La décarbonation de la production d’énergie, c’est bien. Mais la décarbonation de l’ensemble de notre économie, c’est encore mieux… Ils sont nombreux à chercher des solutions. Quelques-uns en trouvent. Marc Delcourt, cofondateur et CEO de Global Bioenergies, est de ceux-là. Microbiologiste de formation, il nous raconte comment son équipe est parvenue à obtenir des bactéries qu’elles travaillent pour nous. Avec la promesse de construire un monde un peu plus propre.


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    L'isobutène, c'est un composé chimique carboné. Un gaz incolore et hautement inflammable - dans les conditions normales de température et de pression - issu du traitement et de la transformation du pétrole ou du gaz, ces ressources fossilesfossiles dont l'exploitation nuit à notre climatclimat. Aux yeuxyeux du grand public, il reste peu connu. Pourtant, il sert à la synthèse de bon nombre de produits du quotidien, de l'essence au kérosènekérosène en passant par des caoutchoucs et des plastiques ou encore des produits cosmétiques.

    Le saviez-vous ?

    L’isobutène est la plus petite des molécules branchées. Comprenez, une molécule avec quatre atomes de carbone « en étoile » et une double liaison, secret de sa réactivité chimique. L’isobutène donne ainsi accès à tout un monde de molécules branchées avec des propriétés absolument indispensables pour l’industrie : l’étanchéité des chambres à air, la volatilité des molécules dans la cosmétique, l’indice d’octane dans l’essence.

    Vous l'aurez compris, l'isobutène, c'est un composé dont il serait difficile aujourd'hui de se passer. Mais peut-on au moins espérer trouver une façon plus propre de le produire ? Oui, à en croire Marc Delcourt, cofondateur et CEO de Global Bioenergies. Il est microbiologiste de formation. Vous vous demandez peut-être que vient faire la biologie dans cette histoire ? « Mon métier consiste à manipuler des micro-organismesmicro-organismes pour leur faire produire des choses qui nous intéressent », voilà la réponse. Comme l'isobutène.

    L’isobutène est aussi appelé isobutylène. La molécule est composée de carbone (C) placé en étoile et d’hydrogène (H). Avec une double liaison précieuse pour l’industrie de la chimie. © Сергей Шиманович, Adobe Stock
    L’isobutène est aussi appelé isobutylène. La molécule est composée de carbone (C) placé en étoile et d’hydrogène (H). Avec une double liaison précieuse pour l’industrie de la chimie. © Сергей Шиманович, Adobe Stock

    Une innovation de rupture

    « Apprendre à des bactériesbactéries à produire de l'isobutène, c'est extrêmement difficile. Ce n'est pas dans leur nature. Il faut modifier des voies de synthèse. Ajouter et enlever des gènesgènes. Modifier le métabolismemétabolisme central. Ça a été très long, très dur. Mais aujourd'hui, ça fonctionne et ça a plein d'avantages industriels », nous raconte Marc Delcourt.

    Comment ? Prenez d'abord des sucressucres. Ceux que l'on trouve dans les mélasses de betteraves ou dans les céréalescéréales déclassées. Ou même ceux qui restent dans les déchets agricoles, les pailles, les copeaux ou les branches dont on ne fait pas grand-chose. Déposez le tout dans un fermenteur conçu à cet effet avec les bactéries développées par Global Bioenergies. Vous obtiendrez un gaz. Le fameux isobutène.

    « Les autres procédés de la biologie industrielle mènent à la production d'un liquide. Or celui-ci a tendance à s'accumuler dans le milieu et finit par éliminer les micro-organismes. Notre gaz s'évacue en temps réel, en préservant nos bactéries », nous précise Marc Delcourt. Et pour revenir à ces bactéries, justement, rappelons-nous qu'elles sont génétiquement modifiées.

    « Elles sont maintenues dans un milieu strictement confiné. Mais même si le confinement devait être brisé, elles ne survivraient pas dans la nature. Parce qu'elles ont tendance à dilapider leur carbonecarbone en le transformant en isobutène », nous assure le microbiologiste. La vie d’une bactérie, en effet, se limite à produire de l'ADNADN, un peu de protéineprotéine et un peu de membranes pour grandir et se diviser. Sans carbone disponible à ces effets, elle n'a aucune chance de survie. « C'est d'ailleurs pour ça qu'aucune bactérie ne produit naturellement de l'isobutène. »

    Global Bioenergies a modifié la génétique de bactéries pour les mener à produire de l’isobutène. © Global Bioenergies
    Global Bioenergies a modifié la génétique de bactéries pour les mener à produire de l’isobutène. © Global Bioenergies

    De l’isobutène aux cosmétiques

    Côté impact environnemental, les analyses menées par Global Bioenergies le montre, les émissions de dioxyde de carbone (CO2) liées à la production d'isobutène par des bactéries sont de trois à cinq fois moindre que celles de la production à partir de ressources fossiles. « Avec le pétrolepétrole ou le gaz, le voyage est à sens unique, du sous-sol vers l'atmosphèreatmosphère. Avec la biologie industrielle, on entre dans un cycle. Les plantes captent du CO2. On extrait des sucres de ces plantes et on fait des produits chimiques qui sont brûlés à terme, dans des décharges ou comme carburants. Et le CO2 ainsi produit sera réutilisé par la génération suivante de plantes », nous explique Marc Delcourt. Le cycle n'est pas tout à fait parfait. Parce qu'il faut y intégrer des engrais, des tracteurs, des usines. « Mais l'analyse de cycle de vie -- qui inclut les émissionsémissions de CO2 par les bactéries -- montre encore une diminution des émissions de 60 à 80 %. »

    Global Bioenergies a déjà lancé la production sur un démonstrateurdémonstrateur installé en Allemagne. De premières tonnes d'isobutène comme brique élémentaire de produits cosmétiques longue tenue, waterproof et sans transfert. La toute nouvelle gamme Last. Et fort de ce succès, l'entreprise vient de mettre en route une usine d'une capacité de production de cent tonnes d'isobutène par an, située à Pomacle, près de Reims. « Sachant qu'à partir d'une tonne d'isobutène, on peut fabriquer environ 500 000 unités de maquillage », précise Marc Delcourt, pour nous donner une idée.

    Global Bioenergies et Shell viennent de démarrer une collaboration pour développer et tester des carburants routiers à faible impact carbone. © Elnur, Adobe Stock
    Global Bioenergies et Shell viennent de démarrer une collaboration pour développer et tester des carburants routiers à faible impact carbone. © Elnur, Adobe Stock

    Une ouverture sur le marché des biocarburants

    À l'horizon 2025, Global Bioenergies imagine une usine capable de produire 2 000 tonnes d'isobutène par an. « Il y a 14 ans, nous avions lancé notre projet en pensant participer à la décarbonation des carburants. Puis, le prix du pétrole s'est effondré. Et les voitures électriques ont capté toute la lumièrelumière sur le sujet de la mobilité durablemobilité durable », se souvient pour nous Marc Delcourt. Mais aujourd'hui, la donne pourrait à nouveau changer. « Les pétroliers s'interrogent. De grands noms s'intéressent à nos activités. D'autant que les voituresvoitures d'aujourd'hui sont tout à fait compatibles avec ces biocarburantsbiocarburants. »

    Reste tout de même la question du coût. « Une usine qui produirait 30 000 tonnes d'isobutène par an permettrait de proposer le produit à un coût compatible avec le marché des carburants, aussi bien routiers qu'aériens. L'an dernier, nous avons permis à un premier avion de tourisme de voler avec un biokérosène produit à partir de notre isobutène. Ce n'est qu'une première étape », nous assure Marc Delcourt en conclusion.