L’astrophysicien Franck Selsis, membre du CNRS et du Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux (LAB), a gracieusement permis à Futura de reprendre l’article qu’il a consacré à la découverte de la vapeur d'eau dans l'atmosphère de l’exoplanète K2-18b et qui est publié sur le site du LAB. Il y remet les pendules à l’heure en ce qui concerne cette découverte et son lien avec la recherche de vie ailleurs où l'habitabilité a été fortement exagérée par certains médias.


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    Actuellement, et à ce jour de septembre 2019, plus de 4.100 exoplanètes sont connues de l'humanité et comptabilisées par le célèbre site de l'Encyclopédie des planètes extrasolaires fondé en 1995 par l'astronome Jean Schneider de l'observatoire de Paris. La quête du Graal de l'exobiologie se poursuit toujours : une exoplanète de type terrestre avec, non seulement de l'eau liquide à sa surface, mais aussi des biosignatures crédibles dans son atmosphèreatmosphère.

    Nous avons déjà commencé à analyser la composition des atmosphères de certaines exoplanètes mais nous n'en sommes encore qu'aux balbutiements dans ce domaine et cela ne concerne pour le moment que des astres qui ne sont pas des exoterres potentielles. Il nous faut de nouveaux outils pour aller plus loin et ils sont en cours de développement. Les cibles de ces nouveaux outils ne pourront être que des systèmes planétaires proches du Système solaire, dans un premier temps, à quelques dizaines voire une centaine d'années-lumièreannées-lumière du SoleilSoleil tout au plus.


    L'ESO présente la découverte de K2-18b. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © ESA/Hubble, M. Kornmesser, Nasa's Goddard Space Flight Center Conceptual Image Lab

    À l'occasion de la découverte des mondes de Trappist 1, à seulement 40 années-lumière du Soleil environ, l'astrophysicienastrophysicien Franck Selsis nous avait expliqué que la détermination de bio-signatures crédibles n'était vraiment pas évidente et que, dans le meilleur des cas, beaucoup de travail et de recul critique seraient nécessaires. Il avait fait également des commentaires sur la présence d'eau sur certaines des exoplanètes de Trappist 1.

    Or, la récente annonce de la découverte de la présence de vapeur d'eau avec un instrument ancien, à savoir Hubble, dans l'atmosphère de l'exoplanète K2K2-18b, à seulement 110 années-lumière du Soleil, a évidemment marqué les esprits. Et une certaine confusion en a résulté. La massemasse seule de l'exoplanète la place dans le cadre de la théorie des superterressuperterres potentielles et elle se trouve dans la zone d'habitabilitézone d'habitabilité mais cela ne suffit pas pour en déduire qu'il s'agit bien d'une superterre habitable.

    L’exoplanète K2-18b et la vapeur d'eau

    Franck Selsis a donc écrit un article, publié sur le site du Laboratoire d'astrophysiqueastrophysique de Bordeaux (LAB) où il remet dans une juste perspective la découverte de la vapeur d'eau dans l'atmosphère de K2-18b, une exoplanète dont il dit qu'elle se trouve quelque part entre mondes telluriques et géantes gazeusesgéantes gazeuses. Il a permis à Futura de reprendre ici son article. Le voici.

    L'astrophysicien Franck Selsis étudie les atmosphères planétaires et l'exobiologie. © Benjamin Pavone
    L'astrophysicien Franck Selsis étudie les atmosphères planétaires et l'exobiologie. © Benjamin Pavone

    La détection de vapeur d'eau dans l'exoplanète K2-18b a eu un grand retentissement médiatique. Cette observation constitue une étape très importante pour l'étude des exoplanètes mais son lien avec la recherche de vie ailleurs où l'habitabilité a été fortement exagérée par certains médias. Revenons donc sur ce fascinant système, sur cette fameuse observation et ses implications.

    L'étoileétoile K2-18 se trouve à 110 années-lumières, ce qui en fait un système relativement proche. Pour donner un ordre d'idées, il y a environ 15.000 étoiles plus proches que cela. C'est une étoile d'un type très commun, une naine rougenaine rouge qui fait environ un tiers de la masse du Soleil et dont la luminositéluminosité est environ de 3 % de celle du Soleil.

    Sa planète b orbiteorbite en 32 jours autour de l'étoile à une distance de 0,14 fois la distance Terre-Soleil, ce qui lui donne une insolationinsolation quasiment identique à celle de la Terre en terme énergétique (mais pour un rayonnement beaucoup plus rouge). La planète fait entre 6 et 10 masses de la Terre et son rayon est de 2,3 fois celui de notre planète. La densité de K2-18b est donc bien trop faible pour qu'il s'agisse d'une planète rocheuseplanète rocheuse : avec ce rayon, une composition terrestre impliquerait une masse supérieure à 20 fois celle de la Terre. La planète doit donc être composée en grande partie de constituants dits volatiles, formant une enveloppe fluide, dont les candidats principaux sont l'hydrogènehydrogène moléculaire, l'héliumhélium, l'eau. On appelle généralement ce type de planète un mini-NeptuneNeptune, faute de meilleure terminologie. C'est un monde intermédiaire entre, par exemple, la Terre (ou VénusVénus) et UranusUranus (ou Neptune).

    Cette planète s'est manifestée à nous par ses transitstransits, c'est-à-dire que nous, observateurs, sommes dans le plan de son orbite et que, de notre point de vue, elle passe tous les 32 jours devant le disque de son étoile en faisant diminuer son éclat apparent. C'est de cette façon qu'elle a été découverte avec le télescopetélescope spatial Kepler, dans son mode d'observation K2, d'où le nom du système.

    En haut de ce schéma, une comparaison entre les tailles du Soleil et de la Terre d'un côté avec celle de K2-18b et son étoile K2-18. En bas, les distances de ces astres sont mises en perspective mais le rapport avec les tailles n'est pas respecté car une UA vaut environ 150 millions de kilomètres alors que la taille du Soleil est de l'ordre du million de kilomètres. Les planètes ne respectent pas non plus les échelles de taille par rapport à leurs étoiles hôtes. © 2017-2019 LAB
    En haut de ce schéma, une comparaison entre les tailles du Soleil et de la Terre d'un côté avec celle de K2-18b et son étoile K2-18. En bas, les distances de ces astres sont mises en perspective mais le rapport avec les tailles n'est pas respecté car une UA vaut environ 150 millions de kilomètres alors que la taille du Soleil est de l'ordre du million de kilomètres. Les planètes ne respectent pas non plus les échelles de taille par rapport à leurs étoiles hôtes. © 2017-2019 LAB

    L'observation publiée récemment par deux groupes (Tsiaras et al., Benneke et al.) a été réalisée avec le télescope spatial Hubbletélescope spatial Hubble pendant le transit de cette planète. En comparant le spectrespectre de l'étoile durant le transit et hors transit avec un spectromètrespectromètre, ils ont analysé comment les limbeslimbes de l'atmosphère filtrent la lumière de l'étoile. Ces observations ont révélé la signature spectroscopique de la vapeur d'eau. Ce n'est pas une première, la vapeur d'eau a été ainsi mise en évidence sur plusieurs exoplanètes depuis 2007. Jusqu'à présent, il s'agissait de planètes plus grosses et plus chaudes, ce qui rendait l'observation plus aisée.

    La présence d'une atmosphère et de vapeur d'eau sur une planète de cette densité est attendue, c'est son absence qui serait une surprise. Mais cette observation est techniquement très difficile et aurait pu être rendue impossible par la présence de nuagesnuages, l'activité de l'étoile et bien d'autres facteurs. Par ailleurs, si la planète ne possédait pas d'enveloppe d'hydrogène mais uniquement des constituants plus lourds : vapeur d'eau, dioxyde de carbonedioxyde de carbone, méthane..., l'atmosphère n'aurait sans doute pas pu être détectée car les limbes de l'atmosphère auraient été trop fins, comme une mince coquille d'œuf autour de la planète. L'hydrogène étant un gaz très léger, l'atmosphère est très étendue et permet de détecter les constituants mineurs qu'elle porteporte, dont la vapeur d'eau.

    La planète K2-18b est présentée dans les deux études comme une habitable-zone planet, autrement dit une planète se situant dans la zone habitable. Cela signifie que son insolation n'interdit pas la présence d'eau liquide à sa surface pourvu, toutefois, que de nombreux facteurs soient favorables : la teneur en eau de la planète, la composition de l'atmosphère et la rotation de la planète, l'existence d'une surface... Cette expression a pu être mal comprise par les médias qui ont parfois parlé de « planète habitable », ce qui, pour les astrophysiciens, signifierait que la planète possède effectivement de l'eau liquide à sa surface. Nous allons voir que cela semble peu probable.


    L’étude des exoplanètes a révélé une incroyable diversité des architectures de systèmes planétaires, mais aussi des types de planètes, en ce qui concerne les masse, rayon, température et composition. Les méthodes d’observation permettent désormais de sonder la structure et la composition de leur atmosphère, ouvrant ainsi un champ de recherche considérable à la planétologie comparée. Voici, en 2016, une conférence de Franck Selsis organisée par le Bureau des longitudes (Académie des Sciences) et le département de géosciences de l'ENS. © École normale supérieure - PSL

    L'habitabilité de K2-18b

    Tout d'abord, compte tenu de l'insolation de la planète, nous ne savons pas si elle se situe dans cette « zone habitable ». Bien que son insolation soit la même que celle de la terre au niveau de l'énergieénergie, le spectre de son étoile est très différent, beaucoup plus efficace pour chauffer une atmosphère. Si on plaçait la Terre à la place de K2-18b, ses océans seraient vaporisés car, au lieu de réfléchir 30 % de l'énergie incidente, elle en réfléchirait 3 fois moins. Certaines études proposent toutefois que, si une telle planète a une rotation synchronesynchrone avec son orbite -- c'est-à-dire, dans le cas de K2-18b, si elle tourne sur elle-même en 32 jours et montre ainsi toujours la même face à son étoile --, les épais nuages se formant sur l'hémisphère jour permettraient de réfléchir l'excédent de lumière et d'avoir un climatclimat habitable. Il est très possible, en raison des maréesmarées stellaires exercées sur la planète, que celle-ci soit effectivement en rotation synchrone mais l'effet que cela aurait sur le climat d'une atmosphère de type terrestre est actuellement très débattu.

    Par ailleurs, l'observation nous dit qu'on a affaire à une atmosphère riche en hydrogène et non « terrestre ». L'hydrogène est un gaz à effet de serregaz à effet de serre très efficace et la vapeur d'eau y étant un constituant mineur, il est très peu probable que de l'eau soit présente à l'état liquideétat liquide, ni à la surface de la planète ni même sous forme de gouttelettes dans des nuages. L'une des deux études conclut à la présence probable d'eau liquide mais il est clair pour la communauté que l'argument avancé pour le démontrer est erroné.

    La planète peut tout à fait être très riche en eau. Bien plus que la Terre. Neptune et Uranus le sont et il est très vraisemblable que K2-18b le soit également. Mais nos modèles - qui restent perfectibles - nous disent que cette eau n'y est jamais liquide. Elle est à l'état gazeuxétat gazeux dans l'atmosphère, certainement aussi sous forme de particules de glaces dans la haute atmosphère. En profondeur et selon la composition, on pourrait trouver de l'eau sous forme de fluide supercritique, puis de la glace d'eau mais dans des états à haute pressionpression et haute température, différents de la glace habituelle que nous connaissons. Il est très possible que cette planète ne possède pas de surface et que l'on passe continûment de l'atmosphère externe à une enveloppe supercritique comme c'est le cas dans JupiterJupiter, SaturneSaturne, Uranus et Neptune.

    Ces observations sont passionnantes et très importantes pour la planétologie comparée. Nous n'avons pas de telles planètes dans le système solaire et avons énormément à apprendre à leur sujet. K2-18b et des planètes similaires seront des cibles de choix pour les futurs télescopes spatiaux James Webb et Ariel.