Les particules sont-elles conscientes ? L'Homme est-il condamné à mourir avec son cerveau et l'Humanité de toute façon avec un Univers en expansion éternelle où toutes les étoiles s'éteindront ? Dans quelle mesure notre fascination pour les mathématiques et les lois de la physique et plus généralement nos croyances relèvent-elles, ou non, d'une illusion explicable par la psychologie évolutive et les neurosciences ? Dans son nouvel ouvrage, Jusqu'à la fin des temps : Notre destin dans l'Univers publié chez Flammarion, le physicien Brian Greene débute une exploration de ces questions, et bien d'autres, essentiellement à partir de la science. Exploration ouvrant sur des considérations que certains penseront uniquement relevant de la philosophie d'une manière qui les rendront accessibles aux curieux initialement intéressés par une de ces disciplines, et qui voudraient élargir leurs perspectives à partir des questions qu'ils se posent.
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Il est probablement inutile de présenter au grand public Brian Greene. Il s'est fait connaître il y a presque 20 ans avec son livre L'Univers élégant et l'adaptation qui en a été faite avec la série télévisée, diffusée par Arte en 2006, présentée sous le titre Ce qu'EinsteinEinstein ne savait pas encore et qui fut suivi d'un autre ouvrage lui aussi adapté pour la télévision : La Magie Du CosmosCosmos.
Américain d'origine, diplômé de la célébrissime Université Harvard (États-Unis) puis ayant décroché son doctorat en physique théorique à la prestigieuse Université d'Oxford (UK) au moment où la première révolution de la théorie des supercordes venait d'avoir lieu, Brian Greene a aussi été le témoin et cette fois-ci l'acteur de la seconde révolution de cette théorie. Celle qui a permis notamment de proposer une explication convaincante de l'origine de l'entropie des trous noirs et qui a forcé Stephen HawkingStephen Hawking à revoir sa position sur le paradoxe de l’information qu’il avait lui-même découvert avec l’évaporation quantique des trous noirs.
L'Univers élégant se proposait de dresser une fresque accessible de l'évolution de la physique ayant mené à la seconde révolution de la théorie des cordesthéorie des cordes, puis à cette révolution même, et d'expliquer en corollaire pourquoi les travaux de Greene avec ses collègues avaient modifié les perspectives sur des questions profondes liées à ce que les chercheurs en théorie quantique de la gravitationgravitation désignent depuis John Wheeler par le terme d'écumeécume de l'espace-tempsespace-temps. Techniquement, il s'agit de questions relevant de la topologie et de la géométrie algébrique des espaces-temps quantiques de la théorie des supercordes et des modèles de Kaluza-Klein. On pourra consulter à ce sujet également le dernier ouvrage de Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet et tout d'abord la présentation que Futura en avait fait.
Les ouvrages de Brian Greene font donc tous une présentation de la théorie de la relativité généralerelativité générale d'Einstein, de la théorie décrivant le fameux monde quantique et de la tentative pour les combiner afin d'obtenir une théorie quantique de la gravitation explorée avec la théorie des supercordes. Tentative dont on pense aussi qu'elle contient les clés d'une unification avec toutes les autres forces connues et les particules qu'elles impliquent où auxquelles elles sont couplées - du bosonboson de Brout-Englert-Higgs en passant par les quarks et les neutrinos des quasars.
Brian Greene explique dans cette adaptation d'un de ses livres les idées décrivant le monde quantique. © L'université virtuelle
La thermodynamique et la mort thermique de l'Univers
Il existe un autre yoga de la physique théorique que tout aspirant à l'étude de la philosophie naturelle doit apprendre pour explorer l'arkhè du Cosmos. C'est celui de la thermodynamiquethermodynamique et de la mécanique statistique qui la fonde et sur laquelle Einstein avait également fait des contributions fondamentales au début du XIXe siècle. Retrouvant indépendamment de lui, mais à sa façon, les idées à ce sujet du physicienphysicien, chimiste et mathématicienmathématicien états-unien Josiah Willard Gibbs, fondateur du calcul vectoriel moderne, Einstein allait s'en servir pour démontrer l'existence des atomesatomes et en tirer toutes les implications de la découverte de la théorie correcte du rayonnement du corps noircorps noir par PlanckPlanck. Einstein pavera ainsi la voie menant non seulement à la découverte de la théorie quantique moderne, mais aussi à celle du laserlaser et de l'entropie des trous noirs.
L'entropie est au cœur de la thermodynamique qui, comme son nom l'indique, traite des transformations de l'énergieénergie et surtout de la production du travail par des machines à partir de la chaleurchaleur. Le mot a été formé par le physicien allemand Rudolf Clausius en remplaçant la racine grecque de ἔργον (« travail ») utilisée avec le terme « énergie » par celle de τροπή (« transformation »). Comme l'expliquait le regretté Michel Serres dans un épisode de la série La Légende des sciences, la notion d'entropie et de moteur thermiquemoteur thermique a marqué un tournant dans l'évolution scientifique et technique de la noosphère. Car alors que le modèle de la science classique héritée de Kepler, Descartes, GaliléeGalilée et NewtonNewton était celui de l'horloge astronomique et de l'éternité du mouvementmouvement des astresastres, le modèle du XIXe siècle, et dont nous ne sommes pas encore sortis (sauf peut-être à considérer l'idée que le monde est un ordinateur quantiqueordinateur quantique traitant de l'information), va être celui de la machine thermique décrite avec l'énergie et l'entropie.
Or l'entropie implique une évolution irréversible des phénomènes, elle définit une flèche du temps et des transformations thermochimiques de la matièrematière et de l'énergie. Si elle résonne avec l'idée d'un monde capable de créer le vivant, de le faire évoluer jusqu'à l'apparition de l'Homme au moment où les travaux de DarwinDarwin vont apparaître et se développer, l'entropie réintroduit aussi sous une forme renouvelée l'idée d'un cosmos en évolution mais qui n'est malheureusement plus éternel.
En effet, déjà depuis la fin du XIXe siècle, une découverte concernant l'entropie a glacé d'effroi plusieurs physiciens et philosophes : dans un système isolé, la croissance de l'entropie est inéluctable. À la suite des travaux de Clausius, KelvinKelvin, Boltzmann et enfin et surtout Shannon, on va comprendre que l'entropie est une mesure du degré de désordre d'un système et de la disponibilité de l'énergie qu'il contient pour effectuer du travail, par exemple maintenir vivant un organisme.
Si, par définition, l'Univers est tout ce qui est, la croissance inéluctable de l'entropie d'un système isolé implique alors en effet qu'il adviendra un jour où toute l'énergie de l'Univers ne sera plus utilisable. Elle ne pourra alors plus servir à faire briller les étoilesétoiles ni faire fonctionner les cellules vivantes. En outre, puisque l'Univers semble, d'après les observations actuelles, en expansion éternelle, se refroidissant sans cesse, il devrait terminer son histoire dans un état de vide presque parfait, froid et dépourvu de structures complexes.
Le cosmos entier devrait donc un jour finir dans la décrépitude. C'est cela le fameux spectrespectre de la mort thermique.
Cette conclusion n'est certainement pas réjouissante d'un point de vue philosophique et existentiel et nombreux sont ceux qui ont tenté de l'éloigner. Elle a rapidement conduit celui qui est probablement le plus grand philosophe occidental du XXe siècle, Bertrand Russell, à un pessimisme radical quant au destin du cosmos, exprimé dans son texte La profession de foi d'un homme libre.
Physique et philosophie, une histoire commune multi-millénaire
Dans son dernier opus, Jusqu'à la fin des temps : Notre destin dans l'Univers, publié chez Flammarion, Brian Greene attaque de front et prend même comme point de départpoint de départ de sa réflexion l'angoisse existentielle générée par la prise de conscience aiguë de la mortalité, non seulement à titre individuel pour une personne mais aussi de tout ce qui est. Rien de surprenant ni de nouveau pour un scientifique du calibre de Greene, mais cela étonnera sans doute ceux qui ont été abusés par les bouffonneries incultes et incompétentes d'un Heidegger qui affirmait que la Science ne pensait pas, contrairement à la Philosophie, alors que lui-même en était incapable ; pour preuve et sans équivoque, le fait qu'il était toujours membre, en avril 1942, de la Commission pour la philosophie du droit, une instance nazie, comme l'a montré il y a quelques années la philosophe Sidonie Kellerer.
Inutile de remonter pour cela à l'angoisse pascalienne dont le texte de Greene peut bien évidemment aussi faire écho. Il suffit de savoir que les grands créateurs de la science moderne au début du XXe siècle étaient tous, ou presque, sous perfusionsperfusions philosophiques et pouvaient fort bien se réclamer de la fameuse phrase de Terence : « Je suis un homme ; je considère que rien de ce qui est humain ne m'est étranger. ».
Niels BohrNiels Bohr avait lu précocement Kierkegaard par exemple, et quant à Einstein, Pauli et Schrödinger, ils pouvaient en dire autant de Schopenhauer et Kant. On sait qu'Einstein avait utilisé ses lectures de Hume pour arriver à la découverte de la relativité du temps et Heisenberg celles de Platon pour accéder à la formulation matricielle de la théorie quantique(My mind was formed by studying philosophy, Plato and that sort of thing). On pourrait citer les textes et ouvrages de James Jeans, Heisenberg et Schrödinger qui tous témoignent de leur familiarité avec Kant, Spinoza, Platon et même les présocratiques. Le grand mathématicien Hermann WeylHermann Weyl, qui a initié le concept des théories de jaugethéories de jauge au cœur de la théorie quantique des champs, va même jusqu'à citer indirectement des conceptions relevant de la phénoménologie de Husserl dans son cours sur la relativité générale.
En fait, à travers la thermodynamique et la fascination de bien des physiciens pour la déraisonnable efficacité des mathématiques, on retrouve simplement les anciennes questions sur le temps, l'être et le devenir, et les implications que ces questions ont pour tenter de répondre aux énigmes de l'existence humaine. Lesquelles, ne peuvent pas être séparées de celles de la Nature, puisque nous en faisons partie et qu'elle détermine le fait que nous soyons comme des esclaves, sans possession de nous-même et d'un libre arbitre... ou non.
À bien des égards donc, le livre de Brian Greene se veut comme une esquisse d'une série de pistes à explorer pour les débutants à l'intersection des sciences, de la philosophie et des arts. On devine que son auteur pourrait fort bien les présenter avec des développements plus poussés, tant son texte est émaillé d'allusions et de réflexions appropriées. Par exemple, à L’Immortel, première nouvelle du recueil L’Aleph de Jorge Luis Borges ou encore aux Upanishads également connues de Robert Oppenheimer, sans oublier Camus et Sartre.
Brian Greene parle des idées du philosophe David Chalmers dans son dernier ouvrage. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © TED
Le stylestyle de Brian Greene est caractéristique des physiciens et des mathématiciens qui vont à l'essentiel en cherchant à s'exprimer de la façon la plus concise, claire et efficace possible. Finalement, il n'est pas sans rappeler celui de Bertrand RussellBertrand Russell, jusqu'au contenu même et pas seulement la forme. On peut en effet penser que si Russell vivait de nos jours il écrirait un livre comparable et avec des thèses très proches de celui aujourd'hui publié, car lui-même en a déjà écrit qui comme celui de Greene s'appuyait sur la physique moderne, la psychologie et la théorie de l'évolutionthéorie de l'évolution des années 1900-1930 pour aborder frontalement des questions philosophiques (est-ce d'ailleurs si différent de ce qu'ont fait Platon et AristoteAristote ?).
Brian Greene aborde bien évidemment la question des rapports de l'esprit et de la matière mais reste sceptique quant aux idées avancées relevant du panpsychisme, tout en reconnaissant qu'il serait électrisé s'il s'avérait que des preuves en faveur de cette thèse apparaissaient. Curieusement, aucune mention n'est faite des idées de Roger Penrose sur le sujet, pas plus en cosmologie d'ailleurs.
Schrödinger est par contre bien crédité d'être un des initiateurs de la révolution de la biologie moléculairebiologie moléculaire. Sont également mentionnées les idées du prix Nobel Ilya Prigogine sur la thermodynamique de systèmes ouverts, laquelle a jeté une nouvelle lumièrelumière sur la capacité qu'ont les lois de la physique à produire de l'auto-organisation sans violer le second principe de la thermodynamiquesecond principe de la thermodynamique.
On trouvera aussi dans l'ouvrage de Brian Greene une présentation de la cosmologiecosmologie de Freeman Dyson basée sur un modèle relativiste ouvert et en expansion éternelle. Dyson s'interrogeait alors avec ce modèle sur les possibilités pour des formes de vie conscientes possédant une technologie suffisamment avancée de continuer à penser dans un tel univers, dans son article publié en 1979 (Time without end: Physics and biology in an open universe).
Répétons-le, il ne s'agit dans le livre de Greene aucunement d'un traité de philosophie allié à la physique mais vraiment d'un ouvrage destiné au grand public. Un ouvrage traitant essentiellement de certaines conclusions générales, peut-être temporaires et parfois uniquement esquissées, de ce que nous dit la science sur la cosmogonie de l'Univers, la physique de la vie et de l'évolution, et ce que la biologie et la psychologie évolutive peuvent nous dire sur les fondements de nos croyances, de nos espérances et de la connaissance. Elles peuvent nous aider à nourrir nos réflexions sur le sens de l'existence et de la condition humaine, Brian Greene nous en montrant précisément l'exemple.
On pourra probablement résumer la position de Brian Greene en la rapprochant de celle déjà brossée dans les textes de Lucrèce et d'Épicure et en citant la fameuse phrase écrite par Henri Poincaré en 1905 dans son ouvrage La valeur de la science : « La pensée n'est qu'un éclairéclair au milieu d'une longue nuit, mais c'est cet éclair qui est tout. ».
D'autres scientifiques de talents n'auront certainement pas la même, mais c'est au lecteur de se faire une opinion. Ce qui frappe tout de même c'est que Brian Greene est très conscient des limites de ces idées et qu'il voit d'autres perspectives, simplement elles ne lui semblent pas les plus crédibles au regard du dernier siècle de découvertes de la noosphère, de la théorie du Big BangBig Bang à la théorie de l'information en passant par celle de la structure de l'ADNADN.
Une présentation de son dernier livre par Brian Greene. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Talks at Google