L'évolution des trous noirs supermassifs et celle des galaxies semblent intrinsèquement liées. Les modèles numériques utilisés pour comprendre cette évolution prédisaient l'existence tôt dans l'histoire des galaxies d'une sorte de chaînon entre les premières galaxies dites à flambée d'étoiles et les quasars, ces noyaux actifs de galaxies prodigieusement lumineux. Une équipe d'astrophysiciens vient d'en débusquer pour la première fois un exemple dans les archives des observations du télescope Hubble.


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    Il n'y a plus de doute aujourd'hui qu'au cœur des grandes galaxies se trouve un objet compact contenant d'un million à plusieurs milliards de masses solaires. Tout indique qu'il s'agit de trous noirs de Kerr en rotation, même si on peut encore en douter un peu par prudence. On constate aussi qu'il y a une relation de proportionnalité entre la masse de ces trous noirs supermassifs et la masse de la galaxie qui l'héberge de sorte que les deux astres doivent évoluer ensemble et que l'on ne peut donc pas comprendre l'évolution de l'un sans l'autre.


    « Les trous noirs supermassifs trop gloutons. » Toutes les galaxies abritent en leur centre un trou noir supermassif, de masse comprise entre un million et quelques milliards de masses solaires. Il existe un rapport de proportionnalité entre la masse de ces trous noirs et la masse du bulbe des galaxies, ce qui fait penser que la formation des étoiles et l’alimentation des trous noirs se produisent simultanément. En quelque sorte, les galaxies et leurs trous noirs croissent en symbiose. Lorsque du gaz tombe vers le centre de la galaxie, le trou noir en avale le plus possible, mais la masse qu’il peut absorber est limitée. La chute de matière sur le trou noir libère une quantité considérable d’énergie, sous forme de rayonnement, et aussi sous forme d’énergie cinétique. Le noyau de la galaxie devient actif, soit un noyau de Seyfert, soit un quasar. Les vents et jets de plasma émis par le trou noir entraînent le gaz interstellaire environnant. Des flots de gaz moléculaire ont récemment été détectés autour des noyaux actifs, emportant tellement de masse qu’ils peuvent avoir un impact significatif sur l’évolution de la galaxie hôte, en régulant ou stoppant même l’approvisionnement en gaz pour la formation des étoiles. Les trous noirs gloutons, en recrachant leur nourriture, régulent la formation des étoiles. Nous détaillerons ces phénomènes qui sont peut-être à l’origine de la proportionnalité entre masses des trous noirs et des bulbes. Françoise Combes est astronome à l'Observatoire de Paris au Laboratoire d'étude du rayonnement et de la matière en astrophysique (Lerma). Son domaine actuel de recherche concerne la formation et l’évolution des galaxies. © École normale supérieure - PSL

    On ne sait pas très bien comment sont apparus les germesgermes des trous noirs supermassifs, cependant on pense comprendre certains aspects de leur croissance et, selon le paradigme aujourd'hui dominant qui explique aussi celle des galaxies, c'est essentiellement en accrétant de l'hydrogènehydrogène et de l'héliumhélium du Big BangBig Bang canalisés par des filaments de matière noire froide.

    On a cherché à modéliser cette croissance des trous noirs supermassifs grâce à des simulations numériquessimulations numériques nourries comme il se doit des observations et conduisant à des prédictions testables. Parmi celles qui émergentémergent de l'implémentation des algorithmes sur les ordinateursordinateurs de la noosphère, il y a celles indiquant qu'au début de leur histoire -- quand les galaxies sont le lieu de flambées d'étoilesétoiles importantes moins d'un milliard d'années après le Big Bang notamment et que d'importantes quantités de poussières sont déjà produites par ces étoiles --, les trous noirs supermassifs devaient être fortement entourés de poussière bloquant largement les émissionsémissions de rayonnement issues de l'échauffement du gazgaz tombant vers ces astres compacts.

    Ce n'est qu'un peu plus tard qu'une partie de ce coconcocon va disparaitre largement, laissant la structure avec un tore de poussière entourant un disque d'accrétiondisque d'accrétion qui, lorsqu'il est suffisamment alimenté en matièrematière produit un quasarquasar dont le rayonnement n'est plus largement obscurci par le cocon de poussière.


    Une vue d'artiste expliquant le modèle unifié des AGN. Dans tous les cas, il s'agit d'un trou noir supermassif entouré d'un disque d'accrétion, lui-même bordé par un énorme tore de poussières et de gaz. Des jets de particules sont émis et lorsque l'on observe un AGN parallèlement à l'un de ces jets, on obtient un blazar très lumineux. Perpendiculairement, le rayonnement perçu est moins intense et on voit surtout une source radio. Entre les deux, et quand l'activité est très forte, on voit un quasar. © NRAO Outreach

    Hubble et les strates de lumière de l'histoire des galaxies et des trous noirs supermassifs

    Il devait donc exister un chaînon de transition entre des galaxies observées quelques centaines de millions d'années après le Big Bang et se comportant comme des galaxies à flambée d'étoiles particulières, des starburst galaxies, comme on dit en anglais, et les quasars plus classiques que l'on observe un peu plus tard dans l'histoire du cosmoscosmos observable.

    Toutes ces étapes produisent des spectres d'émissionsspectres d'émissions bien spécifiques selon les simulations, des spectres que l'on peut donc essayer de détecter associés à des galaxies très anciennes.

    À nouveau, il semble bien que le télescope Hubble ait damé le pion au télescope James-Webb en permettant de découvrir pour la première fois un de ces chaînons. Il se nomme GNz7q et les astrophysiciensastrophysiciens ont découvert son existence en continuant d'analyser des données collectées par Hubble il y a un moment déjà dans le cadre du Great Observatories Origins Deep Survey (Goods, soit en français, Relevé profond des origines par les Grands Observatoires).

    Il s'agit d'un relevé astronomique qui combine les observations de trois « grands observatoires » de la NasaNasa, à savoir le télescope spatial Hubbletélescope spatial Hubble, le télescope spatial Spitzer et le télescope spatial X ChandraChandra pour l'essentiel. L'objectif de Goods était déjà il y a une décennie de permettre d'étudier la formation et l'évolution des galaxies de l'UniversUnivers lointain, c'est-à-dire primordial.

     L'objet, appelé GNz7q, est le point rouge au centre de l'image du <em>Hubble Great Observatories Origins Deep Survey-North</em> (Goods-North). © Nasa, ESA, Garth Illingworth (UC Santa Cruz), Pascal Oesch (UC Santa Cruz, Yale), Rychard Bouwens (LEI), I. Labbe (LEI), <em>Cosmic Dawn Center</em>/<em>Niels Bohr Institute</em>/Université de Copenhague, Danemark
    L'objet, appelé GNz7q, est le point rouge au centre de l'image du Hubble Great Observatories Origins Deep Survey-North (Goods-North). © Nasa, ESA, Garth Illingworth (UC Santa Cruz), Pascal Oesch (UC Santa Cruz, Yale), Rychard Bouwens (LEI), I. Labbe (LEI), Cosmic Dawn Center/Niels Bohr Institute/Université de Copenhague, Danemark

    Dans le cas présent, les observations utilisées viennent du champ profond de Hubble dans l'hémisphère nordhémisphère nord, une portion de la voûte céleste permettant une sorte de carottagecarottage profond dans les stratesstrates de lumièrelumière de l'Univers, strates dans le visible et l'infrarougeinfrarouge. Le résultat des études qui ont permis de découvrir la galaxie GNz7q a été publié dans un article de Nature en accès libre sur arXiv.

    En fait, Hubble ne fait pas que voir dans le visible et l'infrarouge car il permet de voir aussi en partie dans l'ultravioletultraviolet et c'est dans cette bande de longueurs d'ondelongueurs d'onde que cette galaxie GNz7q s'est également révélée telle qu'elle était seulement 750 millions d'années après le Big Bang, survenu, rappelons-le, il y a environ 13,8 milliards d'années.

    Les données collectées permettent à Seiji Fujimoto, astronomeastronome à l'Institut Niels BohrNiels Bohr de l'Université de Copenhague, au Danemark, et auteur principal de l'article de Nature, d'affirmer dans un communiqué de la Nasa : « Notre analyse suggère que GNz7q est le premier exemple d'un trou noir à croissance rapide dans le noyau poussiéreux d'une galaxie à flambée d'étoiles à une époque proche celle du premier trou noir supermassif connu dans l'Univers. Les propriétés de l'objet qui transparaissent à travers le spectre électromagnétique sont en excellent accord avec les prédictions des simulations théoriques ». Environ l'équivalent de 1.600 masses solaires étaient alors converties chaque année en étoiles de toutes tailles, ce qui rendait donc GNz7q très brillante en ultraviolet, alors qu'un faible rayonnement en rayon Xrayon X est observé ; voici qui accrédite l'idée que le trou noir supermassif au cœur de la galaxie est profondément caché par un cocon de poussières.

    Le fait que l'on puisse voir finalement le chaînon manquantchaînon manquant qu'est GNz7q entre les premières galaxies à flambée d'étoiles et les galaxies avec quasars dans la petite région de la voûte céleste qu'est le Hubble Goods North field, comme on l'appelle en anglais, est une preuve que bien d'autres objets de ce genre attendent d'être découverts. À cet égard, la mise en service du télescope James-Webb devrait être déterminante pour étudier une large population de ces objets. In fine, nous pourrons donc mieux comprendre comment s'est formée et a évolué notre Voie lactéeVoie lactée et son propre trou noir supermassif.


    Un résumé de la découverte de GNz7q. © ESA/Hubble, ESA, Nasa, STScI

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