Le télescope James-Webb continue de marcher dans les pas de Hubble en nous donnant de nouvelles informations sur les planètes du Système solaire, en l'occurrence Ganymède et Io, les lunes de Jupiter.


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    Tout comme Hubble, le télescope spatial James-Webb (JWST) est en mesure de nous faire de nouvelles révélations sur le Système solaire. Deux équipes d'astronomesastronomes et planétologues se sont ainsi servis de son regard dans l'infrarouge pour étudier deux lunes de JupiterJupiter, GanymèdeGanymède la glacée et IoIo la volcanique. Les observations actuelles du JWST seront sans doute vues sous un nouvel angle quand arrivera autour de Jupiter la mission Jupiter Icy Moons Explorer qui se terminera d'ailleurs par la mise en orbite de JuiceJuice autour de Ganymède à l'horizon 2034, si tout va bien.

    En attendant, le JWST vient de permettre la détection aux pôles de Ganymède et, pour la première fois, de molécules de peroxyde d'hydrogèneperoxyde d'hydrogène (H2O2), c'est-à-dire d'eau oxygénée ! C'est un article de Science Advances qui l'explique et il provient d'une équipe dirigée par Samantha Trumbo, une postdoctorante de l'Université Cornell.

    Un champ magnétique qui ressemble à celui de la Terre

    Dans un communiqué de l'Université de Berkeley, la chercheuse explique que le « JWST révélant la présence de peroxyde d'hydrogène aux pôles de Ganymède montre pour la première fois que les particules chargées canalisées le long du champ magnétiquechamp magnétique de Ganymède modifient préférentiellement la chimiechimie de surface de ses calottes polairescalottes polaires ». Les planétologues pensent en effet que les molécules de H2O2, dont la signature spectrale avec des raies d'absorptionabsorption dans le proche infrarouge avait révélé leur présence, sont dues à la recombinaisonrecombinaison de radicaux chimiques provenant de molécules d'eau dissociées par l'impact des particules chargées que l'on trouve dans la magnétosphèremagnétosphère de Jupiter.

    Photos en gros plan de Ganymède et Io prises par le vaisseau spatial Galileo de la Nasa en 1997 alors qu'il était en orbite autour de Jupiter. Les échelles relatives sont respectées. © Nasa/JPL/USGS
    Photos en gros plan de Ganymède et Io prises par le vaisseau spatial Galileo de la Nasa en 1997 alors qu'il était en orbite autour de Jupiter. Les échelles relatives sont respectées. © Nasa/JPL/USGS

    On ne voit la présence de H2O2 qu'aux pôles, ce qui montre que, contrairement aux autres lunes principales de Jupiter et même les autres dans le Système solaireSystème solaire (y compris la nôtre), Ganymède possède un champ magnétique dipolaires comme celui de la Terre, ce qui donne des renseignements sur son intérieur contenant un océan global.

    Le communiqué de l'Université de Berkeley fait état de la publication d'un autre article, dans la revue JGR: Planets, une publication de l'American Geophysical Union cette fois-ci. On la doit à Imke de Pater, professeur émérite d'astronomie et de sciences terrestres et planétaires à l'Université de Californie à Berkeley (et autrice d'un célèbre traité de sciences planétaires) en compagnie notamment des Français Thierry Fouchet et Emmanuel Lellouch de l'Observatoire de Paris.

    Du monoxyde de soufre produit par des éruptions volcaniques

    Imke de Pater étudie depuis longtemps déjà l'activité volcanique de Io autour de Jupiter avec des télescopes au sol. Le JWST lui ouvre à elle et ses collègues de nouvelles perspectives et, à lui seul, il permet de dire qu'il y a des éruptions en cours au moins dans deux régions à la surface de Io, Kanehekili Fluctus, un champ de coulées de lavelave avec peut-être un lac de lave (fluctus désigne un terrain couvert d'écoulement de liquideliquide, c'est un terme latin utilisé par les planétologues sur VénusVénus, Io et TitanTitan ) et la célèbre Loki Patera.

    Une carte spectroscopique de Ganymède (à gauche) dérivée des mesures JWST montre l'absorption de la lumière autour des pôles caractéristiques par la molécule de peroxyde d'hydrogène. Une image infrarouge JWST de Io (à droite) montre des éruptions volcaniques chaudes à <em>Kanehekili Fluctus</em> (au centre) et à <em>Loki Patera</em> (à droite). Les cercles dessinent les surfaces des deux lunes. © Ganymède : Samantha Trumbo, Cornell ; Io : Imke de Pater, UC Berkeley
    Une carte spectroscopique de Ganymède (à gauche) dérivée des mesures JWST montre l'absorption de la lumière autour des pôles caractéristiques par la molécule de peroxyde d'hydrogène. Une image infrarouge JWST de Io (à droite) montre des éruptions volcaniques chaudes à Kanehekili Fluctus (au centre) et à Loki Patera (à droite). Les cercles dessinent les surfaces des deux lunes. © Ganymède : Samantha Trumbo, Cornell ; Io : Imke de Pater, UC Berkeley

    Ces éruptions en cours sont déduites de mesures de raies spectralesraies spectrales faites avec le JWST qui sont ce que les astrophysiciensastrophysiciens appellent des raies interdites. Elles concernent des molécules de monoxyde de soufresoufre (SO) observées dans la partie nocturnenocturne de la surface de Io. L'atmosphèreatmosphère de Io contient aussi bien du SO2 que du SO mais le dioxyde de soufre, le composant principal, se condense et gèle dans la partie nocturne, ne laissant que le SO à l'état gazeuxétat gazeux.

    Les raies spectrales du SO sont faibles mais elles n'échappent tout de même pas alors au regard perçant du JWST. Il y a vingt ans, de Pater et son équipe avaient proposé que des états excitésétats excités avec raies interdites du SO ne pouvaient être produits que dans des évents volcaniques chauds, et que l'atmosphère ténue permettait à cet état de rester assez longtemps -- quelques secondes -- pour émettre des raies interdites. La chercheuse en avait déjà observé depuis un certain temps avec le télescope KeckKeck à Hawaï mais, jusqu'à présent, les émissionsémissions ne pouvaient pas être attribuées à une région de Io.

    Des mesures du JWST obtenues en novembre 2022 superposées sur une carte de la surface d'Io. Les mesures infrarouges thermiques (à droite) montrent un éclaircissement de <em>Kanekehili Fluctus</em>, une zone volcanique étendue et, pendant la période d'observation, très active sur Io. Les mesures spectrales (à gauche) montrent les émissions infrarouges interdites du monoxyde de soufre centrées sur la zone volcanique. La coïncidence confirme une théorie selon laquelle le SO est produit dans les évents volcaniques et, dans l'atmosphère très mince d'Io, reste assez longtemps pour émettre des raies interdites qui seraient normalement supprimées par des collisions avec d'autres molécules dans l'atmosphère. © Chris Moeckel et Imke de Pater, UC Berkeley ; carte Io avec l'aimable autorisation de l'USGS
    Des mesures du JWST obtenues en novembre 2022 superposées sur une carte de la surface d'Io. Les mesures infrarouges thermiques (à droite) montrent un éclaircissement de Kanekehili Fluctus, une zone volcanique étendue et, pendant la période d'observation, très active sur Io. Les mesures spectrales (à gauche) montrent les émissions infrarouges interdites du monoxyde de soufre centrées sur la zone volcanique. La coïncidence confirme une théorie selon laquelle le SO est produit dans les évents volcaniques et, dans l'atmosphère très mince d'Io, reste assez longtemps pour émettre des raies interdites qui seraient normalement supprimées par des collisions avec d'autres molécules dans l'atmosphère. © Chris Moeckel et Imke de Pater, UC Berkeley ; carte Io avec l'aimable autorisation de l'USGS

    Des raies spectrales « interdites »

    Terminons en précisant ce que sont ces fameuses raies interdites. La mécanique quantiquemécanique quantique dote les atomesatomes et les molécules de niveaux d'énergieénergie entre lesquels des photonsphotons d'énergie bien précise peuvent provoquer des transitions, faisant passer d'un état à un autre en les absorbant ou en les émettant. Il y a des restrictions aux transitions possibles, des règles de sélection comme on les appelle, mais aussi des déterminations concernant les probabilités de faire ces transitions sur une période de temps donnée. Ces transitions sont à l'origine des raies d'émission ou d'absorption.

    En laboratoire sur Terre, certaines de ces transitions, pourtant possibles bien que difficilement, ne s'effectuent généralement pas et, avant de pouvoir les comprendre par le calcul, on pensait qu'elles étaient interdites. Mais, en fait, dans un gaz très peu dense, comme c'est souvent le cas en astrophysiqueastrophysique, les collisions entre atomes ou molécules prennent du temps, or ces collisions provoquent des transitions entre les niveaux d'énergie. On a donc compris que, sur Terre, dans des conditions plus « normales », les collisions provoquent plus rapidement des transitions vers d'autres niveaux que ceux impliqués par les raies « interdites ». Dans l'atmosphère ténue de Io, les transitions « interdites » ont le temps de se produire et on peut dès lors les observer.