Le télescope spatial James-Webb a battu son propre record de distance en permettant d'identifier une galaxie primitive observée telle qu'elle était moins de 300 millions d'années après le Big Bang. Sa taille, son activité de formation stellaire et sa composition chimique étonnent les cosmologistes qui ne peuvent les expliquer facilement actuellement dans le cadre du modèle cosmologique standard.


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    Hubert Reeves n'est hélas plus là avec nous pour commenter la découverte annoncée par plusieurs communiqués, dont un de la Nasa, au sujet d'un nouveau succès obtenu par la noosphère en forant toujours plus profondément dans les stratesstrates de lumière du cosmoscosmos avec le télescope spatial James-Webb (JWST). On peut toutefois relire ses ouvrages à cette occasion, notamment son cours de cosmologie en deux parties, publié il y a 30 ans cette année.

    TwitterTwitter n'existait pas à ce moment-là, mais ce qu'il constitue aujourd'hui n'aurait pas surpris Arthur Clarke, qui n'est malheureusement lui non plus avec nous pour voir sa prophétie des années 1960 réalisée. Toujours est-il que l'on apprend donc maintenant que le JWST a battu son propre record en observant une galaxie telle qu'elle était environ 290 millions d'années après le Big BangBig Bang.

    Son décalage spectral, dans le jargon des astrophysiciensastrophysiciens, est de z = 14 environ, ce qui signifie que des photonsphotons émis par exemple dans le visible par les étoilesétoiles dans cette galaxie ont vu leur longueur d'ondelongueur d'onde étirée d'un facteur environ 15 par la dilatationdilatation de l'espace en expension lors de leurs pérégrinations dans l'espace-tempsespace-temps pour rejoindre l'instrument NIRSpecNIRSpec (Near-Infrared Spectrograph)) du JWST, observant dans l'infrarougeinfrarouge proche, ainsi que MiriMiri (Mid-Infrared Instrument) observant lui dans l'infrarouge moyen.

    Le communiqué de la Nasa nous parle donc de la galaxie Jades-GS-z14-0 étudiée depuis plus d'un an dans le cadre du programme Jades (acronyme de JWST Advanced Deep Extragalactic Survey) du JWST. On peut y lire les commentaires de Stefano Carniani de l'École normale supérieure de Pise, en Italie, et Kevin Hainline de l'université d'Arizona à Tucson (États-Unis). Kevin Hainline, en particulier, est prolixe sur Twitter et YouTubeYouTube.


     Dans cette vidéo, le scientifique de Jades, Kevin Hainline, qui a initialement découvert Jades-GS-z14-0 par photométrie l'année dernière, décrit comment elle a été sélectionnée puis confirmée, et pourquoi sa découverte est si enthousiasmante pour l'avenir de la science du grand décalage vers le rouge ! Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Kevin Hainline

    Une galaxie qui échappe aux modèles théoriques ?

    Il est bien sûr émouvant de penser que nous, les Homo sapiensHomo sapiens, nous pouvons désormais observer et étudier une galaxie primitive comme Jades-GS-z14-0 aussi loin dans l'espace et dans le temps. Mais ce qui est encore plus fascinant, ce sont les conclusions qu'en tirent déjà les deux astrophysiciens en ce qui concerne cet objet dont la croissance l'a amené à un diamètre d'environ 1 600 années-lumièreannées-lumière au moment où l'on l'observe avec le JWST et qui surprend les deux cosmologistes. Les observations obtenues avec les deux instruments sont exposées dans trois articles sur arXiv, dont l'un a été accepté pour publication dans The Astrophysical Journal.

    « Toutes ces observations, ensemble, nous indiquent que Jades-GS-z14-0 ne ressemble pas aux types de galaxies dont l'existence a été prédite par des modèles théoriques et des simulations informatiquessimulations informatiques dans l'UniversUnivers primitif. Étant donné la luminositéluminosité observée de la source, nous pouvons prédire comment elle pourrait croître au cours du temps cosmique, et jusqu'à présent, nous n'avons trouvé aucun analogue approprié parmi les centaines d'autres galaxies que nous avons observées à un décalage vers le rougedécalage vers le rouge élevé dans notre étude. Étant donné la région relativement petite du ciel que nous avons recherchée pour trouver Jades-GS-z14-0, sa découverte a de profondes implications pour le nombre prédit de galaxies brillantes que nous voyons dans l'Univers primitif. »

    Et les deux hommes ajoutent : « Il est probable que les astronomesastronomes trouveront de nombreuses galaxies lumineuses de ce type, peut-être même à des époques plus anciennes, au cours de la prochaine décennie grâce à Webb. Nous sommes ravis de voir l'extraordinaire diversité des galaxies qui existaient à l'aubeaube cosmique ! »

    Cette image infrarouge en fausses couleurs du télescope spatial James-Webb a été prise par la NIRCam (<em>Near-Infrared Camera</em>) pour le programme JWST <em>Advanced Deep Extragalactic Survey</em>, ou Jades. On y voit un champ de milliers de petites galaxies de formes et de couleurs variées sur le fond noir de l'espace. Une étoile brillante au premier plan avec des pointes de diffraction se trouve en bas à gauche. Près du centre de l'image, un petit cadre blanc délimite une région et deux lignes diagonales mènent à un cadre, en haut à droite, à un zoom sur l'une de ces galaxies, Jades-GS-z14-0. On a déterminé pour elle un <em>redshift </em>de 14,32 (+0,08/-0,20), ce qui en fait le record de la galaxie connue la plus éloignée. Cela correspond à une période inférieure à 300 millions d’années après le Big Bang. © Nasa, ESA, CSA, STScI, B. Robertson (UC Santa Cruz), B. Johnson (CfA), S. Tacchella (Cambridge), P. Cargile (CfA)
    Cette image infrarouge en fausses couleurs du télescope spatial James-Webb a été prise par la NIRCam (Near-Infrared Camera) pour le programme JWST Advanced Deep Extragalactic Survey, ou Jades. On y voit un champ de milliers de petites galaxies de formes et de couleurs variées sur le fond noir de l'espace. Une étoile brillante au premier plan avec des pointes de diffraction se trouve en bas à gauche. Près du centre de l'image, un petit cadre blanc délimite une région et deux lignes diagonales mènent à un cadre, en haut à droite, à un zoom sur l'une de ces galaxies, Jades-GS-z14-0. On a déterminé pour elle un redshift de 14,32 (+0,08/-0,20), ce qui en fait le record de la galaxie connue la plus éloignée. Cela correspond à une période inférieure à 300 millions d’années après le Big Bang. © Nasa, ESA, CSA, STScI, B. Robertson (UC Santa Cruz), B. Johnson (CfA), S. Tacchella (Cambridge), P. Cargile (CfA)

    Un décalage spectral ou photométrique ?

    Les résultats obtenus sont-ils solidessolides ? En effet, ce n'est pas la première fois que des chercheurs font l'annonce de l'observation de galaxies lointaines avec des z supérieurs à 11 (le précédent record du JWST était détenu par Jades-GS-z13-0 qui serait vue telle qu'elle était 320 millions d'années environ après l'émissionémission du rayonnement fossile). On pouvait même en déduire que cela posait potentiellement des problèmes avec le modèle cosmologique standard avec matière et énergie noires.

    Toutefois, bien souvent, les estimations des z n'étaient pas en fait des mesures directes de décalages spectroscopiques pouvant aussi être faites avec les instruments du JWST ! Or, ce sont les seules mesures vraiment convaincantes pour des distances et des âges.

    Le télescope est bien équipé comme Hubble de spectrographesspectrographes, mais les décalages spectraux lointains ont d'abord été évalués par deux méthodes indirectes et Futura avait donné à ce sujet les explications suivantes que nous reprenons.

    Le saviez-vous ?

    La cassure de Lyman est illustrée sur ces images et schémas.

    « Un photon ultraviolet émis avec une longueur d'onde inférieure à 912 Angströms (continuum de Lyman) sera souvent complètement absorbé par son passage à travers une masse d'hydrogène gazeux à la fois dans une galaxie et le long de la ligne de visée vers elle.

    Essentiellement, il n'y aura pas de lumière qui nous parviendra d'une galaxie avec des longueurs d'onde plus courtes. Nous voyons donc une « cassure » dans le spectre.

    Pour les galaxies à décalage vers le rouge élevé, cette cassure se retrouve dans le visible, voire l'infrarouge.

    Ainsi, en regardant les couleurs des galaxies dans divers filtres, nous devrions voir les galaxies formant des étoiles avec un z élevé comme des astres qui "disparaissent" dans les filtres les plus "bleus" ». © Chris Mihos


    Les astronomes font des observations avec des filtres adaptés à certaines longueurs d'onde indiquées ici en angström. U désigne une bande spectrale dans l'ultraviolet, V est dans le visible. © Richard  Ellis

    Il y a celle donnant un décalage vers le rouge photométrique (photometric redshift, en anglais) et une apparentée, qui repose sur ce que l'on appelle la cassure de Lyman (Lyman Break, en anglais).

    Ce sont des méthodes déjà utilisées au cours des années 1980 et 1990. Elles ont une certaine fiabilité mais elle n'est pas de 100 %. Divers biais existent aussi dans les observations des galaxies à hauts décalages spectraux, des biais qui peuvent être également instrumentaux et en rapport avec le télescope James-Webb lui-même.

    Heureusement, dans le cas présent, nous n'en sommes plus là, comme l'a confirmé à Futura Johan Richard, astronome au CRAL (Observatoire de Lyon), dont le domaine de recherche porteporte sur les effets de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle et l'utilisation des amas de galaxiesamas de galaxies massifs comme télescopes gravitationnels pour rechercher les galaxies les plus distantes et plus généralement sur la formation des galaxies et la détection des premières générations d'étoiles et galaxies, comme l'explique sa page web.

    Johan Richard, astronome au Centre de recherche astrophysique de Lyon. © Johan Richard
    Johan Richard, astronome au Centre de recherche astrophysique de Lyon. © Johan Richard

    « Il s'agit bien d'un redshift spectroscopique, le spectrespectre est présenté justement en deuxième figure du communiqué. Je dirais qu'on repousse davantage la limite spectroscopique, même si nous avons déjà beaucoup de candidats photométriques robustes bien au-delà de cette valeur de z (on atteint z=16, on pourra espérer z=20 en photométrie JWST). C'est quand même quelque chose de très important d'avoir la confirmation spectroscopique, car il pourrait rester des doutes sur la nature de l'objet, et on peut chercher à identifier des raies spectralesraies spectrales (ici ce n'est pas le cas, on ne voit que le continuum spectral et la cassure du spectre). Le record précédent en spectroscopie n'était pas si loin et avec la même technique, donc ce n'est pas non plus une révolution.

    Ce qui est plus intéressant, c'est la mesure précise du z qui confirme que la galaxie est hyper lumineuse et a certainement des propriétés différentes des galaxies distantes habituellement trouvées. Cela ne remet pas en cause l'âge de l'Univers à ce redshift par exemple, mais peut être nos calibrations / conversions utilisées entre la massemasse d'étoiles formées et leur luminosité. »

    Les scientifiques ont utilisé le NIRSpec (<em>Near-Infrared Spectrograph</em>) du télescope spatial James-Webb de la Nasa pour obtenir un spectre de la galaxie lointaine Jades-GS-z14-0 afin de mesurer avec précision son redshift, et donc de déterminer son âge. Le redshift peut être déterminé à partir de l'emplacement d'une longueur d'onde critique connue sous le nom de cassure Lyman-alpha. © Nasa, ESA, CSA, Joseph Olmsted (STScI). Sciences : S. Carniani (École Normale Supérieure), Collaboration Jades
    Les scientifiques ont utilisé le NIRSpec (Near-Infrared Spectrograph) du télescope spatial James-Webb de la Nasa pour obtenir un spectre de la galaxie lointaine Jades-GS-z14-0 afin de mesurer avec précision son redshift, et donc de déterminer son âge. Le redshift peut être déterminé à partir de l'emplacement d'une longueur d'onde critique connue sous le nom de cassure Lyman-alpha. © Nasa, ESA, CSA, Joseph Olmsted (STScI). Sciences : S. Carniani (École Normale Supérieure), Collaboration Jades

    Des galaxies nées trop tôt pour la matière noire ?

    Dans le communiqué de la Nasa, Stefano Carniani et Kevin Hainline expliquent tout de même que « Jake Helton, chercheur à l'observatoire Steward et à l'université d'Arizona, a également montré que Jades-GS-z14-0 a été détecté à des longueurs d'onde plus longues avec l'instrument Miri (Mid-Infrared Instrument) de Webb, une performance remarquable compte tenu de sa distance. Miri couvre des longueurs d'onde de lumières émises dans la gamme de la lumière visible, qui sont décalées vers le rouge hors de portée de l'instrument NIRSpec observant dans le procheinfrarouge de Webb. L'analyse de Jake indique que la luminosité de la source impliquée par Miri est supérieure à ce qui serait extrapolé à partir des mesures des autres instruments Webb, indiquant la présence d'une forte émission de gazgaz ionisé dans la galaxie sous la forme de lignes d'émission brillantes d'hydrogènehydrogène et d'oxygèneoxygène. La présence d'oxygène si tôt dans la vie de cette galaxie est une surprise et suggère que plusieurs générations d'étoiles très massives avaient déjà vécu leur vie avant que nous n'observions la galaxie ».

    Les deux hommes précisent aussi : « En janvier 2024, NIRSpec a observé cette galaxie, Jades-GS-z14-0, pendant près de dix heures, et lorsque le spectre a été traité pour la première fois, il y avait une preuve sans ambiguïté que la galaxie était effectivement à un décalage vers le rouge de 14,32, battant le précédent record de galaxie la plus éloignée (z = 13,2 de Jades-GS-z13-0). Voir ce spectre a été incroyablement excitant pour toute l'équipe, étant donné le mystère entourant la source. Cette découverte n'était pas seulement un nouveau record de distance pour notre équipe ; l'aspect le plus important de Jades-GS-z14-0 était qu'à cette distance, nous savons que cette galaxie doit être intrinsèquement très lumineuse. D'après les images, la source se trouve à plus de 1 600 années-lumière de diamètre, prouvant que la lumière que nous voyons provient principalement de jeunes étoiles et non d'une émission à proximité d'un trou noir supermassiftrou noir supermassif en croissance. Une telle quantité de lumière stellaire implique que la galaxie a plusieurs centaines de millions de fois la masse du SoleilSoleil ! Cela soulève la question : comment la nature a-t-elle pu créer une galaxie aussi brillante, massive et grande en moins de 300 millions d'années ? ».

    Nous voilà donc ramenés aux déclarations faites au début de l'été 2022 par le célèbre astrophysicien et cosmologiste états-unien Stacy McGaugh que Futura avait commenté de la façon suivante et que nous reprenons. Celui-ci est bien connu pour ses travaux basés sur la théorie Mondthéorie Mond, acronyme de Modified Newtonian Dynamics en anglais, et qui étudie donc les galaxies, la matière noirematière noire et des théories de la gravitégravité modifiée en tant qu'alternative à l'existence de la matière noire. On lui doit avec l'astrophysicien Benoît Famaey un article de fond sur Mond pour Living Reviews in Relativity.

    Stacy McGaugh expliquait que si le télescope James-Webb voyait beaucoup de grandes galaxies tôt dans l’histoire du cosmos observable, cela pouvait peut-être constituer un test réfutant le modèle standard de la cosmologiemodèle standard de la cosmologie basé sur l'existence des particules de matière noire, et dans un second temps constituer une validation de la théorie Mond.

    De fait, Futura avait expliqué à l'époque que plusieurs articles émanant de plusieurs équipes, se préparant parfois depuis des années pour décrypter les observations du James-Webb et déjà aguerries sur celles de Hubble concernant les plus lointaines galaxies qui lui étaient accessibles, annonçaient la découverte probable de galaxies lointaines défiant le modèle cosmologique standard précisément en étant déjà trop grosses et trop massives tôt dans l'histoire du cosmos observable.

    Nous avions interrogé à ce sujet dans un premier temps Françoise CombesFrançoise Combes et Romain Teyssier qui nous incitaient à être prudents. De plus, plusieurs des articles étaient en fait des « pré-prints », ils n'avaient donc pas encore passé un premier filtre de vérification par la communauté scientifique.

    Nous avions interrogé dans un second temps déjà Johan Richard. Pour le moment, il n'y a pas plus, mais pas moins, de révolution cosmologique en vue qu'en 2022.