Qui l'eut cru, il y a quelques années, quand Elon Musk est arrivé sur le marché du lancement de satellites avec la ferme intention de se faire une place au Soleil, qu’il allait en prendre une aussi belle ! Sea Launch et son lanceur Zenith vont disparaître, le Proton d’ILS perd des parts de marché et Arianespace, contrainte d'adapter sa stratégie à cette nouvelle concurrence, réfléchit maintenant à un lanceur partiellement réutilisable.

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    SpaceX donnerait-il le la du marché ? Les succès techniques et commerciaux d'Elon MuskElon Musk ont contraint les États membres de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (Esa) à définir une version d’Ariane 6 et une nouvelle organisation industrielle qui tranche avec celle mise en place pour Ariane 5Ariane 5. Ce futur lanceur, dont nous nous sommes fait l'écho à plusieurs reprises, est annoncé pour 2020. Il a été conçu pour s'adapter à la stratégie low cost de SpaceXSpaceX qui équilibre ses comptes entre des lancements vendus à prix fort à la Nasa et à l'armée de l'air américaine, surfacturés diront certains, et une politique de bas prix très agressive sur le marché commercial. Une stratégie payante : en 2014, pour les commandes, SpaceX a fait jeu égal avec ArianespaceArianespace, raflant 9 des 18 contrats de lancements de satellites de télécommunications en orbite géostationnaire signés l'an dernier.

    À cela s'ajoute que l'Europe pourrait prendre le virage du réutilisable à l'horizon 2025 si les études que mènent actuellement les équipes de l'Agence spatiale européenne et du Centre national d'études spatiales (Cnes) sont favorables. Cette décision a en effet été prise lors de la dernière session du Conseil au niveau ministériel de l'Esa (décembre 2014) pour partie en raison de l'avancée prise par SpaceX dans le domaine de la réutilisation. Si, aux premières heures de SpaceX, la communauté spatiale était sceptique quant à ses chances de réussite, aujourd'hui ils sont nombreux à penser qu'il gagnera son pari.

    Projet de lanceur partiellement réutilisable de l'Agence spatiale européenne, aujourd'hui abandonné (FLPP, 2004). © Esa

    Projet de lanceur partiellement réutilisable de l'Agence spatiale européenne, aujourd'hui abandonné (FLPP, 2004). © Esa

    Les études en cours portent sur la possible réutilisation du premier étage d'une Ariane 6Ariane 6 sans booster d'appoint. L'idée serait de développer un nouveau premier étage avec une propulsion cryotechniquecryotechnique à l'oxygèneoxygène et au méthane liquidesliquides et doté d'un ou plusieurs moteurs. Cet étage serait plus puissant que l'étage principal actuellement prévu, ce qui permettrait de se passer de booster pour atteindre la performance d'Ariane 62 et donc d'atteindre la performance d'Ariane 64 avec seulement deux accélérateurs au lieu de quatre.

    Un pari économique risqué

    La réflexion porteporte autant sur la faisabilité technique que sur la pertinence économique de ce choix. Et le pari est loin d'être gagné. Si techniquement l'industrie spatiale européenne parviendra à mettre au point un tel étage, et cela ne fait aucun doute, le rendre économiquement attractif dans un schéma à quelque douze lancements par an est une autre affaire. Certes, sur le papier, l'utilisation d'un étage réutilisableétage réutilisable a de quoi séduire, d'autant plus que sa fiabilité sera accrue grâce à la correction progressive des défauts rencontrés sur le matériel au fur et à mesure de son utilisation. Cela dit, l'intérêt économique d'un élément partiellement réutilisable est moins évident qu'il n'y paraît. L'équilibre économique sera difficile à trouver. Et ce pour de nombreuses raisons.

    Par exemple, les études réalisées la fin des années 1990 et au début des années 2000 par le Cnes, dont certaines sur des projets en coopération avec la Russie, ont toutes montré que c'était un non-sens économique. Aux coûts induits par la récupération de l'étage et sa remise en état s'ajoutent ceux liés à la perte de performance (le carburant utilisé pour le ramener au sol restreint la capacité du lanceur) et des cadences de production. La fabrication d'éléments neufs, en effet, est diminuée et s'espace dans le temps, de sorte que les opérations deviennent plus longues et plus coûteuses que l'utilisation d'un étage consommable construit en une dizaine d'exemplaires chaque année.

    Quelle stabilité pour ce lanceur ?

    À cela s'ajoute que la stabilité de la configuration est un facteur clé de la fiabilité d'un lanceur, alors que la réutilisation est un facteur défiabilisant. La fiabilité a un coût acceptable et c'est ce que recherchent avant tout les opérateurs de satellite.

    De son côté, SpaceX peut-il gagner son pari ? Techniquement oui, mais à quel prix... Aujourd'hui, il faut garder à l'esprit que, pour l'instant, le premier étage du Falcon 9 consomme tellement d'énergieénergie pour revenir au sol que cette manœuvre est possible seulement si on lance de petites charges utiles de moins de deux tonnes, alors qu'il pourrait embarquer quatre tonnes. Il y a un tel excès de performance que SpaceX peut se permettre d'utiliser un tiers des ergolsergols pour ce genre de manœuvre ! Il semble donc dommage d'utiliser un lanceur avec une telle capacité pour une mission qui se contenterait d'un lanceur de moindre puissance. Autre handicap, et de taille celui-là, le premier étage du Falcon 9Falcon 9 utilise neuf moteurs, dont chacun doit être vérifié certifié et testé avant d'envisager une réutilisation.