Nous savons depuis des décennies que des réactions thermonucléaires font briller les étoiles. Mais on soupçonne que des réactions d'annihilation de particules de matière noire pourraient aussi faire briller des étoiles exotiques. Nous en observons peut-être quelques-unes au centre de la Voie lactée, en orbite autour de son trou noir supermassif. Elles seraient même alors un avatar tout aussi exotique de ce que l'on a appelé des étoiles « éternelles ».


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    Les astrophysiciensastrophysiciens des particules continuent à rivaliser d'ingéniosité pour tenter de découvrir de nouvelles preuves de l'existence des particules de matière noirematière noire. Nous n'arrivons toujours pas vraiment à nous en passer pour expliquer l'existence des galaxies dans le cosmoscosmos observable. Sans ces particules, il semble que même au bout de 13,7 milliards d'années après le Big BangBig Bang, leur formation serait encore trop lente pour qu'elles soient présentes de nos jours.

    Mais force est de constater que les théoriciens de la matière noire pensaient certainement que nous aurions détecté directement ces particules sur Terre depuis une décennie, que ce soit dans des collisions au LHC ou dans des détecteurs enterrés comme Xenon 1T. Toujours est-il donc qu'une équipe de chercheurs des astroparticules vient de publier un article sur arXivexpliquant que la matière noire pourrait pointer le bout de son neznez sous la forme de certaines des étoiles paradoxales qui sont en orbite rapprochée autour du trou noir central de la Voie lactéeVoie lactée, Sgr A*Sgr A*.

    On trouve ces étoiles formant l'amas Sagittaire A* à moins d'un tiers d'années-lumièreannées-lumière de cet astreastre compact, de sorte qu'elles se déplacent autour de lui sous l'effet de son attraction à des milliers de kilomètres par seconde (la plus célèbre de ces « S-stars » est S2)). Pendant deux décennies leurs mouvementsmouvements ont été étudiés par les équipes menées par les prix Nobel de physiquephysique Reinhard Genzel et Andrea Ghez. Ces mouvements ne peuvent s'expliquer actuellement que si l'on est bien en présence d'un trou noir supermassiftrou noir supermassif contenant un peu plus de 4 millions de massesmasses solaires.


    Ce zoom commence par une vue générale de la Voie lactée. Nous plongeons ensuite dans la région centrale poussiéreuse pour l'observer de plus près. Là, un essaim d'étoiles gravite autour d'un objet invisible : un trou noir supermassif,  contenant environ 4,3 millions de fois plus de masse que le Soleil. En s'en rapprochant, on voit ces étoiles, observées par l'instrument Naco sur le Very Large Telescope de l'ESO (la dernière observation datant de 2019). En zoomant davantage, nous voyons des étoiles encore plus proches du trou noir, observées par l'instrument Gravity sur le Very Large Telescope Interferometer de l'ESO à la mi-2021. © ESO, Gravity collaboration, L. Calçada, N. Risinger (skysurvey.org), DSS. Musique : Johan Mone

    Des étoiles « immortelles » ?

    Seulement voilà, ces étoiles n'ont, pour autant qu'on le sache, pas pu se former aussi près de ce trou noir dont le champ de gravitégravité est trop fort pour cela, même si pas encore assez pour les détruire aux distances où elles se trouvent par des forces de maréeforces de marée.

    On pourrait bien sûr les faire se former plus loin et se rapprocher ensuite du trou noir, mais étant massives elles sont nécessairement jeunes et n'auraient pas eu le temps de migrer pour le rejoindre à partir des régions où elles auraient pu prendre naissance.

    On peut s'en sortir en modifiant la théorie de la structure et de l'évolution stellaire que l'on doit depuis presque un siècle à des pionniers comme Chandrasekhar et Martin Schwarzschild (à ne pas confondre avec son père, Karl, derrière le trou noir éponyme). De façon surprenante, on tombe alors sur un nouvel avataravatar du concept d'étoile « immortelle ». Bien sûr, rien n'est vraiment immortel dans le monde des étoiles mais leur duréedurée de vie serait potentiellement très longue, même pour des étoiles qui en temps normal avec des masses élevées exploseraient en supernovaesupernovae au bout de quelques millions d'années tout au plus.

    Le concept classique d'étoiles immortelles est simple à comprendre. Il s'agirait d'étoiles de plusieurs centaines de masses solaires plongées dans le disque d'accrétiondisque d'accrétion d'un trou noir supermassif derrière un noyau actif de galaxienoyau actif de galaxie. Sur la séquence principaleséquence principale, ces étoiles seraient complètement convectives, de sorte que si de l'hydrogènehydrogène du disque s'accrétait en quantité suffisante sur ces étoiles, leur cœur pourrait être alimenté suffisamment en carburant frais pour des réactions thermonucléaires, compensant celle détruisant l'hydrogène initial en le brûlant pour produire de l'héliumhélium. Tant que cet apport existe, l'étoile ne vieillit pas et dure.


    Cette simulation figure les orbites d’un petit groupe d’étoiles situées à proximité du trou noir supermassif au centre de la Voie lactée. Au cours de l’année 2018, l’une de ces étoiles, baptisée S2, passa tout près du trou noir et fut l’objet d’une intense campagne d’observations au moyen des télescopes de l’ESO. Son comportement fut conforme aux prédictions de la théorie de la relativité générale d’Einstein – incompatible en revanche avec la théorie de la gravitation de Newton. © ESO, L. Calçada, spaceengine.org

    Des étoiles noires ?

    Or il se trouve que selon certains modèles de matière noire, celle-ci devrait avoir un pic de concentration et de densité précisément au cœur des grandes galaxies, autour de leurs trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs. De la matière noire pourrait donc s'accumuler au cœur des étoiles en orbite autour de ces astres compacts. Là où cela devient fascinant c'est que selon certains modèles de matière noire là encore, comme ceux basés sur la théorie de la supersymétrie, il peut exister des particules de matière et d'antimatièreantimatière noires pouvant s'annihiler en produisant des photonsphotons gamma notamment.

    On a exploré cette dernière idée depuis des années avec le concept d'étoiles noires qui brillent en brûlant de la matière noire. Maintenant, grâce au travail de chercheurs comme Isabelle John, Rebecca K. Leane et Tim Linden, ces étoiles noires deviennent aussi des étoiles immortelles quand elles sont justement au cœur des galaxies. La différence de base étant qu'ici, l'apport de carburant se fait avec de la matière noire s'accrétant sur des étoiles noires.


    Pour en savoir plus sur le trou noir supermassif de la Voie lactée, Sgr A*, les scientifiques ont zoomé vers le centre de notre Galaxie à l'aide du Very Large Telescope de l'ESO en mode interféromètre pour observer le mouvement des étoiles autour de Sgr A*. Cette vidéo résume ce qu'ils ont découvert. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © ESO

    Les trois chercheurs ont en effet montré par des simulations numériquessimulations numériques que certaines de ces étoiles noires pourraient briller essentiellement avec l'annihilation de matière noire et pas, ou peu, du fait de réactions thermonucléaires. Par contre, elles ne seraient plus sur la séquence principale - pour les plus massives au moins. Surtout, ces étoiles éternelles auraient précisément les propriétés permettant d'expliquer l'existence des étoiles de l'amas Sagittaire A*.

    On peut suspecter une autre conséquence de la théorie des étoiles noires immortelles. Les simulations montrent que pour les plus légères d'entre elles, l'énergieénergie dégagée les fait se dilater au point de ressembler peut-être aux fameux objets G détectés autour de Sgr A*.