La COP28 vient de s’achever à Dubaï. Et nos représentants sont parvenus à un accord. « Historique », rapporte la présidence de la COP. « Historique, mais surtout insuffisant », corrigent les scientifiques.


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    La 28e Conférence des parties signataires de la Convention-Cadre de l'Organisation des Nations unies sur les changements climatiques (COP28) a pris fin. Et en ce mercredi 13 décembre 2023 au matin, le monde entier semble vouloir s'enthousiasmer. Les médias évoquent « un accord historique ». Les médias ? Ceux qui reprennent les termes du président Sultan Al-Jaber, en tout cas. Mais peut-être ceux-ci mériteraient-ils d'être nuancés.

    Le sultan Al-Jaber, président de la COP28, a fait grincer bien des dents pour ses intérêts directs avec l'industrie du pétrole. © Futura

    Pour ce qui est de la bonne nouvelle, d'abord. Il faut souligner que de manière un peu inattendue -- le dernier brouillon était en effet bien différent --, les quelque 200 pays représentés à la COP28 ont, comme le souligne Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, pour la toute première fois, convenu d'un accord qui reconnait le rôle des « combustibles fossiles » dans la crise climatique que nous vivons.

    Un accord qui appelle toutes les nations à sortir de ces énergiesénergies sales pour éviter les pires conséquences du réchauffement climatique anthropique. Et ne boudons pas notre plaisir. C'est une réelle avancée. Simon Stiell, le « Monsieur Climat » de l'Organisation des Nations unies, lui-même s'en réjouit. John Kerry, l'envoyé américain, lui, voit dans cet accord, « un signal très fort envoyé au monde ».

    Des termes « légers » pour l'accord de la COP28

    Mais n'en baissons pas pour autant notre garde, nous préviennent les scientifiques. Car le diable pourrait bien de cacher dans les détails de cet accord.

    Précisons d'abord que ce que l'accord « reconnait », c'est, bien plutôt que celui des énergies fossiles, le rôle des gaz à effet de serre. Une nuance à laquelle les pétro-États tenaient tout particulièrement. Avec dans l'idée de pouvoir continuer à exploiter surtout gazgaz fossile et pétrolepétrole en promettant de capter et de stocker leurs émissionsémissions de dioxyde de carbone (CO2).

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    Une promesse qui, les scientifiques nous l'assurent pourtant, ne pourra pas être tenue dans un scénario de business as usual et sans sortie progressive des énergies fossiles.

    L'autre terme crucial qui apparaît dans les toutes premières lignes de cet accord, c'est « appelle ». Comprenez que le texte, en réalité, n'impose rien. Il ne fait qu'inviter « les parties à contribuer aux efforts ». Et si l'on poursuit cette analyse lexicale, il apparaît que, loin de proposer des objectifs contraignants et datés -- il n'est question que « d'efforts » -- concernant les consommations et les productions de combustiblescombustibles fossiles, l'accord laisse leur entière souveraineté en la matièrematière aux États -- « les parties » comme ils sont appelés. De quoi permettre finalement à chacun de contribuer comme il le souhaitera. Le représentant de la Russie s'en réjouit d'ailleurs. « Chaque partie peut choisir sa recette la plus optimale pour la décarbonation. » Et il en profite pour rappeler que les pays ayant des responsabilités historiques différentes, ils ne devraient pas arrêter d'utiliser les combustibles fossiles au même rythme. Voilà qui en dit déjà long sur les ambitions de développement du pays.

    Pas de contraintes sur les énergies fossiles

    L'accord évoque aussi une « accélération des efforts -- toujours des efforts -- pour sortir du charbon ». Bonne nouvelle ? En demi-teinte, car il est question uniquement de ce que les anglophones qualifient de « unabated coal », comprenez, d'installations qui ne seraient pas pourvues de technologies de capture du CO2. Même concernant le charbon, donc, pas de véritable sortie annoncée.

    Pour revenir à l'apparition « historique » du terme « combustibles fossiles », contrairement à ce que demandaient quelques 110 pays, il n'est pas question de « réduction » et encore moins de « sortie », mais « d'engager une transition ». Là encore, c'est très peu contraignant. Cela assure aux États toute la flexibilité qu'ils souhaiteront sans les lier à des engagements fermes. Une manière, pour les rois du pétrole, de travailler leur image en concédant l'usage d'un terme sans pour autant se fixer d'objectifs précis.

    La menace des « énergies de transition »

    L'autre point d'inquiétude, c'est que l'accord « reconnait » que des « énergies de transition » pourrait contribuer aux « efforts ». Or les spécialistes de la question le savent, l'expression « énergies de transition » est régulièrement employée aussi bien par les producteurs que par certains États -- en tête desquels notre proche Allemagne -- pour désigner... le gaz fossile ! Ainsi, sans plus de précision, difficile de réellement savoir ce qui se cache derrière ce point.

    Et finalement, l'idée d'engager une transition qui nous éloignerait des énergies fossiles n'arrive qu'en quatrième position dans la liste des efforts nécessaires à éviter les pires conséquences du réchauffement climatique anthropique, après « le triplement des énergies renouvelablesénergies renouvelables et le doublement de l'efficacité énergétique d'ici 2030 » -- le seul point qui figure dans tous les projets d'accord et qui semble donc faire vraiment consensus --, la sortie du charbon « dont les émissions ne sont pas captées » et « l'accélération des efforts de développement de systèmes zéro émission nette -- la proposition précédente en est un, aussi... -- et l'utilisation de combustibles zéro ou bas carbone d'ici 2050 ».

    Un accord confus et avec des lacunes

    Soulignons également que l'accord a été adopté dans la confusion. Peut-être parce que le président de la COP28 qui avait promis d'arriver à un consensus « dans les temps » voyait l'heure dangereusement tourner ? Le texte, apprend-on, n'a été communiqué aux États que quatre heures avant son adoption. Et ils étaient nombreux à croire qu'il prêterait encore à débats. Certains, d'ailleurs, n'étaient pas revenus dans la salle lorsque le texte a été adopté. L'Alliance des petits États insulaires, par exemple, qui, sans s'opposer à cette décision, juge l'accord « rempli d'une litanie de lacunes ». Sa principale négociatrice parle de « progrès progressifs » -- c'est tout dire -- alors que « nous avions besoin de changements exponentiels ».

    Nous allons devoir mettre à l'eau un canoë qui fuit.

    À l'occasion de la conférence de clôture, d'autres se sont montrés critiques. Un représentant des îles Marshall, dans le Pacifique. « Je suis venu de chez moi pour travailler avec vous tous afin de résoudre le plus grand défi de notre génération. Je suis venu ici pour construire ensemble un canoë pour sauver mon pays. Au lieu de cela, nous avons construit un canoë avec une coque fragile. Un canoë qui fuit, plein de trous. Pourtant, nous allons devoir le mettre à l'eau parce que nous n'avons pas d'autre choix. »

    L'accord de la COP28 n'est ni juste ni équitable

    Le texte n'évoque pas non plus les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour collecter les centaines de milliards de dollars dont auront besoin les pays en développement pour sortir des énergies fossiles. Le seul moyen d'assurer une transition juste et équitable.

    L'accord, enfin, reste insuffisant concernant les efforts d'adaptation. Là encore, des contributions financières mériteraient d'être fixées pour venir en soutien aux populations les plus vulnérables. Résultat : au-delà des risques climatiques qu'ils encourent, les pays en développement pourraient bien définitivement perdre confiance dans les COP.