Le métavers a été le fruit de longues décennies de réflexions, que ce soit par des auteurs de science-fiction comme par des ingénieurs ou même de simples geeks. Retour sur la genèse d’une technologie qui donne naissance à des mondes virtuels dans lesquels chacun peut s’immerger et vivre une vie parallèle.


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    « Métavers » a été l'un des mots les plus recherchés en 2021 sur le dictionnaire anglais Collins. Et de nos jours, le mot désigne un environnement virtuel immersif mettant à contribution des technologies ultra-avancées de Réalité Virtuelle. Il est possible d'y faire mille choses : rencontrer d'autres personnes, participer à des compétitions comme à des concerts, faire du shopping, suivre des conférences... Un véritable monde parallèle au nôtre qui a commencé à être déployé sur des plateformes telles que The Sandbox ou Decentraland. Les regards sont tournés vers le métavers immersif que prépare Meta / Facebook et qui supposera d'enfiler un casque ou des lunettes de Réalité virtuelle et les projets similaires de sociétés telles que MicrosoftMicrosoft ou Epic Games.

    Si le terme s'est rapidement répandu dans le langage, la question peut être posée : qui est à l'origine du métavers ? Comme nous allons le voir, la réponse n'est pas unique. L'élaboration de ce concept a été le fruit de réflexions échelonnées sur près d'un siècle.

    Les lunettes de Pygmalion

    La première évocation d'un tel monde fictif remonte à 1935 et figure dans le livre Pygmalion's Spectacles (Les lunettes de Pygmalion) de l'auteur Stanley Weinbaum, une nouvelle publiée dans Wonder Stories, un magazine de l'âge d'or de la science-fiction. Après avoir endossé des lunettes spéciales qui lui donnent accès à la vision, au son mais aussi au sens du goût, de l’odeur et du toucher, le personnage se retrouve plongé dans une autre réalité. Weinbaum était un auteur fortement imaginatif qui, hélas, a disparu fort jeune, à l'âge de 33 ans.

    Sensorama

    En 1956, le cinéaste Morton Heilig imagine une première machine de Réalité virtuelle, le Sensorama. Un prototype est prêt en 1962. Perché sur une chaise vibrante, face à un écran large munis de haut-parleurs, le spectateur est censé éprouver les sensations d'un motard circulant dans New York. Heilig a même veillé à intégrer des parfums et une soufflerie qui simule les effets du ventvent. Hélas, aucun investisseur n'a souhaité soutenir ce projet.

    Le brevet du Sensorama tel que déposé par Morton Heilig en 1961. Le Sensorama est considéré comme le précurseur des systèmes de Réalité Virtuelle. © U.S. Patent #3050870 (via http://patft.uspto.gov/)
    Le brevet du Sensorama tel que déposé par Morton Heilig en 1961. Le Sensorama est considéré comme le précurseur des systèmes de Réalité Virtuelle. © U.S. Patent #3050870 (via http://patft.uspto.gov/)

    Aspen Movie Map

    En 1978, un projet ambitieux est mené au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston, l'université la plus en pointe en matièrematière d'innovation technologique. Sous la supervision de Nicholas Negroponte, Andy Lippman et Bob Mohl ont combiné des images de la ville d'Aspen gravées sur un LaserDisc à un programme informatique. Ils ont ainsi créé une sorte d'ancêtre de Google Maps : l'équipe a filmé les rues de la ville à partir d'un véhicule équipé d'une caméra. Avec Aspen Movie Map, les utilisateurs peuvent se déplacer virtuellement dans la ville d'Aspen, dans le Colorado.

    « Snow Crash », de Neal Stephenson

    C'est en 1992 que le terme « métavers » apparaît pour la première fois, dans le roman Snow Crash (Le Samouraï virtuel) de l'écrivain de science-fiction Neal Stephenson. Snow Crash est une dystopie qui prend place au XXIe siècle. Afin d'échapper à la réalité d'un monde totalitaire et sinistre, les citoyens se réfugient dans le « métavers », un monde virtuel à très grande échelle. Pour ce faire, ils doivent enfiler des lunettes de Réalité virtuelle. Au sein de cet universunivers parallèle, ils apparaissent sous la forme d'un avatar dont ils choisissent l'apparence. Ils habitent dans leur propre maison et peuvent se connecter à d'autres personnes et partager des expériences.

    Dans <em>Snow Crash</em> – « Le Samouraï Virtuel » dans l’édition française, Neal Stephenson invente le terme « métavers ». © Livre de Poche
    Dans Snow Crash – « Le Samouraï Virtuel » dans l’édition française, Neal Stephenson invente le terme « métavers ». © Livre de Poche

    Matsushita Electric Works

    Dès le début des années 90, la technologie de Réalité virtuelle commence à faire parler d'elle. Après avoir enfilé un casque, on obtient l'illusion de baigner dans un monde photoréaliste. La personnalité qui est alors couramment associée à cette technologie s'appelle Jaron Lanier. Ce personnage d'allure hippie a créé la société VPL qui a lancé le premier « visiocasque » et aussi le « dataglove », sorte de gant qui permet de saisir les objets de l'espace simulé.

    La Réalité virtuelle est identifiée par trois concepts :

    • immersion ;
    • interaction ;
    • navigation.

    L'une des applicationsapplications phares est la vente de cuisine sur mesure. Réalisée à l'initiative de Matsushita Electric Works, elle amène un acheteur potentiel à visualiser sa future cuisine et à s'y déplacer comme s'il y était : il peut tourner le robinet, ouvrir un placardplacard, sortir des assiettes... Des milliers de cuisines sont vendues grâce à cette application réalisée par le groupement néerlandais Espeq en 1993.

    Le flop des jeux vidéo de Réalité virtuelle

    Au milieu des années 90, la Réalité virtuelle devient un sujet « tendance ». Les deux géants du jeu vidéo, Sega et Nintendo se positionnent donc sur ce marché potentiel. En réalité, le grand public va rapidement déchanter. En 1995, NintendoNintendo estime opportun de commercialiser un accessoire surprenant, le Virtual Boy. Une fois enfilé, ce casque fait apparaître personnages et décors en mode « fil de ferfer » sur fond rouge. Ce ratage va laisser un goût amer à ceux qui ont eu la maladresse d'en acquérir un exemplaire. Si ça doit être cela, la Réalité virtuelle, oublions !

    « Quand nous parlions de Réalité virtuelle, les gens évoquaient le Virtual Boy, dira plus tard Palmer Luckey, le créateur du casque Oculus. C'était affreux. La technologie n'était pas prête. Avec la meilleure volonté du monde, il était alors impossible de réaliser un appareil satisfaisant ».

    Le <em>Virtual Boy</em>, un accessoire lancé par Nintendo en 1995, a été un flop majeur et a eu tendance à donner une mauvaise réputation à la Réalité virtuelle. © Evan-Amos, Creative Commons
    Le Virtual Boy, un accessoire lancé par Nintendo en 1995, a été un flop majeur et a eu tendance à donner une mauvaise réputation à la Réalité virtuelle. © Evan-Amos, Creative Commons

    Second Life

    Sorti en l'an 2000, le jeu Les Sims de Maxis obtient un accueil qui surprend jusqu'à son éditeur : il devient alors le plus grand succès du jeu vidéo. Or, le point marquant est que Les Sims simule la vie sociale.

    Un jalon essentiel est posé en 2003 avec l'apparition de Second LifeSecond Life. Cette application est l'œuvre de Linden Lab, une édition créée par l'entrepreneur Philip Rosedale. Tout comme dans un jeu en ligne massivement multijoueur, chacun peut se déplacer à sa guise, rencontrer d'autres personnes, accomplir des quêtes en commun... Toutefois, dans Second Life, l'aspect « jeu » est minoritaire. L'activité essentielle est la socialisation : fêtes, cocktails, rencontres professionnelles... Second Life dispose même de sa propre monnaie. Il s'agit bien de l'expérience la plus proche d'un métavers tel qu'il est envisagé aujourd'hui.

    Pourtant, en ce début de millénaire, Second Life doit faire face à des problèmes de bande passante, ce qui freine son adoption à grande échelle - le jeu dispose tout de même encore aujourd'hui d'un bon million d'utilisateurs qui s'y épanouissent plusieurs heures par jour. En 2008, Sony va lancer le PlayStation Home, un environnement similaire organisé autour de la PlayStation 3, mais le public de cette console ne va pas répondre à l'appel.

    Lancé en 2004, FacebookFacebook va prouver, si besoin en était, que les internautes sont friands de pouvoir retrouver leurs amis sur un réseau socialréseau social.

    Dès 2003, <em>Second Life</em> propose une interaction sociale entre internautes dans un environnement virtuel richement défini. © Linden Labs.
    Dès 2003, Second Life propose une interaction sociale entre internautes dans un environnement virtuel richement défini. © Linden Labs.

    Le casque Oculus Rift

    Durant l'année 2009, tandis qu'il explore les entrailles des iPhoneiPhone, le jeune geekgeek Palmer Luckey acquiert le sentiment que l'heure de la Réalité virtuelle a enfin sonné. L'essor de la téléphonie mobilemobile a favorisé le développement de technologies miniaturisées ultra performantes.

    Palmer Luckey se lance dans la conception d'un casque qui, rapidement, fait l'objet d'un buzz énorme chez les joueurs. L'OculusOculus propose un champ de vision de 90° avec un débitdébit d'images supérieur à celui du cinéma.

    Vers la fin de l'année 2013, Mark ZuckerbergMark Zuckerberg obtient un prototype de la dernière version du casque Oculus RiftOculus Rift et ressort tétanisé de l'expérience ! À la mi-mars 2014, Zuckerberg acquiert la société Oculus pour deux milliards de dollars. Au fil des années, il va envisager de marier la Réalité virtuelle rendue possible avec le casque Oculus Rift et l'interaction que permet un réseau social tel que Facebook.

    En 2013, Sony et SamsungSamsung annoncent qu'ils créent leurs propres casques de Réalité virtuelle. Un élément essentiel du métavers fait désormais l'objet d'une R&D énorme.

    En 2014, Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook a racheté la société Oculus, créatrice d’un casque de Réalité virtuelle. Dans cet événement de début 2020, Zuckerberg présente la dernière création d’alors. © Meta
    En 2014, Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook a racheté la société Oculus, créatrice d’un casque de Réalité virtuelle. Dans cet événement de début 2020, Zuckerberg présente la dernière création d’alors. © Meta

    Ready Player One

    En 2011, Ernest ClineCline a publié le livre Ready Player One qui met en scène un monde en perdition, touché par la famine et les dégâts climatiques. Pour échapper à cette réalité, des citoyens enfilent un casque et des gants haptiqueshaptiques (qui simulent le toucher) et se rendent sur Oasis, un environnement virtuel. Le livre obtient un immense succès au point où Steven Spielberg décide de l'adapter au cinéma. Le film sort en 2018. Il s'agit d'une étape majeure car, lorsqu'ils tentent de conceptualiser ce qu'est un métavers, un grand nombre de gens vont désormais penser au film Ready Player One.

    Facebook devient Meta et annonce son Métavers

    Finalement, l'étape cruciale a été l'annonce par Mark Zuckerberg, fin juillet 2021 que sa société planchait sur un métavers à très grande échelle. Le 28 octobre, il a même annoncé que la société Facebook était rebaptisée Meta. À cette occasion, Zuckerberg a présenté son Métavers comme le « successeur de l'InternetInternet mobile ».

    Voir aussi

    Réalité virtuelle et traduction en temps réel : les grands projets de Microsoft

    Que s'est-il passé entre temps ? Le boom des cryptomonnaiescryptomonnaies, et l’arrivée des NFTs, ont laissé entrevoir des possibilités inattendues, notamment la possession d'œuvres d'art et autres objets virtuels. Le confinement a amené énormément de gens à pratiquer des réunions virtuelles avec Zoom ou Microsoft Teams. Et puis, en avril 2020, dans le jeu FortniteFortnite d'Epic Games, nous avons pu avoir un avant-goût de ce que pourrait être le métavers lorsque Travis Scott et Marshmello ont donné un concert qui a attiré près de 30 millions de spectateurs.

    Les briques du métavers sont donc désormais bien définies : une immersion ultra-réaliste dans un monde parallèle dans lequel nous pouvons entretenir des relations sociales très diverses.

    Visite virtuelle d'une cité antique dans le métavers tel que l'imagine Meta/Facebook. © Facebook
    Visite virtuelle d'une cité antique dans le métavers tel que l'imagine Meta/Facebook. © Facebook