Le 15 septembre, dans l'après-midi, Cassini nous a quittés. Au terme d'une fabuleuse mission de plus de treize ans auprès de Saturne, la sonde américano-européenne a plongé dans son atmosphère. Nicolas Altobelli, responsable scientifique de la mission Cassini pour l'Agence spatiale européenne (ESA), revient sur les principales découvertes.
Saturne à l’approche de l’été L’hémisphère nord de Saturne le 25 avril 2016, à l’approche du solstice d’été pour le « seigneur des anneaux » en mai 2017 (l’année de Saturne dure 29 années terrestres). Au cours de ses 13 années d’exploration, la sonde Cassini a pu voir la planète géante passer de l’hiver au printemps, dans l’hémisphère nord et de l’été à l’automne, dans l’hémisphère sud. © Nasa, JPL-Caltech, Space Science Institute
La Terre, Vénus et Mars vues de Saturne Le 19 juillet 2013, la sonde spatiale Cassini profita d’un passage dans l’ombre de Saturne pour photographier à contre-jour les anneaux, quelques satellites naturels, Mars, Vénus et la Terre. Notre planète apparaît comme un « pâle petit point bleu » selon l'expression de l’astronome Carl Sagan. Il faisait jour et beau en Europe ce jour-là : vous êtes sur la photo. © Nasa, JPL-Caltech, SSI
Le grand panorama des anneaux de Saturne Saturne doit principalement sa renommée et sa beauté à ses anneaux de glace. Innombrables, ils se distinguent en cinq principaux groupes séparés par des vides plus ou moins importants. Cette image mosaïque en couleur naturelle fut prise par Cassini le 26 novembre à une distance de 1,1 million de km. La composition embrasse les anneaux sur une largeur de 65.700 km. © Nasa, JPL, Space Science Institute
Dans les anneaux de Saturne, l'hélice Blériot Des structures évoquant une hélice bipale, invisibles depuis la Terre, ont été observées au sein des anneaux. Ici, l'une des plus célèbres, baptisée Blériot, en l'honneur de l'aviateur français connu pour avoir réussi la première traversée de la Manche en avion en 1909. Ce sont des perturbations parmi les minuscules particules formant les anneaux, comme des vagues. Plus ou moins stables, elles mesurent plusieurs centaines de kilomètres. En leur centre doit se trouver un tout petit satellite, dont la dimension doit être comprise entre 1 et 2 km, invisible sur la photographie. © Nasa, JPL-Caltech, SSI
Gros plan sur les anneaux de Saturne Voici une partie des anneaux de Saturne, situés entre 98.600 et 105.500 km de la géante gazeuse, dans le groupe de l’anneau B. Ils sont composés d’une multitude de particules (notamment de glace d’eau) de petite taille. Leur densité est variable. © Nasa, JPL, Space Science Institute
D'étranges frises sur le bord des anneaux À l’approche de l’équinoxe en 2009, l’éclairage solaire dévoile des structures insoupçonnées en marge de l’anneau B. Les reliefs s’élèvent jusqu’à 2,5 km au-dessus du plan des anneaux. Il est probable que de minuscules lunes circulant entre les anneaux A et B en perturbent régulièrement les bordures. © Nasa, JPL, Space Science Institute
Au-dessus de Saturne Magnifique portrait de Saturne, deuxième plus grosse planète du Système solaire, photographiée le 10 octobre 2013 lors d’un survol polaire de la sonde Cassini. L’image mosaïque fut retravaillée par un grand fan de la mission et astronome amateur, Gordan Ugarkovic. On distingue le grand hexagone qui occupe le pôle nord. La région est éclairée (c’est alors le printemps dans l’hémisphère nord). Côté anneaux, on peut observer les principales séparations : la division de Cassini, de Hencke, Maxwell et Colombo. © Nasa, JPL, Space Science Institute, Gordan Ugarkovic
Le célèbre hexagone du pôle nord de Saturne Première vue complète de l'immense structure avec six faces de courants-jets présente au pôle nord de Saturne. Surnommée l'« hexagone », elle s'étend jusqu'à 70° de latitude. L'équinoxe de printemps dans l'hémisphère nord, qui a débuté en 2009, permet au pôle nord de la planète géante d'être enfin exposé au Soleil. Ces images en fausses couleurs ont été capturées par la sonde spatiale Cassini. © Nasa, JPL-Caltech, SSI, Université de Hampton.
Gros plan sur l’hexagone du pôle nord de Saturne Gros plan sur le pôle nord de Saturne. L’image a été prise par Cassini le 8 septembre 2017. La grande structure hexagonale s’étend jusqu’à 70° de latitude et ses côtés mesurent environ 13.800 km. Sa période de rotation est de près de 10 h 40. Le pôle sud, quant à lui, ne présente pas de système hexagonal. © Nasa,JPL-Caltech, SSI, Kevin M. Gill
Une tempête géante sur Saturne Trois mois après son apparition remarquée dans l’hémisphère nord de Saturne en décembre 2010, la tempête provoquée par les changements de saison poursuivait son expansion dans la haute atmosphère. Cassini l'a observée jusqu'en 2011. Depuis la Terre, une tempête semblable avait été observée il y a trente ans, c'est-à-dire une année saturnienne. © Nasa, JPL, Space Science Institute
Les geysers d'Encelade Courant 2005, les scientifiques remarquent la présence de geysers sur le limbe du petit satellite naturel Encelade (environ 500 km). Les analyses ultérieures montreront qu’il s’agit de particules de glace. Surgit alors l’hypothèse qu’il existe un océan d’eau liquide sous sa surface gelée. © Nasa, JPL, Space Science Institute
Premier survol de Titan par la sonde Cassini Arrivée le 30 juin 2004, la sonde Cassini entreprit son premier survol de Titan le 26 octobre de la même année. Sur cette image mosaïque retravaillée pour réduire les effets de l’atmosphère, on distingue à droite, une région brillante nommée Xanadu. Les scientifiques n’avaient pas encore caractérisé les étendues de méthane liquide. © Nasa, JPL, Space Science Institute
Première image de la surface de Titan Développée par l’Agence spatiale européenne (Esa), la sonde Huygens qui a voyagé jusqu’à Saturne en compagnie de Cassini, toucha le sol de la lune Titan le 14 janvier 2005, après une descente de près de 2 h 30 afin d’étudier son atmosphère. Photographiés à une distance d’environ 85 cm, les blocs visibles au premier plan sont davantage des galets que des rochers. Leurs rondeurs a suggéré aux scientifiques une érosion. © Nasa, Esa, JPL, Université de l’Arizona
Encelade, une lune potentiellement habitable Parmi les grandes découvertes de Cassini figurent les geysers d’Encelade (500 km de diamètre). Depuis 2005, les observations et les mesures de la sonde ont permis aux chercheurs de supposer que la petite lune abrite un vaste océan d’eau liquide sous sa surface de glace qui, comme on peut le voir, se fissure. © Nasa, JPL-Caltech, Space Science Institute
Encelade et ses geysers Sur cette image capturée par Cassini le 13 octobre 2009, on peut voir une partie d’Encelade directement illuminée par le Soleil et une autre éclairée par la lumière du Soleil réfléchie par Saturne. Jaillissant du pôle sud de cette lune glacée, des geysers d’eau. © Nasa, JPL, Space Science Institute
Les deux plus grandes lunes de Saturne Les deux plus grandes lunes de Saturne alignées : au premier plan, Rhéa (1.528 km) et, à l’arrière-plan, Titan (5.150 km). Le 16 juin 2011, Cassini était alors à 1,8 million de km de la première et à 2,5 millions de km de la seconde. Les deux lunes arborent deux surfaces très différentes. © Nasa, JPL-Caltech, Space Science Institute
Japet, une terre de contraste Images composite des deux hémisphères de Japet capturées par Cassini respectivement en 2004 et 2007. Cette petite lune de Saturne de 1.471 km de diamètre arbore à sa surface une indéniable dichotomie : des terrains aussi sombres que le charbon (environ 40 % de sa surface) contrastant avec d’autres aussi clairs que la neige. Le grand bassin d’impact Engelier (vue de droite, en bas) mesure 504 km de diamètre. © Nasa, JPL, Space Science Institute
L’ombre de Mimas sur les anneaux de Saturne Cette image a été prise par Cassini le 8 avril 2009 à 1,1 million de km de distance. La petite lune Mimas (396 km) qui gravite autour de Saturne dans le « vide » de la fameuse division de Cassini, projette son ombre sur les anneaux autour d’elle. La scène a pu être possible en raison de l’équinoxe d’août 2009 (ils se déroulent tous les 15 ans) qui approchait. © Nasa, JPL, Space Science Institute
Pan, une soucoupe volante autour de Saturne Deux vues du curieux Pan, un satellite qui tourne près de Saturne (à moins de 134.000 km du centre de la planète), au milieu de la division Encke de l'anneau A. Ce petit corps de 35 km de diamètre maximal pour 23 km de hauteur est formé de particules glacées, les mêmes que celles formant l'anneau où il se trouve, et qu'il accumule à son équateur, ce qui lui donne cette allure de soucoupe volante. © Nasa, JPL, Space Science Institute
Daphnis fait des vagues dans les anneaux de Saturne Bien que minuscule — 8 km de longueur —, Daphnis a une force d’attraction suffisante pour perturber les petits grains qui composent les anneaux au milieu desquels elle se fraie un chemin. La petite lune se balade dans l’espace de Keeler, à l’intérieur de l’anneau A de Saturne. © Nasa, JPL-Caltech, Space Science Institute
Durant sa longue mission dans le système saturnien, la sonde Cassini a « permis de faire d'importantes découvertes dans de nombreux domaines scientifiques dans un système miniature du Système solaire », nous explique Nicolas Altobelli, responsable scientifique de la mission Cassini pour l'Agence spatiale européenne (ESA).
En orbite autour de Saturne depuis 2004, Cassini a couvert un demi-cycle saisonnier de la planète. La sonde est arrivée à l'été dans l'hémisphère sud et termine sa mission au solstice d'été dans l'hémisphère nord. On lui doit notamment des « informations inédites et des découvertes fondamentales sur l'habitabilité des lunes glacées ».
Titan, un monde périodique similaire à la Terre ?
Cassini nous a permis de voir que Titan possède un « cycle météorologique et hydrologique non pas basé sur l'eau mais sur le méthane ainsi qu'un phénomène d'évaporation avec des saisons et des pluies ». Ses surfaces émergées et sa géologie évoluent et sont façonnées sous l'influence de ce climat, avec des vents qui ont été mesurés. Sur cette lune, le potentiel astrobiologique est réel, avec « des molécules organiques qui se forment dans la haute atmosphère, à partir des rayons du Soleil, et de l'azote et du méthane présents dans l'atmosphère qui grossissent au fur et à mesure de leur descente et se déposent sur la surface au-dessus d'une couche de glace ». Un monde fascinant et complexe, « étonnamment semblable à la Terre par beaucoup d'aspects » qui, peut-être, abrite des « conditions prébiotiques avec la formation de molécules qui pourraient être utilisées par la vie telle qu'on la connaît sur Terre ».
De la vie sous la surface d’Encelade ?
Autre découverte fondamentale : les « geysers au pôle sud d'Encelade ». C'est très surprenant car cette petite lune de glace de 500 kilomètres de diamètre « était a priori trop petite pour maintenir une activité géologique » bien que quelques théories avaient cours, « avec des sources de chaleur dues à l'excentricité de l'orbite autour de Saturne qui génèrent des frictions dans la glace ». Tout changea en 2005 avec la détection de matière, « des particules de glace et de vapeur qui s'échappent par des failles au pôle sud ». Cette découverte majeure a décidé la Nasa et l'ESA de « modifier la trajectoire de la sonde pour pouvoir passer au plus près, et même traverser ces geysers, afin d'analyser leur commotion en détail ».
Cassini a également démontré l'existence d'une étendue d’eau liquide sous la surface glacée d'Encelade. La sonde a aussi mis en évidence une activité hydrothermale, ce qui « nécessite une source de chaleur, un noyau rocheux en contact avec l'océan ». Comme sur Terre, au fond des abysses, « où la chaleur du noyau terrestre s'échappe par des failles au niveau des dorsales océaniques », ce qui semble se passer sur Encelade, « du point de vue de l'astrobiologie », a un potentiel énorme. Pour comprendre cet intérêt, il faut savoir que Cassini « a découvert dans ces geysers du dihydrogène (H2), une des signatures de l'activité hydrothermale ».
Cela a son importance, car sur Terre, l'H2 peut servir « d'énergie chimique pour des micro-organismes. C'est la base de la méthanogenèse ». En combinant du dihydrogène avec du dioxyde de carbone dissous dans l'eau, du « méthane peut se former et donc des molécules carbonées ». En clair, très loin du Soleil, là où l'eau ne peut pas exister à l'état liquide sur des surfaces solides, Encelade abrite, peut-être, sous sa surface une « zone d'habitabilité telle qu'on la connaît sur Terre », avec une vie qui « n'est pas basée sur la photosynthèse mais sur la chimiosynthèse », c'est-à-dire qu'elle n'a pas besoin de la lumière du Soleil. Sur Terre, ce type de vie est tapis au fond des océans avec une très grande diversité. Sur Encelade, Cassini a découvert « des conditions d'habitabilité telles qu'on les connaît sur Terre ». Est-ce que « la vie prolifère dans un écosystème avec des espèces de plus en plus grosses ? On n'en sait rien ». S'il est trop tôt pour « imaginer aller chercher des crevettes », il est intéressant de noter que, sur Terre, des écosystèmes très développés ont émergé à partir du moment où des microbes ont pu proliférer.
Des anneaux pour comprendre la formation des planètes
Quant aux anneaux de Saturne, un des objectifs majeurs de la mission Cassini, ils sont « d'une complexité dynamique vraiment incroyable » et le siège de phénomènes physiques présents dans les disques protoplanétaires. Les étudier, c'est aussi « comprendre les mécanismes de formation et de fonctionnement des disques protoplanétaires ou protolunaires à l'intérieur desquelles naissent planètes et lunes ».
Des observations effectuées avec la mission Cassini montrent comment certaines petites lunes de Saturne se forment encore actuellement à partir de la matière des anneaux, plusieurs milliards d'années après la fin de la formation des planètes et satellites du Système solaire.
Cassini-Huygens et Titan : des découvertes surprenantes
Article de Rémy Decourt publié le 20/12/2004
Le 25 décembre 2004 la sonde Huygens se détachera du véhicule Cassini pour l'ultime étape d'une mission de sept ans : sa rentrée et sa descente atmosphérique le 14 janvier 2005 sur Titan, ce satellite de Saturne aux caractéristiques encore très mal connues. En utilisant le système d'optique adaptative des télescopes terrestres Gemini North et Keck II, une équipe de scientifiques a découvert de nouveaux dispositifs dans l'atmosphère de Titan. A la différence des observations précédentes qui montraient des systèmes orageux au-dessus du pôle sud de la lune, ces nouvelles images montrent clairement des perturbations atmosphériques dans les latitudes moyennes, entre l'équateur et les pôles.
Cette concentration de nuages s'avère difficile à expliquer d'autant que les scientifiques ne sont même pas certains de comprendre leur formation et encore moins les processus qui la déclenchent. Un début de réponse est attendue avec le dépouillement des données qui seront acquises par la sonde Huygens lors de sa descente à travers l'atmosphère de Titan le 14 janvier 2005.
Sinon, seules des observations continues ces prochaines années détermineront si ces formations nuageuses sont le résultat d'un changement saisonnier des modèles du temps ou dues à un phénomène de surface connexe.
Bien que plusieurs hypothèses soient étudiées pour expliquer leur apparition (geysers, cryovolcanisme, variations saisonnières des vents globaux qui circulent dans la haute atmosphère), un chercheur pense tout simplement que Titan peut être stable plusieurs mois durant mais affecté par des pics d'activités très inhabituels et temporaires comme ces dispositifs atmosphériques.
Autres résultats scientifiques
Les premiers résultats scientifiques des observations faites à partir des instruments embarqués sur l'orbiteur Cassini commencent à être diffusés. Notez que la revue Science publiera un numéro spécial sur les résultats scientifiques et les découvertes de la mission Cassini-Huygens courant janvier 2005.
En attendant, quelques scientifiques rendent public leurs travaux. L'instrument RPWS (Radio and Plasma Wave Science) qui mesure le champ électrique et magnétique aide les scientifiques à mieux comprendre les orages et la foudre, phénomènes météorologiques qui surviennent dans l'atmosphère de la planète.
La foudre sur Saturne produit des signaux détectables appelés Saturn electrostatic discharges ou SED. Le 22 juillet 2003, Cassini-Huygens, distante de 1,08 UA de Saturne, a pu observer un SED qui s'est avéré être de 10 à 30 fois plus intense que ceux détectés par la sonde Voyager 1 !
Concernant le système d'anneaux, l'analyse préliminaire des données fournit un aperçu général et révèle que les anneaux sont assez jeunes et en tout état de cause, leur structure et leur composition actuelle n'ont pas été formées en même temps que la planète Saturne et encore moins avec les mêmes matériaux.
Autre découverte surprenante, la rotation de Saturne sur elle-même qui tend à ralentir. Les mesures de Cassini-Huygens montrent que la planète tourne en 10h et 45 minutes, ce qui est environ 6 minutes plus long que ce qu'avait déterminé la sonde Voyager 1 en 1980.