Paris, 1811. Fanny Burney est allongée sur un vieux matelas, au milieu de son luxueux salon. Son cœur bat à tout rompre. L’un des chirurgiens qui l’entourent se saisit d’un grand couteau à la lame finement affûtée. L’horreur l’envahit. Que va-t-elle ressentir ? Sera-t-elle suffisamment forte pour subir, jusqu’au bout, cette terrible opération ? Alors que la lame pénètre son sein, déchaînant un flot d’extrêmes souffrances, elle sait cependant qu’elle n’a pas le choix.


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    Frances Burney, dit Fanny, née en 1752 à Norfolk, dans une famille de la haute bourgeoisie britannique. La jeune fille, tout comme ses frères et sœurs, baigne dès son enfance dans un milieu très cultivé. Son père, compositeur, historienhistorien et écrivain, possède en effet une position privilégiée au sein du milieu intellectuel et artistique. Cependant, la petite Fanny ne reçoit pas d'éducation formelle. C'est toute seule qu'elle apprendra à lire vers l'âge de 8 ans. À partir de là, elle se passionnera pour la littérature.

    Découvrez l'histoire de Fanny Burney au format audio, dans cet épisode de Chasseurs de Science. © Futura

    Une écrivaine très populaire

    Fanny se met rapidement à écrire un journal, puis rédige, à l'âge de 15 ans, un premier roman, qu'elle détruira par peur de la réaction de sa belle-mère, qui considère que l'écriture n'est pas une préoccupation digne d'une femme de l'aristocratie. Mais le désir d'écrire est trop ancré en elle. À 26 ans, elle publie ainsi anonymement un premier roman baptisé Evelina, qui connaîtra un immense succès commercial. Sa carrière littéraire et lancée. Petit à petit, Fanny Burney devient ainsi une écrivaine très populaire. Ses romans, pleins de satires, dépeignent en détail le stylestyle de vie de l'aristocratie anglaise. Elle se démarque également par ses réflexions sur les droits des femmes.

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    Fanny Burney. © Edward Francis Burney, Wikimedia Commons, domaine public

    À 42 ans, elle se marie avec Alexandre d'Arblay, un général français et lui donne un fils. En 1802, la petite famille part s'installer à Paris. Durant ce séjour en France, qui durera douze ans, Fanny se tisse un important réseau socialréseau social. Appréciée et estimée au sein de la haute société parisienne, elle coule une vie tranquille et hors du besoin. Jusqu'en 1811, année durant laquelle elle va devoir subir les pires souffrances qu'un être humain puisse endurer.

    L’annonce d’un cancer du sein

    Tout commence par une légère douleurdouleur au niveau d'un sein, un an plus tôt. Fanny a 58 ans. Elle ignore tout d'abord cet inconfort, qui devient cependant de plus en plus gênant. Au fil des mois, la douleur augmente, faisant naître une terrible inquiétude. Fanny a déjà entendu parler de ce type de mal, fréquent chez les femmes d'âge mûr et qui peut s'avérer mortel. Sous la pression de son mari, elle fait venir un, puis plusieurs médecins. Les divers examens se solderont tous par un constat terrible : Fanny est atteinte d'un cancer du sein.

    Cette annonce la terrifie, car elle sait qu'il n'existe qu'un seul traitement à cette maladie : l'ablation de la tumeurtumeur. Or, à cette époque, les interventions chirurgicales sont toutes effectuées sans anesthésieanesthésie. La découverte du protoxyde d'azote (qui sera plus tard utilisé comme anesthésiantanesthésiant) n'est que récente et le gaz, qui a un effet hilarant chez ceux qui le respirent, est alors plutôt utilisé... pour des soirées festives.

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    Affiche à propos d'une exhibition où les effets du gaz hilarant, qui sera plus tard utilisé comme anesthésiant, sont présentés au public. © general-asthesia.com

    Au moment du diagnosticdiagnostic, Fanny est bien loin de ce type de réjouissances. Consciente des risques qu'implique une opération et horrifiée à l'idée de devoir subir cela en étant pleinement consciente, elle va tout faire pour éviter une mastectomie. Durant sept mois, avec l'appui de ses relations, elle va ainsi convoquer les meilleurs médecins de Paris dans le but de trouver un traitement curatifcuratif qui permette d'éviter l'opération. En vain. Les symptômessymptômes s'aggravent. La souffrance aussi. Durant l'été 1811, le couperet finit par tomber. L'opération est devenue inévitable et doit être réalisée rapidement afin d'éviter une généralisation du cancercancer.

    Une longue attente

    En ce début de XIXe siècle, la chirurgiechirurgie n'est en effet qu'un art médical encore très balbutiant, tenant plus du spectacle que de la médecine. Pour asseoir leur autorité, nombreux sont les chirurgiens qui pratiquent des opérations spectaculaires, avec force effusionseffusions de sang. Bien sûr, le bien-être du patient est loin d'être pris en compte. Au point que l'on considère qu'il n'y a pas plus de science en chirurgie... qu'en boucherie.

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    Histoire : médecine, médecins et chirurgiens sous l'Ancien Régime

    Dans son malheur, Fanny a cependant la chance de bénéficier de l'expertise des meilleurs chirurgiens du moment, qui ne proposent normalement pas leurs services en dehors de la cour. Mais, malgré tout leur bon vouloir et leur savoir-faire en matière de chirurgie, ils ne pourront empêcher la douleur inhérente à une telle opération.

    Résignée, Fanny rédige son testament en prévision du pire. Puis commence une terrible attente. Si les médecins ont affirmé qu'il fallait opérer rapidement, aucun ne semble réellement vouloir prendre ses responsabilités : ils savent pertinemment ce que Fanny devra endurer. Ils savent aussi que l'opération comporte un risque. La notoriété de Madame d'Arblay étant évidente, un échec pourrait s'avérer désastreux pour leur carrière et les discréditer auprès de la cour et de la communauté médicale.

    Enfin, au bout de deux mois durant lesquels Fanny souffre le martyre de l'attente, les médecins réapparaissent enfin. Mais c'est pour lui annoncer qu'il est désormais trop tard pour opérer ! Selon eux, le cancer du sein se serait propagé et elle serait d'ores et déjà condamnée. Une opération ne ferait qu'accélérer sa fin. Fanny est sous le choc. Il est vrai que, durant tout ce temps, sa douleur s'est dramatiquement accrue, s'étendant désormais jusque dans la partie supérieure de son bras, qu'elle a du mal à bouger.

    Mais cette sentence ne fait finalement qu'affirmer la détermination de Fanny à subir cette opération tant redoutée. Si elle est condamnée, encore préfère-t-elle une fin rapide qu'une lente agonie. Face à sa volonté et à son courage, les médecins acceptent et décident d'une date. Ce sera le matin du 30 septembre 1811.

    Une ablation du sein sans anesthésie

    Le terrible jour arrive. Rassemblant son courage, Fanny prend soin de se préparer pour l'opération qui aura lieu dans son propre salon. Son mari ne sera pas présent. L'idée qu'il assiste à sa souffrance l'horrifie encore plus et lui fait perdre ses moyens. De plus, elle veut à tout point lui éviter ce triste spectacle. Sur sa demande express, Alexandre d'Arblay sera ainsi retenu par son supérieur jusqu'à ce que l'opération soit terminée.

    Les médecins arrivent enfin et commencent à préparer leurs instruments : couteaux de toutes les formes, scalpels, éponges, compresses... À la vue de tous ces instruments, Fanny se sent défaillir. Aura-t-elle le courage d'aller jusqu'au bout ? La pièce se transforme rapidement en une véritable salle de torture. Mais Fanny s'accroche. Elle rédige quelques derniers mots à l'intention de son mari au cas où les choses tourneraient mal, puis elle est appelée. L'opération va commencer. Sept hommes se trouvent autour d'elle, cinq médecins et deux étudiants.

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    Illustration présentant les instruments utilisés pour réaliser une mastectomie. © Wellcome collection

    Pour tout sédatif, on lui donne à boire une boisson alcoolisée, puis on l'installe sur un vieux matelas. Paralysée par la peur, le cœur battant à tout rompre, Fanny réalise alors brusquement qu'elle ne peut plus reculer. Un instant, elle songe à s'échapper. Échapper à la terrible douleur qu'elle va devoir affronter.

    Mais sa détermination reprend le dessus. D'un ton ferme, elle presse alors les chirurgiens, qui semblent hésiter, de se dépêcher avant que son courage ne s'évapore totalement. D'un geste brusque, enivrée par la peur, elle saisit son sein pour le maintenir dans la bonne position, afin que les médecins puissent pratiquer l'incision. Le couteau s'approche. Fanny ferme les yeuxyeux.

    L'opération débute enfin.

    Dans la lettre qu'elle écrira à sa sœur un an plus tard, Fanny décrira dans le détail les vingt terribles minutes qui suivirent, durant lesquelles les médecins lui pratiquèrent une ablation totale du sein, sans aucune anesthésie

    Sous ses yeux horrifiés et durant de longues minutes, les médecins vont ainsi taillader sa chair et s'acharner à retirer l'ensemble de la tumeur, grattant l'os avec applicationapplication. Pendant tout ce temps, Fanny endure la souffrance la plus extrême, avec courage et dignité.

    Le rare témoignage d’une patiente

    Son témoignage, qui retrace à la fois l'ensemble des manipulations chirurgicales qu'elle a subi et le déroulement complet de l'opération, dépeint surtout la terrible douleur qu'elle a ressentie. De nos jours, cette lettre est considérée comme un formidable témoignage historique retraçant dans le détail le déroulement d'une mastectomiemastectomie au début du XIXe siècle, mais non du point de vue du médecin, mais de celui de la patiente. Ce genre de témoignage, décrivant surtout les sensations et les émotions de Fanny durant l'opération et les mois qui la précédèrent, est en effet très rare.

    Vint enfin le moment où on la transporta dans sa chambre. L'opération est terminée.

    D'un point de vue médical, ce fut un succès. Le corps de Fanny se remit d'ailleurs très rapidement. Mais, du point de vue psychologique, cette expérience l'affecta durant de très longs mois, si ce n'est tout le reste de sa vie. Ce n'est qu'un an plus tard qu'elle trouvera le courage de mettre enfin des mots sur sa douleur, pour raconter à sa sœur cette « terrible opération ».

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    Extrait de la lettre que Fanny Burney à rédiger à l'attention de sa sœur et dans laquelle elle décrit son opération. © British Library

    Dans une époque où la préventionprévention contre le cancer est encore totalement inexistante et où les femmes ne sont nullement sensibilisées à en reconnaitre les signes les plus précoces, Fanny marque le pas. Dans sa lettre, elle recommande en effet à sa sœur mais également à toutes les femmes de sa famille, d'être attentives aux moindres signes qui pourraient signaler un cancer du seincancer du sein. La lettre de Fanny est donc avant tout un message de prévention, sa description crue un moyen de marquer les esprits sur les conséquences que peut avoir un cancer qui n'a pas été traité rapidement.

    Après cette terrible expérience, Fanny vivra encore 29 ans, et finira par s'éteindre à l'âge respectable de 87 ans, en 1840.

    L'effet anesthésiant du protoxyde d'azote ne sera, quant à lui, clairement découvert qu'en 1844, date à partir de laquelle il commencera doucement à être utilisé par le corps médical pour réaliser des opérations normalement très douloureuses. Cette découverte marque un tournant majeur dans la pratique de la médecine et plus particulièrement de la chirurgie.