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L'élément clé de la réussite biologique d'un récif artificiel, c'est à la fois son architecture et son urbanisme. L'architecture des modules unitaires dépend des matériaux, de leur forme, leur hauteur, leur longueur et leur volume. L'assemblage des modules entre eux sur le fond fait appel à des notions d'urbanisme, nouvelle discipline dans le monde marin, certains urbanistes préférant les hameaux et les villages, d'autres les grandes cités !
Réalisation d'un récif de protection
Pour les récifs de protection, le module devra être suffisamment lourd pour constituer un obstacle physique et ne pas être entraîné par le chalut. Il doit également offrir une surface portante suffisante avec le sédimentsédiment, pour ne pas être envasé. Il est également important que la forme du récif antichalut ne risque pas d'endommager les filets des pêcheurs artisanaux aux petits métiers, qui doivent pouvoir travailler dans les zones littorales aménagées. Les obstacles doivent occuper le maximum d'espace, afin d'être suffisamment dissuasifs auprès des chalutiers. Selon la topographie et la superficie du site à protéger, les récifs peuvent être répartis en lignes perpendiculaires à la côte, ou être disposés à intervalle régulier sur les fonds.
Réalisation d'un récif de production
Pour les récifs de production, le récif doit copier le plus possible les habitats naturels. Comme la nature aime le désordre, un agencement complexe et hétérogène favorisera une multiplicité d'habitats et d'abris de tailles variées, donc l'installation d'un peuplement de poissons le plus diversifié possible. Dans l'état actuel des immersions et des caractéristiques des récifs utilisés en France, les modules cubiques en bétonbéton de faibles volumes (1 à 2 m3) composés de surfaces pleines et d'ouvertures sont les plus performants, s'ils sont disposés en ensemble chaotique de 50 à 100 m3 (voir l'image ci-dessous).
Cette démarche « d'imiter la nature » est logique, pourtant, les aménageurs n'ont pas assez insisté sur ce point et beaucoup de récifs immergés sont trop ordonnés sur le fond et n'ont pas été conçus et construits de manière spécifique, mais en utilisant simplement des structures et des formes déjà existantes, fabriquées en série par les entreprises du BTP (Bâtiment et Travaux Publics). Ces formes trop géométriques n'existent pas dans la nature et c'est bien là le problème. Le choix du site et des récifs est donc déterminant : ils conditionneront les espècesespèces cibles fréquentant le récif.
Agencement des récifs : les critères à prendre en compte
L'efficacité d'un champ de récifs artificiels dépend de :
- la nature et la forme des modules récifaux qui le composent ;
- l'agencement des différents modules et récifs entre eux ;
- la complexité des récifs en matière de zones d'ombre, de caches, de petites et grandes cavités, fournissant des habitats très variés à une faunefaune la plus diversifiée possible.
Les acquis sur le plan scientifique et technique montrent que la notion de discontinuité horizontale et verticale est importante dans l'agencement des récifs unitaires : discontinuité dans les hauteurs, dans les tailles, dans les volumes, dans la variété des types de récifs et leur forme, dans l'agencement et l'espacement horizontal entre récifs. L'efficacité biologique d'un récif passe donc par une certaine complexité dans les formes et les volumes qui le constituent.
Ces considérations, reposant sur les expériences antérieures de récifs en Méditerranée, ont conduit à définir plusieurs principes d'aménagement pour les récifs de Marseille. Avec 32.000 m3 de récifs pour un budget global de 6 millions d'euros, cet aménagement sur 210 ha dans la baie du Prado représente le plus vaste récif en Méditerranée. Immergés en 2008, les blocs de béton ont été balisés en janvier 2011, afin de les rendre visibles pour les usagers de la mer.
Objectifs des récifs artificiels de la baie du Prado
Les objectifs de ces aménagements en récifs sont : l'augmentation et la diversification des ressources marines afin de soutenir les activités de pêchepêche professionnelle artisanale, la réhabilitation écologique et la valorisation biologique des fonds dégradés (l’herbier de Posidonie ayant subi par le passé une importante régression).
La moitié des récifs sont situés en zone ouverte à la pêche professionnelle et l'autre moitié des récifs sont installés en zone sanctuaire, interdite à la pêche, favorisant donc la croissance et la reproduction des poissonspoissons, par cette mise en réserve.
La conception des différents récifs, leur agencement entre eux sur le fond et la réalisation des divers dossiers techniques et administratifs ont duré trois ans et c'était une formidable expérience de concevoir de nouveaux types de récifs, en essayant de se mettre dans la « peau d'un poisson ». Une des originalités du projet consiste à agencer les différents récifs en les regroupant en « hameaux » et en « villages » (concept d'urbanisation diffuse). Ces « villages », de forme triangulaire (le triangle étant la forme géométrique qui occupe le meilleur compromis entre la surface et le volume), sont reliés entre eux par des « liaisons fonctionnelles », véritables corridors biologiquescorridors biologiques permettant aux poissons de passer d'un récif à l'autre (voir la dernière image de cette page).
Des amas d'enrochements (blocs de carrière de tailles variables) compléteront le dispositif, l'objectif étant de reconstituer des éboulis rocheux, habitat naturel particulièrement favorable aux gros poissons comme les mérous. Les habitats naturels périphériques ont également été pris en compte dans l'agencement des villages de récifs, ceci permet d'utiliser le « potentiel biologique » environnant, qui favorise une colonisation plus rapide des récifs et les échanges d'espèces.
Mise en place des récifs : un projet pluridisciplinaire
Les types de récifs à immerger doivent être définis à l'issue d'une large concertation associant des compétences variées, aussi bien dans les domaines de l'économie, de la constructionconstruction et l'ingénierie maritime, de l'océanographie physique et l'écologieécologie marine, le monde de la pêche. On peut considérer aujourd'hui qu'il existe autant de récifs artificiels différents qu'il y a de projets immersions. Ce constat de disparité peut s'expliquer par le récent regain d'intérêt des collectivités pour les aménagements en récifs, et le fait que de nombreux concepteurs mettent au point de nouveaux récifs. La conception de récifs performants sur le plan écologique doit passer par une étape de réflexion importante associant les aménageurs, les pêcheurs et usagers de la zone à aménager, les scientifiques naturalistes, les concepteurs de modules et industriels du béton, les services de l'état en charge de la police et de la gestion du domaine public maritime ; de manière à pouvoir définir pour chaque projet les récifs les mieux adaptés au contexte local et aux objectifs visés.
En effet, trop de récifs existants sont inefficaces, du fait de leur mauvaise conception initiale, d'une mauvaise gestion des usages ou d'une méconnaissance de la part des aménageurs des contraintes socioéconomiques et environnementales locales. Selon les expériences du passé, basées sur des observations en plongée des récifs immergés sur le littoral français depuis vingt ans, un bon récif artificiel doit être le plus hétérogène possible, afin d'attirer et de sédentariser des peuplements de poissons et d'invertébrésinvertébrés les plus diversifiés possible.
La diversification des abris et des supports disponibles permet de satisfaire les besoins en matière d'habitats et de ressources trophiques à de nombreuses espèces, à divers stades de développement. Aussi, un bon récif doit combiner l'utilisation de plusieurs types de modules et d'éléments fins et de petite taille, ce qui permet la création d'un réseau cavitaire complexe et d'abris et habitats de type anfractueux. Il est important de rappeler que, malgré un ordre naturel, la nature aime bien le désordre ; aussi les récifs artificiels disposés en amas chaotiques sont les plus adaptés et les mieux colonisés par la faune et la flore.