De plus en plus fascinés depuis environ 40 ans par les lunes glacées de Jupiter, les planétologues proposent aujourd'hui une autre interprétation de la signification et de la genèse des structures que l'on peut observer en particulier à la surface d'Europe, la lune avec une banquise globale. Des séismes en seraient responsables, ce qui a des implications pour les recherches que peuvent entreprendre les exobiologistes dans un futur proche, après les missions Juice et Europa Clipper.


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    Tous ceux qui ont vu le film 2010 : L'Année du premier contact, tiré du roman d'Arthur Clarke faisant suite à 2001, l'Odyssée de l'espace, rêvent probablement du jour où une mission consacrée à Europe, la lune glacée de JupiterJupiter, permettrait à la réalité de rattraper la fiction. En l'occurrence, il s'agirait au moins de la détection à la surface de la banquisebanquise d'Europe - dont il n'est pas douteux qu'elle recouvre un océan - de molécules organiques qui seraient des biosignatures incontestables de l'existence de formes de vie dans cet océan. Dans l'idéal, il faudrait même que ce soit des formes de vie comme dans le roman de l'inventeur du concept de satellite géostationnaire.

    Clarke ne se basait pas sur de simples spéculations, mais bien sur les images fournies par les missions Voyager 1Voyager 1 et 2 lors de leurs visites des lunes de Jupiter révélant le volcanisme de Io qui avait été prédit théoriquement. Les calculs montraient que les forces de marée exercées par Jupiter et certaines de ses lunes galiléennes non seulement chauffaient IoIo, mais aussi indirectement également via du volcanismevolcanisme un océan global sous la banquise d'Europe. Inspirés par la découverte des formes de vie au voisinage des sources hydrothermales dans les abysses au cours des années 1970, certains chercheurs en avaient déduit qu'il pourrait en exister de similaires, tirant leur énergie par chimiosynthèsechimiosynthèse dans l'océan d'Europe, avec un volcanisme provenant, comme dans le cas d'Io, des forces de marée du système jupitérien.


    Un extrait de 2010 : L'Année du premier contact, au moment où une sonde explore la surface d'Europe lors d'une mission conjointe américano-russe. © Metro-Goldwyn-Mayer Studios, Inc.

    La topographie des lunes galiléennes, une clé pour l'exobiologie

    Europe est donc a priori une cible de choix pour l'exobiologie et dans une moindre mesure GanymèdeGanymède et CallistoCallisto, qui possèdent elles aussi un océan souterrain. Toutefois, le niveau de radiations au voisinage d'Europe est considérable, de sorte qu'une sonde devrait posséder une électronique particulièrement durcie, comme on dit dans le jargon, pour supporter ce niveau de rayonnement suffisamment longtemps pour espérer faire des découvertes en orbiteorbite autour d'Europe, voire en se posant carrément sur la surface de la lune. C'est d'ailleurs en partie pour cette raison que la mission Juice de l'ESAESA va plutôt étudier Ganymède et Callisto, qui sont nettement moins exposées aux rayons cosmiquesrayons cosmiques se propageant dans la magnétosphèremagnétosphère de Jupiter.

    Pour préparer peut-être un jour une révolution en exobiologie, les chercheurs tentent de mieux comprendre les processus sculptant la surface des lunes glacées de Jupiter. Il existe peut-être des régions où l'on pourrait avoir accès facilement plus ou moins indirectement à de l'eau ou des glaces venant des océans liquidesliquides et contenant des traces directes ou indirectes des formes de vie pouvant exister sur Europe ou Ganymède. Une mission de la NasaNasa, Europa Clipper est d'ailleurs en cours de développement pour investiguer plus complètement la surface d'Europe que ne pourrait le faire JuiceJuice.


    Que cache la banquise de l'océan d'Europe, la lune de Jupiter ? Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa, Jet Propulsion Laboratory

    De fait, comme l'ont confirmé les missions GalileoGalileo et Juno, la banquise d'Europe est couverte de zones de fracture avec des crêtes, des fissures et des plaines. Par endroits, on trouve des séries de failles avec des escarpements, mais elles sont également associées à des zones presque planes et lisses qui suggèrent des épanchements d'eau liquide, peut-être en rapport avec des cryovolcans, qui après s'être écoulés se seraient rapidement figés.

    Non seulement il se pourrait que l'on trouve en surface des blocs de glace contenant des formes de vie prises au piège à l'occasion de ces remontées d'eau liquide, mais la banlieue d'Europe pourrait aussi bien être remplie d'échantillons de son océan éjectés en orbite à l'occasion d'impacts de petits corps célestes.

    Cette vue de la lune glacée de Jupiter, Europa, a été capturée par l'imageur JunoCam à bord du vaisseau spatial Juno de la Nasa lors du survol rapproché de la mission le 1<sup>er</sup> septembre 2022. Le vaisseau spatial Europa Clipper de l'agence explorera la lune lorsqu'il atteindra l'orbite autour de Jupiter en 2030. © Nasa, JPL-Caltech, SwRI, MSSS, Traitement d'image : Kevin M. Gill, CC by 3.0
    Cette vue de la lune glacée de Jupiter, Europa, a été capturée par l'imageur JunoCam à bord du vaisseau spatial Juno de la Nasa lors du survol rapproché de la mission le 1er septembre 2022. Le vaisseau spatial Europa Clipper de l'agence explorera la lune lorsqu'il atteindra l'orbite autour de Jupiter en 2030. © Nasa, JPL-Caltech, SwRI, MSSS, Traitement d'image : Kevin M. Gill, CC by 3.0

    Des glissements de terrain ou des coulées cryovolcaniques ?

    Mais aujourd'hui, un groupe de planétologues vient de publier un article dans le célèbre journal Icarus qui suggère que les régions lisses et plates découvertes ne sont pas le produit d'écoulements d'eau figés mais indirectement de glissements de terrain provoqués par des séismesséismes sur Europe et Ganymède, séismes là aussi en rapport avec les forces de marée malaxant et chauffant ces lunes de Jupiter.

    Dans un communiqué de la Nasa, l'auteur principal de l'article, Mackenzie Mills, encore étudiant à l'Université de l'Arizona à Tucson et qui a mené les travaux de l'équipe au cours d'une série de stages d'été au Jet Propulsion LaboratoryJet Propulsion Laboratory de la Nasa, explique qu'il a modélisé avec ses collègues la puissance des séismes à la surface d'Europe et Ganymède et qu'avec les glissements de terrain résultants, des matériaux pouvaient être transportés malgré la gravitégravité de ces lunes au point de se déposer ensuite en donnant précisément les surfaces planes observées.

    Le vaisseau spatial Galileo de la Nasa a réalisé cette image de la surface de la lune Ganymède de Jupiter. Sur Terre, des caractéristiques similaires se forment lorsque des failles tectoniques brisent la croûte. Les scientifiques ont modélisé comment l'activité des failles pouvait déclencher des glissements de terrain et créer des zones relativement lisses à la surface des lunes glacées. © Nasa, JPL-Caltech, <em>Brown University</em>
    Le vaisseau spatial Galileo de la Nasa a réalisé cette image de la surface de la lune Ganymède de Jupiter. Sur Terre, des caractéristiques similaires se forment lorsque des failles tectoniques brisent la croûte. Les scientifiques ont modélisé comment l'activité des failles pouvait déclencher des glissements de terrain et créer des zones relativement lisses à la surface des lunes glacées. © Nasa, JPL-Caltech, Brown University

    Le même mécanisme s'appliquerait également à EnceladeEncelade, une des lunes de SaturneSaturne, mais cette fois-ci, étant donné la gravité encore plus faible (Encelade est si petite que sa surface n'est que d'environ 3 % de celle d'Europe et 1/650 de celle de la Terre), une partie des matériaux serait même éjectée de la surface d'Encelade.

    On devrait en savoir plus à l'horizon des années 2030 car Europa ClipperEuropa Clipper sera en orbite autour de Jupiter et devrait en profiter pour effectuer environ 50 survolssurvols d'Europe, et Juice sera aussi à l'œuvre, se concentrant, elle, surtout sur Ganymède.

    Cette vue de la lune Europe de Jupiter a été prise dans les années 1990 par le vaisseau spatial Galileo de la Nasa. Il montre le type de caractéristiques étudiées par les scientifiques qui ont modélisé comment des « tremblements de lune » peuvent déclencher des glissements de terrain. Les pentes douces et les décombres à proximité peuvent en effet avoir été produits par des glissements de terrain, tout comme dans le cas de Ganymède. © Nasa, JPL-Caltech
    Cette vue de la lune Europe de Jupiter a été prise dans les années 1990 par le vaisseau spatial Galileo de la Nasa. Il montre le type de caractéristiques étudiées par les scientifiques qui ont modélisé comment des « tremblements de lune » peuvent déclencher des glissements de terrain. Les pentes douces et les décombres à proximité peuvent en effet avoir été produits par des glissements de terrain, tout comme dans le cas de Ganymède. © Nasa, JPL-Caltech
    Une autre image de la lune de Jupiter, Europe, capturée dans les années 1990 par Galileo, montre d'éventuels escarpements de faille (comme ceux trouvés sur Terre lorsque l'activité tectonique brise la croûte), adjacents à des zones lisses qui peuvent avoir été produites par des glissements de terrain. © Nasa, JPL-Caltech, DLR
    Une autre image de la lune de Jupiter, Europe, capturée dans les années 1990 par Galileo, montre d'éventuels escarpements de faille (comme ceux trouvés sur Terre lorsque l'activité tectonique brise la croûte), adjacents à des zones lisses qui peuvent avoir été produites par des glissements de terrain. © Nasa, JPL-Caltech, DLR