La présidence de la COP28 vient de mettre sur la table la dernière mouture d’un projet d’accord qui mentionne à peine les énergies fossiles. Un projet qui fait la part belle aux paroles. Repoussant une fois de plus les actes à plus tard. Dans la lignée d’une quinzaine de jours complètement hors-sol. Florilège…


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    Dans le domaine du climat comme dans beaucoup d'autres, il y a les paroles, souvent belles, et il y a les actes et les faits, parfois impitoyables. À Dubaï où s'achève en ce moment même la 28e Conférence des parties signataires de la Convention-Cadre de l'Organisation des Nations unies sur les changements climatiqueschangements climatiques que nous connaissons tous sous le nom de COP28, les faits ont été tout aussi nombreux que les paroles. Et ça commence par la dernière mouture d'un projet d'accord mise sur la table des négociations hier. Il y figure plus de 150 fois des verbes de type « noter », « reconnaître » ou « souligner ». Mais les verbes qui appellent à l'action sont bien plus rares. Et le plus fréquemment utilisé demeure... « inviter ». Alors que « décider » n'apparaît que cinq petites fois.

    Une qualité de l’air qui n’a rien d’exemplaire

    Pourtant, certaines choses semblaient plutôt bien parties. Pour la première fois depuis le début des COP, un coup de projecteurprojecteur devait être donné lors de cette COP28 sur les effets du changement climatique sur la santé humaine. Les scientifiques le rappelaient d'ailleurs encore il y a quelques jours, la pollution de l'airair tue chaque année près de 8,5 millions de personnes dans le monde. Et une bonne part de ces morts est imputable à la combustion de ressources fossiles. Celle-là même qui nuit aussi gravement à notre climat.

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    Effrayant : les énergies fossiles tuent au moins 5 millions de personnes par an !

    D'ailleurs, les « pollution pods » imaginés il y a quelques années déjà par l'artiste britannique Michael Pinsky étaient de retour à Dubaï pour permettre à tout à chacun de vivre l'expérience de la pollution dans quelques grandes villes du monde. Ou alors ne sera-t-il pas utile de les visiter ?

    Car comme un pied de neznez aux organisateurs de la COP28 et à leur exemplarité de façade, le niveau de pollution de l'air du côté de Dubaï a atteint des records durant la conférence. Le site WAQI.info donnait par exemple, pour ce dimanche 3 décembre -- le jour même consacré à la thématique « santé » --, une valeur de 155 microgrammes de particules fines dites PM2.5 -- particulièrement nocives -- par mètre cube. Ce lundi 11 décembre encore, il avait frôlé, du côté de l'ambassade américaine, les 160 microgrammes par mètre cube. Pour se faire une idée, sachez que le dernier niveau jugé encore correct pour la santé est de 120 microgrammes par mètre cube.

    Les Émirats arabes unis pointent du doigt des phénomènes naturels de type tempêtes de sable. Mais les scientifiques rappellent que les particules PM2.5 viennent principalement des combustiblescombustibles fossiles.

    La COP28 au royaume du pétrole !

    Et en la matièrematière, évidemment, les Émirats arabes unis, pays hôte de la COP28, n'ont rien à envier à personne. À quelque 10 kilomètres de l'endroit où se réunissent les représentants du monde se trouve en effet la plus grande centrale à gazgaz du monde. Également dans les environs, un port et un aéroport international. Et à peine plus loin, un champ pétrolifère.

    Pour rappel également, les Émirats arabes unis figurent dans la liste des dix plus gros producteurs de pétrolepétrole au monde. Pas surprenant puisque le pays dispose de la septième réserve de pétrole au monde.

    Et c'est l'Azerbaïdjan qui semble tenir la corde pour l'organisation de la COP29, un autre pays des énergies fossilesénergies fossiles. Le pétrole et surtout le gaz fossile représentent en effet aujourd'hui quelque 50 % de son PIBPIB et environ 90 % de ses recettes d'exportation !

    Les rois du pétrole également rois des COP

    Selon une coalition d'OGN baptisée Kick big polluters out -- comprenez, Mettez les gros pollueurs à la porteporte --, les lobbyistes des énergies fossiles auraient obtenu près de 2 500 accréditations pour prendre part à la COP28. C'est quatre fois plus que lors de la COP27. Alors que déjà, ils représentaient, l'année dernière, plus que ceux des dix pays les plus impactés par le changement climatique. Et qu'en 2021, l'industrie des énergies fossiles avait dépêché plus de représentants que le pays le plus représenté.

    Les ONG soulignent aussi qu'un autre secteur, responsable du tiers des émissionsémissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre dans le monde, est très représenté. Celui de l'industrie agroalimentaire. Ses lobbyistes auraient été, à Dubaï, selon Desmog, trois fois plus nombreux que lors de la COP27.

    Le chemin le plus court pour se rendre à Dubaï

    De manière plus générale, environ 70 000 délégués étaient attendus de près de 200 pays. Pour se rendre à Dubaï, ils ont emprunté quelque 300 jets privés. Et autant d'avions commerciaux. Pourtant c'est connu, l'avion est l'un des moyens de transport les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Parmi les avions, les jets privés sont les pires. Ils consomment beaucoup en transportant peu de passagers. Une étude montre qu'un voyage entre Londres et Dubaï en jet privé est 11 fois plus émetteur qu'un voyage en avion commercial. Et le Premier ministre britannique -- qui n'aura passé que 11 heures sur place --, le ministre des Affaires étrangères et le roi ont voyagé dans trois jets privés différents !

    C'est peut-être une raison de plus pour laquelle cette COP n'aurait pas dû se tenir à Dubaï. Parce que la région est au milieu d'une zone de conflits qui rendent difficiles et incertains les déplacements terrestres. Même pour ceux qui auraient pu le souhaiter. Alors qu'au contraire, Dubaï apparaît comme une véritable plaque tournante pour les compagnies aériennes. La ville est le siège d'Emirates, l'une des compagnies aériennes les plus prospères au monde.

    Le techno solutionniste à la fête

    Le plus douloureux dans l'histoire, c'est peut-être qu'une grande part de ces personnes qui se sont déplacées à Dubaï pour la COP28 ne l'ont pas réellement fait pour parler climat. Beaucoup -- sur plus de 100 000 participants -- sont venus... à des fins commerciales ! Les plus puissantes des multinationales étaient sur place. AmazonAmazon, SiemensSiemens ou encore MicrosoftMicrosoft. Et elles ont invité leurs clients dans les plus beaux restaurants de la ville pour conclure des affaires. Parfois autour de solutions renouvelables et durables. Parfois, pas...

    Dès les premiers jours de la COP28, son président Sultan Al-Jaber a annoncé la création d'un fonds d'investissement d'une valeur de 30 milliards de dollars. Un fonds d'investissement vert, axé sur le climat. Mais Alterra s'avère avant tout être un fond à but lucratif. L'idée : acheter des actions d'entreprises vertes -- ou d'entreprises qui veulent verdir -- et gagner de l'argentargent lorsque les cours augmenteront.

    L’artificialisation à son paroxysme

    Dubaï, c'est aussi le royaume de l'artificiel. On y trouve par exemple le plus haut gratte-ciel du monde. Il a été baptisé le Burj Khalifa. Il culmine à près de 830 mètres. Et toutes les occasions sont bonnes pour l'habiller de lumièreslumières. Le secret, c'est qu'il a nécessité la fabrication de plus de 330 000 m3 de bétonbéton. Le béton, le matériaumatériau avec l'un des pires bilans carbonebilans carbone au monde. Si le béton était un pays, il ne serait ni plus ni moins que le 3e plus important émetteur de gaz à effet de serre au monde. Mais le pire, c'est peut-être que pour construire le Burj Khalifa -- et on ne parle pas des conditions de travail des ouvriers employés à cela --, les Émirats arabes unis sont allés chercher du sable... en Australie ! Celui du désertdésert tout proche étant trop fin.

    En ville, l'automobiliste est roi. Les routes et autoroutes sont saturées. L'un des sponsors de cette COP28 n'est d'ailleurs autre qu'un constructeur automobileautomobile. De voitures électriquesvoitures électriques, certes. Mais tout de même. Dans le port, des yachts et des vedettes en nombre.

    « Nous sommes ici parce que nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 43 % d'ici à 2030 », assurait Sultan Al-Jaber, le président de la COP28, il y a quelques jours. Difficile à croire après avoir vu, depuis l'avion -- puisque c'est quasiment incontournable pour se rendre à Dubaï -- des dizaines de flambeaux immenses le long du littoral. Autant de torchères qui brûlent inutilement le gaz séparé du pétrole !

    Démocratie et autoritarisme, le choc frontal

    Dernière contradiction à souligner, celle qui veut que cette COP28, censée constituer un exercice à grande échelle de démocratie planétaire, se déroule dans un pays autoritaire dans lequel les OGN et plus largement le public peinent à exprimer leurs opinions.

    Ainsi, alors qu'à Glasgow, en 2021, des milliers de militants avaient investi les rues, en dehors du site de la COP, cette fois, aucune manifestation n'a été autorisée. Et même au cœur de la zone ONU, les militants rapportent qu'ils agissent avec prudence. Essayant surtout de faire preuve d'humour pour attirer l'attention. Alors qu'en marge de la rencontre au sommet, beaucoup rappellent qu'il ne peut pas y avoir de justice climatique sans droits de l'Homme...