Dans la lutte contre le réchauffement climatique, le temps nous est désormais compté. « Désormais » parce que si nous avions (ré)agi dès que les scientifiques ont commencé à nous alerter, nous n’en serions pas là. Nous aurions presque eu le temps d’opérer notre transition et de sortir des énergies fossiles en douceur. Mais des forces se sont liguées pour nous encourager à l’inaction climatique.
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L'hypothèse d'un réchauffement climatique alimenté par les activités humaines -- et les gaz à effet de serre qu'elles émettent -- a commencé à sérieusement émerger dès les années 1960. Rapidement, des programmes de recherche se sont mis en place. Et déjà, des modèles climatiques prévoyaient un réchauffement global à venir en lien avec l'augmentation des taux de dioxyde de carbone (CO2)) dans l'atmosphère. À la fin des années 1970, la toute première conférence mondiale sur le climat se tient à Genève (Suisse). Mais ils ne sont encore que quelques scientifiques à prendre réellement conscience du problème qui attend l'humanité. Il faut avouer qu'à cette époque, d'autres sujets occupaient le devant de la scène : les pollutions chimiquespollutions chimiques ou les pluies acidesacides, par exemple.
Ce n'est ainsi qu'à la fin des années 1980 qu'est créé un Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climatGroupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Celui que nous connaissons tous aujourd'hui sous l'acronyme Giec. Son rôle : évaluer l'information disponible en rapport avec la question du réchauffement climatique et publier une synthèse périodique qui fasse consensus.
La responsabilité humaine dans le réchauffement climatique est « sans équivoque »
Dans les années 1980, aussi, arrivent les premières preuves matérielles d'une corrélation entre réchauffement climatique et niveau de CO2 dans l'atmosphère. Et dans les années 1990, le changement climatique devient observable. Des études en confirment la cause : les émissionsémissions humaines de gaz à effet de serregaz à effet de serre, notamment liées à nos consommations d’énergies fossiles. Le rapport du Giec de 1995 fait état d'un « faisceau d'éléments qui suggère une influence de l'Homme ». Celui de 2001 estime que « la majeure partie de l'augmentation des températures est probablement due à l'augmentation des concentrations anthropiques de gaz à effet de serre ». En 2007, il est question de réchauffement « très probablement » d'origine humaine. Et finalement, en 2021, d'une responsabilité humaine « sans équivoque ».
Pendant un certain temps, donc, des scientifiques - et certaines de leurs instances de tutelle, peut-être surtout - sont restés un peu frileux. Ils n'étaient sans doute pas prêts à présenter les choses aussi clairement que le célèbre James Hansen, climatoloqgue de la NasaNasa. Dès 1988, celui-ci affirmait devant le Sénat américain : « L'effet de serre est détecté et il modifie déjà notre climat. » Mais disons que cela fait tout de même une bonne quinzaine d'années que l'origine anthropique du réchauffement climatique en cours fait consensus dans la communauté scientifique. Cela n'a pourtant pas suffi à agir pour lutter contre sa marche en avant. À mettre en œuvre des mesures de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre.
Quand notre cerveau nous encourage à ne rien faire pour sauver le climat
Si nous continuons à perdre ainsi du temps dans la lutte contre le réchauffement climatique, c'est pour de multiples raisons. Certaines sont audibles. Scientifiques, mêmes. Elles prennent racine dans notre cerveaucerveau. Du syndromesyndrome de l'autruche à l'absence de bénéfice immédiat en passant par la question de l'accoutumance. Les explications avancées sont nombreuses.
Mais elles ne sont pas les seules qui expliquent l'inaction climatique dans laquelle nous nous sommes embourbés. D'autres raisons sont en effet à chercher du côté des lobbies. Ces groupes qui, au mépris de l'intérêt général s'il le faut, défendent leur intérêt particulier avant tout.
Ces lobbies qui encouragent l’inaction climatique
Les scientifiques qui étudient la question en distinguent trois grandes catégories. Qui peuvent, parfois, se rejoindre. En fonction des intérêts du moment. Il y a d'abord les lobbies politiques. Pour nuire à leurs opposants, ils sont prêts à tirer à boulets rouges sur les mesures proposées. Voire à nier la réalité du réchauffement climatique. Pour eux, le climat n'est qu'un sujet d'opposition parmi d'autres.
Viennent ensuite les lobbies géopolitiques. Ils diffusent surtout depuis des pays totalitaires avec dans l'idée d'utiliser la question du climat pour diviser les populations. De jouer sur la peur de la manipulation. Et réussir ainsi à fragiliser les démocraties. Là encore, sans réel intérêt pour le sujet du climat.
L’industrie des énergies fossiles en chef de file
Il y a enfin les lobbies des énergies fossilesénergies fossiles. Leur but est clairement de retarder l'action climatique. Car leur intérêt reste évidemment de continuer à vendre toujours plus de charbon, de gaz et de pétrolepétrole. Alors, bien sûr, nos sociétés se sont construites sur les énergies fossiles. Et il n'est pas si simple d'en sortir. Mais la puissance des lobbies des combustiblescombustibles fossiles constitue, depuis longtemps maintenant, le principal blocage à l'action climatique. Des enquêtes montrent comment ils ont financé, par exemple, des campagnes destinées à entretenir le doute sur la responsabilité du charboncharbon, du gaz et du pétrole dans le réchauffement climatique. Ou encore comment ils pèsent sur chaque loi voté dans le monde. Allant jusqu'à commanditer, parfois, des travaux destinés à minimiser les effets sur l'environnement ou sur la santé de la combustioncombustion des ressources fossiles.
Le saviez-vous ?
En 2020, des chercheurs ont expliqué comment les algorithmes des réseaux sociaux, conçus pour favoriser les contenus engageants, nous rendent « plus susceptibles de consommer, d’accepter et de répandre de la désinformation concernant les changements climatiques ». Au cours de la COP27, une recherche Twitter sur le mot-clé « Climat » donnait ainsi, en première suggestion, le #ClimateScam, comprenez, « Arnaque climatique » !
Une étude, en particulier, a fait grand bruit il y a quelques mois. Elle montre comment les scientifiques qui travaillent pour le groupe ExxonMobil savaient, depuis la fin des années 1970, que leurs produits à base de combustibles fossiles conduiraient à un réchauffement climatique avec des effets environnementaux avant 2050. Pire, ils savaient comment la température allait évoluer, à partir de quelle date le réchauffement deviendrait détectable et quelle était la quantité de CO2 dans l'atmosphère à ne pas dépasser pour éviter la catastrophe.
Pourtant, les représentants d'ExxonMobil -- et d'autres compagnies pétrolières ou gazières comme TotalEnergies -- ont, sans relâche, affirmé en public que les modèles développés par la communauté scientifique manquaient de précision. Que rien ne permettait de savoir. Le tout pour décrédibiliser les climatologuesclimatologues et ralentir la lutte contre le réchauffement. « Ils nous ont menti pour gagner plus d'argentargent », soutenait Al Gore, l'ancien vice-président des États-Unis et prix Nobel de la paix avec le Giec en 2007, à l'occasion d'une conférence Ted Ex donnée l'été dernier. Ça a fonctionné. En 70 ans, les extractions d'énergies fossiles ont été multipliées par sept ! Et l'année dernière encore, les projets de nouvelles centrales électriques alimentées aux énergies fossiles ont augmenté de 13 %.
La puissance de l’industrie des combustibles fossiles
Aujourd'hui, malgré le consensus qui gagne la société et les gouvernements, ils continuent à marteler que nous avons « besoin de pétrole et de gaz » et qu'il serait « irresponsable et dangereux » non seulement d'arrêter, mais même de réduire la production de combustibles fossiles. Et selon un nombre grandissant d'observateurs, il ne faut pas se leurrer, si les industries des ressources fossiles seront présentes en nombre à la COP28, ce n'est pas pour apporter leur soutien à la lutte contre le changement climatique. C'est au contraire pour enrayer le processus de coopération internationale en la matièrematière.
Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies lui-même, n'hésite plus à qualifier les industries des fossiles de « cœur pollué de la crise climatique ». « J'ai longtemps pensé que les entreprises de combustibles fossiles pourraient changer. J'ai eu tort », confiait quant à elle à la presse il y a quelques mois Christiana Figueres. Elle faisait partie des négociatrices de l'Accord de Paris sur le climat.
L'histoire semble vouloir le confirmer. À la COP27, en effet, les pétro-États ont mis leur véto à toute mention d'une sortie progressive des énergies fossiles.
Cette année, nous retrouvons l'industrie des combustibles fossiles à la tête de la COP28. Son président, Sultan Al Jaber est aussi le président de la Compagnie pétrolière nationale d'Abou Dabi (Adnoc), un producteur dont les émissions de gaz à effet de serre sont déjà de l'ordre de celle d'ExxonMobil ou de BP. Et dans les années qui viennent, Adnoc a prévu d'augmenter sa production -- tout comme BP ou Shell. « De 50 % d'ici 2030, souligne Al Gore. D'ici 2030. Alors que le monde se bat justement pour réduire ses émissions de 50 % à cette échéance ».
Des voix se lèvent pour tenter de nous rassurer sur l'issue de cette COP. Mais l'ancien vice-président des États-Unis n'a que peu de doutes. « Un conflit d'intérêts, c'est un conflit d'intérêts. » Et la BBC révélait d'ailleurs il y a quelques jours des documents qui tendraient à prouver que Sultan Al Jaber a profité de quelques réunions de préparation de la COP28 qui se sont tenues depuis quelques semaines pour... conclure des contrats de développement des énergies fossiles !
Des journalistes du Centre for Climate Reporting, eux, évoquaient très récemment le « plan de durabilitédurabilité de la demande pétrolière » développé par l'Arabie Saoudite. Un plan qui, à grand renfortrenfort de cuisinières au gaz, de voituresvoitures thermiques bon marché, d'autobus et d'avions supersoniques ultraconsommateurs, devrait « rendre les pays pauvres, d'Afrique notamment, accros au gaz fossile et au pétrole ». Un responsable de l'Arabie Saoudite reconnait d'ailleurs que « c'est l'un des principaux objectifs de ce plan ». Dans ces circonstances, comment croire que les négociations de la COP28 ne seront pas, une fois de plus, biaisées ?
Les énergies fossiles sont bel et bien au cœur du problème
Pour noyer le poissonpoisson, les producteurs de gaz fossile et de pétrole avancent désormais que le problème ne vient pas des combustibles fossiles qu'ils vendent, mais de leurs émissions de gaz à effet de serre. Selon eux, la solution à la crise climatique viendra des technologies de capture du CO2. « Ils ont trouvé là une nouvelle excuse pour ne jamais avoir à ralentir leur business. Mais ce n'est qu'un nouveau mensonge si l'on en croit les chiffres de l'Agence internationale de l'énergie -- ndlr : et d'autres », assure Al Gore. Ces experts estiment en effet que les capacités de capture du CO2 à l'horizon 2030 seront de l'ordre de 5 Mt par an. Or les émissions des énergies fossiles extraites rien qu'aux Émirats arabes unis en 2021 étaient estimées à... 102 Mt !
Même aux États-Unis, l'Agence de protection de l'environnement autorise maintenant les centrales à charbon à fonctionner à condition qu'elles capturent le CO2 émis. « C'est une incitation au crime, se désole Al Gore. Ce n'est faisable ni techniquement ni économiquement. Nous ne sommes tout simplement pas prêts ». Les projections de Climeworks, une start-upstart-up spécialisée dans la capture de CO2, le confirment. En 2050, éliminer une tonne de CO2 devrait encore coûter 300 dollars. Or, pour être économiquement acceptable, l'opération devrait revenir à... moins de 100 dollars la tonne. Pour ne rien arranger, les mêmes industries qui prétendent compter sur ces technologies pour continuer à produire des énergies fossiles impunément ne consacrent aujourd'hui pas plus de 1 % de leurs investissements à leur développement -- et à celui des énergies renouvelablesénergies renouvelables.
Du greenwashing à tous les niveaux
À entendre les discours des industries des énergies fossiles, pourtant, elles font tout pour aider à sauver le climat. Mais là encore, des études se multiplient pour montrer le fossé qui se creuse chaque jour un peu plus entre leurs beaux discours et leurs actes. Et des actions en justice commencent à être intentées. Pour fraude, désinformation ou encore dommages climatiques.
Dans le sillage des compagnies pétrolières et gazières, le système financier et même les États tiennent eux aussi des discours qui ne sont pas cohérents avec les faits. En 2022, les contribuables ont ainsi financé -- le plus souvent à leur insu -- l'industrie des énergies fossiles à hauteur de plus de 3 000 milliards de dollars. C'est cinq fois plus qu'en 2020. Alors que les 60 plus grandes banques du monde ont injecté 5 500 milliards de dollars dans les énergies fossiles depuis l'Accord de Paris.
Parmi les nombreux sponsors de la COP28, un seul -- l'Espagnole Iberdrola -- a, à ce jour, signé pour les objectifs de zéro émission nette basés sur la science (SBTi) soutenus par l'ONU. Cela avait pourtant semblé être posé comme condition sine qua non à l'accession au sponsoring de cette rencontre au sommet. Mais la plupart de ces entreprises qui se présentent comme des leaders de la lutte contre le changement climatique ne sont finalement même pas officiellement engagées à réduire leurs émissions. Y compris le cabinet désigné... pour vérifier les engagements desdits sponsors.
Dans tous les secteurs de l'économie, les belles promesses inondent les écrans publicitaires, mais les marques qui font réellement des efforts pour limiter leurs émissions restent trop peu nombreuses. Ainsi, les émissions déjà colossales des entreprises de la mode continuent-elles d'augmenter. Malgré, les annonces « vertes » qui se multiplient, les tissus continuent d'être fabriqués à partir de pétrole dans des usines alimentées au charbon.