En développant des idées avancées il y plus de 50 ans par Stephen Hawking un groupe de chercheurs est arrivé à la conclusion que plusieurs étoiles pourraient abriter un trou noir en leur cœur et cependant « vivre » étonnamment longtemps. Notre Soleil pourrait même en avoir un aussi massif que la planète Mercure en son centre sans que nous nous en rendions compte de prime abord.


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    Une équipe internationale, dirigée par des chercheurs de l'Institut Max PlanckMax Planck d'astrophysique, vient de publier dans The Astrophysical Journal un article qui aurait sans doute plu à Stephen Hawking s'il était encore parmi nous, bien qu'on ne puisse pas exclure non plus qu'il pourrait l'avoir critiqué. L'article en question, dont une version en accès libre se trouve aussi sur arXiv, reprend en effet des considérations issues d'un article que le chercheur avait publié au début des années 1970 (Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 152, Issue 1, April 1971).

    Dans celui-ci, Hawking développait les conséquences d'un concept dont il avait été un des premiers à en saisir l'importance, en parallèle des travaux des mythiques Yakov Zeldovich et Igor Novikov publiés en 1967, deux grands leaders de l'astrophysique et de la cosmologie relativiste russes. La théorie du Big BangBig Bang avait alors été fortement accréditée quelques années auparavant avec la découverte du rayonnement fossile. La découverte des étoiles à neutrons sous forme de pulsars confirmait que des prédictions de l'astrophysique relativiste concernant l'effondrementeffondrement gravitationnelle des étoiles devaient être prises au sérieux, notamment avec la formation des trous noirs dit stellaires comme Oppenheimer et ses élèves l'avaient pressentie.

    Des trous noirs vestiges du Big Bang

    Mais en allant un cran plus loin et en se basant sur des travaux de cosmologiecosmologie relativiste de l'époque conduisant à admettre que pendant la première seconde du Big Bang l'état de la matièreétat de la matière et de l'espace-tempsespace-temps pouvait avoir été suffisamment chaotiques et turbulents pour que tout un spectrespectre de fluctuations de densité pouvait aussi conduire à des effondrements gravitationnels donnant des trous noirs primordiaux dont les massesmasses pouvaient se trouver entre 10-5 g et des masses beaucoup plus élevées d'au moins quelques masses solaires.

    Alors que le télescope Subaru sur Terre observe la galaxie d'Andromède, une étoile de cette galaxie peut devenir nettement plus lumineuse si un trou noir primordial passe devant l'étoile par effet de lentille gravitationnelle. À mesure que le trou noir primordial continue à se « désaligner », l'étoile deviendra également plus sombre et reviendra à sa luminosité d'origine. © Kavli IPMU
    Alors que le télescope Subaru sur Terre observe la galaxie d'Andromède, une étoile de cette galaxie peut devenir nettement plus lumineuse si un trou noir primordial passe devant l'étoile par effet de lentille gravitationnelle. À mesure que le trou noir primordial continue à se « désaligner », l'étoile deviendra également plus sombre et reviendra à sa luminosité d'origine. © Kavli IPMU

    Hawking avait déjà estimé à l'époque que la majorité de la masse contenue dans un volumevolume de l'UniversUnivers observable pouvait se trouver sous la forme d'une population de ces minitrous noirs primordiaux et donc constituer déjà ce que l'on appellerait plus tard de la matière noirematière noire. Le concept a été testé ces dernières décennies, par exemple en cherchant des effets de microlentille gravitationnelle, c'est-à-dire une brusque intensification de la lumièrelumière d'une étoile devant laquelle un de ces minitrous noirs transiterait (image ci-dessus).

    Des bornes très sévères ont été obtenues et parfois indiquant potentiellement qu’une faible partie seulement de matière noire pouvait se trouver sous la forme de ces petits objets compacts dans des bandes de masses et des abondances données. On peut toutefois encore soutenir que la matière noire est majoritairement sous la forme de trous noirs primordiaux.

    Hawking en avait déduit aussi que l'on devait considérer que parfois une étoile pouvait avaler un représentant du gazgaz de trous noirs primordiaux baignant les galaxiesgalaxies. Dans l'article aujourd'hui publié, c'est cette idée qui a été développée et appliquée à des étoiles comme le SoleilSoleil. Les résultats obtenus ont été étonnants.

    Vue d'artiste de la mise en place d'un petit trou noir au centre du Soleil dans le cadre d'une expérience de pensée sur ordinateur.  Elle indique que l'intérieur du Soleil deviendrait rapidement presque totalement convective, ce que montre le processus en cours sur cette image. © MPA, image de fond : Wikimedia/Creative Commons.
    Vue d'artiste de la mise en place d'un petit trou noir au centre du Soleil dans le cadre d'une expérience de pensée sur ordinateur.  Elle indique que l'intérieur du Soleil deviendrait rapidement presque totalement convective, ce que montre le processus en cours sur cette image. © MPA, image de fond : Wikimedia/Creative Commons.

    Des minitrous noirs chauffant tranquillement des étoiles de type solaire

    Des simulations numériquessimulations numériques ont permis de découvrir que des minitrous noirs primordiaux de la masse d'un astéroïdeastéroïde ou d'une petite lunelune, plus précisément de masse inférieure à 10-6 masses solaires, pouvaient être avalés tranquillement dans des étoiles de masses solaires sans conduire à des déséquilibres violents. On pouvait penser en effet que ce genre de trou noir allait rapidement grossir en avalant la matière de l'étoile mais les calculs montrent qu'il n'en est rien.

    L'objet s'entoure doucement d'une zone d'accrétionaccrétion qui rayonne en chauffant l'étoile et dont la pression de radiationpression de radiation régule l'alimentation du trou noir en s'opposant à une trop grande vitessevitesse d'accrétion et d'absorptionabsorption de la matière par le trou noir. Selon sa masse, il n'y a aucun effet sur l'étoile hôte pour les plus légers, et pour les plus lourds une partie non négligeable de la luminositéluminosité de l'étoile pourrait même provenir du disque d'accrétiondisque d'accrétion et non de réactions thermonucléaires.

    Toujours pour les minitrous noirs les plus massifs, l'évolution et la structure d'une étoile de type solaire en serait tout de même un peu changées et au fur et à mesure que le trou noir central grossirait lentement. Ainsi, alors que la majeure partie de la structure interne de notre Étoile effectue un transfert d'énergieénergie vers la surface en mode radiatif, avec une couche externe dans un état convectif, dans le cas de ce que les chercheurs ont appelé une étoile de Hawking, c'est tout le corps de l'étoile qui serait en état convectif. Ce serait donc uniquement ce mode de transfert de la chaleurchaleur qui serait opérant entre le cœur de l'étoile, là où de l'énergie est libérée, et sa surface.

    Le Soleil avalant un de ces trous noirs serait donc une étoile entièrement convective, brillant pendant des milliards d'années et dont la surface apparaitrait particulièrement riche en héliumhélium étant donné que les mouvements convectifsmouvements convectifs feraient remonter l'hélium produit en son centre par la combustioncombustion de l'hydrogènehydrogène. Le Soleil deviendrait finalement un trou noir, ce qui aurait été impossible autrement, car seules des étoiles d'au moins 8 à 10 masses solaires pouvant devenir des trous noirs naturellement en fin de vie après avoir explosé en supernovasupernova de type SNSN II.

    On pourrait tester l'existence d'étoile de Hawking grâce à l’astérosismologie qui peut nous révéler la structure interne des étoiles. Notre Soleil n'est lui pas une étoile de Hawking, nous le savons grâce à la sismologiesismologie solaire justement. On pourrait notamment avoir de bonnes surprises avec la mission Plato (acronyme de Planetary transitstransits and oscillations of stars) qui est un télescope spatialtélescope spatial développé par l'ESA, l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne, qu'elle lancera dans quelques années.

    Piste noire : quelques compléments sur les trous noirs primordiaux

    Dans le cadre des modèles cosmologiques de type Big Bang, on sait que la densité « initiale » de l'Univers observable était très grande et, si l'on en croit les équationséquations tentant de décrire l'état de la matière et du champ de gravitationgravitation proche de la singularité cosmologique initiale en relativité généralerelativité générale classique, l'Univers était alors très turbulent avec des fluctuations chaotiques de sa métrique et de sa densité comme le montrent bien les travaux de Misner (c'est le modèle connu sous le nom de mixmaster universe), ainsi que de Belinsky, Khalatnikov et Lifchitz.

    Quelques physiciens célèbres de l'école russe. En haut et de gauche à droite : Gershtein, Pitaevskil, Arkhipov, Dzyaloshinskil. En bas et de gauche à droite : Prozorova,  Abrikosov, Khalatnikov, Lev Davidovich Landau, Evgenii Lifchitz. © AIP
    Quelques physiciens célèbres de l'école russe. En haut et de gauche à droite : Gershtein, Pitaevskil, Arkhipov, Dzyaloshinskil. En bas et de gauche à droite : Prozorova,  Abrikosov, Khalatnikov, Lev Davidovich Landau, Evgenii Lifchitz. © AIP

    Dans ces conditions infernales, si une fluctuation de densité devient telle qu'une masse donnée passe sous son rayon de Schwarzschildrayon de Schwarzschild, un mini trou noir en résultera. En fait, étant donné la vitesse limite de propagation des interactions (celle de la lumière), si l'on considère une bulle de lumière émise par une zone de la taille de la longueur de Plancklongueur de Planck au temps de Plancktemps de Planck, que l'on pourra approximer par des valeurs nulles, alors une telle densité de matière (ou d'énergie, car un gaz de photonsphotons ferait tout aussi bien l'affaire) pourra conduire à un effondrement gravitationnel à l'instant t si une masse

                 M(t)=c3t/G = 1015 (t /10-23) g

    se trouve à l'intérieur de cette bulle de lumière dont le rayon aura une longueur ct.

    Cela est facile à comprendre. Si la fluctuation de densité occupe une région de taille supérieure à cette bulle, les interactions gravitationnelles n'ont pas eu le temps de se propager entre ces différentes parties depuis le « début » de la naissance de l'Univers observable et la surdensité ne « sait » pas qu'elle doit s'effondrer.

    On peut ainsi former des mini trous noirs de masse aussi faible que la masse de Planck, Mp=10-5 g, et au-delà, puisque la masse des trous noirs pouvant apparaître 1 s après le Big Bang est de 105 masses solaires.

    Des trous noirs au cœur des atomes ?

    Selon le modèle cosmologique que l'on utilise pour décrire la naissance du cosmoscosmos observable, le spectre des fluctuations de densité de matière/énergie ne sera pas le même, et donc, « la taille et le nombre de trous noirs primordiaux existant actuellement seront des indications précieuses pour poser des bornes sur la turbulenceturbulence et le type de modèle cosmologique adapté à la description des premières secondes de l'histoire du cosmos avant que la géométrie de l'espace-temps ne s'isotropise et ne s'homogénéise pour finir par être décrite par de légères perturbations sur un fond de type Friedmann Robertson-Walker avec constante cosmologiqueconstante cosmologique.

    C'est d'ailleurs ce que Stephen HawkingStephen Hawking a été le premier à comprendre et qui fit l'objet de deux publications, avant sa découverte retentissante de 1974. Il était même allé plus loin car, connaissant l'existence de solutions décrivant des trous noirs chargés, il avait postulé qu'une partie des particules du rayonnement cosmique pouvait être constituée de ces mini trous noirs et que des sortes d'atomesatomes, avec en leur centre un tel mini trou noir, pouvaient s'être formés.

    C'est notamment en étudiant les propriétés de ces mini trous noirs qu'il découvrit que ces derniers pouvaient se comporter comme des particules élémentairesparticules élémentaires, ou des noyaux chauds instables, en train de se désintégrer en émettant ce qui fut baptisé par la suite le rayonnement Hawking. En fait, comme il l'avait montré dès 1974, même des trous noirs produits par des étoiles devaient être capables de s'évaporer en émettant ce rayonnement.

    Le processus est d'autant plus rapide que le trou noir est petit. Or, lorsque celui-ci atteint la masse de Planck, les calculs de Hawking s'effondrent et il faut faire intervenir une théorie de la gravitation quantique comme la théorie des supercordesthéorie des supercordes ou la gravitation quantique à bouclesgravitation quantique à boucles.

    Le destin ultime de l’évaporation d’un mini trou noir est en fait l’un des grands problèmes irrésolus de la physique théorique moderne.

    Comme on l'a déjà laissé entendre, au fur et à mesure qu'un mini trou noir se rapproche de la masse de Planck, on peut le considérer comme l'ultime particule élémentaire, celle où toute la physiquephysique des hautes énergies, toutes les particules et les forces s'unifient avec l'espace-temps.