D'ordinaire, les étoiles n'entrent pas en collision dans la Voie lactée. Mais seulement quand elles sont célibataires. Des années d'études concernant l'étoile double HD 148937 dans la nébuleuse de gaz et de poussières NGC 6164/6165 suggèrent cependant que c'est bien ce qui est arrivé dans un système stellaire multiple. Le phénomène donnerait aussi la clé du mystère du magnétisme des étoiles massives.


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    On a commencé à bien comprendre la structure et l'évolution des étoiles à partir des années 1930 et surtout des années 1950 avec des pionniers comme Subrahmanyan ChandrasekharSubrahmanyan Chandrasekhar d'abord, puis avec l'essor de l'astrophysique nucléaire et les travaux de l'astrophysicienne états-unienne d'origine britannique Margaret Burbidge, et son mari Geoffrey Burbidge. En compagnie du cosmologiste Fred Hoyle et du prix Nobel de physique William Fowler, ils étaient les auteurs d'un important article publié en 1957 et qui n'exposait rien de moins que la recette suivie par l'Univers pour fabriquer les éléments chimiques dans les étoiles. L'article est célèbre depuis lors pour les astrophysiciensastrophysiciens nucléaires sous le nom de B2FH d'après les initiales de ses auteurs.

    Avant de se tourner pendant les années 1970 à 1990 vers l'astrophysique relativiste, notamment avec la théorie mathématique des trous noirstrous noirs, Chandrasekhar avait pour habitude de se focaliser pendant une dizaine d'années sur un ou deux sujets précis, écrivant des traités sur eux, puis passant pour une dizaine d'années encore sur un autre sujet. Il a ainsi été l'auteur d'un célèbre ouvrage sur la structure interne des étoiles à la fin des années 1930. Comme la description des phénomènes solaires et stellaires nécessitait de prendre en compte des champs magnétiqueschamps magnétiques et de la matièrematière ionisée, ChandraChandra avait également exploré au cours des années 1950 l’astrophysique des plasmas et de la magnétohydrodynamique.


    Le prix Nobel de physique indien Subrahmanyan Chandrasekhar a été un pionnier de la théorie des étoiles relativistes dans les années 1960 et de celle des trous noirs dans les années 1970. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © NDTV

    Une étoile double énigmantique

    Les astrophysiciens actuels continuent toujours d'utiliser les outils forgés il y a donc plus de 60 ans pour investiguer les mystères du monde des étoiles. Aujourd'hui, ils font état d'une énigme qu'ils ont rencontrée en observant HD 148937, située à environ 3 800 années-lumièreannées-lumière du SoleilSoleil, dans la direction de la constellationconstellation de la Règle. Pour la petite histoire, elle fut créée par l'astronomeastronome Nicolas-Louis de Lacaille en 1752 afin de remplir les derniers pans vierges du ciel austral. Comme beaucoup des 14 autres constellations créées par Lacaille, elle porteporte le nom d'un appareil scientifique (ex. boussole, horloge, compas, télescopetélescope, etc).

    HD 148937 est une étoile double, comme la majorité des étoiles de la Voie lactéeVoie lactée. La binairebinaire est composée de deux étoiles beaucoup plus massives que le Soleil et entourée d'une magnifique nébuleusenébuleuse. Comme l'explique un communiqué de l'Observatoire européen austral (ESOESO) au sujet de cette étoile, les travaux aujourd'hui publiés à son sujet sont basés sur neuf années de données provenant des instruments Pionier et Gravity, tous deux installés sur le Very Large Telescope InterferometerVery Large Telescope Interferometer (VLTI) situé dans le désertdésert d'Atacama au Chili. Ils ont également utilisé des données d'archives de l'instrument Feros à l'observatoire de La Silla de l'ESO.

    Le saviez-vous ?

    Le catalogue Henry Draper (HD) regroupe les données sur plus de 225 000 étoiles dont les magnitudes apparentes vont jusqu'à 9 environ. Établi au début du XXe siècle par l'astronome Annie Jump Cannon et ses collègues du Harvard College Observatory, il couvre presque toute la voûte céleste. Il tire son nom d'un pionnier de l'astrophotographie, qui fut le premier à obtenir un spectre stellaire, celui de Véga, en 1872. À sa mort, sa veuve avait financé la réalisation de ce catalogue, par la suite largement utilisé par les astronomes. Voilà pourquoi plusieurs étoiles de la Voie lactée étudiées pour leurs exoplanètes sont référencées par les lettres HD.

    Le communiqué contient également plusieurs commentaires des astronomes impliqués dans le travail d'étude, commentaires que nous reprenons. Abigail Frost, astronome à l'ESO au Chili et autrice principale de l'étude publiée aujourd'hui dans Science, explique ainsi que : « Lors de mes recherches, j'ai été frappée par la particularité de ce système. Une nébuleuse entourant deux étoiles massives est une rareté, et cela nous a donné l'impression que quelque chose de cool devait s'être produit dans ce système. Au fur et à mesure que nous examinions ces données, cette impression n'a fait que croître. Après une analyse détaillée, nous avons pu déterminer que l'étoile la plus massive semble beaucoup plus jeune que son compagnon, ce qui n'est pas logique puisqu'elles auraient dû se former en même temps ! ».

    En effet, nous savons que les étoiles, qu'elles soient seules ou formant des systèmes doubles voire triple et même parfois triplement binaires, comme le prouve le cas d’Alcor et Mizar, se forment ensemble suite à l'effondrementeffondrement et à la fragmentation d'un nuagenuage moléculaire et poussiéreux, donnant un amas ouvertamas ouvert de jeunes étoiles.

    Cette image, prise avec le télescope de sondage du VLT hébergé à l'Observatoire du Paranal de l'ESO, montre la magnifique nébuleuse NGC 6164/6165, également connue sous le nom d'Œuf de dragon. La nébuleuse est un nuage de gaz et de poussière entourant une paire d'étoiles appelée HD 148937. © ESO, VPHAS+ team. Acknowledgement: CASU
    Cette image, prise avec le télescope de sondage du VLT hébergé à l'Observatoire du Paranal de l'ESO, montre la magnifique nébuleuse NGC 6164/6165, également connue sous le nom d'Œuf de dragon. La nébuleuse est un nuage de gaz et de poussière entourant une paire d'étoiles appelée HD 148937. © ESO, VPHAS+ team. Acknowledgement: CASU

    Une collision stellaire dans un système triple il y a 7 500 ans ?

    Or, il se trouve que l'étude de HD 148937 montre que l'une des étoiles est plus âgée que l'autre d'environ 1,5 million d'années. Pour ajouter à la confusion des chercheurs, la nébuleuse qui entoure les étoiles, connue sous le nom de NGCNGC 6164/6165, est âgée de 7 500 ans - soit des centaines de fois plus jeune que les deux étoiles. L'analyse spectrale a révélé la présence dans NGC 6164/6165 de très grandes quantités d'azoteazote, de carbonecarbone et d'oxygèneoxygène. D'ordinaire, ce n'est pas ce que l'on trouve autour d'une étoile double sur la séquence principaleséquence principale. En fait, tout se passe comme si la nébuleuse était le produit d'une explosion stellaire récente ayant éjecté des noyaux se trouvant d'ordinaire à l'intérieur des étoiles massives dans des couches successives produites par la nucléosynthèsenucléosynthèse stellaire.

    Les astrophysiciens pensent avoir aujourd'hui une explication pour ces caractéristiques inhabituelles, une explication, donnée dans le communiqué de l'ESO toujours, par Hugues Sana, professeur à la KU Leuven, en Belgique, et principal responsable des observations. « Nous pensons que ce système avait au moins trois étoiles à l'origine ; deux d'entre elles devaient être proches à un moment donné de l'orbiteorbite, tandis qu'une autre étoile était beaucoup plus éloignée. Les deux étoiles internes ont fusionné de manière violente, créant une étoile magnétique et rejetant de la matière, ce qui a donné naissance à la nébuleuse. L'étoile la plus éloignée a formé une nouvelle orbite avec l'étoile nouvellement fusionnée, devenue magnétique, créant ainsi la binaire que nous voyons aujourd'hui au centre de la nébuleuse. »

    « Le scénario de la fusionfusion me trottait déjà dans la tête en 2017 lorsque j'étudiais les observations de nébuleuses obtenues avec le télescope spatialtélescope spatial Herschel de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne. La découverte d'une différence d'âge entre les étoiles suggère que ce scénario est le plus plausible, et ce n'est qu'avec les nouvelles données de l'ESO qu'il a été possible de le démontrer », ajoute le coauteur Laurent Mahy, actuellement chercheur senior à l'Observatoire royal de Belgique.


    Neuf années de données provenant du Very Large Telescope Interferometer (VLTI) de l'ESO et d'autres télescopes ont révélé le passé mystérieux d'une paire d'étoiles inhabituelle. Cette vidéo résume la découverte. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © ESO

    Des étoiles magnétisées par une collision ?

    Ce scénario a une retombée inattendue car il donne en bonus une solution possible à une autre énigme, celle de l'origine du champ magnétique des étoiles massives. On sait expliquer celui du Soleil et des étoiles légères avec une dynamodynamo autoexcitatrice analogue à celle qui génère le champ magnétique de la Terre et que l'on a reproduit en laboratoire avec l'expérience VKS.

    Mais il n'était pas possible de comprendre de la même manière comment les étoiles massives pouvaient maintenir une magnétosphèremagnétosphère, comme on l'observait pourtant. Abigail Frost explique : « Le magnétismemagnétisme dans les étoiles massives ne devrait pas durer très longtemps par rapport à la duréedurée de vie de l'étoile, il semble donc que nous ayons observé cet événement rare très peu de temps après qu'il se soit produit. »

    Or, une manière d'expliquer la formation de ce magnétisme et de faire entrer en collision deux étoiles légères qui fusionnent ensuite. C'est précisément ce que l'on pense qui s'est produit avec HD 148937, comme on l'a avancé précédemment.

    On devrait en savoir plus quand l'Extremely Large Telescope (ELT) de l'ESO, actuellement en constructionconstruction dans le désert chilien d'Atacama, aura vu sa première lumière à l'horizon 2027.