Depuis le début de la pandémie de Covid-19, l'ensemble de la communauté internationale s'est intéressée à l'incidence des groupes sanguins sur la maladie et le risque de la développer sous une forme grave. Puisque le groupe A semble être le plus vulnérable, les chercheurs tentent d'expliquer les mécanismes biologiques à l'œuvre pour expliquer pourquoi le groupe O serait mieux à même de lutter contre le virus. Aujourd'hui, que nous apprennent les données disponibles ?

 

 


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    Dès les débuts de la pandémie de Covid-19, les scientifiques se sont intéressés au lien entre le groupe sanguin des individus et le risque de développer la maladie. En un an, une quarantaine d'études ont été publiées sur le sujet, s'appuyant sur des méthodes diverses et s'intéressant à des populations variées dans plusieurs pays. Si ces travaux semblent généralement esquisser une association entre le fait d'appartenir au groupe sanguin O et celui d'être protégé contre le virus SARS-CoV-2, il n'est pas toujours aisé de s'y retrouver parmi toutes les données disponibles, de bien comprendre de quelle protection il s'agit ou encore quels sont les mécanismes biologiques en jeu.

    Canal Détox, en collaboration avec Jacques Le Pendu, chercheur Inserm au U1232 Centre de Recherche en CancérologieCancérologie et Immunologie Nantes-Angers (CRCINA), apporte donc un éclairage sur cette question et coupe court aux fausses infos.

    Le saviez-vous ?

    Quels groupes sanguins : A, B, AB ou O ?

    Si la composition du sang est la même pour tous, des différences individuelles existent : les antigènes présents à la surface des cellules sanguines (globules rouges, globules blancs et plaquettes) varient d’une personne à l’autre. Plusieurs systèmes antigéniques permettent ainsi de caractériser les cellules sanguines, le plus connu et l’un des plus importants pour la transfusion étant le système ABO, qui détermine la compatibilité sanguine entre deux individus.

    Les personnes peuvent être réparties en 4 groupes sanguins selon la présence ou non de deux antigènes, A et B, à la surface des globules rouges et selon le ou les anticorps systématiquement présents dans le plasma correspondant aux antigènes absents. En fonction de si elles possèdent l’antigène A (et des anticorps anti-B), l’antigène B (et des anticorps anti-A), les deux ou aucun des deux, les personnes sont donc réparties dans le groupe sanguin A, B, AB ou O.

    Ces groupes sont déterminants pour les transfusions, la règle étant de ne jamais apporter un antigène contre lequel le receveur possède un anticorps. En effet, si les anticorps anti-A (ou anti-B) du receveur se fixent sur les antigènes A (ou B) des globules rouges du donneur, ils provoquent leur agglutination, voire leur destruction.

    Selon les régions du monde, certains groupes sanguins ABO vont être plus ou moins prévalents. Par exemple en Asie de l’Est, le groupe sanguin O est bien moins prévalent qu’en Amérique du Sud (où les populations amérindiennes appartiennent presque toutes au groupe O).

    S'intéresser à l'impact du groupe sanguin dans le cadre de cette pandémie suppose en fait, pour les scientifiques, de s'intéresser à deux questions distinctes :

    • le fait d'appartenir à un groupe sanguin donné protège-t-il les individus contre le risque d'infection ?
    • chez les personnes infectées, le groupe sanguin peut-il ensuite avoir un impact sur le risque d'évoluer vers une forme grave et sur la mortalité ? 
     Les personnes sont réparties en 4 groupes sanguins selon la présence ou non, à la surface des globules rouges, de deux antigènes (A et B), et selon le ou les anticorps systématiquement présents dans le plasma correspondant aux antigènes absents. © c__tippapatt, Fotolia
     Les personnes sont réparties en 4 groupes sanguins selon la présence ou non, à la surface des globules rouges, de deux antigènes (A et B), et selon le ou les anticorps systématiquement présents dans le plasma correspondant aux antigènes absents. © c__tippapatt, Fotolia

    Un groupe sanguin en particulier protège-t-il mieux contre l’infection ?

    La plupart des études publiées sur le sujet se sont intéressées à l'effet du groupe sanguin sur le risque d'être infecté par le SARS-CoV-2. Au début de l'année 2021, 34 études comparant des patients à des « contrôles » ont ainsi rapporté une association entre le risque d'infection à la Covid-19 et le groupe sanguin. Ces études ont notamment pointé du doigt un risque diminué pour les personnes de groupe sanguin O, même si cette diminution reste relative. Ces premières données ont, en outre, déjà été confirmées par plusieurs méta-analyses.

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    Le SARS-CoV-2 a une préférence pour le groupe sanguin A

    Plusieurs méthodes ont été employées par les différents groupes de recherche pour arriver à ces conclusions. La plupart d'entre elles partent de l'hypothèse que le groupe sanguin a un impact sur le risque d’infection et tentent de la confirmer en comparant la fréquence de chaque groupe sanguin du système ABO chez des patients atteints de Covid et chez des personnes non infectées.

    Six études d'association pangénomiques menées chez des patients hospitalisés pour Covid-19 (sévère ou non) comparées à des individus sains vont aussi dans le même sens. L'objectif était d'identifier quelles variations génétiquesgénétiques sont particulièrement impliquées dans le développement de la Covid, sans présumer un effet du groupe sanguin au départ. Or, ces études ont montré que deux régions du génomegénome étaient notamment associées au risque d'infection -- une zone du chromosomechromosome 3 impliquée dans l'immunité innéeimmunité innée et une zone du chromosome 9 porteur du gènegène ABO qui détermine le groupe sanguin.

    En regardant plus en détail, les scientifiques ont constaté que le groupe O était plus fréquent dans le groupe contrôle et les groupes A et B étaient moins fréquents (mais plus fréquents chez les malades), ce qui suggère là aussi un effet du groupe sanguin sur la probabilité de développer la pathologiepathologie. Cette utilisation de méthodologies différentes pour des résultats similaires permet de limiter les biais et de donner plus de forces à ces résultats.

    Quels mécanismes biologiques expliquent cette relation entre groupe sanguin et infection ?

    L'hypothèse la plus crédible s'intéresse aux anticorpsanticorps anti-groupes sanguins A et B. En effet, les cellules de l'arbrearbre respiratoire -- où se multiplie principalement le virus -- synthétisent les antigènesantigènes A ou B en fonction du groupe sanguin de la personne infectée. Ces antigènes sont des sucres complexessucres complexes qui sont liés à des protéinesprotéines ou à des lipideslipides présents sur la membrane des cellules, mais aussi sur l'enveloppe virale du SARS-CoV-2. Les particules virales émises par une personne des groupes A, B, ou AB pourraient alors porter ces antigènes.

    Lorsqu'une personne transmet le virus à une autre personne qui possède des anticorps anti-A ou anti-B, ces particules virales ABO incompatibles pourraient être neutralisées et éliminées. Cela pourrait expliquer pourquoi les personnes de groupe sanguin O, qui possèdent à la fois des anticorps anti-A et anti-B seraient plus en mesure de lutter contre le virus. Si ce mécanisme doit encore être étudié et validé, il permet de formuler une hypothèse plausible pour expliquer les différences d'incidenceincidence de la Covid-19 en fonction du groupe ABO. 

    Impact du groupe sanguin sur les formes sévères de la maladie

    Un deuxième groupe d'études s'est plus précisément intéressé à l'impact du groupe sanguin sur la sévérité de la maladie. Pour cela, les chercheurs comparent entre eux des patients atteints de formes graves de Covid-19 pour étudier leur évolution clinique ou le risque de décès en fonction de leur groupe sanguin. La plupart de ces travaux concordent pour dire que ce risque est diminué pour les personnes de groupe sanguin O, même si à ce stade avancé de la maladie, la différence n'est pas très marquée. Inversement, certaines études soulignent que les autres groupes sanguins sont plus à risque d'évoluer défavorablement. 

    Les groupes sanguins « non O » sont plus enclins à développer des pathologies cardio-vasculaires et seraient alors plus susceptibles d'être atteints par des formes sévères de Covid-19 . © Axel Kock, Adobe Stock
    Les groupes sanguins « non O » sont plus enclins à développer des pathologies cardio-vasculaires et seraient alors plus susceptibles d'être atteints par des formes sévères de Covid-19 . © Axel Kock, Adobe Stock

    Une étude canadienne parue dans Blood Advance a ainsi montré que les patients de groupe A et AB étaient plus à risque de rester longtemps en réanimation ou d'avoir recours à la ventilation mécaniqueventilation mécanique que les autres groupes. En France, une étude dans le Journal of Clinical Medicine, portant sur des patients Covid hospitalisés ayant précédemment subi une chirurgiechirurgie de remplacement de la valve aortique, a souligné que le fait d'appartenir au groupe A était le facteur prédictif de mortalité le plus significatif. Par ailleurs, une étude italienne a montré que chez des patients plus jeunes atteints d'une forme grave de Covid et ayant des antécédents d'hypertensionhypertension, le risque de décès était trois fois plus élevé chez les « non O » que chez les O. De tels résultats devront être confirmés par des études s'appuyant sur de plus larges échantillons de patients.

    Comment expliquer cet effet sur la sévérité de la maladie ?

    La littérature scientifique avait déjà montré un lien entre groupe sanguin et risque de thrombosethrombose (caillot obstruant les vaisseaux sanguins). Les groupes sanguins « non O » sont ainsi plus à risque de développer des pathologies cardiovasculaires comme la maladie thromboembolique veineuse, l'athéroscléroseathérosclérose vasculaire ou encore l’infarctus du myocarde.

    Le fait d’appartenir au groupe sanguin O ne dispense en aucun cas des gestes barrières et des mesures habituelles de distanciation sociale

    Ce phénomène s'explique par le fait que ces personnes ont des niveaux sanguins plus élevés de certains facteurs de coagulationcoagulation qui favorisent la thrombose. Les personnes de groupe sanguin O, dont le recyclagerecyclage et l'élimination de ces facteurs de coagulation est accéléré, sont à l'inverse plus protégées contre les problèmes cardiovasculaires. Par ailleurs, le groupe sanguin a également un impact sur la fonction endothéliale -- l'endothélium vasculaire étant la couche la plus interne des vaisseaux sanguins.

    Dans le cas de la Covid sévère, les médecins constatent un emballement immunitaire important (« l’orage cytokinique ») mais aussi une dysfonction endothéliale indirectement ou directement liée au virus qui pourrait provoquer des micro-thromboses (notamment au niveau pulmonaire) et expliquer les différentes atteintes d'organes observées dans les formes graves. Dès lors, l'appartenance à un groupe sanguin particulier et le risque de thrombose et de dysfonction endothéliale associée peut avoir un impact sur l'évolution de la maladie.

    À noter

    Il est important de souligner que le fait d'appartenir au groupe sanguin O ne dispense en aucun cas des gestes barrières et des mesures habituelles de distanciation sociale, qui restent avec la vaccinationvaccination les principales mesures de protection contre la Covid-19. Les individus de groupe O peuvent être infectés et également transmettre le virus.

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