Le Cern va construire un nouveau petit détecteur pour les expériences au LHC. Appelé Faser, il permettra de tester des modèles exotiques de particules de matière noire, notamment ceux avec les fameux photons noirs qui pourraient trahir l'existence d'un monde parallèle.


au sommaire


    Les physiciensphysiciens des particules avaient de bonnes raisons de penser que l'on allait découvrir en quelques années tout au plus un zoo de nouvelles particules, et peut-être même en quelques mois seulement après le démarrage du LHC. On s'attendait, en particulier, à la mise en évidence de particules de matière noirematière noire dans les deux détecteurs géants, Atlas et CMSCMS. Le plus fascinant, voire le plus spectaculaire de par ses implications pour la physique théorique, la cosmologie et même la philosophie, aurait été la détection de minitrous noirs s'évaporant sous la forme du fameux rayonnement Hawking.

    Rien n'était certain, mais les principes physiques et les raisonnements employés pour aboutir à ces prédictions reposaient sur ceux qui avaient permis de construire le modèle standard et ses nombreuses prédictions couronnées de succès. La dernière en date d'importance a été la confirmation de l'existence du boson de Brout-Englert-Higgs. Les données de l'astrophysique et de la cosmologie étaient d'ailleurs non seulement compatibles mais aussi favorables à l'existence d'une nouvelle physique, en particulier sous forme de particules supersymétriques, dans des collisions à quelques TeV au LHC.

    Nous savons que malheureusement, il n'en a rien été car aucune nouvelle particule, pas même des signes indirects de leur existence, n'est apparue dans les analyses des mesures faites au LHC. Pourtant, les chercheurs n'ont pas ménagé leur peine au moyen de subtiles analyses. Un certain découragement et même du pessimisme transparaît dans certaines de leurs déclarations. Mais, il est encore trop tôt pour abandonner l'espoir de voir cette nouvelle physique, que ce soit dans les données déjà collectées avec le LHC, encore en cours d'analyse, que dans celles qui émergeront des successeurs du LHC, y compris le collisionneur de 100 km de circonférence qui est maintenant à l'étude en Europe et aussi en Chine.

    En effet, nous disposons encore de nombreux modèles prolongeant les équationséquations du modèle standard à des énergiesénergies accessibles à ces machines. Ils sont justes plus exotiquesexotiques ou plus difficiles à explorer que ceux déjà testés et nécessitent donc encore plus de travail ou pour le moins des stratégies de recherche différentes.


    John Ellis est l'un des plus importants théoriciens de la physique des particules. Son nom est étroitement lié à la division de physique théorique au Cern. Il nous parle des supercordes et de la matière noire dans cette vidéo. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © CERN

    Des particules de matière noire plus légères

    C'est le cas, par exemple, pour certaines particules sans charge, interagissant très faiblement avec les autres particules connues, et qui seraient bien plus légères que ce à quoi l'on pouvait s'attendre dans un premier temps. Du fait de ces faibles massesmasses, de quelques MeV à un GeVGeV, tout au plus la masse d'un protonproton, on pouvait penser qu'on aurait dû les voir dans les expériences précédemment menées puisque les collisions déjà faites avec le Tevatron mettaient en jeu des énergies de l'ordre du millier de GeV. Mais, si ces particules légères ne se couplent que très faiblement, la probabilité de leur production et donc de leur interaction avec les autres particules du modèle standard pouvaient les rendre quasiment invisibles.

    Une autre raison expliquerait pourquoi on ne les a pas encore découvertes. Ce type de particules est surtout produit dans des collisions dans une direction presque parallèle aux faisceaux à l'origine de ces collisions. Au final, il faut donc s'attendre à des particules légères se propageant dans cette direction, avant de se désintégrer quelques centaines de mètres plus loin, plutôt qu'à des particules lourdes se désintégrant dans les détecteurs géants, autour du point de collision, et dans des directions plus perpendiculaires aux faisceaux.

    Pour en avoir le cœur net, la Commission de la recherche du CernCern vient de faire savoir qu'elle avait approuvé la réalisation de l'expérience Faser (Forward Search Experiment). Elle reposera sur l'installation d'un petit détecteur pendant les deux années consacrées à des upgrades du LHC pour sa troisième période d'exploitation. Ce troisième « run », comme l'appellent les chercheurs du Cern, aura lieu de 2021 à 2023 et Faser devrait débuter avec lui.

    En pratique, le détecteur Faser sera placé sur la trajectoire du faisceau, à 480 mètres en aval d'Atlas. Comme l'on cherche des particules neutres sur des trajectoires presque parallèles aux faisceaux de protons initiaux, il aura la forme d'un cylindre de 10 centimètres de rayon et une longueur de seulement 1,5 mètre, ce qui permet sa constructionconstruction à faibles coûts et une réalisation rapide.

    Faser devrait en particulier permettre de partir à la chasse d'hypothétiques particules de matière noire que l'on appelle des photonsphotons noirs et dont Futura avait longuement parlé dans les articles ci-dessous. Ces particules pourraient trahir l'existence d'un universunivers parallèle.


    Matière noire : le Cern part à la chasse aux photons noirs

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 29/11/2016

    La matière noire pourrait interagir avec la matière normale pas seulement avec la force gravitationnelleforce gravitationnelle mais aussi avec des cousins des photons qui ne sont pas directement visibles. Le Cern est parti à la chasse de ces photons noirs (qui pourraient aussi faire partie de la matière noire) cette année avec l'expérience NA 64.

    L'étude du rayonnement fossilerayonnement fossile à l'aide de PlanckPlanck, des oscillations acoustiques des baryonsbaryons dans le jeune univers observable à l'aide de la distribution des amas de galaxiesamas de galaxies et enfin des supernovaesupernovae SNSN Ia ne laissent guère de doutes quant au contenu du cosmoscosmos observable. La matière que l'on connaît sur Terre et dans le Système solaireSystème solaire ne constitue pas la majorité du contenu de l'univers. À environ 70 %, celui-ci est sous forme d'une mystérieuse énergie noire et à environ 25 %, sous forme de particules encore inconnues, la matière noire. C'est du moins la conclusion à laquelle on arrive si l'on suppose que la gravitation est bien décrite par la théorie de la relativité générale d'EinsteinEinstein.

    On chasse ces particules avec des collisions de faisceaux de protons au LHC. Ces collisions ont pris fin pour cette année, laissant la place à des expériences avec des faisceaux d'ionsions lourds. On saura peut-être dans quelques mois si les données collectées commencent à révéler leur existence.


    Vue du montage expérimental de NA 64 au Cern. © Christoph Madsen, Noemi Caraban, Cern

    Les physiciens du Cern sont également partis à la chasse aux particules de matière noire avec d'autres outils que les collisions de protons. Il y a bien sûr CASTCAST (TélescopeTélescope pour les axionsaxions solaires du Cern) qui est une expérience en quête depuis des années de particules hypothétiques que l'on nomme des « axions ». Plus récemment, les chercheurs se sont lancés sur la piste des photons noirs, ces cousins des photons issus d'une nouvelle physique au-delà du modèle standard et dont on avait déjà parlé dans l'article ci-dessous.

    Des photons noirs détectables grâce à la conservation de l'énergie

    Point de collisions d'hadronshadrons ici. Les physiciens ont bombardé des noyaux d'atomesatomes avec des faisceaux d'électronsélectrons dans le cadre de l'expérience NA 64 qui a été lancée en juillet 2016 pendant deux semaines. Une deuxième campagne de recherche qui a duré cette fois-ci quatre semaines s'est terminée le 9 novembre.

    La méthode de détection des photons noirs, s'ils existent, est simple à comprendre. Elle repose sur le principe de la conservation de l'énergie. On commence par déterminer précisément l'énergie des électrons utilisés pour bombarder les noyaux. Le modèle standard nous dit combien d'énergie doit être émise par les collisions sous forme de photons ordinaires. La théorie des photons noirs nous dit qu'une partie de cette énergie doit en fait se trouver sous la forme de ces particules exotiques et donc, que l'on doit mesurer un déficit précis d'énergie sous forme de photons ordinaires, trahissant l'existence de leurs cousins.

    Aucune trace de photons noirs n'a encore été découverte dans les données collectées avec le détecteur de l'expérience NA 64. Nous n'en sommes toutefois qu'au début et ces données nous ont déjà permis de poser de nouvelles bornes sur les propriétés de ces hypothétiques particules.


    Matière noire : nouvelles limites sur l'existence des photons noirs

    Article de Laurent Sacco publié le 17/05/2014

    Les particules de matière noire dans l'univers observable pourrait être des cousins proches du photon décrits par des équations ressemblant à celle de l'interaction électromagnétique. Doués de masse, contrairement au photon du modèle standard, ces photons noirs, que l'on appelle aussi des bosonsbosons U, ont été traqués dans le cadre de la collaboration Hades (High-Acceptance Di-Electron Spectrometer).

    Les symétries jouent un rôle très profond en physique, particulièrement depuis la découverte des lois de la mécanique quantiquemécanique quantique. Elles ont été un guide sûr pour classer et comprendre les propriétés des particules élémentairesparticules élémentaires. Elles ont même permis de prédire l'existence des quarks et des bosons W et Z du modèle standard. Même la notion de brisure de symétrie peut être féconde comme l'illustre très bien la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs. Il existe toutefois des situations où la violation de certaines symétries embarrassent les théoriciens. Pourquoi l'univers manque-t-il d'antimatière ? D'où viennent les violations de la symétrie CPviolations de la symétrie CP ?

    Plusieurs fois, certaines violations de symétries n'ont été qu'apparentes et furent restaurées en introduisant de nouvelles particules. Dans les années 1930, on avait par exemple découvert des réactions de désintégrations nucléaires qui semblaient violer la conservation de l'énergie, laquelle découle de l'invariance par translationtranslation dans le temps des équations fondamentales de la physique. On pouvait rétablir cette symétrie en postulant l'existence d'une nouvelle particule comme le fit Pauli avec le neutrino.

    Lev Okun (1929-) est un physicien russe dont les travaux sur la physique des particules élémentaires sont bien connus. On lui doit le terme de hadron désignant toutes les particules faites de quarks et de gluons comme les nucléons, les mésons et les hypérons. © Cern
    Lev Okun (1929-) est un physicien russe dont les travaux sur la physique des particules élémentaires sont bien connus. On lui doit le terme de hadron désignant toutes les particules faites de quarks et de gluons comme les nucléons, les mésons et les hypérons. © Cern

    Un univers parallèle de particules de matière miroir ?

    Pendant les années 1950 la découverte de la violation de la parité, la symétrie P encore appelée symétrie miroirmiroir, a étonné les chercheurs. Comme l'explique le grand physicien russe Lev Okun, l'hypothèse d'une non-conservation de la parité dans le monde des particules élémentaires avait été suggérée par Richard Feynman lors d'une conférence en 1956 à laquelle assistaient Tsung Dao Lee et Chen Ning Yang. Les deux physiciens d'origine chinoise donnèrent quelques mois plus tard une formulation précise de cette violation de la symétrie miroir en montrant de plus qu'elle conduisait à des tests précis. En pratique, cette violation impliquait que si on réalisait une copie d'un dispositif expérimental obtenu en prenant son image dans un miroir, ce qui par exemple change le sens du courant dans une bobine générant un champ magnétiquechamp magnétique, les résultats des expériences dans ce second dispositif ne seraient pas identiques à ceux des expériences effectuées avec le premier en ce qui concerne les forces nucléaires faiblesforces nucléaires faibles.

    Un autre physicien russe, le légendaire Lev Landau était initialement très sceptique, trouvant absurde l'idée qu'il puisse exister une violation fondamentale d'une symétrie liée à l'espace. Pourtant des expériences, comme celle réalisée par la physicienne Chien-Shiung WuChien-Shiung Wu montrèrent que des violations de la symétrie P étaient bien réelles. Cela conduisit Okun et d'autres chercheurs à postuler pendant les années 1960 qu'il existait peut-être un univers de matière en miroir du nôtre, et le côtoyant. Pour maintenir la conservation de la parité, dont la symétrie miroir, il fallait imaginer des copies des forces et des particules de matières connues à l'époque, donc les forces électromagnétiques et les forces nucléaires, mais ne pouvant interagir avec le nôtre que par l'effet de la gravitation. Il devait donc exister des atomes, des moléculesmolécules et des photons noirs, invisibles en pratique.

    De gauche à droite, Rocky Kolb et Michael Turner sont deux célèbres astrophysiciens travaillant aux frontières de la cosmologie et de la physique des particules élémentaires. Leur monographie <em>The Early Universe</em> est un ouvrage de référence. © Fermilab
    De gauche à droite, Rocky Kolb et Michael Turner sont deux célèbres astrophysiciens travaillant aux frontières de la cosmologie et de la physique des particules élémentaires. Leur monographie The Early Universe est un ouvrage de référence. © Fermilab

    Des particules de matière noire dans un univers miroir ?

    Cette hypothèse de l'existence d'un monde miroir exigée par les symétries des particules élémentaires a resurgi sous des formes renouvelées pendant les années 1980 et 1990 avec l'essor des théories supersymétriques, en particulier celles des supercordes, et bien sûr les confirmations de la validité des prédictions du modèle standard basées sur les fameuses symétries de jauge et les groupes de Lie. C'est aussi à ce moment que les progrès de la cosmologie et de l'astrophysique ont donné beaucoup plus de poids à l'hypothèse de la présence de la matière noire dans l'univers.

    La théorie quantique du champ électromagnétiquechamp électromagnétique et des forces nucléaire faible fait intervenir un groupe de symétrie nommé U(1) pour le photon et un autre nommé SU(2). Comme celle des forces nucléaires fortes fait intervenir le groupe SU(3), on dit souvent que les symétries fondamentales des interactions du modèle standard sont un groupe SU(3)*SU(2)*U(1) qui est le produit des groupes précédents. L'une des théories des supercordesthéories des supercordes les plus prometteuses contient, elle, le produit de deux groupes de Lie identiques, en l'occurrence E8. Comme E8 contient comme sous-groupes SU(3) *SU(2)*U(1), des théoriciens de la cosmologie comme Kolb et Turner ont pensé en 1986 que cette copie du modèle standard pouvait correspondre à l'univers miroir d'Okun et surtout expliquer la présence de la matière noire. On n'a malheureusement pas encore trouvé de preuve de l'existence des particules miroirs qu'il implique.


    Pierre Fayet, directeur de recherche CNRS au laboratoire de physique théorique de l’ENS à Paris, est spécialiste de physique théorique des particules. Ses travaux ont notamment porté sur la supersymétrie, l'astrophysique et la cosmologie. Il répond à trois questions sur l’apport des physiciens théoriciens dans la découverte du boson de Higgs. © INP, CNRS

    En fait, beaucoup de prolongements du modèle standard font intervenir un nouveau champ qui possède aussi comme groupe de symétrie U(1) et qui décrit un boson se comportant comme le photon du champ électromagnétique mais avec une masse. L'un des pionniers des théories supersymétriques, le Français Pierre Fayet, a développé dès les années 1980 un exemple de théorie de ce nouveau boson dont il pense qu'il est un bon candidat au titre de particule de matière noire. Il est léger et se couple très faiblement à d'autres particules lors d'interactions. Il est désigné alternativement comme le boson U ou le photon noir (dark photon en anglais).

    Des photons noirs qui se désintègrent en paires électrons-positrons

    Le boson U se couplant faiblement aux charges électriques, on peut s'en servir pour tenter d'expliquer le moment magnétiquemoment magnétique anomal (et non « anormal ») du muonmuon. On peut montrer aussi qu'il devrait être possible de le créer en faisant entrer en collision des protons, plus précisément via la création d'une paire de quarkquark et d'antiquark. Le boson U peut alors manifester sa présence en se désintégrant de façon bien caractéristique en une paire d'électron et de positronpositron. Les membres de la collaboration Hades (High-Acceptance Di-Electron Spectrometer) du célèbre GSI en Allemagne à Darmstadt sont partis de cette façon à la chasse aux photons noirs. Ils ont fait entrer en collision des protons, entre eux ou sur une cible fixe constituée de niobiumniobium, et ont étudié avec précision le spectrespectre des paires électron-positron produites.

    Les résultats de leur travaux ont été publiés sur arxiv récemment. Ils posent de nouvelles contraintes sur la masse et le couplage des bosons U avec les particules chargées. Aucune preuve de l'existence de ces photons noirs n'a pu être apportée et certaines valeurs possibles de leur masse ont été exclues. Il semble maintenant aussi plus difficile d'expliquer le moment magnétique anomal du muon en utilisant l'hypothèse de l'existence des boson U car l'espace des valeurs possibles des paramètres caractérisant ces bosons est devenu plus restreint. La matière noire et les particules miroir restent donc dans l'ombre...