Le Système solaire est-il régulièrement visité par des sondes interstellaires de civilisations E.T. technologiquement avancées et l'une d'entre elles, en perdition, est-elle tombée en se détruisant au fond de l'océan Pacifique en 2014 ? Oui, selon les membres d'une expédition menée par le célèbre mais controversé astrophysicien de Harvard, Avi Loeb, qui pensent en avoir retrouvé des restes au large de la Papouasie–Nouvelle-Guinée. Mais d'autres chercheurs ne sont pas d'accord comme Steven Desch, Professeur d'astrophysique à la tout aussi célèbre Arizona State University.


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    On se souvient il y a quelques années du buzz mondial qui avait accompagné une publication de l'astrophysicienastrophysicien américano-israélien Abraham Loeb, habituellement nommé Avi Loeb.

    Président du département d'astronomie à l'université de Harvard (États-Unis) de 2011 à 2020 et très impliqué dans le projet Breakthrough Starshot - une nanovoile photonique propulsée par des faisceaux à destination des  les plus proches du , dans le système d'Alpha du Centaure -, Loeb avait défendu une thèse concernant les E.T. dans un livre traduit par Charles Frankel et qui était paru aux éditions du Seuil sous le titre Le premier signe d’une vie intelligente extraterrestre.

    Sur le blogblog qu'a mis à sa disposition Futura, l’astrophysicien et cosmologiste Jean-Pierre Luminet avait commenté la sortie du livre en ces termes :

    « A priori, c'est le genre de livre à sensation qui m'aurait de prime abord agacé. Cependant, je connais son auteur.

    Loin d'être un de ces vulgarisateurs fantaisistes qui font de temps en temps la une des médias avec des titres accrocheurs, Loeb est un authentique scientifique qui a publié de très sérieux articles sur un large éventail de sujets, allant de la cosmologie aux trous noirs.

    Je suis donc bien placé pour apprécier ses contributions. Il m'avait d'ailleurs personnellement reçu en juin 2019 à Harvard, lors du dîner de gala de la conférence organisée pour fêter la première image télescopique d'un trou noir obtenue deux mois plutôt par son équipe, et qui confirmait mes calculs effectués 40 ans auparavant (d'où l'invitation). »

    Un autre ʻOumuamua ?

    L'ouvrage se basait notamment sur le désormais mythique passage dans le Système solaireSystème solaire d'un petit corps baptisé ʻOumuamuaʻOumuamua et dont la trajectoire et la vitessevitesse supérieure à celle permettant de s'échapper à l'attraction du Soleil indiquaient qu'il venait du milieu interstellaire.

    L’événement faisait irrésistiblement penser pour les amateurs de science-fiction au scénario de Rendez vous avec Rama, le célèbre roman publié en 1973 par Arthur C. Clarke.

    Les spéculations n'avaient donc pas tardé quant à savoir si ʻOumuamua était un simple astéroïdeastéroïde éjecté d'un autre système planétaire par des processus naturels ou carrément une sonde interstellaire envoyée étudier notre noosphère de près par une civilisation extraterrestre avancée, capable de voyager à une fraction de la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière sous forme de super-IA dans la Voie lactéeVoie lactée.

    En se fondant sur les caractéristiques peu ordinaires de ʻOumuamua, Avi Loeb penchait pour la seconde hypothèse qui lui semblait la plus probable.

    Mieux, si les civilisations E.T. avancées sont nombreuses à être nées depuis des milliards d'années dans notre GalaxieGalaxie, il y avait peut-être fréquemment des sondes interstellaires pénétrant dans le Système solaire après des voyages de peut-être des millions d'années ayant conduit certaines d'entre elles à être dysfonctionnelles. Après tout, même à une fraction de la vitesse de la lumière entre chaque soleil visité, une collision avec seulement un tout petit caillou peut sérieusement endommager même un objet conçu pour durer des milliards d'années.

    Une photo des sphérules retrouvées par l'expédition menée par Avi Loeb. © Avi Loeb
    Une photo des sphérules retrouvées par l'expédition menée par Avi Loeb. © Avi Loeb

    Une sonde interstellaire fondue par son entrée dans l'atmosphère ?

    Loeb était allé encore plus loin en se basant sur le cas d'un autre objet considéré comme clairement interstellaire et appelé Cneos 20140108 en raison de sa présence dans le  catalogue en ligne de météoresmétéores du Center for Near-Earth Object Studies (CNEOS).

    Sa trajectoire pouvait être raisonnablement reconstituée et il était apparu ces dernières années qu’il était entré en collision avec la Terre le 8 janvier 2014 quelque part au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. On pouvait donc le considérer au moins comme le premier météore interstellaire, soit Interstellar Meteor 1 (IM1) en anglais.

    Loeb et quelques collègues avaient réussi à obtenir des financements, notamment du magnat de la cryptomonnaiecryptomonnaie Charles Hoskinson, avec l'idée que des débris de l'objet pouvaient être retrouvés en utilisant un puissant aimantaimant pour ratisser une zone de l'ordre d'une dizaine de kilomètres de diamètre à quelques kilomètres de profondeur. Astéroïde interstellaireAstéroïde interstellaire ou sonde E.T., on allait peut-être pouvoir le savoir en analysant ces débris.

    De fait il y a quelque temps, Loeb a fait savoir que son équipe avait retrouvé dans la zone étudiée des sortes de sphérules métalliques d'un demi-millimètre de diamètre.

    L'analyse des sphérules retrouvées montre que certaines sont constituées surtout de ferfer, mais aussi d'un peu de titanetitane et de magnésiummagnésium mais dont, selon les propres mots de Loeb sur le journal de bord en ligne de l'expédition (pour plus de détails sur cette expédition le Times of Israel a mis en ligne un remarquable article), la « composition est anormale. Elle ne ressemble ni aux alliagesalliages fabriqués par les humains, ni aux astéroïdes connus ou à d'autres sources astrophysiquesastrophysiques familières ».

    Une telle déclaration, qui accompagne un long article sur arXiv, est évidemment troublante et elle pousse à savoir si elle est vraiment fondée ou non.

    Rappelons que Futura avait déjà interrogé il y a quelques années deux astrophysiciens dont l'expertise aussi bien sur la formation des corps célestes planétaires que l'exobiologieexobiologie est bien connue et qui pouvait donc donner des avis particulièrement fondés, reflet en plus de ce que pense la communauté scientifique en général sur les thèses de Loeb. Il s'agissait de Sean Raymond et Franck Selsis pour qui clairement les affirmations concernant ʻOumuamua faites par Loeb ne tenaient pas.

    Tout récemment, Sean Raymond a indiqué sur son compte TwitterTwitter que les autres affirmations de Loeb, concernant Cneos 20140108 cette fois-ci, avaient été examinées par son collègue Steven Desch.

    Le moins que l'on puisse dire, c'est que les critiques de cet astrophysicien sont dévastatrices.

    Le chercheur est professeur à l’Arizona State University (ASU). Ses recherches portent sur le développement de modèles de formation d'étoiles et de planètes, en utilisant notamment les données issues des météoritesmétéorites et celles concernant notamment leurs origines et celle des chondrules que certaines contiennent. Il modélise également des petits corps glacés pour explorer la probabilité de présence d'eau souterraine sur PlutonPluton et sa lunelune, CharonCharon, ou encore l'astéroïde CérèsCérès.

    Steven Desch a généreusement permis à Futura de reprendre ses commentaires pour les traduire. Les voici !

    L'astrophysicien Steven Desch. © Steven Desch
    L'astrophysicien Steven Desch. © Steven Desch

    Puisque tant de personnes l'ont demandé, voici mon point de vue sur les sphérules trouvées par Loeb et les déclarations écrites fracassantes qu'il a rendues publiques. Ce sont des sphérules cosmiques assez typiques. S'il avait entrepris l'indispensable et évident test d'un échantillon de contrôle à 100 kilomètres du météore il aurait trouvé la même chose.

    Pour pouvoir affirmer que ces sphérules sont interstellaires, il fallait démontrer que :

    • le météore de 2014 était interstellaire ;
    • il n'a pas complètement brûlé ;
    • les débris étaient concentrés là où on les a cherchés ;
    • les sphérules provenaient de CE météore ;
    • une source du Système solaire est exclue ;

    Cela n'a pas été fait. TRÈS probablement, ces sphérules sont d'authentiques micrométéorites provenant d'astéroïdes du Système solaire qui ont réagi avec l'eau de mer pendant des dizaines de milliers d'années. Je développe les faits et exprime mon opinion ci-dessous.

    Le météore de 2014 provenait probablement de notre Système solaire. Il serait interstellaire si sa vitesse était d'au moins 45 km/s, et le petit doigt de la Space Force jure que c'était le cas ; mais pour les météores que vous pouvez vérifier depuis le sol, ces chiffres sont faux un tiers du temps (Devillepoix et al. 2019).

    Pour les mesures concernant des vitesses rapides, les barres d'erreur sont de ±20 km/s, et tout ce qui concerne ce météore semble plus cohérent avec une vitesse de 25 km/s (Brown & Borovicka 2023), ce qui signifie qu'il s'agit simplement d'un autre météore de notre ceinture d'astéroïdesceinture d'astéroïdes.

    Un météore se déplaçant dans l'atmosphèreatmosphère à 45 km/s aurait brûlé à 99,9999 % (Desch et al. 2023, ACM2023). Ce sont des formules standards en physiquephysique des météores qui nous le disent.

    Tillinghast-Raby, Loeb et Siraj dans leur article sur arXiv commettent des erreurs de physiques flagrantes en estimant que 10 % des météores à cette vitesse survivraient.

    L'emplacement du météore n'est pas connu à moins de dizaines de kilomètres. CNEOS rapporte des localisations à ±11 kilomètres. Siraj & Loeb (arXiv, non révisé) tentent d'utiliser la détection de l'explosion aérienne par le sismomètresismomètre de l'île de Manus pour affiner cela. Si le son de l'explosion arrivait au bout 271,0 ± 0,5 s, elle se trouvait à 83,9 ± 0,7 km.

    Mais regardez leur figure 3. Pouvez-vous dire que le premier signal est arrivé précisément à 271 s et non à 280 s ? Dans le cas contraire, la distance est incertaine à environ 10 kilomètres près. Ils ne savent pas où chercher ! Leur figure 4 montre même le météore allant exactement dans la direction opposée !

    © Amir Siraj, Abraham Loeb
    © Amir Siraj, Abraham Loeb

    Tout matériaumatériau serait réparti sur plusieurs dizaines de km2. Ce météore s'est désintégré en 0,3 s et en se déplaçant de plusieurs dizaines de kilomètres vers l'est. Les champs de débris éparpillés mesurent généralement des dizaines de kilomètres de long. Le courant océanique équatorial aurait propagé des sphérules coulant sous la surface de l'océan Pacifique sur des dizaines de kilomètres.

    Image du site Futura Sciences

    Le fond marin est jonché de sphérules cosmiques datant des dernières dizaines de milliers d'années, « des dizaines de millions » dans leur seule zone de recherche, soit des milliers de fois plus nombreuses que celles du météore de 2014. Les sphérules de Loeb ne portent pas d'étiquette indiquant qu'elles proviennent du météore de 2014.

    Loeb affirme que les cinq sphérules inhabituelles proviennent de ce qu'il imagine être la trajectoire du météore, mais elles n'ont vraiment pas été échantillonnées en dehors de la trajectoire, et ce ne sont que des statistiques en petit nombre et circonstancielles. Encore une fois, aucune de ces sphérules ne doit provenir du météore de 2014.

    Loeb affirme que la chimie de 5 sphérules est sans précédent, leur donnant même le nom « BeLaU ». Leur figure 10a montre qu'elles présentent d'énormes excès de Th, U, La, Nb, Ce, Ba et des appauvrissements en Co, Zn, par rapport au matériau présumé astéroïde.

    © Avi Loeb
    © Avi Loeb

    Il m'a fallu 20 minutes pour trouver un exemple similaire dans la littérature. La figure 2 de Rudraswami et al. (2016 ; MaPS 51, 718) montre des sphérules scoriacées de type S dans l'océan Indien avec d'énormes excès de Th, U, La, Nb, Ce, Ba et des appauvrissements  en Co, Zn.

    © N. G. Rudraswami, M. Shyam Prasad, E. V. S. S. K. Babu, T. Vijaya Kumar
    © N. G. Rudraswami, M. Shyam Prasad, E. V. S. S. K. Babu, T. Vijaya Kumar

    Pourquoi cette chimiechimie ? Parce que sur des dizaines de milliers d'années, les sphérules réagissent avec l'eau de mer et les sédimentssédiments avec ces éléments (Prasad et al. 2015 ; MaPS 50, 1013). Les sphérules de Loeb reposent simplement sur le fond marin depuis des dizaines de milliers d'années.

    Quant aux isotopesisotopes de Fe, les valeurs mesurées en haut à droite de leur figure 17 suggèrent que ces sphérules sont partiellement issues de matériaux vaporisés dans notre atmosphère et proviennent de CERTAINS météores. Mais ils tombent tous sur la « ligne de fractionnement terrestre » (TFL) comme tout le reste de la matièrematière de notre Système solaire.

    © Avi Loeb
    © Avi Loeb

    Nous nous attendons à ce que les sphérules d'un autre Système solaire aient des rapports isotopiques de Fe très différents et soient disposées le long d'une ligne parallèle bien au-dessus ou en dessous du TFL. Cela suggère fortement que toutes ces sphérules proviennent de matériaux du Système solaire. (Coup de chapeau à @sethajacobson !)

    La stratégie de Loeb était de trouver des sphérules qui ne ressemblaient à rien d'autre sur Terre. Cette stratégie ne fonctionne que si vous savez à quoi ressemble tout le reste sur Terre. Et pour cela, vous devez apprendre des experts qui étudient ces choses depuis des décennies.

    Mais avant de prendre le temps d'apprendre ce qu'il y a normalement au fond de la mer, Loeb fait un clin d'œilœil à la presse en disant qu'il espère trouver et appuyer sur les boutons d'un iPhoneiPhone extraterrestre, et termine l'article par « Une autre possibilité est... une origine technologique extraterrestre ».

    C'est du « putaclic » et ce n'est pas ainsi que fonctionne la science. Moi aussi, je serais plus que ravi de découvrir de la technologie extraterrestre. Mais chaque affirmation doit passer le crible d'un examen par les pairs, et des scientifiques compétents et responsables éliminent les explications banales jusqu'à ce qu'ils soient obligés de spéculer.

    Au lieu de cela, la règle de Loeb est que quand il ne comprend pas, alors les « extraterrestres » sont une possibilité, et nous sommes des scientifiques mesquins et médiocres pour ne pas abandonner ce que nous faisons et vérifier cela. Désolé, mais je n'ai pas le temps de continuer à travailler sur tout ce que Loeb ne comprend pas.

    Avant que Loeb ne publie des brouillons sur arXiv, ne tire des conclusions spéculatives et « putaclic », ne publie des communiqués de presse, n'écrive des livres et ne se dupe ainsi que le public, il devrait lire la littérature et apprendre (et non rejeter) des experts profondément passionnés par les astéroïdes et les météorites.