monde. Les données du consortium européen, de même que celles de leurs homologues américain, australien et chinois, contiennent les indices très solides de l’existence d’ondes gravitationnelles, captées dans de très basses fréquences, qui proviendraient de couples de trous noirs supermassifs situés au centre de galaxies en cours de fusion. La participation française à ces travaux est importante, impliquant la contribution de chercheurs de l’Observatoire de Paris - PSL, du CNRS, du CEA, de l’Université d’Orléans et d’Université Paris Cité. © L'Observatoire de Paris

    Futura : Le grand radiotélescope de Nançay a commencé sa carrière il y a presque 60 ans en étudiant la fameuse raie à 21 cm de l’hydrogène qui a notamment permis de cartographier la Voie lactée mais qui a aussi été utilisée pour le programme Seti. Depuis combien de temps étudie-t-il aussi les pulsars ?

    Gilles Theureau : Depuis la fin des années 1980 et le début des 1990, en particulier suite au travail de thèse d'Ismaël Cognard qui portait déjà sur le chronométrage des pulsars millisecondes et abordait le sujet de la détection du fond d’ondes gravitationnelles selon les idées avancées par Hellings et Downs en 1983.

    Les travaux sur les pulsars, pas nécessairement pour détecter ce fond, n'ont fait que se développer ensuite à Nançay jusqu'à constituer aujourd'hui environ 70 % du temps d'observation disponible.

    La part de la contribution de Nançay au programme de l'European Pulsar Timing Array (EPTA) est aussi de 70 % environ et il est à noter que l'EPTA a été fondé en 2006 avant la collaboration North American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves (NANOGrav) aux États-Unis.

    Nous utilisons plus de radiotélescopes que  NANOGrav et pour Nançay nous sommes une dizaine de personnes, principalement de l'Université d'Orléans mais aussi chercheurs du CEA et du laboratoire AstroparticuleAstroparticule et cosmologiecosmologie (APC) à Paris, qui se concentrent sur l'analyse des données et leur interprétation. Une partie de ces personnes avaient déjà travaillé sur les ondes gravitationnelles et leur détection avec Ligo, Virgo et le futur Laser Interferometer Space AntennaLaser Interferometer Space Antenna (Lisa) de l'ESA.


    Comment chasser des pulsars à Nançay. © Above Earth

    Futura : Pourquoi avez-vous utilisé des pulsars millisecondes ?

    Gilles Theureau : Parce que ce sont des sortes d'horloges cosmiques très stables. Quand on les a découverts, ils étaient initialement déconcertants car ils tournaient très vite sur eux-mêmes, en un peu plus d'une milliseconde environ, comme s'ils venaient juste de se former alors qu'il n'y avait aucun reste de supernovareste de supernova autour d'eux. On sait en outre que les jeunes pulsars possèdent un champ magnétique intense qui décroît avec le temps tout en ralentissant la rotation des étoiles à neutrons.

    On a fini par comprendre que les pulsars millisecondes étaient de vieux pulsars dont la rotation avait été réaccélérée en accrétant de la matièrematière d'une étoile compagne, ce qui s'accompagnait d'un transfert de moment cinétiquemoment cinétique. Leur champ magnétique étant devenu malgré tout plus faible avec l'âge, leur rotation diminue plus lentement qu'avec un pulsar ordinaire.

    Les pulsars millisecondes que nous avons choisis n'accrètent plus de matière de façon significative car ils sont en couple avec d'autres étoiles à neutrons ou des naines blanchesnaines blanches. Et comme leur intérieur est stabilisé et qu'ils possèdent une croûtecroûte particulièrement cristallisée, ils font aussi peu de « glitchs » (en français « pépins », « accrocs »), un terme anglais désignant la variation brutale de la période de rotationpériode de rotation d'un pulsar en raison d'un couplage soudain entre le superfluidesuperfluide interne et la croûte, ce qui produit un hoquethoquet dans la rotation.

    Il existe des évènements de type « sursautsursaut », des fusions, ou des survolssurvols très proches de deux trous noirs, qui peuvent produire des sursauts similaires aux glitchs, mais on sait les distinguer. Un ou plusieurs glitchs successifs pourraient être confondus avec un « bruit » gravitationnel, mais on ne les verrait que dans un pulsar à la fois, et non pas corrélés.

    Futura : Dans le jargon des physiciens, que ce soit en physique des particules ou en astrophysique, pour annoncer une découverte il faut généralement atteindre les 5 sigmas, or toutes les collaborations mondiales rassemblées au sein de l'IPTA ont des résultats dont les statistiques sont comprises entre 3 et 4 sigmas environ, alors pourquoi annoncer déjà avoir observé le fond d’ondes gravitationnelles ?

    Gilles Theureau : Dans l’idéal, il faudrait en effet que la probabilité d’observer par hasard les signaux obtenus soit d’environ 0,00006 %, soit environ la chance d’obtenir huit fois de suite le même numéro en lançant un dé. Mais toutes les équipes observent des formes similaires de signaux et comme nous utilisons des instruments différents, ce ne peut pas être dû non plus à une erreur systématique intrinsèque à un seul. Nous sommes donc confiants que d'ici un ou deux ans, quand nous aurons combiné toutes nos observations au niveau mondial, nous obtiendrons ces 5 sigmas.

    Futura : Comment va évoluer dans le futur la chasse aux ondes gravitationnelles ?

    Gilles Theureau : Plus avec l'augmentation de la puissance de calcul pour analyser les signaux observés et en extraire les effets des ondes gravitationnelles qu'avec des progrès dans l'électronique. Les impulsions électromagnétiques venant des pulsars sont en effet perturbées par leur voyage à travers le plasma du milieu interstellaire et il faut donc pouvoir filtrer efficacement ces perturbations (voir la vidéo de l'Observatoire de Paris ci-dessus). À Nançay, on avait dans ce but remplacé en 2008 un clustercluster de 77 CPUs par un jeu de quatre cartes graphiquescartes graphiques des ordinateursordinateurs pour les jeux vidéojeux vidéo en ligne.

    Dans le cas de Nançay, on va agrandir la bande de réceptionréception radio, ce qui va nous permettre d'être plus sensible instantanément, et donc d'obtenir un chronométrage plus précis, ce qui a une incidenceincidence directe sur notre sensibilité aux ondes gravitationnelles. Plus généralement on va bien sûr préciser la forme de leur spectre en collectant d'autres observations avec les autres radiotélescopes.

    L'EPTA a un avantage sur NANOGrav car il observe un même pulsar avec cinq radiotélescopes différents, ce qui permet d'identifier des effets systématiques qui sinon passeraient inaperçus. La combinaison des données (grâce à Nançay en particulier) permet une cadence inégalée de 1-2 jours en moyenne. Cela donne accès à des fréquences de quelque 10-6 Hz, quand les autres programmes sont limités à quelque 10-7 Hz.

    En précisant la forme des signaux, on va aussi pouvoir préciser leurs origines possibles et tenter de départager plusieurs hypothèses.

    Ainsi, si le fond d'ondes est plutôt le produit de phénomènes pendant le Big Bang, par exemple lors d'une phase d'inflation ou lors de la transition de phasetransition de phase d'un plasma de quarksquarks et de gluonsgluons qui s'est transformé en protonsprotons et neutrons en se refroidissant, on verra un fond d'ondes isotropesisotropes. Par contre, s'il s'agit de trous noirs supermassifs, certains seront plus proches de la Voie lactée au point de se manifester comme des sources ponctuelles sur la voûte céleste.

    Certaines théories de la matière noirematière noire, comme celles faisant intervenir des particules ultralégères, prédisent aussi que le passage de concentrations de cette matière dans la Voie lactée entre le Système solaireSystème solaire et les pulsars, du fait du champ de gravitationgravitation de ces concentrations, va affecter les signaux des pulsars. Ce qui est dit précisément dans les modèles de matière noire ultralégère, c'est que le potentiel gravitationnel de notre propre Galaxie devrait osciller à une fréquence particulière, affectant le trajet lumineux du signal des pulsars et singeant par exemple l'émissionémission d'un unique couple de trous noirs. Les résultats actuels montrent que ce type de matière noire n'excède pas quelques dizaines de pourcents du contenu total de matière noire. Les recherches à ce sujet sont aussi en cours.


    Présentation en 2017 par son directeur, Stéphane Corbel, de la station de radioastronomie de l'Observatoire de Paris située en Sologne, à Nançay : un parc unique en France d'instruments dédiés à l'observation de l'Univers dans différentes gammes d'ondes radio, des radiotélescopes pionniers aux dispositifs les plus innovants. © Com Nancay