Cela fait presque 50 ans que l'on rêve des fameuses colonies spatiales de Gerard O'Neill. Le concept a été revisité tout dernièrement par un groupe de scientifiques de l'université de Rochester aux États-Unis. Pour eux, une version moins coûteuse, et plus rapide à construire, de ces colonies serait rendue possible en exploitant des astéroïdes géocroiseurs comme Bennu.


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    L'astrophysicienastrophysicien Adam Frank est un théoricien, spécialiste de l'hydrodynamique et de la physique des plasmas appliquées à la modélisation sur ordinateurordinateur des étoiles à l'université de Rochester. Le chercheur est un habitué de l'exploration des idées à la frontière de la science et de la science-fiction puisqu'il a été le conseiller scientifique du premier film Doctor Strange comme l'expliquait Futura.

    Avec des collègues et des étudiants, il vient de publier un intéressant article dans Frontiers in Astronomy and Space Sciences, article dans lequel il revisite les idées déjà proposées au sujet du célèbre concept de colonies spatiales au début des années 1970 par Gerard Kitchen O'Neill (6 février 1927 - 27 avril 1992), un des pionniers de la physique des accélérateurs de particules, professeur à l'université de Princeton au moment où le programme ApolloApollo se réalisait. Gerard O'Neill a été à l'origine des anneaux de stockage en physique des particules, une technologie clé des accélérateurs modernes comme au Cern par exemple avec le LHC.

    Comme Futura l'avait également expliqué précédemment dans un article dont nous reprenons une partie du contenu, O'Neill a marqué le grand public avec un livre publié en 1976 sur les colonies spatiales et dont le titre en anglais est The High Frontier. On peut prendre connaissance de la vision du futur qu'avait O'Neill au début des années 1980 avec un autre ouvrage en accès libre sur la toile : 2081 : a hopeful view of the human future.

    Énergie et matières premières à gogo

    Tout avait commencé par des exercices proposés aux étudiants de O'Neill pour faire en physique et en ingénierie des « back of the envelope calculations », c'est-à-dire des estimations « au dosdos de l'enveloppe » encore appelées estimations de Fermi. Dans ce but, pour enseigner la manière de faire des approximations correctes, sans données précises, mais à partir d'hypothèses judicieusement choisies, -- un art dans lequel le physicienphysicien Fermi excellait, ce qui lui permettait d'avoir des ordres de grandeurordres de grandeur plausibles et des explications simples pour certains phénomènes physiques ou pour tester rapidement si certaines idées avaient une chance d'être valides --, O'Neill a demandé à ses étudiants de déterminer si le développement d'une civilisation techniquement avancée était plus facile à la surface d'une planète ou dans une colonie spatiale.

    Les résultats aussi inattendus que surprenants penchaient en faveur de la seconde hypothèse. Voici quelques-uns des arguments esquissés (des explications pas trop techniques, mais avec calculs, peuvent se trouver dans un article publié en 1974 par Gerard O'Neill dans Physics Today).


    La bande-annonce d'un documentaire sur Gerard O'Neill et ses idées. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © The High Frontier Movie LLC

    Les calculs montraient qu'il est nettement plus facile de mettre en orbiteorbite des matériaux issus de la LuneLune ou d'astéroïdesastéroïdes, que ce soient des métauxmétaux, de l'eau que l'on peut électrolyser pour avoir de l'oxygèneoxygène et de l'hydrogènehydrogène, ou encore du régoliterégolite lunaire pour faire du bétonbéton, qu'à partir de la Terre. Le champ de gravitégravité de notre Planète exige de grandes quantités de carburants. Pour la même raison, transporter des matériaux et des personnes d'une région à une autre de l'espace interplanétaire est également moins énergivore que sur la surface de la Terre.

    Dans le cas de la Lune, comme dans le cas de l'espace proche de la Terre, le SoleilSoleil brille 24 h/24, nulle atmosphèreatmosphère ne vient absorber cette énergieénergie, et des panneaux solaires de grande taille, puisque la pesanteur est faible ou inexistante, sont possibles et permettraient d'avoir une quantité d'énergie importante à peu de frais une fois la colonisation spatiale avancée. O'Neill a, par exemple, montré avec ses étudiants que de l'électricité lunaire permettrait facilement d'accélérer magnétiquement des charges utiles au point de les mettre en orbite en direction de points de Lagrangepoints de Lagrange où pourraient être construites des colonies spatiales. L'électricité peut aussi être utilisée pour extraire l'aluminiumaluminium, le titanetitane, le ferfer, le siliciumsilicium nécessaire à la constructionconstruction de colonies spatiales contenant des métaux et du verre.

    Des stations solaires gigantesques en orbite géostationnaireorbite géostationnaire autour de la Terre pourraient renvoyer d'importantes quantités d'énergie sous forme de micro-ondes dans des désertsdéserts sur Terre où elles seraient captées avant d'être redistribuées sur l'ensemble de la Planète. Le concept a été exploré initialement par l'ingénieur Peter Glaser (à ne pas confondre avec le prix Nobel Donald Glaser, l'inventeur de la chambre à bulles) en 1968. O'Neill lui a emboîté le pas.

    Bref, si l'on se transpose disons après 2050, les progrès de l'Intelligence artificielleIntelligence artificielle, de la robotiquerobotique, selon des lois exponentielles, et parce que les bases de la physique nous disent que de vastes quantités d'énergie et de mineraisminerais (sol lunaire, astéroïdes métalliques et carbonés riches en glaces) sont disponibles dans l'espace et qu'il est moins coûteux en énergie de transporter et d'utiliser ces ressources que sur Terre, des machines pourraient rapidement créer celles nécessaires pour construire des colonies spatiales en quelques décennies.

    Les calculs de O'Neill montraient également que non seulement une partie de l'humanité pourrait quitter la Terre, de sorte que des milliards de personnes pourraient vivre confortablement dans l'espace à l'horizon 2100, mais que la production industrielle, plus facile dans l'espace et basée sur l'énergie solaire, pouvait à son tour irriguer la Terre.


    L'ouverture du documentaire précédent. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Erik Wernquist

    La clé du futur de l'humanité après le XXIe siècle ?

    En fin de compte, toujours à l'horizon de la fin du XXIe siècle, en supposant que l'humanité ne puisse pas facilement réguler au début sa croissance en population et en consommation, notamment parce qu'un certain niveau de vie est un minimum non négociable, et même sans cela, la Terre pourrait tout de même devenir une sorte de sanctuaire. Un sanctuaire où il n'existerait plus ni centrales nucléairescentrales nucléaires, ni consommation d'énergies fossilesénergies fossiles et où la diminution de l'occupation des continents et de l'exploitation de la nature pourrait amorcer une phase de récupération pour la biosphèrebiosphère, après la commotion causée par la révolution industrielle sans contrôle rationnel et la surpopulation. En transition vers un équilibre idéal, un développement durabledéveloppement durable et, dans le but d'assurer à tous, un niveau de vie au moins équivalent à celui des habitants des pays riches actuels, une partie de la population humaine se retrouverait donc dans les colonies envisagées par O'Neill et ses continuateurs.

    On peut bien sûr faire plusieurs objections. Exploiter les astéroïdes serait sans doute une bonne chose mais on ne voit pas bien comment faire redescendre sur Terre les matériaux produits, bien que certains aient pensé au concept d'ascenseur spatial. Envoyer dans l'espace des centaines de millions de personnes, disons après 2050-2075, est problématique à cause de la gravité de la Terre justement. Quid des radiations lors des tempêtestempêtes solaires pour les colonies spatiales ?

    Enfin, si l'on dispose de la technologie pour fabriquer ces colonies, pourquoi ne suffirait-elle pas à résoudre les problèmes sur Terre sans aller s'embarquer dans la colonisation massive de l'espace ? Ne pouvons-nous pas aussi suffisamment contrôler la population pour atteindre un équilibre écologique d'ici 2100 sans ces colonies ? Ce sont bien des questions auxquelles il faudrait répondre et on peut légitimement être pessimiste lorsque l'on voit que, selon certaines des estimations de O'Neill, nous devrions déjà être en train de construire ces colonies. Nous en sommes encore très, très loin...

    La première colonie spatiale vers la fin du XXI<sup>e</sup> siècle ? © <em>University of Rochester</em>, Michael Osadciw
    La première colonie spatiale vers la fin du XXIe siècle ? © University of Rochester, Michael Osadciw

    Pendant le confinement imposé par la Covid-19Covid-19 aux USA, Adam Frank et ses collaborateurs ont donc repris le principe des « back of the envelope calculations » de Fermi pour voir ce que cela donnerait avec les connaissances modernes sur les astéroïdes et avec l'idée de trouver une alternative plus crédible et plus facile à réaliser pour une colonie spatiale que d'en tirer le matériaumatériau principal du sol lunaire.

    L'astéroïde considéré est tout simplement Bennu que l'on connait bien suite à la mission avec la sonde Osiris-RexOsiris-Rex de la NasaNasa. Bennu appartient à la famille des astéroïdes géocroiseursgéocroiseurs Apollon -- une famille regroupant les astéroïdes avec une orbite héliocentriquehéliocentrique plus grande que celle de la Terre, mais avec une excentricitéexcentricité telle qu'elle lui permet de croiser l'orbite terrestre. Il est donc particulièrement à la portée de l'humanité quand il est proche de la Terre. D'environ 500 mètres de diamètre, son étude a montré qu'il constituait un amas de fragments de roches et particules faiblement liées et donc très poreux au point qu'il est désigné comme un « astéroïde en tas de gravatsgravats ». 

    Si on devait le mettre en rotation suffisamment rapidement pour créer à sa surface une gravité artificielle adaptée à Homo sapiensHomo sapiens, Bennu se fragmenterait certainement en réponse. Mais ce problème devient un avantage si l'on enveloppe avant cela l'astéroïde d'une sorte de ceinture constituée d'une espèceespèce de toile tissée de nanotube de carbonenanotube de carbone, le carbone étant précisément un matériau abondant dans Bennu, et on pourrait donc les fabriquer sur place.

    On obtiendrait alors comme un sac cylindrique suffisamment résistant pour retenir tout le matériau granulairegranulaire et les roches de Bennu qui constitueraient alors un sol bloquant le passage des rayons cosmiquesrayons cosmiques vers l'intérieur du sac et que l'on peut couvrir de panneau solairepanneau solaire à l'extérieur comme le montre l'image d'artiste ci-dessus.

    Le résultat final ne serait peut-être pas aussi impressionnant et magique que les cylindre de O'Neill mais la surface intérieure sur laquelle des êtres humains pourraient vivre serait d'environ la taille de Manhattan pour tout géocroiseur utilisé d'environ 300 mètres de diamètre.