La science participative a permis de découvrir un nouveau ver plat déjà présent en Europe. Aperçu dans les Pyrennées-Atlantique et en Italie, Humbertium covidum est une nouvelle espèce exotique invasive dont les caractéristiques du génome ont pu être différenciées grâce aux techniques modernes de la biologie moléculaire. Cette découverte est une nouvelle illustration du phénomène moderne de mondialisation…
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Une centaine de nouvelles espèces, animales ou végétales, sont décrites chaque année en France métropolitaine. Dans la plupart des cas, il s'agit d'espèces autochtones, présentes chez nous depuis longtemps, mais qui avaient échappé jusqu'ici à l'attention des scientifiques. De manière bien différente, nous rapportons maintenant l'existence d'une espèce nouvelle trouvée en France, mais qui a été introduite, et même qui est potentiellement capable d'envahir nos jardins.
Cette espèce, c'est un ver plat, grande comme une phalangephalange de votre petit doigt. L'espèce est allongée, avec une tête plus large, comme tous les vers plats à tête en forme de marteau. Alors que les autres vers plats tendent généralement vers le marron ou le jaune, sa couleurcouleur est tout à fait extraordinaire : totalement noire, elle fait penser à du « métalmétal liquideliquide ». Son nom : Humbertium covidum - nous reviendrons sur ce nom plus loin.
Comment différencier les espèces ?
Depuis une dizaine d'années, nous savons que des vers plats ont envahi les jardins de France. Notre équipe a ainsi rapporté et cartographié l'invasion par plusieurs espèces : le ver plat de Nouvelle-Guinée (Platydemus manokwari)), les vers géants à tête en forme de marteau (surtout Bipalium kewense) et le bizarrement nommé Obama nungara, qui à lui tout seul a envahi plus de 70 départements métropolitains. Nous avons aussi rapporté des invasions récentes en outremer.
“Sa couleur est tout à fait extraordinaire : totalement noire, elle fait penser à du « métal liquide »”
Pour donner un nom à une espèce, les scientifiques doivent convaincre qu'elle est nouvelle, et donc expliquer en quoi elle est différente des espèces déjà connues. Dans tous les cas, il faut décrire avec précision les formes et les couleurs.
Très souvent, il faut aussi décrire avec une grande précision les organes sexuels des espèces, qui sont différents et caractéristiques. C'est là qu'un problème se pose pour les vers plats : certaines espèces se reproduisent seulement de manière asexuée, et donc n'ont tout simplement pas d'organes sexuels. On imagine le problème pour les différencier. C'est pour cela que nous avons utilisé les techniques modernes de la biologie moléculairebiologie moléculaire pour caractériser les génomesgénomes mitochondriaux de ces espèces.
Le génome mitochondrial
Le génome mitochondrial, en abrégé mitogénomes, est le code génétiquecode génétique qui fait fonctionner les mitochondriesmitochondries, des petits organitesorganites présents dans toutes les cellules et assurent leur fonctionnement énergétique. Ce génome mitochondrial est distinct du génome du noyau. Comme ce génome mitochondrial est présent en milliers de copies dans chaque cellule, il est donc techniquement plus facile - et moins coûteux - de l'obtenir que le génome du noyau.
Le génome mitochondrial est un ADNADN circulaire, long d'environ 15000 paires de bases nucléotidiques : c'est assez long pour donner beaucoup d'information, et assez court pour être obtenu facilement.
Nous avons donc obtenu le génome mitochondrial de plusieurs espèces de vers plats envahissants, comme celui du ver plat de Nouvelle-Guinée et des vers à tête en forme de marteau. Nous avons utilisé les caractéristiques de ces génomes pour différencier les espèces trouvées, même si elles n'avaient pas de caractères sexuels visibles.
La nouvelle espèce en France
Grâce à la science participative, c'est-à-dire des particuliers qui nous aident en répertoriant les espèces qui sont chez eux, nous avons trouvé la nouvelle espèce « noir métallique » dans deux jardins en France, tous les deux dans le département des Pyrénées-Atlantiques, dans des communes séparées par une centaine de kilomètres.
Il est maintenant bien connu que le département des Pyrénées-Atlantiques est un petit paradis pour les vers plats introduits depuis le monde entier, principalement à cause de son climat doux et toujours un peu humide. Dans les deux cas, il n'y avait que quelques individus de l'espèce noire. Au début de notre étude, nous nous sommes même demandés si ce n'était pas des simples variants de couleur noire d'une espèce plus grande, Bipalium kewense, aussi trouvée dans ces jardins.
Mais en voyant de près les spécimens, et en comparant les génomes, pas de doute, l'espèce était différente. Nous avons alors cherché dans la littérature scientifique si l'espèce avait été décrite ailleurs, et surtout en Asie tropicale, qui est le continent d'origine principal de ces vers à tête en forme de marteau. Nous avons bien trouvé quelques mentions d'animaux qui y ressemblent, mais sans plus.
En Italie aussi
Vers la fin de 2019, nous avons été averti qu'une espèce noire proliférait dans un champ en Vénétie. Des centaines de vers noirs, bien actifs tôt le matin, et très mobilesmobiles. D’autres signalements ont ensuite été faits de ce ver noir près de Rome. Nous avons comparé le génome mitochondrial d'individus trouvés en France avec celui d'individus trouvés en Italie : ils étaient très peu différents, ce qui montre qu'il s'agit de la même espèce, qui donc était déjà présente dans deux pays en Europe. Et donc, il fallait décrire l'espèce, c'est-à-dire lui donner un nom latin.
Le ver Humbertium covidum a été nommé ainsi en référence à la Covid-19 du fait de sa découverte en 2020 pendant la pandémie. © Muséum national d'Histoire naturelle. Justine et al., 2022 CC BY
Le nom de la nouvelle espèce
Attribuer un nom à une espèce est une étape clé primordiale et indispensable à toute étude ultérieure. Quand on s'adresse à des espèces potentiellement envahissantes, et qui donc peuvent attirer l'attention du législateur, il est encore plus indispensable de pouvoir les nommer : les lois et décrets utilisent les noms latins, parce que ces noms garantissent qu'on désigne bien la bonne espèce.
“« Covidum » était un nom approprié pour un organisme capable d’envahir le monde et venant d’Asie”
Chaque nom latin d’espèce est binomial, avec un nom de genre et un nom d'espèce. Pour le nom de genre, c'est « Humbertium », simplement parce que l'animal a les caractères de ce genre décrit en 2001. Pour le nom de la nouvelle espèce, nous avons choisi « covidum », un nom bien évidemment basé sur « covid ».
Pourquoi ? D'abord parce que nous avons commencé ce travail en 2020, quand nos laboratoires étaient fermés du fait du confinement. Ensuite, au fur et à mesure que la pandémiepandémie progressait, nous avons voulu nommer l'espèce en hommage à toutes les victimes. Et finalement, il nous a semblé que « covidum » était un nom approprié pour un organisme capable d'envahir le monde et venant d'Asie, comme la pandémie de Covid-19Covid-19 elle-même.
Espèces envahissantes
En dehors de la description de cette seule espèce, que nous apprend cette découverte d'une nouvelle espèce de ver plat en Europe ? Surtout, que des espèces étrangères viennent sans arrêt envahir nos contrées (la même chose existe ailleurs dans le monde, avec des espèces européennes qui envahissent d'autres continents). Faut-il leur reprocher et les tenir responsables ? Ces espèces n'y sont pour rien, bien sûr. C'est l'humanité qui est responsable, et en particulier le phénomène moderne de mondialisation, par lequel on fait circuler des marchandises à un rythme effréné dans toutes les directions.
Quelques individus d'un ver plat, qui ne se rendent compte de rien, se retrouvent ainsi à traverser le monde entier en quelques jours, probablement dans la terre d'un lot de plantes. Ils arrivent dans un nouvel environnement où leurs ennemis naturels sont absents, trouvent une nourriture abondante, et prolifèrent. Dans le cas d'Humbertium covidum, en analysant l'ADN de leurs proies, nous avons ainsi pu montrer que l'espèce mange des petits escargots, mais elle consomme peut-être aussi d'autres proies.
En quoi cette arrivée de Humbertium covidum est-elle un problème ? Parce que les espèces animales qui vivent sur le sol et dans le sol sont en équilibre avec leur environnement européen depuis longtemps, et que l'arrivée d'un prédateur opportuniste peut changer cet équilibre, et donc altérer la biodiversité de nos sols. Altérer la biodiversité a un coût écologique, et même, un coût économique. Par exemple, on peut calculer que les espèces envahissantes diminuent les productions agricoles. Le coût des espèces exotiquesexotiques envahissantes en France est énorme, de l'ordre de centaines de millions d’euros par an.
Humbertium covidum est donc un exemple de plus d'espèce exotique introduite qui, à terme, menace la biodiversité. Espérons qu'à la différence du virus qui lui a donné son nom, elle n'envahisse pas le monde.
Un nouveau ver plat envahit nos jardins et menace la biodiversité
Ce ver plat, venu d'Argentine est une espèce hautement invasive qui s'est déployée en France et en Europe par le truchement du commerce des plantes en pot. Dénommé Obama nugara, ce nouveau prédateur se nourrit de la faunefaune indigèneindigène des sols, menaçant les indispensables lombrics, si utiles pour aérer la terre, permettre la circulation de l'eau et nourrir les oiseaux. Une inquiétude de plus qui pèse sur la biodiversité.
Article de Futura avec l'AFP-Relaxnews, publié le 10 février 2020
C'est un prédateur qui vit la nuit, se déplace très lentement, mais prolifère à toute allure : une espèce de ver plat invasifinvasif, venue d'Argentine, est en train d'envahir les jardins de France et d'Europe, menaçant potentiellement la biodiversité. L'espèce Obama nungara -- qui signifie « plat comme une feuille » dans une langue amérindienne, sans aucun lien avec l'ex-président américain -- est signalée sur les trois-quarts du territoire français. Elle se propage notamment via le commerce des plantes en pot, selon des données principalement fondées sur la science participative, et publiées jeudi dans la revue scientifique PeerJ.
Un ver repéré par la science citoyenne et participative
« C'est une jolie histoire qui a commencé en mars 2013 : un amateur naturaliste observe dans son jardin de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) un ver bizarre, et envoie sa photo » sur les réseaux spécialisés, raconte à l'AFP Jean-Lou Justine, professeur au Muséum d'histoire naturelle à Paris, qui a dirigé l'étude. Intrigués, les scientifiques mettent en place un vaste réseau de sciences participatives, qui recueille en cinq ans plusieurs centaines de signalements, essentiellement en France mais aussi en Europe (Royaume-Uni, Espagne, Portugal, Belgique, Italie et Suisse). Plusieurs espèces sont identifiées, mais Obama nungara semble dominer. Il s'agit de spécimens pour la plupart de couleur brun foncé, mesurant 5 à 10 cm.
Potentiellement dangereux pour l'écosystème des sols
Grâce à des analyses moléculaires, les scientifiques parviennent à en trouver l'origine : l'Argentine, d'où l'espèce a débarqué par le truchement de plantes en pot. « Une fois qu'une espèce est dans un jardin, elle a beau se déplacer très lentement, elle peut envahir le jardin voisin en quelques mois, détaille le Pr Justine. C'est un phénomène classique pour les espèces invasives : sa présence est d'abord discrète et on ne s'en aperçoit que quand elle a envahi toute une partie du territoire. »
Il y aurait « des milliards d'individus », répertoriés dans plus de 70 départements de France métropolitaine. « L'une des surprises a été de ne pas le trouver en altitude, probablement parce que les nuits y sont trop froides », ajoute le scientifique. Que lui reproche-t-on ? D'être un prédateur mangeant les animaux du sol (vers de terre et escargots), et d'être une espèce « non-autochtone qui n'a pas sa place dans l'écosystème des sols ». L'étude ne donne néanmoins pas de chiffres sur l'importance de la prédation, et donc sur l'impact écologique exact, concède le chercheur.
« Invasif n'est pas synonyme de nocif : ça veut dire que la prolifération devient très visible, et que c'est potentiellement dangereux pour l'écosystèmeécosystème. Si c'est un animal prédateur, il va forcément diminuer la population des animaux qu'il mange », développe le chercheur. Comment s'en débarrasser ? « On ne sait pas. On peut les écraser ou les brûler, mais il en restera autant après ».
Un ver plat envahit les sols
Article de Marie-Céline RayMarie-Céline Ray, publié le 27 mai 2018
Des dizaines de témoignages recueillis en Métropole et en Outre-mer décrivent la présence de vers plats exotiques ayant une tête en forme de marteau. Or, ces espèces invasives, qui ont pu arriver en France par le commerce de plantes, mangent des vers de terre et menacent la biodiversité du sol.
Les vers de terre sont des animaux essentiels dans l'écosystème souterrain. Ils rendent bon nombre de services aux jardiniers : ils digèrent la matièrematière organique, aèrent le sol et favorisent sa fertilité. Mais voici que des vers plats originaires d'Asie viennent les menacer dans nos jardins, et ce depuis une vingtaine d'années déjà !
Les prédateurs en question sont des Plathelminthes terrestres, des bipaliinés, une famille qui regroupe les genres Bipalium et Diversibipalium. Ces vers géants peuvent mesurer jusqu'à un mètre de long et présentent une tête caractéristique en forme de marteau. Les Bipalium sont capables de manger des individus plus gros qu'eux grâce à un arsenal chimique redoutable ; ils sécrètent notamment une toxinetoxine, la tétrodotoxine.
Le saviez-vous ?
La tétradotoxine est la neurotoxine produite par le foie du poisson-globe, ou fugu, un poisson consommé au Japon. Sa toxine entraîne une paralysie qui peut provoquer le décès.
Des chercheurs français ont lancé appel aux citoyens pour qu'ils leur envoient des photographiesphotographies et des spécimens de ces vers plats. Dans The Conversation, Jean-Lou Justine, professeur de parasitologie au Muséum national d'histoire naturelleMuséum national d'histoire naturelle, décrit les résultats de ce travail qui a duré cinq années. Sur 700 signalements de vers plats terrestres, une centaine était des bipaliinés.
Ce ver Plathelminthe tue les lombrics
Une espèce plus petite, Bipalium vagum, a été trouvée dans certains territoires d'Outre-mer, mais pas en Métropole. Enfin deux espèces inconnues ont été décrites : l'une, noire, trouvée dans une seule localité française, et l'autre, de couleur bleu turquoise, décrite à Mayotte.
En France métropolitaine, deux espèces étaient présentes, avec des vers mesurant jusqu'à 40 cm de long : Bipalium kewense, également présent en outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane) et Diversibipalium multilineatum.
“Les Pyrénées-Atlantiques semblent constituer un petit paradis pour eux”
Ces vers se trouvaient essentiellement dans le Sud de la France, avec un département qui concentrait plus de la moitié des signalements : les Pyrénées-Atlantiques. La répartition des vers est probablement liée au climat, comme l'explique Jean-Lou Justine : « Les PlathelminthesPlathelminthes terrestres, qui viennent des régions semi-tropicales d'Asie, ont deux ennemis : le froid en hiverhiver et la sécheressesécheresse en été. Il semble que les Pyrénées-Atlantiques, avec leur hiver doux et leur été jamais tout à fait sec, constituent un petit paradis pour eux ! »
Une analyse génétique des vers basée sur le gènegène de la cytochromecytochrome oxydaseoxydase I a révélé une grande homogénéité des espèces dans le monde. Ces vers plats se multiplient par scissiparité, un mode de reproduction asexuée : un morceau de l'animal se détache de la queue du « père » et donne un individu « fils » qui est le cloneclone son « père ». Ce mode de reproduction est un atout pour une espèce invasive puisque chaque ver « potentiellement immortel » n'a pas besoin de trouver l'âme sœur pour se reproduire.
Jean-Lou Justine insiste sur le fait que jusqu'à présent il existait très peu d'informations scientifiques sur ces espèces en France, alors que le plus ancien témoignage recueilli sur notre territoire remonte à 1999. « Il semble paradoxal que l'invasion d'un pays développé, en Europe, par des animaux aussi spectaculaires et bien visibles, et potentiellement dangereux pour la biodiversité, n'ait attiré l'attention d'aucun scientifique ni d'aucune institution. » Pour que le public soit désormais conscient de la menace représentée par ces vers, les chercheurs mettent à disposition une version française de leur publication scientifique parue dans PeerJ.