Il est difficile de dater certains événements importants sur l'arbre phylogénétique de la vie car les données de la paléontologie viennent souvent le chambouler. Ainsi, la découverte récente d'un fossile d'hominine en Éthiopie a conduit les chercheurs à vieillir d'au moins 400.000 ans la date de l'apparition du genre Homo.

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    Vers la fin de l'année 1974, une équipe d'une trentaine de chercheurs éthiopiens, américains et français codirigée par Donald Johanson (paléoanthropologiepaléoanthropologie), Maurice Taieb (géologiegéologie) et Yves CoppensYves Coppens (paléontologiepaléontologie) conduisait des fouilles près d'Hadar en Éthiopie lorsque certains d'entre eux sont tombés sur des restes fossilisés affleurant d'une formation géologique au bord de la rivière Awash. Ce cours d'eau désormais mondialement célèbre prend sa source dans les plateaux d'Éthiopie, coule vers le nord dans la vallée du grand riftrift et la dépression de l'Afar et se jette dans le lac Abbe, proche de Djibouti.

    Qu'avaient donc découvert les chercheurs ? Rien de moins que les fragments du squelette d'une AustralopithecusAustralopithecus afarensis : Lucy. Cet hominine vivait il y a environ 3,2 millions d'année. Jusqu'à présent, on pensait que le genre Homo n'avait émergé qu'un peu moins d'un million d'années plus tard avec Homo habilisHomo habilis, dont la descendance directe depuis Australopithecus afarensis n'était pas établie. Mais voilà qu'une équipe internationale d'anthropologues et de spécialistes en géosciences, menée par des membres de l'Institute of Human Origins fondé par Donald Johanson à l'université d'État de l'Arizona (États-Unis), vient de sortir deux publications retentissantes dans le journal Science.


    « Parmi les questions persistantes que les gens se posent, et pas seulement les spécialistes, mais celles sur lesquelles tout le monde s'interroge, on trouve "d'où venons-nous ?" et "quelles sont nos origines ultimes ?" Des paléoanthropologues comme moi ont dédié leurs vies à trouver des réponses à ces questions sur l'histoire de nos origines en cherchant des fossiles dans des endroits éloignés », explique dans cette vidéo le directeur de l’Institute of Human Origins, William H. Kimbel. Sa collègue, Kaye Reed, qui codirige des recherches dans le triangle de l’Afar dans le cadre du Ledi-Geraru Research Project, était présente quand Chalachew Seyoum a découvert un fossile d’hominine remarquable. © Arizona State University, YouTube

    Un chaînon manquant entre Australopithecus et Homo ?

    Les paléoanthropologues de l'Arizona State University (ASU) explorent la région de Ledi-Geraru, proche d'Hadar, depuis 2002. L'un des buts des expéditions qu'ils y ont menées était de trouver des fossilesfossiles d'hominines correspondant à une période mal connue, entre 3 et 2,3 millions d'années avant le présent. On dispose en effet de très peu d'information sur l'évolution qui a alors conduit du genre Australopithecus (qui contient plusieurs espècesespèces et pas seulement celle dont faisait partie LucyLucy) au genre Homo. On peut donc imaginer l'excitation qui a envahi en janvier 2013 l'Éthiopien Chalachew Seyoum lorsqu'il est tombé, comme il le raconte dans la vidéo ci-dessus, sur un fragment de mâchoire inférieure fossilisée portant des dents. Le doctorant en paléoanthropologie a immédiatement compris qu'il tenait dans ses mains un fossile d'hominine.

    Catalogué sous le code LD 350-1, il a pu être daté parce qu'il se trouvait entre deux couches de sédimentssédiments contenant des cendre volcaniques. La méthode radiométrique basée sur les isotopes argon 40/argon 39, complétée par d'autres méthodes de datation, a permis d'établir que l'hominine dont provenait ce fragment de mâchoire était âgé de 2,75 à 2,8 millions d'années.

    La dépression de l'Afar est un haut lieu des géosciences et de la paléoanthropologie. Haroun Tazieff et Yves Coppens y ont fait de célèbres découvertes : le premier rift océanique exondé et Lucy. © Nasa

    La dépression de l'Afar est un haut lieu des géosciences et de la paléoanthropologie. Haroun Tazieff et Yves Coppens y ont fait de célèbres découvertes : le premier rift océanique exondé et Lucy. © Nasa

    La véritable surprise est venue quand le directeur de l'Institute of Human Origins, William H. Kimbel, a examiné de plus près LD 350-1 avec ses collègues parmi lesquels Brian Villmoare, de l'université du Nevada (Las VegasVegas, États-Unis). La présence de molairesmolaires minces, de prémolaires symétriques et d'une mâchoire uniformément proportionnée est un signe distinctif du genre Homo que l'on retrouve notamment chez Homo habilis il y a 2 millions d'années. La pente du menton que trahit le fragment de mâchoire est cependant une caractéristique simiesque primitive que l'on observe chez Australopithecus. La conclusion de Kimbel est sans appel : « C'est un excellent exemple d'un fossile de transition à une période critique de l'évolution humaine ».

    Ledi-Geraru est située à seulement 30 km d'Hadar, une région où l'on a trouvé des restes fossilisés d'une centaine d'<em>Australopithecus afarensis</em>. Les plus anciens outils en pierre connus sont datés d'environ 2,6 millions d'années et ils ont été trouvés à 40 km de Ledi-Geraru, près de Gona. © Erin Di Maggio

    Ledi-Geraru est située à seulement 30 km d'Hadar, une région où l'on a trouvé des restes fossilisés d'une centaine d'Australopithecus afarensis. Les plus anciens outils en pierre connus sont datés d'environ 2,6 millions d'années et ils ont été trouvés à 40 km de Ledi-Geraru, près de Gona. © Erin Di Maggio

    L'apparition d'Homo, une conséquence du changement climatique ?

    Mais il y a mieux, LD 350-1 permet de repousser d'au moins 400.000 ans la naissance du genre Homo car les plus anciens fragments fossilisés connus jusqu'alors ne remontaient qu'à 2,3 millions d'années environ. Certes, il reste encore beaucoup de travail à faire pour se faire une idée bien plus complète de cette espèce et pour répondre à des questions basiques : Que mangeait-elle ? Utilisait-elle des outils de pierre ? Les recherches vont se poursuivre.

    D'autres fossiles dans la région de Ledi-Geraru ont aussi été retrouvés et datés. Ils permettent de se faire une idée de l'environnement de l'époque il y a entre 2,84 et 2,58 millions d'années. Alors qu'autour de Hadar vivaient il y a 3 millions d'années des singes, des éléphants et des girafesgirafes plus caractéristiques d'un milieu où prairies et forêts alternent, 200.000 ans plus tard on trouve autour de Ledi-Geraru une faunefaune et une flore signalant une période plus aride. Elle fait penser au Serengeti actuel avec des gazelles et des zèbres, ou encore au Kalahari. De nouvelles et nombreuses espèces de mammifèresmammifères ont aussi émergé rapidement. Cette période d'intense spéciationspéciation apparente a peut-être été causée par le changement climatiquechangement climatique touchant l'Afrique de l'est à cette époque, mais il est difficile de dire s'il a vraiment joué un rôle dans l'apparition d'Homo.